Conférence de N. Urasawa et M. Maruyama - JE 2012- Actus manga
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Manga Conférence de N. Urasawa et M. Maruyama - JE 2012

Mercredi, 17 Octobre 2012 à 14h04 - Source :Japan Expo

Après les évènements orientés vers la presse (conférence et table ronde), nous vous proposons à présent de découvrir la suite du parcours de Naoki Urasawa à la dernière Japan Expo, bien qu'il s'agisse chronologiquement de sa première apparition publique (dédicaces mises à part). C'est en effet le vendredi 6 juillet en début d'après-midi que l'auteur de Monster et 20th Century Boys (entre autres) a donné sa première conférence publique. Ce baptême du feu ne se fit pas seul, mais en compagnie de Masao Maruyama, ancien producteur de Mushi Pro et fondateur des studios Madhouse, que vous avez déjà pu suivre sur le site (conférence et interview).
     
          
      
C'est donc vers le domaine de l'animation que se dirigea cette conférence, domaine sur lequel il est rare de voir Naoki Urasawa s'exprimer. L'échange se voulait très libre et convivial, les deux interlocuteurs du moment dialoguant librement entre eux sans être guidés par un animateur, hormis la présence de Stéphane Beaujan (journaliste pour Chronic'Art, Les Inrockuptibles,...) qui les interrompit de temps à autre pour laisser la parole au public. Les fans vinrent d'ailleurs en masse et il fut bien difficile de pouvoir poser sa question ! 
       
La session qui dura une bonne heure fut scindée en trois grandes parties. Tout d'abord, Naoki Urasawa est revenu sur ses premiers contacts avec les animes dans sa jeunesse, en particulier avec les réalisations de Mushi Pro. Ensuite, les deux hommes nous ont parlé de leur rencontre à l'occasion de la version animée de Yawara!. Enfin, il fut brièvement question de Monster, pour laisser finalement la place aux interrogations du public. 
    
    

Premières influences

    
Naoki Urasawa : Mon premier contact avec l'animation remonte au début des années 70 avec la diffusion d'Ashita no Joe, produite par M. Maruyama au sein de Mushi Pro.
    
Masao Maruyama : Oui, c'est l'un de nos titres phares avec Astro Boy ou Wonder Three.
    
Naoki Urasawa : Ah, Wonder Three ! Beaucoup de gens de ma génération ont pleuré à la fin de cette série ! (rires)
Dans Ashita no Joe, j'ai également été marqué par le travail de chara-design assuré sur certains épisodes par Shingo Araki (que l'on connait principalement pour Saint Seiya), et dont j'ai reconnu la patte dans Kyojin no Hoshi. En effet, tout petit déjà, j'arrivais déjà à différencier le style des différents chara-designers à l'écran. D'ailleurs, la première fois que j'ai rencontre M. Maruyama, j'ai tout de suite voulu confirmer mes hypothèses : il m'a alors confirmé que M. Araki avait bien travaillé sur ces deux séries ! (rires) M. Araki avait vraiment un style unique, des traits particuliers. Je pense que ces travaux m'ont beaucoup influencé quand j'avais une dizaine d'années.
D'ailleurs, M. Maruyama, pouvez-vous nous décrire ce qui faisait l'originalité de son style ?
     
Masao Maruyama : Pour revenir à Ashita no Joe, c'est un projet d'adaptation qui me tenait vraiment à coeur : je voulais à tout prix la faire, ça ne pouvait passer se passer autrement ! Le problème, c'est qu'à l'époque, mon équipe avait essentiellement travaillé sur des œuvres d'Osamu Tezuka, et les premiers essais ont apporté un cachet rondouillard et mignon, loin de l'ambiance du manga. Mon confrère Osamu Dezaki et moi-même avons décidé de réagir, et nous nous sommes tournés vers le duo Hiroshi Saito/Shingo Araki, travaillant à l'époque pour Kyojin no Hoshi, et qui utilisaient des techniques d'animation innovantes. Pour aller dans le détail technique, pour la réalisation du pilote, les croquis furent recopiés à partir des dessins originaux et réalisés au crayon 2B au lieu du HB traditionnel, ce qui apportait une profondeur supplémentaire par l'épaisseur des traits.
     
Naoki Urasawa : A titre de comparaison, cela me rappelait aussi Les 101 Dalmatiens de Disney, qui a un aspect très crayonné par moments. Et pour preuve que cette technique m'a marquée, après avoir vu ces séries, je me suis mis à dessiner avec des crayons 4B ! D'ailleurs, il m'est arrivé de me replonger dans mes cahiers de dessin de jeunesse, que j'ai conservés. J'ai été surpris par l'épaisseur des sourcils de mes personnages, et de mes traces de mains ! (rires) Je fais partie d'une génération qui a été bercé par ce genre atypique et révolutionnaire pour l'anime en ce temps là. 
    
    
       
        

Yawara !

   
Naoki Urasawa :  Quelques années plus tard, en 1986, je réalisais une de mes premières œuvres : Yawara!, l'histoire d'une jeune judoka. Cette série a eu un grand succès, au point d'être adaptée en film, puis en série animée, et c'est à cette occasion que j'ai rencontré M. Maruyama. Je me souvenais de son nom dans les génériques des animes de mon enfance, mais j'ignorais qu'il avait ensuite fondé le studio Madhouse. Sans vouloir le faire exprès, j'ai donc pu travailler avec la personne qui a marqué mon enfance ! 
     
   
   
Les propos de Naoki Urasawa sont alors illustrés par la diffusion du générique japonais de Yawara!, tandis que Stéphane Beaujan insista sur l'importance du phénomène suscité par la série au Japon, ce sur quoi Urasawa renchérit :
   
Naoki Urasawa : Cette série a duré à peu près trois ans, et à cette époque sont arrivés les Jeux Olympiques de Barcelone. Le Japon y avait envoyé une jeune prodige du judo, Yoko Tamura, qui a été championne dans la catégorie des moins de 48 kilos. Cette sportive a en quelque sorte fusionné avec mon héroïne, car elle a rapidement été surnommé "Yawara" par ses fans. Beaucouo de japonais ont même cru que mon manga s'inspirait de l'histoire de Yoko Tamura, alors qu'il a été publié avant !
Je m'étonne d'ailleurs, vu la popularité du judo en France, que la série ne soit pas encore arrivée chez vous... J'espère que vous aurez un jour la chance d'apprécier les aventures de Yawara !
Le réalisateur de l'anime, Hiroko Tokita, m'a confié qu'il appréciait que tous les personnages aillent dans des directions différentes. C'est un aspect très important pour moi, et j'ai été heureux de voir que des professionnels de l'animation aient remarqué cette caractéristique. 
J'ai été très satisfait par l'adaptation animée de Yawara!, et plus particulièrement par le travail incroyable d'un des animateurs :  Il s'agissait de Kitaro Kosaka ( qui a par la suite travaillé en tant que chara-designer sur Nasu - Un été Andalou et Master Keaton). A cette époque, M. Maruyama, vous m'aviez rétorqué : "Et ce n'est que maintenant que tu te rends compte de son talent ?" (rires)
   
Masao Maruyama :En effet, Kitaro Kosaka est quelqu'un de très appliqué. Il travaillait quatre à cinq fois moins vite que ses camarades, mais le résultat était là ! (rires)
    
    
      
Naoki Urasawa et Masao Maruyama sont alors interrompus par une première salve de questions du public.
      
Concernant Yawara!, comment avez-vous travaillé pour restituer les phases d'affrontement ? Avez-vous eu recours à de la documentation, des enregistrements ? 
Naoki Urasawa : Lors de la conception de Yawara!,  je suis souvent allé voir des matchs en me plaçant au plus près de l'action, sur des sièges normalement réservés aux arbitres, ou encore en récupérant des enregistrements destinés à l'arbitrage vidéo.
   
    
Certaines de vos séries ont été adaptées en anime, mais vous avez changé de cap avec 20th Century Boys. Pourquoi avoir privilégié une version live ?
Naoki Urasawa : Pour chaque titre, il y a souvent beaucoup d'idées, de projets,... mais le chemin est long avant d'aboutir à leur concrétisation, notamment lorsque les enjeux financiers s'en mêlent. Le projet de l'adaptation live a gagné cette "course", tout simplement.
     
Masao Maruyama : Il y a aussi un autre problème avec vos œuvres, M. Urasawa : elles sont beaucoup trop longues ! (rires)
Au Japon, les projets d'animes sont généralement conçus en format de douze à treize épisodes (ce qui prend trois mois de conception) ou vingt-quatre à vingt-six épisodes (six mois). Sans oublier les problèmes d'argent précédemment évoqués : si le public ne suit plus, les sponsors finissent par quitter le navire. Même s'il peut y avoir une forte demande du public, les risques sont grands et l'on ne peut s'y lancer à la légère. La plupart du temps, on raccourcit l'histoire de départ, on fait des découpes, on enlève des éléments,... pour un résultat qui peut être très différent du récit de base. Mais avec les œuvres de M. Urasawa, c'est tout simplement impensable ! L'adaptation se doit de conserver l'intrigue du manga, mais avec 20th Century Boys, il était inenvisageable de simplifier les fils du scénario. 
     
Naoki Urasawa : La seule exception, qui tient du miracle, c'est l'adaptation animée de Monster....
         
     

Monster

   
La transition est ainsi toute faite pour entamer le chapitre Monster, une nouvelle fois illustré par la projection de son générique...
   
Naoki Urasawa : Pour l'adaptation de Monster, le deal inital était : "On ne rajoute rien, on n'enlève rien". Au début, nous avions envisagé de faire plus de cent épisodes. La réalisation a duré plus d'un an et demi, et il est très rare qu'on choisisse dès le départ de s'investir sur un projet à aussi long terme dans le domaine de l'animation. Heureusement que le succès était au rendez-vous !
    
    
      
    

Questions diverses

    
Bonjour ! M. Urasawa, la rumeur prétend que vous vous opposiez à la publication de vos anciennes œuvres en France, car vous les jugiez trop mauvaises. Pourtant, depuis, nous avons eu la chance d'avoir Happy! ou Histoires Courtes. La rumeur était-elle infondée, ou avez-vous changé de position ?
Naoki Urasawa : Je n'ai jamais dit ce genre de propos, c'est juste une rumeur...
  
   
Je voulais savoir quel est votre degré de collaboration dans les adaptations animées de vos œuvres. Quels conseils avez-vous pu donner à M. Maruyama ?
Naoki Urasawa : Pour donner un exemple récent, j'ai participé au film Le Chien du Tibet, en réalisant les croquis originaux des personnages. Malheureusement, je regrette un peu ne pas avoir eu le temps de beaucoup communiquer avec le studio Madhouse, et le résultat n'était pas forcément en phase avec ce que j'avais imaginé sur papier.
Lorsqu'une de mes œuvres est adaptée en anime, j'examine le scénario ainsi que le design des personnages avant de donner mon feu vert. Pour Monster, par exemple, le premier design des personnages européens leur donnait des corps trop frêles. J'ai donc réalisé quelques croquis supplémentaires pour guider les animateurs.
     
    
   
   
Vous semblez très attaché aux métiers de l'animation. On entend souvent dire que les mangakas sont effrayés par ce monde-là, et qu'ils considèrent les adaptations de leurs mangas comme des œuvres bien différentes. Au vu de votre implication, aimeriez-vous un jour devenir vous-même réalisateur, à l'instar de Katsuhiro Otomo
Naoki Urasawa : J'ai déjà beaucoup de chance de travailler avec M. Maruyama. Je tiens à faire de mes mangas des succès, et c'est pourquoi je surveille de près leurs adaptations, en donnant des conseils ou en allant à des réunions de production. Les équipes de réalisation sont fantastiques, j'apporte simplement mon grain de sel pour que le résultat final soit vraiment abouti. 
Mais j'en resterai là, je ne compte pas passer à la réalisation. Mon point fort, c'est le manga, et je laisse l'animation entre les mains de formidables professionnels. D'ailleurs, M. Maruyama m'a toujours averti : "Ne passe pas du côté obscur !" De plus, ma femme me répète souvent : "Si toi, tu deviens réalisateur, tu vas tout laisser tomber ! Donc non, ne fais pas ça !!" (rires)
   
Masao Maruyama : Un génie de votre dimension, M. Urasawa, ne doit pas aller vers le monde de l'anime ! Vous ne pouvez pas sacrifier un an de votre vie et ne plus écrire de manga pour ça, ce serait du gâchis ! C'est dans ce sens-là que je vous ai conseillé de ne pas venir vers le monde obscur de l'animation. Sincèrement, vous êtes un auteur formidable, et ce serait très dommage pour le monde du manga si jamais vous veniez à vous tourner définitivement vers l'anime. Continuez à écrire des mangas, s'il vous plait ! (rires)
    
   
M. Urasawa a expliqué tout à l'heure à quel point il avait été influencé par les séries de Mushi Pro. M. Maruyama, aujourd'hui, pouvez-vous nous expliquer ce qui fait que M. Urasawa est quelqu'un d'aussi unique, d'aussi intéressant pour le monde de l'animation ? 
Masao Maruyama : Qu'est-ce qu'il y a de formidable chez M. Urasawa ? Tout ! Le design des personnages, sa narration et ses scénarios riches dans le moindre détail,... En tant que réalisateur, adapter ses œuvres reste une chose très difficile, cela constitue un vrai challenge que je m'efforce de relever.
  
   
M. Urasawa, sur vos œuvres les plus récentes, vous centrez vos histoires essentiellement sur la thématique du complot et des anti-héros emportés dans des évènements qui les dépassent. Quelles sont les influences qui vous ont poussé vers des récits aussi sombres ?  
Naoki Urasawa : On me dit souvent que mes œuvres sont sombres. Je pense que tout être humain est à la merci de ce genre de mésaventures, car notre société est fondée sur des organisations au pouvoir plus ou moins important. Mais ce contraste me permet d'humaniser d'avantage mes héros. Après, tout est relatif : Happy! contient des passages assez durs à son niveau avec la pression des yakuzas, et Monster connait ses moments de légèreté. Personnellement, je considère Monster comme une œuvre comique ! (rires)
   
   
L'intrigue de Monster se déroule principalement en Allemagne et en Europe de l'est. Etait-ce difficile de représenter un pays qui n'est pas le vôtre ? 
Naoki Urasawa : Je trouve plus difficile de dessiner des choses qui me sont proches. En effet, je vais m'obliger à restituer le réalisme de ce qui m'entoure avec une grande exactitude. Lorsque je m'évade vers des mondes futuristes du XXVème siècle (Pluto) ou des pays étrangers (Monster), je conserve aussi cette notion de réalisme, mais en ayant plus de liberté avec mon rapport au monde.
   
    
   
   
Je voudrais revenir sur l'animation. Avec ses huit volumes, Pluto présente moins de contraintes de longueur que Monster ou 20th Century Boys. Pouvons-nous espérer voir un jour une adaptation animée de ce manga ?
Masao Maruyama : Pour ceux qui ne l'ignoreraient, j'ai récemment quitté le studio Madhouse pour monter le studio MAPPA. Cette année, j'ai soixante-et-onze ans, et je pense qu'il me reste à peu près cinq ans de carrière devant moi. Avant de prendre ma retraite, j'aimerais encore produire certaines adaptations, et celle de Pluto en fait partie ! D'ailleurs, ce serait sympa si la France pouvait nous aider financièrement sur ce coup-là ! (rires
Pluto peut sembler court, mais à mon avis il ne l'est pas encore assez. L'idéal, ce serait qu'un épisode de l'anime couvre un volume du manga. Mais il y a évidemment une forte demande des lecteurs. Dans les années à venir, j'espère pouvoir présenter l'amorce d'un projet à M. Urasawa, et lui dire  : "Venez nous aider, s'il vous plait !" 
La semaine où le premier chapitre de Pluto a été publié en magazine, j'ai tout de suite eu envie de l'adapter en anime, de par sa thématique, mais aussi car il s'agit d'un hommage à M. Tezuka, avec qui j'ai longtemps travaillé. Au départ, j'espérais que ce manga soit suffisamment court pour pouvoir en faire un film... mais il s'est avéré trop long et trop riche pour ce format au final. 
Cependant, sur le temps qu'il reste à ma carrière, j'espère vraiment pouvoir faire un film sur l'une des œuvres de M. Urasawa. 
    
Naoki Urasawa : Ne dites pas ça M. Maruyama, sinon par ma faute, vous allez encore travailler pendant vingt ans ! (rires)
   
   
M. Urasawa, on connait votre passion pour le cinéma, que l'on peut ressentir dans vos œuvres qui ont une narration au découpage très cinématographique. Sur les adaptations animées, notamment celle de Monster, quels ont été vos conseils pour que cet aspect cinéma soit respecté ?
Naoki Urasawa : Concernant Monster, le réalisateur, Masayuki Kojima, a suivi les planches du manga, et les angles de vues que j'avais utilisé. Il a ensuite imaginé quels seraient les mouvements idéaux pour transiter d'un plan à l'autre et retranscrire cet aspect. D'ailleurs, pour la trilogie cinématographique 20th Century Boys, Yukihiko Tsutsumi a utilisé des techniques assez similaires. 
      
   
   
Et c'est sur cette dernière question que la séance se termina, le départ des deux hommes étant salué comme il se dût par une belle ovation !
    
    
Propos recueillis à Japan Expo 2012. Remerciement à Messieurs Urasawa et Maruyama, à leurs interprètes, à Stéphane Beaujan ainsi qu'à l'équipe de Japan Expo.

commentaires

shinob

De shinob [127 Pts], le 18 Octobre 2012 à 14h16

Une conférence très instructive !

 

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