Soleil - Actualité manga

Interview

Interview n°2

Notre tour d'horizon du monde éditorial français continue avec
Iker Bilbao, responsable éditorial des éditions Soleil Manga, que nous avons rencontré à la dernière Japan Expo. Ce fut l'occasion de faire le point sur ses activités sur le début de l'année 2012 et sur les changements impliqués par le rachat de Soleil par le groupe Delcourt, mais aussi de revenir sur les tendances les plus importantes de l'éditeur.

   
    
Manga-News : Bonjour et merci pour cette interview. Pour commencer, comment "va" Soleil Manga sur cette première moitié de l'année 2012 ? 
Iker Bilbao: Soleil Manga va plutôt bien. Depuis l'acquisition par Delcourt, nous commençons à travailler différemment, et cela nous a permis dans ce premier semestre de reprendre la publication de nos titres interrompus, tout en lançant de nouvelles séries. 
Les nouveautés qui ont le mieux marché jusqu'ici cette année sont Midnight Wolf, Avoue que tu m'aimes, et si l'on remonte un peu plus en avant, on peut aussi citer Romantic Obsession qui s'est très bien maintenu, ce qui nous a poussé à persister dans l'univers de Saki Aikawa avec In Love With You récemment. 
Nous avons eu en revanche quelques difficultés sur Le Manifeste du Parti Communiste, que nous voulions sortir beaucoup plus tôt pour rester dans la traînée du Capital. Nous étions dans l'attente d'une préface de Jean-Luc Mélenchon (Le Capital ayant été préfacé par Oliver Besancenot, ndlr), mais cela n'a pas pu se faire. Je pense qu'avec ça, on aurait pu avoir un succès comparable, mais tant pis. 
Plus récemment, Ilegenes a fait des débuts assez modestes, mais il a l'air de marcher plutôt bien sur le salon, nous espérons qu'il arrivera à trouver son public.
Dans l'ensemble, nous sommes en recul sur ce début d'année mais cela correspond à nos prévisions, l'artillerie lourde débarquant justement à l'occasion de Japan Expo et pour la rentrée prochaine. Les bonnes surprises peuvent toujours arriver : je n'ai absolument aucune idée de ce que l'on peut attendre de la sortie de La Bible, par exemple... C'est un flou total ! Bref, nous ferons un vrai bilan à la fin de l'année, mais pour l'instant nous restons confiants.
      
      
   
     
Comme vous venez de l'évoquer, votre maison d'édition a récemment été rachetée par Delcourt. Quelques mois plus tard, qu'est-ce que ça a changé dans votre manière de travailler ? Avez-vous des rapports différents avec les éditeurs japonais depuis ? 
La plus grosse différence se situe au niveau du monde éditorial japonais, cela nous a permis de débloquer certains dossiers et de nous ouvrir de nouvelles portes. Nous avons ainsi pu pour la première fois rencontrer Shueisha, Square Enix,... Rien n'est fait bien sûr, mais le fait de pouvoir les contacter, de leur présenter notre catalogue et notre volonté éditoriale, c'est un grand pas en avant !
Nous sommes donc plus confiants quant au bouclage des titres bloqués jusqu'ici, la seule exception restant +C Sword and Cornett, où nous avons fait quelques erreurs (titre trop compliqué, couvertures peu accrocheuses). Nous ne voulons pas l'abandonner, mais nous réfléchissons à repartir sur un reboot total pour lui offrir une seconde chance. Nous avons déjà expérimenté cette solution avec Vassalord et Monochrome Factor, mais nous savons que ce n'est pas forcément évident à accepter.
   
     
       
   
Comment ces titres en difficulté vont-ils reprendre ? Comment avez-vous planifié leur programmation sur les mois à venir ? 
Au départ, nous nous fixons des limites. Pour Dorohedoro par exemple, nous avons fixé un cap de deux tomes par an, que nous maintiendrons le mieux possible. De toute façon, si l'on se précipite, la publication japonaise sera très rapidement rattrapée. Notre base de lecteurs reste très fidèle, nous n'en perdons pas beaucoup à chaque nouvelle parution, donc nous pensons assumer ce rythme. Du côté des séries bientôt terminées, nous aurons la fin de Yaiba en septembre, Tie Break en octobre, et Deus Ex Machina en 2013. Il y a des cas où nous ne pouvons plus rien, comme pour Princess Ai du fait du dépôt de bilan de Tokyopop, Rampage qui a été abandonné par son auteur, ou Larmes de Samourai. Nous espérons continuer ce dernier un jour, même s'il n'est pas dans nos priorités pour le moment (nous traitons dossiers par dossiers).
    
      
    
    
Y a-t-il une liste de séries a finir prioritairement ?
Parmi ce que nous avons débloqué, il y a la Perfect Edition de Battle Royale qui va reprendre son cours. Le troisième tome est parti à l'impression en Chine, nous espérons le publier en octobre, tandis que le quatrième arrivera en février 2013 et le cinquième en juin 2013.
Plus généralement, les nœuds vont se défaire les uns après les autres. Cela ne suffira sans doute pas à nous refaire une réputation virginale, mais ça nous libère aussi.
    
A quels remaniements avez-vous procédé pour ne pas reproduire la même situation pour vos nouveaux titres ? 
Eh bien, on ne fait plus de shonens !  On a bien compris que ça ne marchait pas chez nous, on apprend très vite ! Les trois quarts de nos titres interrompus en étaient, nous avons compris que c'était trop dur pour nous de s'imposer dans ce registre. Nous avons fait des tentatives dans le shonen sportif, le shonen romantique ou sentimental, rien n'est passé. Mais aujourd'hui, quand on voit l'insuccès des mangas de sport, on est un peu rassurés, cela ne vient pas que de nous...
En ce qui concerne les seinen, nous continuerons à en publier, mais en restant sur des formats très courts, comme Mad World ou Carnage à la Tronçonneuse en fin d'année. C'est une manière de limiter les risques. Il y a bien sûr des choses qui nous font envie, comme par exemple Kyokotsu no Yume, la "suite" indirecte du Coffre aux Esprits, mais nous ne nous précipitons pas. Le secteur reste quand même très difficile.
    
      
    
    
Depuis quelques années, vous avez également lancé le label Gothic. Ce genre arrive-t-il à se renouveler suffisamment, ou s'essouffle-t-il ? Quels sont les critères de sélection pour qu'un titre intègre ce label ? 
Le label Gothic a des frontières très floues, nous y avons intégré beaucoup de choses : du shojo fantastique, des vampires, des "oreilles de chat",... de fait, beaucoup de titres sont susceptibles d'y rentrer, et la collection peut encore perdurer longtemps !
Pour faire simple, nous y intégrons tout ce qui n'est pas mettable en shojo, trop connoté "romance lycéenne". Par exemple, je pense que Midnight Secretary aurait eu beaucoup plus de mal à percer s'il était dans nos shojos. 
Plus généralement, les séries du label Gothic se retrouvent autour d'une identité plus graphique que thématique. Des shojo érotiques comme Beauty and the Devil ou Midnight Devil peuvent y côtoyer des titres comme Princess Lucia, plutôt connoté shonen pantsu,... ça fait un peu "fourre-tout", mais on y retrouve tout de même un esprit commun.
    
      
     
    
Aujourd'hui, peut-on dire que le label Gothic porte votre catalogue au même titre que le label Shojo ?
Effectivement, oui. Après, il ne faut pas sous-estimer la collection Eros, qui tourne bien et qui offre des ventes régulières, même si les démarrages ne sont pas très probants.
 
Justement, vous êtes l'un des derniers éditeurs à publier des mangas érotiques. Est-ce que vous poursuivez cette collection pour l'achèvement de vos licences déjà acquises, ou tenez-vous vraiment à conserver ce secteur d'activité pour la diversité de votre catalogue ? 
Nous avons une démarche éditoriale qui continue d'être poursuivie, démarche que nous voulons qualitative. Nous nous sommes toujours détournés des éditeurs japonais qui nous proposaient des contenus trop hardcore, voire pédo-pornographiques. En puisant dans les catalogues de Takeshobo et Futabasha, on s'est émancipé de ces titres-là. Il existe encore de nombreux titres qui nous intéressent toujours, d'autant plus avec nos nouvelles relations : par exemple, dans le catalogue de Shueisha, il existe des titres très érotisants qui à mon sens n'ont pas leur place ailleurs que dans la collection Eros. Nous continuerons donc à faire vivre le label, sans jamais dépasser un ou deux titres par mois, et c'est d'ailleurs la même chose pour le Boy's Love,
  
Le Boy's Love est donc intégré dans le label ?
Il est développé dans son propre label en parallèle, Eros Boy's Love. Nous aurons d'ailleurs prochainement deux nouveaux titres, Suis-je un Ange et Amours Nocturnes, en assurant le suivi de deux mangakas (respectivement Aya Shouoto et Sachi Murakami).
   
      
    
   
2011 a également marqué le lancement de la collection Classiques. Qu'est-ce qui a motivé le lancement de l'édition des mangas du collectif Variety Artworks ?
L’appât du gain, évidemment ! (rires)
Plus sérieusement, on a entendu parler de Variety Artworks pour la première fois lorsqu'il y a eu un scandale sur l'adaptation manga de Mein Kampf. On a alors été sidéré par l'étendue de leur catalogue, jusqu'à tomber sur Le Capital de Marx, titre qu'on a alors immédiatement voulu publier. Alors qu'on partait en voyage au Japon quelques jours plus tard, nous avons demandé un rendez-vous avec l'éditeur, qui a été immédiatement emballé par une publication française. 
Nous sommes jusqu'ici très satisfaits des résultats, d'autant qu'il y a encore de nombreuses pistes à explorer, notamment tout un pan de philosophie (Kant, Descartes, Nieztsche,...). Sans compter qu'ils nous ont même proposé de réaliser des titres sur commande ! Après, notre sélection est assez rigoureuse, car s'il est tentant de tout prendre, toutes les adaptations ne se valent pas en qualité.
      
 
La version manga du Capital est devenue une référence dans certains manuels scolaires (Nathan). Est-ce un premier pas vers une accessibilité du manga au sein de notre système éducatif ? 
C'était effectivement un de nos objectifs ! Nous voulions tout d'abord nous ouvrir à d'autres publics. Être apparu au Grand Journal, dans C à vous, Télérama, Libération,... tant de médias qui n'avaient jamais parlé de nous, même pour notre segment BD, c'est quelque chose ! Et notre seconde cible, c'était le monde enseignant. Nous voulions leur faire accepter l'idée qu'un manga puisse avoir une utilité dans l'apprentissage, que ce soit les écoliers ou les lycéens, ce qui était d'ailleurs un des objectifs de la collection au Japon.
   
 
Le prochain titre du label n'est autre que La Bible, qui a déjà connue des adaptations manga assez inégales . En quoi celle-ci se démarque-telle ? Retrouve-t-on vraiment la patte Varietty Artworks ?
Exactement, le traitement est identique. Lors de notre dernière visite au Japon, nous avons eu l'occasion de rencontrer le directeur éditorial de la collection, qui nous a expliqué leur méthodes de travail. Nous avons été très intéressés par leur manière de conserver le contenu littéraire tout en le concentrant dans un découpage pertinent. Ce travail leur demande parfois beaucoup de temps ! C'est d'ailleurs pour cela que l'Ancien Testament est édité dans un gros volume de près de 400 pages, le récit était trop important pour qu'ils puissent se permettre des raccourcis. Il y a vraiment un souci de fidélité tant au style manga qu'à l'œuvre originale.
   
 
Et l'exercice doit encore être plus difficile avec un message religieux derrière, non ?
Le message est conservé, mais l'adaptation se tient à une neutralité de ton qu'il est nécessaire de garder. C'est d'autant plus difficile lorsqu'il s'agit de représenter des figures religieuses en version dessin. Il ne fallait pas donner au Christ un visage trop sévère ou au contraire trop angélique... c'est un exercice très complexe. C'est aussi pour tous ces efforts que nous avons choisi pour la collection une traductrice très qualifiée, Anne Malleway, qui a une très grande expérience et surtout un cursus littéraire. Pour Le rouge et le noir ou Les Misérables, elle connaissait ainsi parfaitement les œuvres originales. Une fois encore, c'est très important pour nous dans notre optique de s'étendre à un autre public, qui peut se révéler plus exigeant, plus critique sur ce point.
    
           
  
       
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre programme pour cette fin de l'année, et sur le début de la prochaine ?
Pour la fin 2012, nous allons nous concentrer sur la sortie de deux nouvelles licences shojos : Ange ou Démon, destiné à un public assez jeune, et Coelacanth, qui est autrement plus mature. Nous aurons également une nouvelle salve de classiques avec La Bible, Confucius et Le Prince, puis pour décembre nous aurons Epitaph, le dernier titre d'Aya Shouoto puis Midnight Devil. Pour début 2013, le planning n'est pas encore fixé mais les annonces devraient tomber très bientôt. Le début d'année est propice au lancement et nous aurons encore beaucoup de nouveautés, notamment des titres originaux dans le registre shojo.
   
Concernant votre rythme mensuel de parution, allez-vous procéder à des changements ? Suivrez-vous la tendance qui serait plutôt à la baisse ?
Nous sortons actuellement entre huit et dix mangas par mois, et nous devrions augmenter ce rythme à l'avenir. Nos titres en difficulté vont revenir, mais il ne faut pas que cela se fasse au détriment des nouveautés, sinon notre catalogue s'en retrouverait sclérosé... L'équilibre de la programmation est souvent complexe à mettre en place. Quant à la tendance générale à la baisse, je ne suis pas convaincu. Entre les mots et les faits, il y a un gouffre, et j'attends d'observer comment le marché va évoluer. 
Nous avons également choisi de travailler essentiellement sur des séries courtes, qui dépassent rarement les quatre ou cinq volumes. De ce fait, nous sommes perpétuellement en recherche de nouveaux titres, ce qui est assez intéressant. Après, c'est à double tranchant : une série comme Romantic Obsession, je n'aurais pas été contre le fait qu'elle se poursuive sur dix volumes de plus ! 
   
     
    
    
Justement, l'année 2012 marque la fin de C'était Nous. Va-t-elle constituer un manque dans votre catalogue ?
Pas vraiment : C'était Nous a été un grand succès pendant longtemps, mais les ventes se sont stabilisées, d'autant plus lorsque le rythme de parution s'est espacé. Entre temps, d'autres titres ont pris le relais et ont déjà comblé le vide. Je suis en revanche plus inquiet du moment où arrivera la fin de Kiss of Rose Princess, par exemple. Mais notre catalogue shojo se renouvelle constamment, avec la percée successive de nouveaux auteurs, comme Saki Aikawa récemment.
         
 
Une petite question sur le prix du livre : la TVA qui a augmenté en 2012 devrait redescendre prochainement. Soleil Manga va-t-il revenir à ses tarifs précédents ? Cette augmentation a-t-elle eu un impact ?
Nous ne bougerons pas nos prix, car la hausse pratiquée en début d'année était déjà prévue avant l'annonce de la hausse de la TVA elle-même. L'augmentation n'a pas eu d'impact, ni pour nous ni pour personne, ce qui explique sans doute ce retour en arrière. La baisse va soulager les libraires, et l'absence de nouveaux changement de tarifs les fera respirer d'avantage.
    
 
Les dernières années ont été assez difficiles pour le marché du manga, pensez-vous que 2012 va redresser la barre ? 
C'est conjoncturel, et tous les éditeurs ne vivent pas la crise du manga de la même manière. Le marché est en recul uniquement car il y a moins de Naruto et de One Piece qui sortent dans l'année. Tout le monde fait du catastrophisme ! Alors oui, ce n'est plus le jackpot comme avant, où tous les titres étaient rentables. Ce n'est plus le grand vent profitable à tous ceux qui ont des voiles, maintenant le vent est calme, il faut y aller à la rame, travailler les titres un peu plus. Et au final, je pense que c'est même plus intéressant ainsi. La situation est plus difficile, mais il y a un véritable effort éditorial à fournir, et on verra bien ce qu'on est capable de faire. 
Le recul est réel, certains éditeurs s'y sont retrouvés simplement avec l'augmentation de prix, mais ce n'est pas la sinistrose non plus, comme le témoigne un évènement toujours plus populaire qu'est Japan Expo, ou l'affluence de certains sites spécialisés. Après, ce recul s'explique aussi par la baisse des ventes de mangas en grande surface du fait de la crise, mais une fois encore cela touche surtout les blockbusters. Il y a un manque de renouvellement des grosses séries, mais cela se compense par plus de licences aux ventes moyennes. Les éditeurs gagnent moins d'argent dans l'affaire, car ils investissent plus d'argent et la marge est moindre, mais il ne faut pas baisser les bras pour autant en repensant à l'âge d'or précédent. 
   
 
Nous voudrions revenir avec vous sur votre déclaration dans Livre Hebdo : "Le marché français est une anomalie : on ne peut pas avoir dix éditeurs de manga alors qu'ailleurs il n'y en a quatre au maximum". Pouvez-vous nous en dire plus ? 
Je pense qu'au début de l'histoire des mangas en France, certaines choses n'auraient pas dû arriver. Tonkam, Glénat, Pika et Kana auraient dû museler le marché tout de suite, au lieu de ça ils ont laissé de l'espace pour que d'autres s'engouffrent. Un Fruits Basket n'aurait jamais dû partir chez Akata, un deal avec Square Enix n'aurait jamais dû exister ailleurs que chez un de ces quatre-là... Dans les autres pays, tout s'est fait très rapidement. Aux États-Unis, le marché appartient à trois éditeurs, Viz (Shueisha / Shogakukan), Kodansha US et Yen Press, en Allemagne c'est Carlsen, Tokyopop et Kazé qui s'immisce,... tout se joue à trois ou quatre maisons d'édition et le marché est fermé. En France, la demande était pourtant suffisante pour acheter beaucoup de licences beaucoup plus tôt. D'autres maisons ont finalement émergé, les japonais ont trouvé de nouveaux collaborateurs, et voici où nous en sommes aujourd'hui. Soleil Manga n'aurait pas existé sans ça, mais est-il vraiment normal que les Zelda aient été publiés chez nous sans que cela n'intéresse personne avant ? Est-ce normal que Ki-oon ait grossi aussi vite en raflant autant de blockbusters en si peu de temps ? Je ne suis pas sûr que ce serait arrivé ailleurs qu'en France.
    
   
Merci beaucoup !
    
Remerciements à Iker Bilabo, à Soleil Manga ainsi qu'à l'équipe de Japan Expo.

Interview n°1

Iker Bilbao et Joanna Ardaillon, respectivement responsable de la collection manga et coordinatrice éditoriale chez Soleil Manga, nous ont accordé un entretien lors de la dixième édition de la Japan Expo. En voici le compte-rendu.


                


Manga-news: Aujourd'hui, comment définiriez-vous votre politique éditoriale?
Soleil Manga: Elle se place principalement sur 2 axes, qui sont les jeux vidéos et les shojos. Ces derniers sont le reflet de nos lecteurs. Nous continuons tout de même à faire du shonen et du seinen, mais dans une moindre mesure.
Le shôjo se développe de plus en plus. On va continuer à se battre pour rester dans ce secteur, car historiquement, c'est vraiment un secteur qui est là depuis le début chez Soleil manga, tant et si bien que nous avons créé des partenariats très forts avec certains éditeurs japonais. Nous avons des licences fortes sur le shojo, et sommes sur le point d'en acquérir d'autres très importantes. On a maintenant un public fidèle qui se reconnaît dans notre politique. Nous avons également effectué un gros travail de fond sur notre collection.
En ce qui concerne le jeu vidéo, là nous venons de sortir la série Zelda qui comptera 9 volumes.

 
   
Au niveau des shonen, ce sont des choix du cœur qui ont été effectués dernièrement. C'est souvent un marché sur lequel on souffre un peu à cause du succès des autres, et aussi du fait que le shonen est un genre composé de séries souvent longues alors que les lecteurs n'ont pas trop envie de se lancer dans des séries en cours de parution.
Le seinen, c'est historiquement un genre qu'on défend énormément, mais qui chez Soleil ne fonctionne malheureusement pas très bien au niveau du public. C'est dommage car à ses débuts Soleil misait beaucoup sur le seinen. A l'époque, nous avions d'ailleurs notre seinen star: Battle Royale.  Aujourd'hui, nous ne souhaitons pas laisser mourir le seinen au sein de notre catalogue. C'est pourquoi nous allons prochainement sortir  une perfect édition de Battle Royale. Les 15 tomes seront réunis en 5 volumes, qui feront alors plus de 600 pages. Suivant le concept du beau livre, nous allons faire coloriser des pages, pour qu'au final chaque tome devienne un objet collector. Le premier opus doit sortir au mois de septembre.
Nous avons procédé depuis Janvier dernier à une segmentation de notre catalogue en sept grands axes. Tout d'abord les quatre axes que je viens d'aborder: shojo, seinen, shonen et jeux vidéos. Il y a également l'axe gothic, dans lequel on a pu classer plusieurs titres gothics qui étaient dans notre catalogue. C'est un axe que nous avons développé depuis quelques temps déjà, notamment avec Rozen Maiden. On a aussi un axe I Love Japan qui est consacré à tout ce qui est livres d'apprentissage sur le Japon. Et dernièrement, la collection Eros, qui regroupe des titres assez coquins.


Le 15 Décembre 2008, vous vous êtes mis à la B.D. Numérique avec Lanfeust des étoiles. Les enjeux et les contraintes ne sont sans doute pas les mêmes, mais comptez-vous réitérer cette expérience avec un manga?
Nous en avons beaucoup discuté, et après étude, nous avons remarqué que ce qui s'achète le plus en numérique, ce sont les magazines pornographiques. Nous avons donc logiquement pensé aux titres de la collection Eros.
Le problème, c'est que le numérique fait encore un peu peur aux Japonais, surtout lorsque c'est en France car ils n'ont aucun moyen de contrôle efficace pour le support numérique. C'est pourquoi publier des mangas sous un tel format n'est pas encore d'actualité pour nous. Peut-être avec des titres américains de TokyoPop...  Mais avec des mangas japonais, ça risque de prendre du temps!


Maki Usami est mise à l'honneur dans votre catalogue grâce à la sortie de 3 de ses titres: Living in a happy world, Bus for spring, et prochainement Sign of love. Pensez-vous que cet auteur marquera de façon particulière votre catalogue?
Je l'espère, car cette auteure a vraiment été un coup de cœur. Nous allons essayer de défendre et de suivre Maki Usami au maximum! On retrouve une certaine forme de ce que fait Yuuki Obata, c'est à dire un style graphique très rond, très doux, loin de certains autres shojo de notre catalogue un peu plus directs et agressifs.
      
   
  

Yuki Yoshihara est une auteure prolifique  au Japon. Après Itadakimasu et Ma petite Maitresse, comptez-vous publier d'autres séries de cette artiste?
Au départ, c'était une auteure publiée chez Panini Manga. C'était un rêve de travailler sur les séries de Yoshihara... Nous allons donc nous battre pour obtenir ses autres œuvres! Nous sommes très clients de ce genre de shojo pour jeune adulte, qui mêle habilement romance, sentiments et érotisme.


Certains titres d'Eros sont souvent repoussés, pourquoi?
Eros a posé un problème dans le sens où, au départ, les titres de cette collection étaient prévus chez Iku Comics. Donc les premiers reports sont venus du fait qu'il a fallu faire basculer tous ces titres-là sous la collection Eros. Puis nous avons dû renégocier et refaire les contrats, non plus avec Iku Comics, mais avec MC Productions. Tout ceci prend du temps.
Enfin, nous avons eu des problèmes pour obtenir le matériel nécessaire à la fabrication des livres chez nous. Il faut savoir que certains titres d'Eros n'étaient pas prévus à l'exportation par les japonais, et donc le matériel n'existait pas. Par exemple pour Chantage à la Fac et Bleu Azur, il a fallu que nous fassions nous-mêmes les scans.


Où en est la création du site internet pour Eros?
C'est toujours en cours. Là aussi c'est compliqué, car on veut faire valider le site par nos partenaires japonais, ce qui est long et problématique. Un peu de patience...


Quelle est votre position sur la censure graphique? En faites-vous sur les titres Eros?
Sur Eros, la censure graphique sur certaines cases est un choix purement éditorial. Sans vouloir jeter la pierre, nous avons en quelque sorte été les esclaves des choix de nos prédécesseurs. Sur Le Journal Intime de Sakura, on découvre au fil des tomes que l'histoire est bien plus sombre et dramatique que prévu, parfois au détriment de l'érotisme. Nous avons parfois eu à faire à des passages faisant référence à l'enfance de certains protagonistes que nous avons préféré ne pas montrer... Mais lorsque nous censurons, nous faisons toujours en sorte que l'histoire n'en souffre pas.
On peut nous reprocher de dénaturer l'œuvre, mais ce choix est pleinement assumé. C'est une protection autant pour nous que pour les japonais.
Néanmoins pour les nouveaux titres Eros, il n'y aura a priori pas de censure. Une décision éditoriale a été prise, et elle consiste à sélectionner des séries très courtes pour ce label. Ainsi, nous avons la totalité de la série entre les mains lorsque nous la choisissons, ce qui évite les mauvaises surprises.


Un petit sujet qui fâche: les lecteurs ne comprennent pas toujours pourquoi certaines sorties sont reportées. Qu'avez-vous à répondre à cela? Prenons pour exemple trois séries de votre catalogue: Higanjima, Beauty Pop et T'abuses Ikkô.
Ce sont 3 cas différents. Pour Higanjima, il a fallu qu'on renégocie les contrats sur des bases nouvelles. Il y a eu en plus de ça et au même moment un changement de direction au Japon chez Kodansha. Soleil n'étant pas l'éditeur qui travaille le plus avec Kodansha, notre cas a été traité avec du retard et il a fallu beaucoup de temps pour le résoudre. Là le volume 16 est sorti, et le tome 17 sortira en octobre. Comme on achète les séries par lot (3 volumes à la fois dans le cas d'Higanjima), il y aura une sorte de pause tous les trois tomes, le temps de refaire le contrat.
Pour T'abuses Ikkô, les ventes ont été bien en-dessous de ce qu'on avait espéré. Le souci c'était de faire accepter les conditions réelles du marché à l'éditeur japonais, ce qui une fois de plus prend du temps. Mais je rassure tous les fans: Soleil publiera les deux derniers volumes de la série.
Beauty Pop est un autre cas de figure. Au Japon, les derniers volumes sont sortis sous le nom de Second stage, car l'auteur a changé de magazine. Nous avons dû renégocier avec l'éditeur japonais pour savoir si l'on devait garder le premier titre ou s'il fallait utiliser le nouveau, ce qui a provoqué des retards. Le changement d'imprimeur a également joué en faveur du report de Beauty Pop...
Au final, nous avons eu une avalanche de malchance qui a engendré des reports tout au long de ce premier semestre. Ces derniers nous sont imputables en partie, mais d'autres résultent vraiment d'un concours de circonstance malheureux!

   
   
      
Est-il envisageable de sortir la première saison d'Iron Wok, ou tout du moins de nous expliquer ce qu'il s'est passé durant cette saison par le biais d'une préface qui serait présente dans les opus de la saison deux?
On a discuté pour réaliser une préface, et ça n'a pas été accepté par les japonais, car pour eux ça voulait dire qu'on fermait définitivement la porte à une éventuelle sortie de la première saison. Quant à l'acquisition de la première saison, très honnêtement, ça risque d'être difficile. En effet le style graphique de la première saison d'Iron Wok est particulier et nous avons peur qu'il ne plaise pas au public. Toutefois, si les ventes de la saison deux décollent, ça n'est pas exclu qu'on publie cette première saison.




Il y a eu un buzz important sur le net autour de la série Dorohedoro. Est-ce que ce dernier a eu un impact particulier sur les ventes?
Oui et non, dans le sens où le rôle d'internet n'est pas forcément révélateur sur le public, mais plutôt sur le libraire. C'est à dire que les libraires s'informent beaucoup sur internet quand un titre arrive, et le fait de voir plusieurs sites parler de Dorohedoro les a certainement aidé à mettre le titre en avant. Nous avons ainsi remarqué que Dorohedoro était parfois affiché en coup de cour dans certaines boutiques. Ça nous fait plaisir mais cela reste très rare.
En tout cas, nous publierons la série jusqu'à son terme en France, d'autant plus que selon son auteur Dorohedoro entrerait dans sa phase finale au Japon.

   


Un bilan provisoire pour cette Japan Expo?
Vivre la Japan Expo nous fait plaisir car on rencontre des fans qui nous disent qu'ils nous aiment, ce qui nous change d'internet. On reçoit aussi des mails et des courriers de lecteurs. L'impact est intéressant, dans le sens où, par exemple, on voit que le public de Loveless est toujours aussi fidèle et patient. On a fait un très bon démarrage sur Zelda, qui était un enjeu assez important pour nous. Vive Soleil Manga!
   
   
Interview réalisée lors de la Japan Expo 2009 par Lovehina et shinob. Remerciements à Iker Bilbao & Joanna Ardaillon.