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Pluto : Critiques

Pluto

Critique de la série manga

Publiée le Vendredi, 06 Mars 2015

PLUTO – Une série qui ne manque pas de chien



Avec la sortie de son huitième volume chez Kana, la série PLUTO se concluait de manière magistrale. L’occasion de revenir sur cette saga courte, mais terriblement dense et prenante.

 



Au commencement était Tezuka…



Doit-on encore présenter Osamu Tezuka (1928-1989) ? Considéré comme le « dieu du manga moderne », cet homme a réinventé dans son intégralité la bande dessinée japonaise d’après-guerres. Avec des séries comme Le Roi Léo, La Vie de Bouddha, BLACK JACK ou Princesse Saphir, son influence est aujourd’hui encore perceptible.





Cependant, l’œuvre qui l’a sans doute fait connaître de par le monde est certainement Tetsuwan Atom, ou Astro Boy (Astro le Petit Robot) chez nous. Fasciné par la robotique, pacifiste convaincu et terrifié par les désastres du feu atomique dont il avait pu voir les dégâts (Hiroshima et Nagasaki), Tezuka y met en scène un robot fonctionnant à l’énergie nucléaire, capable de ressentir les émotions humaines puisqu’il abrite l’âme d’un petit garçon décédé dans un accident de voiture. Cette créature innocente et emplie de bonté s’efforcera par la suite de pacifier les relations entre humains et robots.



L’histoire originale d'Astro Boy se déroule sur 23 volumes – dont certains ont été publiés par Kana et Glénat – et a connu une multitude de séries animées, supervisées par Tezuka lui-même de son vivant. Parmi les arcs scénaristiques développés dans la série TV de 1980-1981, il en est un intitulé Chijô Saidai no Robotto, ou Le Robot le Plus Fort du Monde. Là, Astro est confronté à Pluto, un robot voulant prouver au monde, comme le titre l’indique, qu’il est le plus fort. Pour ce faire, il détruit ceux de son espèce qu’il considère comme de puissants adversaires, et met l’équilibre planétaire en danger. Seules la pureté et l’humanité du petit robot parviendront à faire se remettre en question le dangereux Pluto, obnubilé par son désir de puissance, mais surtout marionnette de son propriétaire humain. Avec cette jolie fable, Tezuka exprimait le fait que la quête de la puissance pour la puissance n’a pas de sens, et qu’elle est même en soi dangereuse.




Astro Boy Noir




Pourquoi gloser si longtemps sur Astro Boy alors que l’on est supposé évoquer ici une série intitulée PLUTO ? Parce qu’à l’occasion de l’année de naissance du petit robot – dans l’univers conçu par Tezuka, Astro est conçu en 2003 – la maison d’édition SHOGAKUKAN a proposé à Naoki Urasawa, un de ses auteurs phares, d’utiliser la licence et de recréer une histoire à partir de celle-ci. Urasawa a jeté son dévolu sur Le Robot le Plus Fort du Monde.



Connu pour ses séries comme Master Keaton, MONSTER ou 20th Century Boys, Urasawa est passé maître dans l’art du manga à suspense. Les intrigues sont souvent complexes et sombres, et les éléments qu’il donne à lire au lecteur au fil des différents chapitres de ses œuvres ne prennent finalement de sens qu’une fois réunis lors du dénouement. PLUTO n’échappe pas à cette règle.





Tout commence par une série de meurtres mystérieux perpétrés en Europe à l’encontre de robots comme d’humains. L’inspecteur robot allemand Gesicht (« visage » dans la langue de Goethe), travaillant pour l’Europol, est chargé de résoudre ces affaires. Des affaires pour le moins étranges, puisque les victimes sont toutes retrouvées avec des cornes plantées sur la tête. C’est quand un crime similaire est perpétré au Japon que la situation se complique davantage, laissant entendre un complot à l’échelle mondiale.



Ainsi, les 7 robots les plus puissants du monde – dont sont Astro et Gesicht – ainsi que des sommités mondiales dans les domaines de la robotique ou de l’avancée des droits des robots sont pris pour cible par celui qu’on appellera rapidement Pluto. Les visages sont graves, et aucun personnage n’est épargné par le drame qui s’ourdit en sous-terrain.



En parlant de personnages, il faut noter la force du trait du mangaka. Réutilisant un univers et des personnages déjà bien ancrés dans l’inconscient populaire japonais, Urasawa parvient à apposer sa patte sans pourtant dénaturer leurs caractères originaux. Si son trait se distingue entre mille et qu’il aurait été grotesque qu’il copie le style de Tezuka, les persos ressemblent à leurs modèles sans leur ressembler. Astro a quelques mèches rebelles rappelant ses fameuses excroissances capillaires ; le Professeur Ochanomizu arbore toujours nez proéminent et crâne dégarni ; le Professeur Tenma est certes moins souriant, mais conserve sa moumoute de hipster… On a du neuf fait avec du vieux, et ça fonctionne plutôt bien.





Les clins d’œil sont légion, de Uran compulsant un ouvrage de Pinocchio (petit coup de coude aux fans hardcore de Astro Boy estimant que le petit robot tient plus de Jésus que du personnage de Carlo Collodi) à l’apparition furtive d’un type en blouse au visage balafré ou d’un robot nommé Robita. De même, à l’instar du Astro des années 1980 qui s’était vu améliorer en puissance pour pouvoir vaincre le Pluto original, là, Astro est boosté à l’âme, le rendant plus puissant parce qu’il apprend à haïr, à être triste, mais aussi à espérer.



Tout le génie d’écriture de Urasawa – assisté ici de son responsable éditorial, Takashi Nagasaki, crédité comme coscénariste – prend son sens. Il parvient, à partir du matériau de base déjà très riche laissé par Tezuka, à faire une mise à jour cohérente avec son époque. Dans la lignée de ses œuvres passées, il part du principe que le mal est partout, donc pourquoi pas chez des robots qui ressemblent de toute façon de plus en plus à des humains – physiquement comme psychologiquement. On découvre ainsi que des ligues anti-robots, similaires à ce qu’a pu être le Klu Klux Klan aux États-Unis, se forment contre ce perfectionnement outrancier des robots, qui a mené à l’assassinat d’un humain par un robot. Et est ainsi soulevée la question de l’Intelligence Artificielle et jusqu’à quel niveau elle doit être poussée.



Un autre monde



Mais l’actualisation la plus frappante concerne le contexte général dans lequel évoluent les personnages. Les pays d’Europe semblent s’être fédérés (puisque dotés d’une force de police commune autrement plus efficace que notre Coopération Policière et Judiciaire actuelle), et ont même intégré la Turquie à la communauté. Il semble en être de même pour la région allant de l’Asie Pacifique à l’Océanie. Le monde est dominé par une superpuissance, les États-Unis de Thracia, qu’on identifiera sans mal à nos chers USA. Ces entités qui correspondent à la Triade actuelle connaissent prospérité et démocratie libérale, avec des métropoles gigantesques et futuristes comme on les imagine dans 50 à 100 ans, où humains et robots cohabitent à peu près.





Surtout, il y a ce mystérieux Royaume de Perse, où une guerre meurtrière a eu lieu 3 ans avant les événements décrits dans PLUTO. Une guerre menée par les États-Unis de Thracia parce que le royaume était soupçonné de développer illégalement des robots de destruction massive – ce que même une commission internationale, la commission Bora, commanditée par l’ONU n’a pu prouver après enquête sur le terrain. Une guerre au nom de l’égalité entre humains et robots, mais où les victimes, civiles comme militaires, se comptent en milliers.



Ca ne vous évoque rien ? Un bourbier qui a commencé en 2003, dans une région du monde assez proche de l’ancienne Perse… Menée au nom de la liberté pour les habitants oppressés par le tyran alors en place… Menée parce qu’on soupçonnait ce pays de produire des AMD, dangereuses pour le maintien de l’équilibre géopolitique de la région et celui d’un carburant à bas prix… Urasawa utilise aussi PLUTO pour explorer les limites d’un monde unipolaire, contrecarrer les arguments comme quoi la victoire de la démocratie libérale signifie une fin de l’histoire, et surtout mettre un gros taquet à la politique interventionniste américaine, en Irak, en Afghanistan ou ailleurs.






Le bruit de la fin du monde




Vous l’aurez compris, PLUTO explore de nombreuses pistes, qu’elles soient liées au genre même de la SF – comment les humains doivent cohabiter avec les robots – ou à la morale et à l’éthique en général – y’a-t-il des guerres justes ? Pourtant, malgré la multitude des sous-intrigues, Urasawa parvient à atterrir sur les deux pieds, pour notre plus grand bonheur.



On avait pu reprocher à l’auteur, avec ses séries MONSTER et 20th Century Boys, de partir dans tous les sens sans conclure vraiment, s’étant empêtré en cours de route dans un labyrinthe de trames scénaristiques. La faute à la longueur, sûrement.

En se « contentant » de 8 volumes, le mangaka allie concision et précision. Les quelques chapitres ne se centrant pas exclusivement sur le fil conducteur – ceux se focalisant sur North-2 ou Adolf Haas en particulier – ajoutent à l’humanité paradoxale des robots et enrichissent plus encore l’univers.



L’ours en peluche, ce Professeur Roosevelt, qui est-il ? Quel est le vrai rôle des États-Unis de Thracia dans les terribles évènements qui ont secoué et secouent encore la planète ? Et quel est le sens de ce rêve récurrent que fait Gesicht où un vieil homme lui demande « 500 zeus par corps » ? Autant de questions qui trouveront des réponses dans cet ultime tome.



En définitive, avec une richesse telle qu’elle lui permet d’aborder des sujets aussi divers que l’écologie, les limites de la science, ou le mal inhérent à chaque chose, Urasawa nous prouve une nouvelle fois son talent de conteur sombre, et ne dénature en rien l’œuvre originale de Tezuka, qui cherchait lui aussi à nous faire réfléchir en rêvant.

Note de la rédaction
Note des lecteurs
18/20

Evolution des notes des volumes selon les chroniques:

19.00,18.00,17.00,15.00,16.00,19.00,17.00,17.00

Les critiques des volumes de la série