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Manga Rencontre à plusieurs médias avec Moto Hagio

Vendredi, 02 Février 2024 à 18h00 - Source :Rubrique interviews

Moto Hagio était l'invitée phare de la 51e édition du Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême. Artiste majeure du shôjo manga comme de la bd nippone d'une manière générale, son invisibilisation jusqu'à aujourd'hui semble être de l'histoire ancienne, si bien que la mangaka fut à l'honneur lors d'une masterclass, d'une exposition et de deux séances de dédicace aux tickets très convoités.


Aux côtés de Bruno De La Cruz de Joséphine Lemercier (Animeland), Léon Cattan (Livres Hebdo),  Laurent Lefebvre (Coyote Magazine) et Mathieu Pinon , nous avons eu la chance de pouvoir rencontrer l'artiste en petit comité, lors d'une cession de questions-réponses autour de sa carrière et de ses influences.


Avant de vous proposer notre retranscription écrite de sa masterclass, retour sur cette interview !


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L'exposition "Au-delà des genres" explique que vous avez cherché à vous réinventer tout le long de votre carrière, et également apporter de la maturité dans le shôjo. Lorsque vous avez commencé à travailler pour les revues de prépublication, cherchiez-vous d'abord à divertir les jeunes filles, ou aviez-vous déjà cette envie d'apporter de la maturité au registre ?

Moto Hagio : La personne qui a permis au manga d'être connu du grand public est Osamu Tezuka, bien qu'il y avait d'autres auteurs avant lui. Ce n'est que mon avis personnel, mais c'est bien Tezuka qui a donné au médium sa forme contemporaine.


À la fin de la guerre, après la défaite du Japon, il n'y avait plus de divertissement. Les enfants comme les adultes lisaient Osamu Tezuka. Ses œuvres ont eu un succès gigantesque.


À l'époque, il y avait une séparation très nette entre deux types de récits : les mangas pour enfants et des mangas plus adultes qui ressemblaient surtout à des caricatures érotiques. De mon côté, j'ai grandi avec les œuvres d'Osamu Tezuka et celles de ses pairs. Par exemple, j'ai lu Astro Boy, mais aussi des titres avec une dimension plus historique comme Phénix : l'Oiseau de feu qui aborde la vie humaine. Je me suis nourrie de ses mangas de façon très naturelle.


Je n'ai donc jamais eu l'impression de dessiner autre chose que les mangas par lesquels je me suis épanouie dans mon enfance. Comme j'étais publiée dans des magazines, je profitais des retours de mes éditeurs qui m'indiquaient si mes histoires devaient être modifiées ou si, au contraire, elles étaient bonnes telles quelles. Je n'ai donc pas fait évoluer ce que je dessinais, ce sont plutôt les revues de prépublication qui ont évolué.



Vous avez travaillé pour plusieurs maisons d'édition et pour des magazines de prépublication très différents. Y a-t-il eu des sujets ou des thématiques qui étaient tabous, sur lesquels on vous a indiqué qu'ils étaient trop risqués ? Y a-t-il eu une forme de censure ?


Moto Hagio : J'ai fait mes débuts chez Kôdansha, un grand éditeur, dans le magazine Nakayoshi. Quand j'envoyais mes crayonnés, on me disait que ce n'était pas adapté à des écoliers de primaire. À l'époque, j'avais l'impression de dessiner des histoires tout à fait conformes pour ces enfants. Mais en les relisant, je me rends compte que non. Par exemple, dans l'un de mes récits, un enfant de 5 ans tue sa mère. Je pense que mon éditeur avait effectivement raison. (rires)


On m'a donc demandé de dessiner des œuvres plus joyeuses. À force de voir mes histoires être refusées à répétition, je me suis vite sentie à l'étroit chez Kôdansha. C'est là qu'une personne nommée M. Yamamoto m'a présentée aux éditions Shôgakukan. Depuis, je dessine absolument ce que je veux. J'ai donc eu une chance inouïe de rencontrer ce monsieur.


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Moto Hagio et son interprète, Léopold Dahan, durant la conférence de presse


Vous avez fait des incursions dans des genres très différents, si bien qu'on vous considère comme une figure de proue du shôjo. Vous considérez-vous ainsi vous-même ? Qu'est-ce que le shôjo pour vous ?

Moto Hagio : J'ai commencé en tant qu'autrice de shôjo. Et même si j'ai parfois dessiné des histoires pour un lectorat pour âgé, je me présente comme une artiste de shôjo, et me définis comme une simple mangaka.


Une fois, un critique anglais m'a demandé pourquoi les revues japonaises étaient distinguées entre magazines pour jeunes filles et pour jeunes garçons. Depuis ce jour, et même aujourd'hui, je continue de réfléchir à une réponse. Quand j'étais enfant, j'ai découvert qu'il n'y avait pas cette séparation dans la bande dessinée française. Même si certaines sont davantage adressées aux garçons ou aux filles, elles ne sont pas précisément destinées à un genre précis. Avec le temps, des critiques masculins m'ont fait des retours très positifs sur mes mangas. Ils me félicitaient en me disant que mes œuvres n'étaient pas des shôjo. J'ai trouvé ça étonnant car je suis une autrice de shôjo manga, et je ne dessine rien d'autre. Ces critiques hommes ne savent pas lire les shôjo. Ils sont plus habitués à lire des shônen ou des œuvres destinées à des lecteurs âgés, aussi je pense qu'ils m'ont dit que mes mangas n'étaient pas des shôjo car eux ont pu les lire. Pour ma part, je voulais au contraire qu'ils lisent mes histoires comme des shôjo et qu'elles leur plaisent telles quelles, mais ce n'est pas ce qui s'est passé.


De temps en temps, je reçois des courriers de lecteurs masculins. Ces lecteurs aimeraient lire plus de shôjo manga, mais ils n'osent pas les acheter en librairie. Ils se créent parfois un alibi en prenant un shônen manga ou un manuel scolaire en même temps qu'un volume de mes histoires en indiquant que c'est pour leur petite sœur lors de leur passage en caisse. Apparemment, acheter du shôjo est quelque chose de honteux pour les hommes, si bien que ça leur demande du courage. Je ne sais toujours pas pourquoi. (rires)


Je vous disais tout à l'heure que je lisais des mangas d'Osamu Tezuka quand j'étais petite. Des shônen mangas, donc. Mes amis, filles et garçons, me demandaient pourquoi je lisais ces œuvres. Le temps est passé, les époques ont changé, et les jeunes filles se sont elles aussi mises à lire du shônen manga. Mais dans le cas des hommes qui veulent lire du shôjo, cela leur demande toujours du courage, visiblement. C'est cette culture de la séparation entre les genres que je ne comprends pas, mais qui est très ancrée au Japon. C'est un phénomène qui reste néanmoins intéressant à observer.




Lorsque vous débutez votre carrière à la fin des années 1960, le magazine Garo était déjà réputé pour publier des œuvres qui n'ont pas trouvé leur place dans d'autres magazines grand public. Pourquoi aucune de vos histoires n'y a été publiée ? Étiez-vous intéressée par la revue, et avez-vous approché la rédaction à un moment ou à un autre ?

Moto Hagio : Lorsque j'étais au collège, il existait encore des kashihon, des librairies de prêt. A l'instar des romans, Garo était disponible à la location. L'histoire principale du magazine était Kamui Den, l'œuvre de Sanpei Shirato. J'en ai lu un épisode, mais je trouvais la violence un peu trop prononcée. Aussi, je ne me suis plus intéressée à Garo pendant un long moment. Voilà la raison pour laquelle je n'ai jamais eu l'idée ou l'envie de dessiner pour cette revue.



Dans plusieurs de vos mangas, vous abordez la barrière entre les genres et les sexualités. Ce sont des sujets qui paraissent plus communs aujourd'hui. Quand vous développiez ces concepts dans vos mangas, receviez-vous de la bienveillance de la part de vos éditeurs et de vos lectrices ?


Moto Hagio : En effet, j'ai reçu beaucoup de bienveillance de la part de Junya Yamamoto, un éditeur très important pour moi. Par contre, il ne me l'a jamais dit directement ! C'est par des sources détournées que j'ai su qu'il appréciait beaucoup mes œuvres. Il paraît que les autres éditeurs lui faisaient beaucoup de retour à mon sujet, étant donné que j'étais en queue de file dans les sondages de popularité des magazines. On lui demandait pourquoi il ne se débarrassait pas de moi. Mais je ne l'ai su que bien plus tard.

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Shinsengumi, l’œuvre d'Osamu Tezuka qui poussera Moto Hagio vers la voie du manga


Vous parliez de l'apport d'Osamu Tezuka dans le développement du manga. En 1959, les premiers magazines hebdomadaires shônen sont apparus, avec notamment le Shônen Sunday. En 1968, quand le Shônen Jump arrive à son tour, la revue fait des enquêtes auprès des jeunes garçons pour définir ce qui deviendra les valeurs classiques "courage, amitié et victoire" qu'on retrouvera dans tous les titres de la revue. Le shônen manga commence alors à s'uniformiser à partir des années 1970 et 1980, une uniformisation toujours présente aujourd'hui.


À cette époque, avec d'autres autrices, vous avez voulu ouvrir le spectre du shôjo manga à tous les genres et à tous les thèmes. Aujourd'hui, avec vos cinquante ans de carrière, pensez-vous que l'industrie du shôjo manga est plus florissante et diversifiée que celle du shônen manga ?


Moto Hagio : À l'époque, les éditeurs se demandaient comment créer un média adapté au lectorat. À partir de 1968, on entre dans une période où les baby-boomers sont lycéens. Dans beaucoup de rédactions, on pensait que c'était le bon moment pour lancer des œuvres qui parleraient d'amour et de sexe. Pendant un an, Kôdansha a proposé des histoires dans lesquelles la petite amie du héros pouvait tomber enceinte, ou qui présentaient de jeunes filles très tentatrices envers les garçons. Ça a certes fait un peu jaser, mais ces récits n'ont pas trouvé leur public. Le lectorat cherchait quelque chose de plus simple, dont les valeurs que vous avez évoquées. C'est pourquoi le Jump publie, encore aujourd'hui, ces récits initiatiques. Et c'est pour ces raisons qu'aujourd'hui encore, par nostalgie pour leur jeunesse, les hommes dans la trentaine et la quarantaine continuent de lire ces . À mon avis, c'est comme ça que le shônen manga a évolué.


Dans le cas du shôjo manga, il y a surtout des histoires d'amour, mais ça ne va jamais jusqu'à l'étape parentalité. Ces histoires aux relations plus concrètes sont destinées à un autre lectorat, dans des magazines pour des femmes plus âgées. Et même dans ces revues aux œuvres à connotation plus sexuelle, les lectrices demandaient surtout des histoires de famille. Aussi, le shôjo manga compte beaucoup d'univers différents. Mon œuvre est d'ailleurs assez représentative. Il existe donc plusieurs types de récits dans le shôjo avec, par exemple, l'histoire d'amour classique dans laquelle l'héroïne rencontrera la bonne personne avec qui fonder une famille et, au contraire, des récits d'aventure. L'œuvre qui a fédéré toutes les jeunes filles du Japon est La Rose de Versailles (Lady Oscar). Toutes les jeunes filles du Japon étaient amoureuses d'Oscar, l'héroïne, une femme habillée en homme. Si bien que lorsque la troupe féminine de théâtre Takarazuka a dû se répartir les rôles lors de l'adaptation sur scène, tout le monde souhaitait incarner Oscar qui incarne la liberté. Je pense que s'il y a une chose de commune à tous les shôjo manga, c'est cette volonté de liberté.



Les éditions Akata rendent justice à Moto Hagio avec Le Clan des Poe et Barbara : l'entre-deux-mondes, que nous pouvons enfin découvrir via leur collection Héritages


Lors de votre masterclass, vous avez évoqué Shinsengumi d'Osamu Tezuka comme déclencheur de votre vocation. En parallèle, des illustrateurs ou des peintres ont-ils eu une influence esthétique sur votre dessin ?

Moto Hagio : Il y en a tellement que je ne sais pas par où commencer. A l'époque où j'ai j'étudiais la mode, j'ai découvert l'art pictural occidentale. À partir du XIXe siècle, la peinture change drastiquement. L'arrivée des impressionnistes en France a révolutionné la peinture. J'étais étonné de découvrir ce type d'art, comme Pablo Picasso.


Je me suis rendu au musée Picasso à Barcelone qui expose toute son œuvre, de ce qu'il dessinait à l'école primaire jusqu'à la fin de sa carrière. On voit donc l'évolution de son trait et de sa peinture en fonction des époques, mais aussi au fil de ses mariages et dans la progression de sa vie personnelle. Ça m'a fait réaliser qu'en une vie humaine, il peut y avoir énormément de changements artistiques.


Il y a aussi Rembrandt dont l'un de ses tableaux est un vrai jeu de perspectives avec les personnages au premier plan, les miroirs et les cadrages. La première fois que j'ai vu ce tableau, je ne l'ai pas trop compris. Picasso a été très influencé par ce peintre, au point de réutiliser la structure de ses tableaux pour réaliser des variations personnelles. C'est donc grâce à l'interprétation de Picasso que j'ai pu comprendre et apprécier les œuvres de Rembrandt.


Enfin, j'apprécie énormément les illustrateurs et graveurs anglais. Au XIXe siècle, on trouvait une tradition de caricaturistes en Angleterre. Ce sont des illustrations que j'apprécie pour la délicatesse de la représentation des vêtements, par exemple les courbes de jupes et la manière dont les chaussures sont nouées. Sur ces gravures, on a toute l'impression d'ensemble au premier coup d'œil. C'est un sentiment très mignon sur des œuvres agréables à regarder. Malheureusement, je n'ai pas de nom d'artiste précis à vous donner. (rires)




Vous avez l'habitude des compositions de planches intéressantes, avec certains motifs autour des personnages pour représenter leurs psychés. Comment parvenez-vous à établir ces motifs ?


Moto Hagio : Avant de dessiner une planche, j'ai déjà la scène en tête. Je vois les personnages évoluer et se parler comme sur un écran. Je les observe et dès que je vois un plan qui me correspond, c'est là que je saisis mon crayon. Je fais tout mon possible pour dessiner exactement l'image que j'ai en tête, avec le plus de précision possible. C'est un peu comme si j'essayais de retranscrire un rêve. Au fur et à mesure que je dessine, le plan devient de plus en plus clair pour moi. Une fois le dessin terminé, je le compare à l'image originale pour faire des arrangements. C'est à ce moment que je rajoute ces motifs. Si l'œuvre est plus claire dans ma tête, alors je fais les ajustements nécessaires, car il est très difficile de retranscrire ces images qui sont presque des rêves. Mais c'est un processus galvanisant qui me plaît beaucoup. Quand j'obtiens ainsi une belle image, je suis en joie.



Pour parler de nouveau de vos compositions, on peut dire qu'elles ont quelque chose de cinématographique. Est-ce que le cinéma a impacté votre art, votre narration ?


Moto Hagio : Je pense avoir aussi été influencée par le cinéma. Je me souviens avoir vu à la télévision le film Le troisième homme (ndt : film de Carol Reed sorti en 1949). J'ai trouvé magnifiques les contrastes entre noirs et blancs, ainsi que le découpage harmonieux et esthétique de chaque scène. Même les lieux et objets du quotidien pouvaient être sublimés.


La scène finale du film se déroule dans un cimetière. Un personnage féminin arrive au loin, se rapproche et croise un personnage masculin qui la dépasse. La mise en scène de ce moment, où l'homme qui dépasse la jeune femme, avant que cette dernière le regarde partir, m'a semblé incroyable.

Puis, le personnage féminin se dirige vers le spectateur et dépasse à son tour le personnage masculin, sans dire un mot. Mais il n'y avait pas besoin de texte pour comprendre ce qu'exprime cette scène. Tout provient du décor et de la position des personnages. Ce film m'a beaucoup marqué et m'a influencée.


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L'exposition Moto Hagio : au-delà des genres met en relief les compositions magistrales et inspirée de la mangaka.


Lors de votre masterclass, vous avez évoqué avec beaucoup de respect Madame Keiko Takemiya. À ses côtés, avez-vous avez fait évoluer votre dessin ? Êtes-vous toujours amies, aujourd'hui ?

Moto Hagio : Avec Keiko Takemiya, nous avons vécu deux ans en colocation. Nous étions toutes deux mangaka professionnelles. Mais vu qu'elle avait beaucoup plus de travail que moi, il m'arrivait de l'assister en gommant ses crayonnés, en dessinant les décors ou en peignant les aplats de noirs. Au tout début de ma carrière, on m'a reproché de dessiner des histoires trop sombres, mais ce n'était pas le cas de Keiko Takemiya. J'étais envieuse et admiratrice d'elle, du fait qu'elle pouvait dessiner des histoires plus gaies que les miennes. J'admirais son travail, mais nous avions un style tellement différent que je n'ai pas pu me rapprocher de son trait.



Cette édition du Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême vous accueille, vous, et Shin'ichi Sakamoto. Vous êtes deux auteurs qui avez revisité la figure du vampire, vous avec Le Clan des Poe et M. Sakamoto avec #DRCL midnight children. Quel rapport entretenez-vous avec le genre du vampire ? Et avez-vous eu l'occasion de lire le travail de M. Sakamoto ?


Moto Hagio : Au Japon, le récit vampirique fait partie des grandes figures populaires de l'épouvante. De ce fait, il y avait beaucoup de vampires dans les mangas que j'ai lus en grandissant. Il s'agissait pour la plupart d'adaptations de romans, mais je les trouvais si effrayants que je m'arrangeais pour sceller les pages qui les montraient dans les magazines de prépublication, afin que je n'aie surtout pas à les croiser. Imaginez-vous en tant qu'enfant, quelqu'un frappe à la fenêtre, et vous voyez un vampire. Cette idée me terrorisait ! (rires)


Quand j'avais environ 20 ans, un personnage de vampire m'est venu en tête. Pour le créer, je me suis mise à visionner des films de vampires, ceux qui présentent des personnages aux yeux noircis et aux longues canines sanglantes. À l'époque, je pensais être incapable de dessiner quelque chose d'aussi effrayant. À ce moment, je me suis rappelée d'un manga qui présentait la figure du vampire avec beauté. Il s'agit de Kiri mo to Bara to Hoshi to / La brume, la rose et les étoiles de Shôtarô Oshinomori, que j'ai lues quand j'étais en école primaire. Ce récit présente des dessins très gris et de beaux décors habillés de roses et où le vent souffle. C'est un manga triste dans laquelle l'histoire d'amour entre un humain et un vampire ne se concrétise pas. C'est en me souvenant de cette histoire que je me suis sentie capable de dessiner une histoire de vampire de ce genre-là, et c'est la genèse de ma série Le Clan des Poe.


Concernant #DRCL midnight children, je l'ai lu, et les premiers chapitres de l'œuvre de M. Sakamoto sont terrifiants. L'histoire débute dans la cale d'un bateau, lors d'une tempête. Je feuilletais les pages en redoutant que quelque chose surgisse de cette cale. À côté, les personnages sont de jeunes élèves plutôt mignons. Le dessin de M. Sakamoto est magnifique, et c'est la qualité de son trait qui m'a permis de passer outre ma terreur. Le pouvoir de son style est impressionnant.


Hier, je me suis rendue à l'exposition #DRCL qui se tient dans une chapelle. Le lieu est absolument incroyable. C'est une expérience son et lumière avec projection des planches sur les murs et au plafond, le tout accompagné de musique. L'exposition dure moins de dix minutes, mais j'en suis ressortie aussi émue que si j'avais vu un film entier. La puissance de son trait et de ses compositions, combinée au lieu, constituait une fusion parfaite. C'est un auteur formidable.



Le Clan des Poe, ou l'interprétation du vampire, avec tragédie et beauté, par Moto Hagio


Y a-t-il des shôjo manga récents que vous avez appréciés, qui vous ont marquée ?

Moto Hagio : Il y en a plusieurs, je peux en parler ? (rires)


Il y a d'abord Le Pavillon des Hommes de Fumi Yoshinaga, dont la publication s'est terminée il y a quelque temps. C'est une histoire de SF autour de familles de nobles à l'époque Edo. Dans cette histoire, la société compte de moins en moins d'hommes, et ce sont les femmes qui deviennent des cheffes de guerre. On y découvre comment les femmes prennent la place des hommes, génération après génération. Le manga a été porté en drama, qui est une très bonne adaptation.


Je pense aussi à Tamaki to Amane de la même autrice. Il faut savoir que ces deux prénoms japonais sont utilisables pour les filles et pour les garçons. Dans cette série de nouvelles, les deux personnages portent ces noms. Ce sont parfois deux hommes, deux femmes, ou un homme et une femme. Les époques couvertes varient, puisque les récits se déroulent à l'époque Meiji ou durant la guerre. C'est une œuvre inventive que j'ai trouvé intéressante.



J'ai aussi lu Gintarô-san wo Tanomimôsu d'Akiko Higashimura. C'est l'histoire d'une jeune femme qui travaille dans une maison de thé. Dans ces établissements, les femmes se voient attribuer des noms masculins, et celui de l'héroïne est Gintarô. Une jeune fille fait sa rencontre, apprend d'elle comment se vêtir d'un kimono et réalise à quel point c'est un vêtement passionnant. Comme vous le savez, il s'agit d'un vêtement traditionnel au Japon. Néanmoins, très peu de personnes en portent, aujourd'hui, mis à part les passionnés et lors d'occasions spéciales comme les festivals, les mariages ou des cérémonies de fin d'études. Mais à l'époque de ma mère, c'était un vêtement du quotidien.

Les épisodes de la série sont indépendants, ils ne se suivent pas. Les titres des chapitres sont des noms de motifs de kimonos traditionnels. C'est une œuvre qui décline des sujets liés aux kimonos que j'ai trouvé passionnante.


Voulez-vous que je continue ? (rires)

Allez, j'en donne une dernière : Don't Call It Mystery de Yumi Tamura. C'est l'histoire de Totono, un garçon aux dons de déduction, d'abord accusé d'être le criminel lors d'une affaire. Il n'est ni inspecteur ni policier, c'est un simple étudiant. J'ai trouvé très intéressante la manière dont les personnages voient le monde. Ils ont des avis très tranchés, mais ne vont pas l'imposer aux autres. Le personnage de Totono a tendance à souvent donner son avis. Et comme il a les mêmes opinions que moi, je suis entré en résonance avec lui, je l'ai trouvé fascinant. Dans une société, vous avez ce qu'on appelle le sens commun, et on exclut les personnes dont on ne veut pas entendre les opinions. Totono est ce type d'individus un peu marginal. À côté de lui, il y a le personnage d'une jeune policière entourée d'hommes, Furomitsu. Elle se fait harceler par ses collègues et ne parvient pas à être considérée à leur niveau, même en donnant tout ce qu'elle peut. Totono, le marginal, va la rassurer sur le fait qu'en tant que seule femme du commissariat, sa présence est importante, car un groupe d'hommes sans femme aura tendance à commettre de mauvaises actions. Elle n'a donc pas à se mettre à leur niveau et à faire comme eux.

Il y a beaucoup d'histoire actuelle que j'aime, mais je vais m'arrêter là. (rires)




Plus tôt, vous avez évoqué La Rose de Versailles. Madame Riyoko Ikeda a mis de côté sa carrière de mangaka pour devenir une cantatrice soprane, son autre passion. Vous-même, avez-vous une passion hors du manga pour vous aérer l'esprit ? À supposer que nous n'ayez pas lancé votre carrière de mangaka, quel métier auriez-vous fait ?


Moto Hagio : À part les mangas, j'aime voyager, regarder des films, lire des romans, écouter de la musique et élever mes chats. Si je n'avais pas pu devenir mangaka, je pense que j'aurais été assistante. Ou alors, comme j'ai appris la couture dans une école spécialisée, j'aurais peut-être été couturière ou costumière.



Un immense merci à Madame Moto Hagio pour sa présence et pour avoir accepté cette rencontre. Nous remercions aussi ses éditeurs de Shôgakukan, son interprète Léopold Dahan, Bruno Pham des éditions Akata, Anaïs Hervé de l'agence La Bande, et nos confrère journalistes présents.

commentaires

nolhane

De nolhane [6597 Pts], le 24 Février 2024 à 15h26

Merci pour cette passionnante interview!

Takoyaki PonPon

De Takoyaki PonPon, le 07 Février 2024 à 14h47

Un très grand merci pour cette belle interview, riche et très intéressante ! C'était passionnant. Et c'est vraiment génial de pouvoir découvrir plus d'oeuvres de Moto Hagio n_n.

Cyril91

De Cyril91 [1497 Pts], le 03 Février 2024 à 03h25

Merci pour cette interview qui nous permet de mieux comprendre le parcours de Moto Hagio. Des articles ont été publiés dans la presse généraliste à l'occasion de sa venue à Angoulême mais ils sont réservés aux abonnés. Cet article comble donc un vide.

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