Rencontre avec Hiroaki Samura (L'Habitant de l'Infini, Born To Be On Air!, Snegurochka...)- Actus manga
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Manga Rencontre avec Hiroaki Samura (L'Habitant de l'Infini, Born To Be On Air!, Snegurochka...)

Vendredi, 24 Mai 2024 à 18h00 - Source :Rubrique interviews

Une nouvelle fois riche en très beaux invités, le dernier FIBD d’Angoulême en date accueillait notamment Hiroaki Samura, mangaka mondialement célébré pour son emblématique série-fleuve L’Habitant de l’Infini, et à qui l’ont doit aussi bien d’autres œuvres diverses et variées comme Born To Be On Air !, Snegurochka, Halcyon Lunch, Emerald ou encore Die Wergelder. Pour sa toute première venue en Europe, l’illustre artiste était notamment mis en avant à travers une exposition consacré à son manga-phare, une masterclass sur laquelle nous reviendrons ultérieurement, des séances de dédicaces, et une conférence de presse où il a pris soin de répondre à des questions posées par plus médias dont Manga-news. A l’occasion de la récente sortie française des tomes 4 de la nouvelle édition de L’Habitant de l’Infini et de L’Habitant de l’Infini – Bakumatsu, et alors que l’on vient tout juste d’apprendre la fin de ce spin-off au Japon, nous vous proposons de découvrir notre compte-rendu de cette séance de questions-réponses !





L'habitant de l'Infini fut vraiment une oeuvre au long cours, que vous avez écrite et dessinée pendant près de 20 ans. Comment fait-on pour tenir le rythme aussi longtemps, qui plus est sur une série ayant un scénario si dense et un dessin si riche. Est-ce que, au fil de cette longue publication, vous avez rencontré des obstacles particuliers ?


Hiroaki Samura : En fait, je ne suis pas vraiment certain d'avoir maintenu mon rythme de production au fil des années. J'ai un tempérament capricieux, qui m'a parfois poussé à réduire la pagination des chapitres ou, au contraire, à déborder. Quand je fais le bilan, j'ai pas mal de petits regrets sur cette oeuvre, et n'ai pas le sentiment d'avoir produit quelque chose de parfait. Cependant, je suis toujours surpris et fier d'avoir travaillé si longtemps sur quelque chose d'aussi compliqué.



Si vous deviez choisir un souvenir du début de votre carrière, lequel serait-ce ?


Cela va peut-être rejoindre ce que j'ai dit précédemment sur la pagination fluctuante de mes chapitres. il y a une période où je produisais un nombre de pages très bas, si bien que mon éditeur a pris une mesure un peu drastique. A l'époque, j'avais un assistant qui partageait son temps entre mon atelier et l'atelier d'un autre auteur, et mon responsable éditorial lui a interdit de travailler ailleurs pour sa consacrer entièrement au travail sur L'habitant de l'Infini, y compris les jours où je n'avais rien à lui faire faire. Alors finalement, son travail, c'était plus souvent de me surveiller, de bien voir si je travaillais vraiment. Cette espèce de pression m'a remis dans le bain et sur les rails.


L'Habitant de l'Infini.



Outre L'habitant de l'Infini, ce récit de samouraï sanglant et poétique, vous avez aussi signé la comédie décalée Halcyon Lunch, le thriller historique Snegurochka, et la tranche de vie Born To Be On Air!. D'un récit à l'autre, on a l'impression que vous avez un certain plaisir à jongler entre les époques, les lieux, les registres. Qu'est-ce qui motive chez vous ce souci de renouvellement ?


Il y a deux choses. Tout d'abord, moi je suis du genre à vite me lasser, alors quand je termine une série j'ai envie d'aller sur un genre différent. Ensuite, plus qu'un appétit pour la variété de genres, ce qui me motive c'est de toucher des lectorats différents à chaque fois. Par exemple, avec L'Habitant de l'Infini je voulais capter l'attention de jeunes adultes,alors je me suis orienté vers un récit d'action. Mais ensuite j'ai eu envie de toucher le lectorat féminin, alors je me suis mis à faire de la comédie. De cette manière-là, je me suis aussi mis à faire des récits un peu érotiques parce que je voulais aussi m'adresser à un public friand de ça. Si bien que je ne suis pas sûr que, parmi toute mon oeuvre, il y ait tellement de lecteurs et de lectrices qui apprécient toutes mes séries.



Vous signez également des récits courts, par exemple dans le recueil Emerald. Qu'est-ce que vous trouvez dans le format court, que ne vous apportent pas les récits longs et en feuilletons ?


Dans le cas d'une série aussi longue que L'Habitant de l'Infini, qui m'a pris 19 ans, certes il y a des échéances mensuelles, mais disons qu'au bout de plusieurs années on est tellement pris par ça que l'on n'a pas forcément conscience d'y être enfermé, et après on a des regrets, on se dit qu'on aurait pu faire telle ou telle chose différemment. Dans le cas des récits courts, dès la livraison à l'éditeur on sait si on est satisfaits de son travail. Il y a dans le format court une espèce d'immédiateté qui me plaît beaucoup.


Emerald.



Vous avez déclaré, lors d'un entretien au magazine Atom, que Makie de L'Habitant de l'Infini est votre personnage préféré dans votre oeuvre. Et au-delà de L'Habitant de l'Infini, on a l'impression que la figure de la femme animée d'une volonté inflexible est récurrente dans votre travail. Qu'est-ce qui vous attire dans cet archétype de personnage ?


J'ai l'impression que mon thème de prédilection, finalement, est de mettre en scène des personnages martyrisés, qui au premier abord sont en position de faiblesse et qui subissent, puis qui finissent par exploser et par se retourner contre leurs persécuteurs. Il y a chez moi ce plaisir à représenter cette revanche du plus faible sur le plus puissant.



Dans L'Habitant de l'Infini, Snegurochka et même Halcyon Lunch, vous mettez en scène des corps malmenés voire mutilés. Au-delà de l'enjeu de la représentation graphique de ces corps, à quoi répond cette mise en évidence de la fragilité de la chair ?


A l'origine je ne suis pas forcément très amateur de scènes de violence. Disons que ce besoin de représenter des scènes sanglantes et spectaculaires répondait initialement à mon désir de toucher un lectorat de jeunes adultes. Mais plus tard, j'ai été intéressé par cette question du handicap physique et de la mutilation, dans le sens où pour moi, quand mes personnages manquent de quelque chose, ils n'en sortent pas diminués voire deviennent plus forts.


Snegurochka.



L'Habitant de l'Infini connaît une suite nommée Bakumatsu. Pouvez-vous nous dire un mot sur cette collaboration avec le scénariste Renji Takigawa et le dessinateur Ryu Suenobu ? Et qu'avez-vous ressenti en voyant Manji, votre héros qui vous a accompagné pendant presque 20 ans, prendre vie sous une autre plume que la vôtre ?


Il est au courant au Japon de créer des spin-off autour de mangas à succès, et c'est une manière pour les auteurs de ces spin-off d'être exposés à une certaine attention au début de leur carrière. De mon côté, même si sur le papier il est écrit que je supervise Bakumatsu, en réalité je fais très peu de retours, je laisse les nouveaux auteurs faire leur travail comme ils l'entendent, et je me contente plutôt de prendre du plaisir à lire cette oeuvre comme n'importe qui d'autre. En plus, je trouve intéressantes les petites divergences avec ma série d'origine, car ça donne naissance à une oeuvre à part entière.



Que ce soit au niveau du dessin ou du récit, pensez-vous vous inscrire dans une forme de filiation avec certains autres artistes ?


A mes débuts et même dès le lycée, j'étais vraiment très influencé par le travail de Katsuhiro Otomo. Quand j'ai commencé L'Habitant de l'Infini, la question était de savoir quoi faire de cette influence qui était alors très présente dans mon travail. Je pense que son approche a été canalisée dans ma manière d'orienter mon récit d'époque vers un nouveau public, alors que le récit de sabre était au Japon un genre plutôt populaire chez un public âgé. Quand j'ai débuté L'Habitant de l'Infini, peu de temps après il y un autre manga de sabre, Kenshin le Vagabond, qui a démarré, et il y a alors eu une sorte de renouveau de ce sous-genre auprès d'un public plus jeune. C'est ce rejet du classicisme et ce vent de nouveauté visible chez Otomo que j'ai cherché à insuffler à mon travail.


Halcyon Lunch.



Est-ce que vous retrouvez de vous-même chez certains mangakas ayant débuté après vous ? Sachant que certains artistes revendiquent votre influence, comme Masashi Kishimoto qui affirme qu'il vous doit beaucoup, ou encore Tatsuki Fujimoto pour l'irrévérence, la manière de dilater le temps du récit, et la capacité à faire disparaître brutalement des personnages très importants.


Si on fait un peu le bilan, je pense que chaque auteur, même s'il se dit influencé par tel ou tel artiste, ne restitue jamais ses influences telles quelles. En réalité, les artistes sont traversés et nourris par toutes sortes de choses qui forment une sorte de chaos à l'intérieur d'eux. Je pense que le plus important est que chacun continue de travailler ce qu'il a en soi, d'explorer sa voie et d'affirmer son originalité.



Dans une ancienne interview, vous aviez expliqué être toujours un peu à la traîne sur les nouvelles technologies. Aujourd'hui, quel regard portez-vous sur l'outil numérique en tant qu'auteur mais aussi en tant que lecteur ?


Je pense que c’était une discussion qu’on avait eue avec le mangaka Usamaru Furuya, qui portait sur le numérique. On se disait que finalement le numérique rendait le dessin beaucoup plus facile et rapide, voire nous permettait de faire des choses que l’on n’envisageait pas au départ. Je suis assez d’accord là-dessus, mais moi j’ai fait des essais de dessin par ordinateur et ce n’était pas concluant, donc ça n’a jamais été publié ni révélé. Et je pense que, de manière générale, on peut dire que je suis à la traîne par rapport à notre époque.


Die Wergelder.



Dans une interview croisée avec Tatsuki Fujimoto, vous avez déclaré qu’il vaut mieux dessiner dans sa jeunesse les mangas qu’on a absolument envie de faire. Avec le recul, pensez-vous y être parvenu ?


En ce qui me concerne, j’ai commencé ma carrière avec L’Habitant de l’Infini, qui n’était pas un sujet qui me tenait particulièrement à coeur. Moi j’aime plutôt les histoires plus apaisées, mais à l’époque je voulais gagner ma croûte le plus rapidement possible, alors je me suis orienté vers un récit d’action. Sinon, dans l’absolu, j’ai déclaré ça parce que je pense qu’il faut être en bonne condition physique pour dessiner au mieux ce qui nous tient le plus à coeur. Personnellement j’ai déjà 50 ans, je sens que mon corps commence à vieillir et que mes yeux fatiguent. Alors si on a des priorités dans ce que l’on veut faire, à mon avis il faut bel et bien les prioriser tant qu’on a un cerveau et un corps qui fonctionnent bien.



Pour vos différentes séries, vous avez toujours publié les chapitres à un rythme mensuel. Est-ce une volonté de votre part ? Pensez-vous que le rythme hebdomadaire aurait été trop soutenu pour vous ? Et pensez-vous que vous auriez pu mener la même carrière avec les contraintes d’un rythme hebdomadaire ?


Dans l’absolu, c’est vrai qu’il est toujours préférable de connaître le succès, ce qui est généralement facilité par le rythme hebdomadaire. Mais moi, je ne sais pas trop si ça aurait collé avec mon tempérament. Comme je le disais tout à l’heure, j’ai plutôt tendance à me lasser facilement, alors je pense que sur un rythme hebdomadaire j’aurais vite lâché prise. Par ailleurs, je ne suis pas très enclin à travailler avec d’autres personnes, or sur un rythme hebdomadaire il faut généralement trois à cinq assistants, ce qui ne me conviendrait pas. Le rythme mensuel me permet de travailler avec un seul assistant, et ça me va très bien.


Born To Be On Air !.



Une question sur vos pairs et contemporains mangakas. On a pu lire par-ci par-là que vous étiez à l’université avec Daisuke Igarashi et Kei Toume. Est-ce vrai ? Et si oui, fréquentiez-vous le même cercle d’auteurs amateurs ?


Kei Toume était un petit peu plus avancée que moi dans son cursus universitaire. Quant à Daisuke Igarashi, il était dans la même promotion que moi. Mais pour vous donner une idée de mon manque de sérieux en cours, je séchais souvent, si bien que quand Daisuke Igarashi et moi avons commencé tous les deux à publier dans le magazine Afternoon à peu près au même moment je ne le connaissais pas. C’est lors de la fête de fin d’année donnée par notre éditeur et où il était présent que, en le voyant, je me suis dit que je l’avais déjà vu quelque part. Nous avons donc bien étudié dans la même université, mais nous n’étions pas aussi proches qu’on peut le croire.



De la même manière, des articles font part de votre amitié avec le mangaka Hiroki Endo. Pouvez-vous nous parler de votre relation avec lui ? On se souvient notamment qu’à l’époque, vous aviez conçu des illustrations de son manga Eden, lui aussi issu du magazine Afternoon…


On a effectivement produit et échangé des illustrations pour nos séries respectives, mais je ne peux pas dire qu’on se connaisse vraiment intimement. En tant qu’auteurs ayant commencé à la même période et en tant que lecteurs, je pense qu’on s’apprécie mutuellement pour nos travaux respectifs. Et d’un point de vue plus artistique, même si moi j’ai une approche peut-être légèrement plus « punk », j’ai l’impression que lui est beaucoup plus rebelle. Et ça, c’est une singularité que je respecte beaucoup.



Revenons désormais sur les adaptations de vos mangas : les animes et le film de L’Habitant de l’Infini, ainsi que l’anime et le drama de Born To Be On Air !. Pouvez-vous nous parler rapidement de votre implication sur ces adaptations ? Qu’est-ce que celles-ci ont permis de faire, que vous n’aviez pas pu proposer dans les mangas d’origine ?


Moi, quand je conçois un personnage, je ne réfléchis pas du tout à la couleur de ses vêtements et de ses attributs. Alors quand je dois dessiner une illustration en couleurs je dois me poser la question et prendre ces décisions devant le fait accompli. Du coup, concernant les adaptations de mes mangas, souvent je suis très stimulé par ce processus de décision auquel je suis associé mais dont je ne suis pas l’instigateur. On me fait des propositions sur la colorisation et sur certaines autres choses, et ensuite il m’arrive fréquemment de reprendre ces choix artistiques pour mes propres travaux.



Au fil des années, votre œuvre a acquis une reconnaissance mondiale, notamment en Europe et en Amérique du Nord. A l’occasion du Festival d’Angoulême, vous faites votre tout premier voyage en Europe. Comment vivez-vous la rencontre avec votre public ?


Je me sens surtout chanceux, parce que le récit de sabre est, je pense, un genre qui peut potentiellement plaire à l’étranger, en manga mais aussi via d’autres supports comme le cinéma. Comme je l’ai dit, ce n’était pas un sujet qui me tenait spécialement à coeur mais plutôt un choix stratégique pour percer. Dans l’absolu, je pense qu’une démarche un peu plus raisonnée aurait voulu que l’édition française de L’Habitant de l’Infini sorte après que je sois un peu plus reconnu au Japon, mais là j’ai l’impression que ce sujet, ainsi que le fait que je me l’approprie de façon irrévérencieuse, ont peut-être permis à la série de toucher un large public étranger qui est moins à cheval que le lectorat japonais sur le classicisme et sur la fidélité historique.



Participation à la conférence de presse et retranscription effectuées par Koiwai. Un grand merci à Hiroaki Samura, à Wladimir Labaere des éditions Sakka/Casterman pour la gestion de la rencontre, à Aurélien Estager en sa qualité d’interprète, et à l’hôtel de ville d’Angoulême pour la mise à disposition de ses locaux.

commentaires

Takoyaki PonPon

De Takoyaki PonPon, le 29 Mai 2024 à 15h51

Merci pour cette très chouette interview 😄

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