Critique - Coffret Fudoh & Bird People in China- Actus manga
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Ciné-Asie Critique - Coffret Fudoh & Bird People in China

Lundi, 02 Septembre 2013 à 17h00

Aujourd'hui, place à la critique du Coffret Fudoh + Bird people in china sorti chez Asian classics. Deux films du réalisateur japonais Takashi Miike, dont la personnalité et les œuvres ne font pas l'unanimité. Cela tombe bien, avec deux films franchement différents, ce coffret est une bonne occasion de se forger un avis.
 


 
Takashi Miike... Génie de la série B (ou, le plus souvent, Z), réalisateur imprévisible, excentrique, et même un brin dément, adoré par Tarantino, ou personnalité aux oeuvres surestimées, défendue par un public de fans aussi extrémistes que lui par leur manque d'objectivité ? Moqué lors des deux derniers festivals de cannes pour des films soit trop conventionnel (« Hara-kiri »), soit caricatural à l'extrême dans leur genre (« Shield of straw »), Miike est connu pour réaliser un cinéma où la violence extrême côtoie le loufoque voire le fantastique, transgresse les tabous, mais dans lequel le spectateur n'est pas partie prenante, tant le cinéaste part dans ses propres délires, semblant trop souvent faire ses films pour lui ou pour son public, volontairement désinvolte sur certains points, en préférant d'autres à l'excès. Un « private cinema », sur le modèle de la « private joke ». Et bien ce coffret réunissant deux de ses films va vous permettre de prendre un peu position. En effet, ces deux oeuvres profondément différentes illustrent la schizophrénie du réalisateur. D'un côté, « Fudoh », film ultraviolent, gore, bourrin, vulgaire, assez peu passionnant, marketé comme les prémices des Kill bill de Tarantino (merci la jaquette racoleuse). De l'autre, « Bird people in China », plus original, plutôt touchant, donnant lieu à réflexion, mais pas parfait non plus.


Commençons par nous intéresser à « Fudoh », sorti au Japon en 1996.

Inspiré d'un manga de Hitoshi Tanimura, seinen sorti en 1991 au Japon et toujours inédit en France, « Fudoh » s'intéresse à la vengeance d'un jeune chef yakuza, Riki Fudoh, qui a vu son frère aîné assassiné sous ses yeux. Problème : l'assassin n'est autre que son propre père. Riki tue donc les membres de son propre clan, ou plutôt celui de son père. Car le jeune yakuza s'est construit une triade bien à lui, composée d'enfants tueurs et de lycéennes nymphomanes et sanguinaires.


Ce film de Takashi Miike est sans doute celui le plus représentatif de son amour pour les séries B et Z, puisque tout y est. L'iconographie du yakuza mâle dominant et puissant, qui a tout qui lui réussit (beau, studieux, populaire), une violence extrême qui ne s'interdit rien avec des membres arrachés et coupés, des combats et règlements de comptes avec de pauvres hères criblés de balles, des scènes de sexe n'ayant rien à envier au pire du hentai (avec en apothéose une lycéenne hermaphrodite qui séduit une femme plus vieille qu'elle improvisée enseignante, les amateurs de « Bible black » apprécieront...), des enfants et ados tueurs traités avec tant de légèreté qu'ils ne pourront que vous rappeler de façon très désagréable à la réalité des enfants soldats, et, évidemment, des effets spéciaux cheap un peu partout (la palme, comme toujours aux effusions d'hémoglobine plus rouge que rouge). Bref une série B qui s'assume et ne réfléchit pas aux conséquences de son propos bourrin et violent. Alors, bien sûr, il y a quelques scènes déjantées qui font leur petit effet, et on se marre bien. A ce titre, celle du numéro spécial d'une lycéenne travaillant dans un striptease, consistant à faire éclater des ballons au loin avec une sarbacane vaginale activée par la contraction de son sexe, est fameuse. Pourtant, le film oscille en permanence entre un ton très sérieux (et chiant) et ce genre de scènes surréalistes, le plus souvent violentes. Là où elles sont jouissives et cathartiques chez un Tarantino, elles semblent gratuites et sont vite oubliées chez un Miike, tant la mise en scène est indigente et plate. Et c'est le cas dans Fudoh, à de rares exceptions près, comme la scène du combat entre le fils et son père en intérieur clos plutôt réussie. Notons en plus de cela des passages à vide (on s'ennuie...), la faute à des dialogues inutiles... on n'est guère étonnés, puisque beaucoup de films de Miike peine à équilibrer le cocktail action-lenteur. La seule réussite de « Fudoh » est d'éviter la confusion caractéristique de certains films du genre, puisque les personnages sont bien identifiés pour peu que l'on s'y intéresse.


Alors évidemment, les fans de Miike s'écrieront au scandale devant cette critique, considérant au contraire que le réalisateur, en injectant de très grosses doses d'ironie, s'écarte à la fois du film ultraviolent racoleur et de la parodie, et que son film n'est donc pas dénué de tout propos. Tout serait si amplifié, si gonflé, si (g)original que le cinéaste ne ferait que s'amuser des habituels clichés de la série B en la réinventant. Mouais... Sauf que derrière ces explosions délirantes, le film est très creux et n'arrive pas à la cheville des vrais bons films de yakuzas (donc les meilleurs, ceux de Kinji Fukasaku). « Fudoh » n'est qu'une énième histoire de famille yakuza éclatée, d'un père qui préfère sacrifier son fils aîné plutôt que de perdre la face, d'un jeune frère qui ne s'en remet pas et fomente une vengeance tout ce qu'il y a de plus classique, où chaque personne est prête à tuer l'autre pour se faire sa place dans ce monde exclusivement masculin et violent à n'en plus finir, où la vie des enfants n'est pas sacrée, où les femmes se prennent les mêmes coups que les hommes sans pour autant pouvoir prétendre au même respect dans la société, où la nouvelle génération représentée par Riki tente de renverser la plus vieille représentée par son père. Toute cette symbolique, c'est du déjà-vu, mais traitée ainsi en série Z, cela n'apporte rien, bien au contraire. Et puisque « Fudoh » le film est inspiré de « Fudoh » le manga, il m'apparaît opportun de comparer le film de Miike à des mangas... Comment vous expliquer... ce serait un peu du Ryoichi Ikegami et du Buronson (Sanctuary, Strain) avec des mâles forts, du sexe, du sang, des trahisons, mélangé à... du « Bastard » (les scènes surréalistes qui ne font plaisir qu'à l'auteur).
(« Fudoh » : 6/20)


Intéressons-nous maintenant à « Bird people in China », sorti en 1998 au Japon.

Reprenant un roman de Makoto Shiina, « Bird people » prend place dans la région chinoise du Yunnan. Obligé de remplacer un collègue malade, un jeune Japonais est envoyé par son entreprise dans cette région, afin d'explorer un filon de pierres précieuses. Dès son arrivée en Chine, il va réaliser que tout ne se passera pas comme prévu. Son entreprise a des dettes envers les yakuzas, si bien que l'un d'entre eux devra l'accompagner sur le fameux terrain rempli de pierres. Le guide sur place parle le japonais de façon très approximative, et doit gérer les nombreux déboires du quotidien dus au climat difficile. De plus, une mystérieuse fouille archéologique a mis au jour une légende d'hommes volants. Les trois hommes devront traverser les contrées sauvages et humides du Yunnan, ses montagnes millénaires, ses fleuves en crue, jusqu'à parvenir au village. « Bird people in China » est un film très particulier dans la filmographie de Miike : il est l'un des rares films à s'écarter de la série B, ce qui a fait sa petite renommée. « Bird people » pose donc l'énigme de l'antagonisme : Miike a élaboré un récit d'aventures, celui de deux Japonais urbains dans le Yunnan rural et traditionnel, ce choc des cultures donnant lieu à des pointes d'humour bien senties et à un vrai propos. Personne ne se doutait que le cinéaste nippon pouvait créer cela, et il ne l'a d'ailleurs plus fait depuis maintenant 15 ans. « Bird people », c'est donc l'exception à laquelle il faut réellement s'intéresser, puisqu'en plus de continuer d'étonner tout ses fans, ce film est sans aucun doute possible l'un des moins mauvais du réalisateur.


Une certaine finesse, une vraie profondeur et un peu de poésie lyrique font de « Bird people » un film réellement attachant. Ne vous attendez pas à trouver une merveille de sensibilité à la Kitano, mais « Bird people », par sa simplicité et son absence totale de prétention, est appréciable. Impossible néanmoins de ne pas penser à Kitano tant Miike s'est écarté de sa filmographie traditionnelle pour faire quelque chose de différent ! De plus, on se surprend à trouver un humour terriblement efficace rappelant du Kitano. Le réalisateur oppose les trois personnages pour mieux les associer : le jeune employé, professionnel, bien élevé , issu d'un milieu urbain se prendra de plein fouet le choc des cultures, sans émettre de critiques sur ce qu'il a devant lui (ceci est d'ailleurs très appréciable) ; le vieux yakuza raté, se distinguant par force cabotinage, finira, ce n'est pas une surprise par s'adoucir ; le guide et interprète ne sait plus où donner de la tête entre ses hôtes et les événements locaux. Cette réunion improbable constitue l'essentiel d'un burlesque vraiment réussi, proche d'un Kitano donc. Mais sur le reste, le film de Miike conserve une véritable identité.
Cette identité, c'est d'abord l'environnement, le Yunnan étant filmé amoureusement par Miike, comme si le réalisateur n'avait fait le film que pour ces formidables panoramas... Oui mais non, car l'identité de « Bird people », c'est aussi l'arrivée dans le village, où habite une petite communauté isolée, où tout va changer pour les personnages. Car chacun va réagir de façon très différente face à ce lieu, à la nécessité de le préserver des vices de la société qu'ils connaissent. La grande force du film, c'est l'évolution des personnages, et le basculement progressif vers le dramatique, vraiment travaillés. Ainsi, « Bird people », a priori récit d'aventures, finit par se métamorphoser intelligemment en fable dont la morale ne pourra qu'émouvoir. Pourquoi ? Parce que la fin comporte une étonnante profondeur. Bon, après, on reste loin d'un vrai bon film d'auteur ou d'un documentaire, mais cette fin demeure plus qu'appréciable, s'interrogeant sur le rôle et le sens de la civilisation. Le jeune salarié et le yakuza, après avoir été opposés, puis réunis, s'opposent de nouveau. L'un souhaite protéger le village et ses traditions d'une civilisation qui les pervertirait et dénaturerait, et qui encouragerait les individualismes ; l'autre est favorable à l'instauration d'une civilisation bien encadrée (accord local, sphère publique gestionnaire), synonyme d'accès aux médicaments et à un développement économique qui éviterait la famine et la misère. Cette fin débouche donc sur une lutte et un message forts, avec une formidable réplique (« Si on transforme cette région comme on a transformé le Japon, alors l’humanité est foutue ! »), applicable à tous les pays développés. Comment choisir ? Le film, lui, ne choisit pas, et préfère réunir de nouveau les personnages dans une dernière séquence humoristique fort bien amenée, où les ailes sont le symbole universel. De plus, malgré l'omniprésence de la question des hommes-volants pendant une bonne partie du film, celui-ci évite tout onirisme lourd, se contentant d'une vraie petite poésie et des réalités rurales.


Un final réussi donc, juste et profond comme il faut, qui sauve le film de Miike, malheureusement pas dénué de défauts. C'est notamment le cas du montage, peu maîtrisé, et des quelques effets spéciaux, médiocres (ces images de synthèse avec les tortues tirant le radeau, une horreur qui vous déconnecte instantanément du film, quelques minutes sont nécessaires pour s'y replonger). C'est aussi le cas du rythme, longuet...très longuet. Même si les décors sont superbes, les dialogues amusants, le message intéressant, le film est trop long, c'est un fait. La première heure, jouant sur la disparition progressive de la civilisation, laisse penser que le film trouve un rythme propre, riche et contemplatif. Mais la deuxième heure s'égare dans des rallongements inutiles. Alors même si c'est un plaisir sincère de découvrir un Miike sans délires, sans précipitation, sans outrances, qui prend le temps d'installer ses personnages, son décor, les enjeux, et qui les mènent à bout avec réussite, le film aurait mérité un rythme plus enlevé. Notons également, dans cette deuxième heure décidément moins bonne que la première hormis sa fin, l'apparition des bons sentiments, et d'une bande-son franchement dispensable. Les acteurs, eux, font bien le job, sans pour autant qu'il y ait de surprises. Notons toutefois le jeu tout en retrait de Masahiro Motoki, que l'on retrouvera quelques années après dans le fabuleux « Departures ».
(« Bird people in China » : 12/20)


Concernant l'édition, ce coffret est franchement moins réussi que ceux consacrés aux oeuvres de Kitano dans la même collection. Si le livret est bon et fournira le lot d'informations normalement exigées pour apprécier (ou pas) de façon convenable les deux films proposés, on ne peut pas en dire autant des DVD : vides. Zéro bonus, zéro interview de Miike qui aurait permis de vraiment savoir ce qu'il voulait faire, notamment sur le très antagoniste, et réussi, « Bird people in China ». Pire, l'image est médiocre. Dans « Bird people », la végétation tropicale verdoyante est jaunie au lieu d'être verte tellement l'image est mauvaise. Dans « Fudoh », l'image est brouillonne, et la luminosité mal dosée, scintillante, rendant les sous-titres parfois illisibles. C'est simple, on croit avoir affaire à une image VHS... Bref, une édition... nulle.

« Fudoh » est à réserver aux amateurs de cinéma de genre, à savoir la grosse série Z dans laquelle Miike s'est rendue maître. A voir pour deux ou trois scènes franchement osées, car dans sa globalité, le film n'est pas convaincant (6/20). Quant à « Bird people in China », il reste à voir pour les fans de Miike puisqu'il fait vraiment office d'exception dans sa filmographie ; les autres spectateurs verront un film très agréable mais hélas pas dénué de défauts, notamment vis-à-vis de sa longueur (12/20).

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