Manga Rencontre avec Stéphane Ferrand autour des éditions Vega
En février dernier, nous apprenions la créations de Vega, nouvel éditeur de manga né de l'association entre le groupe Steinkis et Nexusbook. Tandis que les trois premiers titres de ce nouvel acteur du marché sortent en France ce mois-ci, nous vous proposons aujourd'hui la retranscription de notre rencontre avec le directeur éditorial de Vega, Stéphane Ferrand.
Bonjour Stéphane, peux-tu nous parler de ton parcours éditorial et de la création des éditions Vega ?
Stéphane Ferrand : Bonjour ! Concernant mon parcours éditorial, j'ai monté plusieurs maisons d'édition ou collection. En 2005, je me suis associé avec les éditions Milan pour créer le label Kanko. Nous avions aussi créé le label Dragons qui s'intéresse davantage aux œuvres thaïlandaises, chinoises, taïwanaises ou coréennes. Suite à ça, j'ai fini par quitter Milan pour rejoindre les éditions Glénat Manga où j'ai dirigé le publishing pendant 8 ans.
Sorti de Glénat, j'ai décidé de créer mes propres maisons d'édition. Vega a été créé avec Moïse Kissous, patron du groupe Steinkis, un groupe déjà bien installé qui, par exemple, possède les éditions Jungle qui publient les Simpson. Moïse Kissous souhaitait éditer du manga. Nous avons eu l'occasion de parler et il se trouve que nous voulions faire la même chose. On a ainsi pu porter ce label seinen pour le public français, avec parution des trois premiers titres pour octobre.
Tu as dévoilé il y a quelques mois les trois premiers titres : Survivant, Peleliu et Deep Sea Aquarium Magmel. Peux-tu nous présenter ces trois titres ?
Stéphane Ferrand : Ce sont trois titres très différents, et c'est justement ce qui m'intéresse dans le seinen qui est un registre où l'on trouvera beaucoup de variété, de thématiques et de traitements différents.
Dans un premier temps, nous sommes tombés amoureux de Peleliu, un titre extrêmement sensible, intelligent, surprenant et prenant par ailleurs. Quand on est plongé dedans, difficile d'en ressortir, il faut même un certain temps pour ça.
Peleliu, c'est l'histoire d'un soldat au quotidien, mais pas un soldat de l'armée professionnelle : le soldat du temps de guerre, celui qui a eu une vie avant et qui espère en avoir une après le conflit. On suit alors la destinée de ce soldat, en poste sur l'île de Peleliu, pendant la guerre du pacifique en 1944. A ce moment, la flotte de MacArthur arrive sur Peleliu, et l'histoire retiendra un conflit terrifiant, horrible et surtout inutile puisque le but de la conquête de l'île était d'avoir une base arrière pour pouvoir ensuite attaquer directement le Japon, ce que les États-Unis n'ont pas fait stratégiquement puisqu'ils ont fini par lancer les deux bombes. Le bilan de cette bataille fut une dizaine de milliers de morts, de part et d'autres des camps. L'auteur a eu l'intelligence de faire porter son propos au niveau du quotidien de ces soldats. On est pris dans cette aventure car on se sent au même niveau que le protagoniste. Tout y passe : la vacuité de la guerre, les façons de mourir parfois bêtement, la notion de devoir... C'est une œuvre passionnante et qui résonne encore un peu aujourd'hui, par rapport à l'actualité qu'on vit. C'est intéressant pour reprendre pied sur la réalité de la guerre, un peu plus complexe que ce qu'on peut parfois voir dans les films ou aux infos. Si on devait comparer Peleliu, je pense que ça serait l'équivalent en manga de Putain de Guerre de Jacques Tardi, bande-dessinée qui explore le quotidien d'un poilu dans les tranchées. On a la même tonalité dans Peleliu : humaine et très prenante, avec des rebondissements à toutes les pages car il se passe toujours quelque chose dans une guerre. Ce titre nous a énormément touché, aussi nous voulons le porter pour ses qualités extraordinaires mais aussi son dessin bien pensé, très fin, et sa narration qui utilise en permanence des onomatopées, ce qui renseigne sur le bruit constant et assourdissant du conflit, le capharnaüm vécu par les soldats au quotidien.
Survivant, c'est une autre histoire, celle d'une double rencontre. D'abord la rencontre avec un autre titre, le Survivant de 1988, édité lorsque j'étais chez Kanko. Il racontait l'aventure d'un jeune homme qui, suite à une catastrophe naturelle, allait devoir se débrouiller pour trouver à boire et à manger, car il se retrouve seul au milieu de la nature. Plus tard, l'auteur Takao Saitô a décidé de relancer une autre version de son titre en s'associant à Akira Miyagawa, une autre pointure phénoménale du dessin. Ils ont changé l'histoire, la narration, le rythme, le dessin... Ça donne une œuvre qui à la fois rappelle les qualités de l'ancien Survivant mais s'avère aussi totalement nouvelle. Car dans ce type de scénario, au jour d'aujourd'hui, le héros a un téléphone portable dans sa poche, ce qui n'était pas le cas dans l'ancienne version, c'est logique. (rires)
J'ai trouvé ce titre aussi bien fait que la précédente version, mais en même temps rehaussée par le dessin de Miyagawa. On a donc craqué pour la série.
Le troisième titre, Deep Sea Aquarium Magmel, est dans une tonalité totalement différente des deux premiers. Nous sommes dans un manga feel-good dont l'histoire est assez fascinante. Elle tente d'imaginer que, sur les cotes du Japon, dans la baie de Tokyo, un gigantesque aquarium aurait été construit pour admirer la faune et la flore des profondeurs, cette dimension inconnue de l'océan. On y retrouve tous les accents de ce qu'on aime dans les récits maritimes, une base culturelle qu'on connait aussi bien en France qu'au Japon. La série est intéressante puisqu'elle révèle aussi des accents verniens dans le dessin : on voit très bien comment l'aquarium est inspiré du Nautilus. On retrouve aussi l'esprit du capitaine Némo dans la tonalité du titre et dans l'histoire. Le scénario commence assez simplement, comme dans beaucoup d'intrigues de manga. Un jeune garçon va être employé comme homme de ménage dans le Magmel. Petit à petit, il va vivre différentes aventures et découvrir ce monde sous-marin qui le fascine. Il va aussi se rapprocher des scientifiques de l'aquarium pour devenir, petit à petit, lui-même un chercheur et un soigneur. Le titre nous intéressait aussi pour ses accents écologiques, chose qu'on retrouve aussi en filigrane dans Peleliu et Survivant où il y a toujours un rapport à la nature et des questions intéressantes. Deep Sea Aquarium Magel est assez encourageant et bienveillant, il permet aussi de montrer ce qu'on peut faire pour aider la mer à se porter mieux par rapport à nos propres actions. Ce troisième titre venait très bien équilibrer les deux premiers qui sont plus dans l'aventure et l'historique.
A travers ces trois volumes un, nous voulions montrer quelques premières pistes parmi celles que Vega peut explorer.
As-tu déjà une idée des prochains titres que proposera Vega à l'avenir ?
Stéphane Ferrand : Tout à fait. Pour 2019, nous avons eu le plaisir d'avoir l'accord de Kôdansha sur deux demandes que nous avons faites. Nous seront donc l'éditeur de Kakushigoto, un seinen pour adulte mais plutôt dans une veine humoristique. C'est assez croquignolet puisqu'on suivra le destinée d'un dessinateur de mangas, M. Goto Kakushi. Ce dernier a une petite fille, mais il lui cache son travail de mangaka car ce n'est pas très glorieux de faire du manga polisson. C'est cette situation du quotidien qui donne lieu à un ensemble de quiproquos qui rappelle le théâtre de boulevard par moment. Le titre plaît énormément aux lecteurs japonais, et il y a une vraie réflexion sur le rapport enfants/parents et la manière dont les parents considèrent leurs rejetons plus naïfs qu'ils le sont. C'est un titre frais, un peu différent et plutôt léger, dans un schéma humoristique.
L'autre titre qui nous a été accordé est Theseus no Fune, autrement dit Le bateau de Thésée. Cette fois-ci, il s'agit d'un thriller policier. On reste donc dans une orientation pop-culture mais avec un schéma différent. On suit le parcours d'un homme qui va enquêter sur le passé de son père, bien plus trouble et étrange que ce qu'il pensait. Il va ainsi plonger de découverte en découverte pour savoir qui était son paternel et ce qu'il a fait. Il y a aussi ce questionnement sur le héros qui suivra la voie de son père ou, au contraire, en prendra une différente. Est-il obligé d'être comme lui ? C'est là la thématique du Navire de Thésée, qu'on connait en France avec l'image du Couteau de Saint Hubert où, à force de changer de manche et de lame puisque celle-ci s'épuise en permanence, le couteau n'a plus rien à voir avec celui de départ. C'est une réflexion sur la filiation, en filigrane de ce thriller passionnant qui nous fait plonger dans les mafias et autres cercles remuants.
On proposera ces deux perles au public en 2019.
On entend souvent que le marché français du manga est "saturé". Comment Vega se fraiera une place sur ce marché encombré ?
Stéphane Ferrand : La question de la saturation du marché est vaste et mériterait une longue discussion. (rires)
Pour ce qui est de la manière dont Vega compte se positionner sur le marché, c'est d'abord en prenant une identité claire et facilement affirmée. Nous avons dit que Vega fera de tout : du kodomo, du shônen, du shôjo... parce qu'on s'intéresse à l'ensemble du public. Mais fondamentalement, nous construisons d'abord notre identité autour des publications seinen. Nous voulons explorer cette voie de manière plus intense, pour un public adulte qui, à nos yeux, grandit de plus en plus. C'est de cette manière qu'on aimerait que Vega soit identifié comme la référence éditoriale pour les titres seinen, dans l'espoir que lorsque les gens auront envie d'un manga ou auront fini un autre titre, ils auront le réflexe de regarder ce que Vega aura sorti. Nous leur proposeront toujours des seinen très variés qui, à un moment ou à un autre, seront forcément raccords avec leurs goûts.
C'est cette image que Vega essaiera de tisser sur sa première année d'existence ?
Stéphane Ferrand : Pour la première année d'existence, nos objectifs seront multiples. On ambitionne de publier 40 volumes en 2019, ce qui est pas mal. Pour l'instant, nous faisons un peu de comm avant lancement, mais nous souhaitons passer au niveau supérieur en terme de presse, d'événementiel et de marketing. On a pas mal de projets dont certains en cours, comme des interviews d'auteur. Il y a aussi du travail à faire pour essayer de porter le seinen. C'est ce qu'on fera en premier lieu sur la première année : bâtir la base seinen qui correspondra à notre identité. En 2019, on essaiera de proposer un ou deux shônen, et il y aura très certainement un titre kids pour Montreuil. Le titre en question a été validé, mais nous ne pouvons pas encore en parler. Nous travaillerons donc toute l'année pour poser cette image seinen. Nous aurons sans doute un stand à Japan Expo l'année prochaine... Les process n'auront donc rien à voir par rapport à cette année de présentation.
Comme tu l'as dit, tu es présent à Japan Expo sans que Vega ait de stand, les premiers tomes n'étant pas encore sortis. Quels enjeux par ta présence aujourd'hui ?
Stéphane Ferrand : Je viens à Japan Expo tous les ans pour prendre la température du public. Pour le connaître, il faut se balader dans les allées, observer les gens, voir comment ils ont vieilli... Il y a dix ans, on ne voyait pas de poussettes avec des petits. Maintenant, il y en a partout. (rires)
C'est un plaisir d'observer ce public, j'en fais moi-même partie : je consomme comme lui, j'aime les mêmes trucs, je vais claquer mon billet à acheter des vêtements japonais... Je pense que pour tout professionnel qui veut faire quelque chose dans ce milieu, il faut se plonger dans la réalité de Japan Expo car c'est là qu'on prend un maximum d'informations en un minimum de temps.
Ensuite, je viens aussi pour rencontrer les éditeurs japonais mais aussi d'autres professionnels du secteur français... Ce qu'un éditeur fait en construisant l'ensemble du relationnel grâce auquel il bâtira ses stratégies. Ça me permet de revoir plein de gens que je n'ai pas vu depuis deux ans, sachant que je m'étais éloigné du milieu un certain temps. Retrouver cette ambiance excellente à base de rencontres avec des gens sympas ou d'autres qui ont des projets me plaisait, et ça me plaît toujours.
Par la suite, on sera à Japan Expo tous les ans. On essaiera d'avoir toujours quelque chose à proposer le 7 juillet, à condition que le salon continue de se dérouler à cette date là. Cette année, c'était la bonne occasion car le 7 juillet tombait le samedi. C'est une date liée au nom Vega et à la légende de Tanabata qui présente deux étoiles amoureuses l'une de l'autre et qui n'ont le droit de se rencontrer qu'un seul jour dans l'année : le septième jour du septième mois. C'est représentatif de la France et du Japon, très éloignés géographiquement mais très amoureux culturellement, et qui se retrouvent chaque année à Japan Expo. Ça fait partie des lieux d'ancrage de l'identité de Vega.
Vega a commencé à apparaître sur les réseaux sociaux. Selon toi, quelle importance de jouer sur ces réseaux pour un éditeur qui se lance ?
Stéphane Ferrand : Aujourd'hui, il est inconcevable de faire quoi que ce soit sans les réseaux sociaux. C'est le canal idéal de diffusion et de travail. Quand on se lance en particulier, c'est encore plus fondamental puisqu'on a besoin d'exister avant tout. Il n'y a que par la communication, le bouche à oreille et la possibilité d'être coopté par des gens qu'on peut peut déjà commencer à avoir une existence.
On a commencé à annoncer des titres, nous pouvons donc démarrer un travail sur les réseaux sociaux relatifs à ces titres. Nous sommes déjà en discussion pour poser une image, pour des séquences d'interview, un mini reportage... avoir un entourage relié au contenu. Au-delà de ça, nous voulons intégrer les réseaux sociaux au cœur de notre stratégie et de notre vie. C'est pour ça que nous avons une personne qui gère particulièrement ces réseaux. Quand elle vient à Japan Expo, elle ne fait pas que des shoot de Vega ou de la conférence, on en profiter pour aller shooter ce qui nous plaît sur le salon, un peu comme tous les visiteurs, c'est dans notre esprit. Nous sommes déjà dans l'utilisation des réseaux sociaux par réflexe, c'est pour nous une perspective fun. Nous avons commencé sur Instagram, Twitter et Facebook... Je ne suis pas un grand spécialiste du sujet mais le travail fait par Lucie, la personne qui gère nos réseaux, est déjà extraordinaire. Nous essaierons de créer des méthodologies pour faire en sorte de développer nos réseaux sociaux mais aussi toutes nos actions avec originalité, dans le but de proposer des choses un peu différentes pour attirer les gens.
Un dernier mot ?
Stéphane Ferrand : Lisez Vega ! (rires)
Bonjour Stéphane, peux-tu nous parler de ton parcours éditorial et de la création des éditions Vega ?
Stéphane Ferrand : Bonjour ! Concernant mon parcours éditorial, j'ai monté plusieurs maisons d'édition ou collection. En 2005, je me suis associé avec les éditions Milan pour créer le label Kanko. Nous avions aussi créé le label Dragons qui s'intéresse davantage aux œuvres thaïlandaises, chinoises, taïwanaises ou coréennes. Suite à ça, j'ai fini par quitter Milan pour rejoindre les éditions Glénat Manga où j'ai dirigé le publishing pendant 8 ans.
Sorti de Glénat, j'ai décidé de créer mes propres maisons d'édition. Vega a été créé avec Moïse Kissous, patron du groupe Steinkis, un groupe déjà bien installé qui, par exemple, possède les éditions Jungle qui publient les Simpson. Moïse Kissous souhaitait éditer du manga. Nous avons eu l'occasion de parler et il se trouve que nous voulions faire la même chose. On a ainsi pu porter ce label seinen pour le public français, avec parution des trois premiers titres pour octobre.
Tu as dévoilé il y a quelques mois les trois premiers titres : Survivant, Peleliu et Deep Sea Aquarium Magmel. Peux-tu nous présenter ces trois titres ?
Stéphane Ferrand : Ce sont trois titres très différents, et c'est justement ce qui m'intéresse dans le seinen qui est un registre où l'on trouvera beaucoup de variété, de thématiques et de traitements différents.
Dans un premier temps, nous sommes tombés amoureux de Peleliu, un titre extrêmement sensible, intelligent, surprenant et prenant par ailleurs. Quand on est plongé dedans, difficile d'en ressortir, il faut même un certain temps pour ça.
Peleliu, c'est l'histoire d'un soldat au quotidien, mais pas un soldat de l'armée professionnelle : le soldat du temps de guerre, celui qui a eu une vie avant et qui espère en avoir une après le conflit. On suit alors la destinée de ce soldat, en poste sur l'île de Peleliu, pendant la guerre du pacifique en 1944. A ce moment, la flotte de MacArthur arrive sur Peleliu, et l'histoire retiendra un conflit terrifiant, horrible et surtout inutile puisque le but de la conquête de l'île était d'avoir une base arrière pour pouvoir ensuite attaquer directement le Japon, ce que les États-Unis n'ont pas fait stratégiquement puisqu'ils ont fini par lancer les deux bombes. Le bilan de cette bataille fut une dizaine de milliers de morts, de part et d'autres des camps. L'auteur a eu l'intelligence de faire porter son propos au niveau du quotidien de ces soldats. On est pris dans cette aventure car on se sent au même niveau que le protagoniste. Tout y passe : la vacuité de la guerre, les façons de mourir parfois bêtement, la notion de devoir... C'est une œuvre passionnante et qui résonne encore un peu aujourd'hui, par rapport à l'actualité qu'on vit. C'est intéressant pour reprendre pied sur la réalité de la guerre, un peu plus complexe que ce qu'on peut parfois voir dans les films ou aux infos. Si on devait comparer Peleliu, je pense que ça serait l'équivalent en manga de Putain de Guerre de Jacques Tardi, bande-dessinée qui explore le quotidien d'un poilu dans les tranchées. On a la même tonalité dans Peleliu : humaine et très prenante, avec des rebondissements à toutes les pages car il se passe toujours quelque chose dans une guerre. Ce titre nous a énormément touché, aussi nous voulons le porter pour ses qualités extraordinaires mais aussi son dessin bien pensé, très fin, et sa narration qui utilise en permanence des onomatopées, ce qui renseigne sur le bruit constant et assourdissant du conflit, le capharnaüm vécu par les soldats au quotidien.
Survivant, c'est une autre histoire, celle d'une double rencontre. D'abord la rencontre avec un autre titre, le Survivant de 1988, édité lorsque j'étais chez Kanko. Il racontait l'aventure d'un jeune homme qui, suite à une catastrophe naturelle, allait devoir se débrouiller pour trouver à boire et à manger, car il se retrouve seul au milieu de la nature. Plus tard, l'auteur Takao Saitô a décidé de relancer une autre version de son titre en s'associant à Akira Miyagawa, une autre pointure phénoménale du dessin. Ils ont changé l'histoire, la narration, le rythme, le dessin... Ça donne une œuvre qui à la fois rappelle les qualités de l'ancien Survivant mais s'avère aussi totalement nouvelle. Car dans ce type de scénario, au jour d'aujourd'hui, le héros a un téléphone portable dans sa poche, ce qui n'était pas le cas dans l'ancienne version, c'est logique. (rires)
J'ai trouvé ce titre aussi bien fait que la précédente version, mais en même temps rehaussée par le dessin de Miyagawa. On a donc craqué pour la série.
Le troisième titre, Deep Sea Aquarium Magmel, est dans une tonalité totalement différente des deux premiers. Nous sommes dans un manga feel-good dont l'histoire est assez fascinante. Elle tente d'imaginer que, sur les cotes du Japon, dans la baie de Tokyo, un gigantesque aquarium aurait été construit pour admirer la faune et la flore des profondeurs, cette dimension inconnue de l'océan. On y retrouve tous les accents de ce qu'on aime dans les récits maritimes, une base culturelle qu'on connait aussi bien en France qu'au Japon. La série est intéressante puisqu'elle révèle aussi des accents verniens dans le dessin : on voit très bien comment l'aquarium est inspiré du Nautilus. On retrouve aussi l'esprit du capitaine Némo dans la tonalité du titre et dans l'histoire. Le scénario commence assez simplement, comme dans beaucoup d'intrigues de manga. Un jeune garçon va être employé comme homme de ménage dans le Magmel. Petit à petit, il va vivre différentes aventures et découvrir ce monde sous-marin qui le fascine. Il va aussi se rapprocher des scientifiques de l'aquarium pour devenir, petit à petit, lui-même un chercheur et un soigneur. Le titre nous intéressait aussi pour ses accents écologiques, chose qu'on retrouve aussi en filigrane dans Peleliu et Survivant où il y a toujours un rapport à la nature et des questions intéressantes. Deep Sea Aquarium Magel est assez encourageant et bienveillant, il permet aussi de montrer ce qu'on peut faire pour aider la mer à se porter mieux par rapport à nos propres actions. Ce troisième titre venait très bien équilibrer les deux premiers qui sont plus dans l'aventure et l'historique.
A travers ces trois volumes un, nous voulions montrer quelques premières pistes parmi celles que Vega peut explorer.
As-tu déjà une idée des prochains titres que proposera Vega à l'avenir ?
Stéphane Ferrand : Tout à fait. Pour 2019, nous avons eu le plaisir d'avoir l'accord de Kôdansha sur deux demandes que nous avons faites. Nous seront donc l'éditeur de Kakushigoto, un seinen pour adulte mais plutôt dans une veine humoristique. C'est assez croquignolet puisqu'on suivra le destinée d'un dessinateur de mangas, M. Goto Kakushi. Ce dernier a une petite fille, mais il lui cache son travail de mangaka car ce n'est pas très glorieux de faire du manga polisson. C'est cette situation du quotidien qui donne lieu à un ensemble de quiproquos qui rappelle le théâtre de boulevard par moment. Le titre plaît énormément aux lecteurs japonais, et il y a une vraie réflexion sur le rapport enfants/parents et la manière dont les parents considèrent leurs rejetons plus naïfs qu'ils le sont. C'est un titre frais, un peu différent et plutôt léger, dans un schéma humoristique.
L'autre titre qui nous a été accordé est Theseus no Fune, autrement dit Le bateau de Thésée. Cette fois-ci, il s'agit d'un thriller policier. On reste donc dans une orientation pop-culture mais avec un schéma différent. On suit le parcours d'un homme qui va enquêter sur le passé de son père, bien plus trouble et étrange que ce qu'il pensait. Il va ainsi plonger de découverte en découverte pour savoir qui était son paternel et ce qu'il a fait. Il y a aussi ce questionnement sur le héros qui suivra la voie de son père ou, au contraire, en prendra une différente. Est-il obligé d'être comme lui ? C'est là la thématique du Navire de Thésée, qu'on connait en France avec l'image du Couteau de Saint Hubert où, à force de changer de manche et de lame puisque celle-ci s'épuise en permanence, le couteau n'a plus rien à voir avec celui de départ. C'est une réflexion sur la filiation, en filigrane de ce thriller passionnant qui nous fait plonger dans les mafias et autres cercles remuants.
On proposera ces deux perles au public en 2019.
On entend souvent que le marché français du manga est "saturé". Comment Vega se fraiera une place sur ce marché encombré ?
Stéphane Ferrand : La question de la saturation du marché est vaste et mériterait une longue discussion. (rires)
Pour ce qui est de la manière dont Vega compte se positionner sur le marché, c'est d'abord en prenant une identité claire et facilement affirmée. Nous avons dit que Vega fera de tout : du kodomo, du shônen, du shôjo... parce qu'on s'intéresse à l'ensemble du public. Mais fondamentalement, nous construisons d'abord notre identité autour des publications seinen. Nous voulons explorer cette voie de manière plus intense, pour un public adulte qui, à nos yeux, grandit de plus en plus. C'est de cette manière qu'on aimerait que Vega soit identifié comme la référence éditoriale pour les titres seinen, dans l'espoir que lorsque les gens auront envie d'un manga ou auront fini un autre titre, ils auront le réflexe de regarder ce que Vega aura sorti. Nous leur proposeront toujours des seinen très variés qui, à un moment ou à un autre, seront forcément raccords avec leurs goûts.
C'est cette image que Vega essaiera de tisser sur sa première année d'existence ?
Stéphane Ferrand : Pour la première année d'existence, nos objectifs seront multiples. On ambitionne de publier 40 volumes en 2019, ce qui est pas mal. Pour l'instant, nous faisons un peu de comm avant lancement, mais nous souhaitons passer au niveau supérieur en terme de presse, d'événementiel et de marketing. On a pas mal de projets dont certains en cours, comme des interviews d'auteur. Il y a aussi du travail à faire pour essayer de porter le seinen. C'est ce qu'on fera en premier lieu sur la première année : bâtir la base seinen qui correspondra à notre identité. En 2019, on essaiera de proposer un ou deux shônen, et il y aura très certainement un titre kids pour Montreuil. Le titre en question a été validé, mais nous ne pouvons pas encore en parler. Nous travaillerons donc toute l'année pour poser cette image seinen. Nous aurons sans doute un stand à Japan Expo l'année prochaine... Les process n'auront donc rien à voir par rapport à cette année de présentation.
Comme tu l'as dit, tu es présent à Japan Expo sans que Vega ait de stand, les premiers tomes n'étant pas encore sortis. Quels enjeux par ta présence aujourd'hui ?
Stéphane Ferrand : Je viens à Japan Expo tous les ans pour prendre la température du public. Pour le connaître, il faut se balader dans les allées, observer les gens, voir comment ils ont vieilli... Il y a dix ans, on ne voyait pas de poussettes avec des petits. Maintenant, il y en a partout. (rires)
C'est un plaisir d'observer ce public, j'en fais moi-même partie : je consomme comme lui, j'aime les mêmes trucs, je vais claquer mon billet à acheter des vêtements japonais... Je pense que pour tout professionnel qui veut faire quelque chose dans ce milieu, il faut se plonger dans la réalité de Japan Expo car c'est là qu'on prend un maximum d'informations en un minimum de temps.
Ensuite, je viens aussi pour rencontrer les éditeurs japonais mais aussi d'autres professionnels du secteur français... Ce qu'un éditeur fait en construisant l'ensemble du relationnel grâce auquel il bâtira ses stratégies. Ça me permet de revoir plein de gens que je n'ai pas vu depuis deux ans, sachant que je m'étais éloigné du milieu un certain temps. Retrouver cette ambiance excellente à base de rencontres avec des gens sympas ou d'autres qui ont des projets me plaisait, et ça me plaît toujours.
Par la suite, on sera à Japan Expo tous les ans. On essaiera d'avoir toujours quelque chose à proposer le 7 juillet, à condition que le salon continue de se dérouler à cette date là. Cette année, c'était la bonne occasion car le 7 juillet tombait le samedi. C'est une date liée au nom Vega et à la légende de Tanabata qui présente deux étoiles amoureuses l'une de l'autre et qui n'ont le droit de se rencontrer qu'un seul jour dans l'année : le septième jour du septième mois. C'est représentatif de la France et du Japon, très éloignés géographiquement mais très amoureux culturellement, et qui se retrouvent chaque année à Japan Expo. Ça fait partie des lieux d'ancrage de l'identité de Vega.
Vega a commencé à apparaître sur les réseaux sociaux. Selon toi, quelle importance de jouer sur ces réseaux pour un éditeur qui se lance ?
Stéphane Ferrand : Aujourd'hui, il est inconcevable de faire quoi que ce soit sans les réseaux sociaux. C'est le canal idéal de diffusion et de travail. Quand on se lance en particulier, c'est encore plus fondamental puisqu'on a besoin d'exister avant tout. Il n'y a que par la communication, le bouche à oreille et la possibilité d'être coopté par des gens qu'on peut peut déjà commencer à avoir une existence.
On a commencé à annoncer des titres, nous pouvons donc démarrer un travail sur les réseaux sociaux relatifs à ces titres. Nous sommes déjà en discussion pour poser une image, pour des séquences d'interview, un mini reportage... avoir un entourage relié au contenu. Au-delà de ça, nous voulons intégrer les réseaux sociaux au cœur de notre stratégie et de notre vie. C'est pour ça que nous avons une personne qui gère particulièrement ces réseaux. Quand elle vient à Japan Expo, elle ne fait pas que des shoot de Vega ou de la conférence, on en profiter pour aller shooter ce qui nous plaît sur le salon, un peu comme tous les visiteurs, c'est dans notre esprit. Nous sommes déjà dans l'utilisation des réseaux sociaux par réflexe, c'est pour nous une perspective fun. Nous avons commencé sur Instagram, Twitter et Facebook... Je ne suis pas un grand spécialiste du sujet mais le travail fait par Lucie, la personne qui gère nos réseaux, est déjà extraordinaire. Nous essaierons de créer des méthodologies pour faire en sorte de développer nos réseaux sociaux mais aussi toutes nos actions avec originalité, dans le but de proposer des choses un peu différentes pour attirer les gens.
Un dernier mot ?
Stéphane Ferrand : Lisez Vega ! (rires)
Interview réalisée par Takato. Remerciements à Stéphane Ferrand pour la rencontre, et à La Bande Animée pour ses enregistrements vidéos et audio de l'interview.
De frodon, le 06 Octobre 2018 à 14h08
KAkushigoto à l'air sympathique..... Après deep sea aquarium Magel, c'ets très très prometteur!
De papillon1989 [6 Pts], le 06 Octobre 2018 à 09h57
Édition prometteuse! Hâte de les rencontrer à des événements. #Crossfinger
De Midoki [4123 Pts], le 03 Octobre 2018 à 12h13
Merci pour cette interview.
Les choix éditoriaux sont intéressants,enfin un vent de fraîcheur.Je pense me laisser tenter par plusieurs de leurs titres.J'ai hâte de pouvoir lire Deep Sea Aquarium Magmel.
@Miranna2132, je comprends ton inquiétude,c'est quitte ou double pour le coup.En proposant des titres avec des concepts originaux l'éditeur prend déjà un risque.C'est un peu comme quand Komikku s'est imposé sur le marché français.Cette édition a réussi son pari alors pour pas Vega!
De nolhane [6891 Pts], le 03 Octobre 2018 à 11h56
Merci pour cette interview très sympathique, j'ai hate de voir cet éditeur s'installer sur le marché :)
De destroy [550 Pts], le 03 Octobre 2018 à 10h06
Excellent interview, merci! Stéphane a l'air très sympa et fait partager sa passion pour ses mangas. Âgé de 37 ans, la ligne éditoriale de Vega me correspond parfaitement et les 3 premiers titres me tentent bien. Les 2 suivants également. Bon courage à Vega, on a jamais assez de bons mangas en France!
De Miranna2132, le 03 Octobre 2018 à 09h03
Magmel a l'air joli je pense le prendre, par contre toutes leurs séries sont des séries en cours au Japon. Je pense qu'il aurait peut être mieux fallut choisir quelques séries courtes ou déjà finies. Là si l'éditeur fait faillite rapidement on aura jamais la fin...
De Mikye, le 02 Octobre 2018 à 22h57
Intéressant meme si pour l'instant aucun titre ne me fait de l'oeil..j'espère voir venir moto hagio et autre shojo 80. La première série de survivant, etc
De Sugar-chan, le 02 Octobre 2018 à 19h09
Très intéressant.
J'ai vu beaucoup de choses qui me plaisent.