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Manga Découvrez notre nouvelle interview de Junji Ito

Vendredi, 31 Octobre 2025 à 18h00 - Source :Rubrique interviews

Entre notre interview de 2015 et notre rencontre de 2023, Junji Ito est un mangaka culte que nous avons déjà eu l'occasion d'interviewer plus d'une fois mais dont on ne se lasse jamais, tant cet auteur incontournable dans le registre de l'angoisse a toujours des choses à raconter. C'est donc avec grand plaisir que nous l'avons retrouvé cet été lors de Japan Expo où il était l'invité d'honneur, pour une mini conférence de presse à laquelle participaient aussi nos confrères d'Actua BD, Canal +, Geek Magazine, Journal du Japon, Mangacast et Unification. Alors que Halloween arrive et que le recueil Froid Glacial est sorti il y a quelques jours aux éditions Mangetsu, l'occasion était idéale pour vous faire profiter de cette nouvelle rencontre. Bonne lecture !





Manga-News : Vous avez grandi à la campagne, or on retrouve régulièrement le cadre de la campagne isolée dans vos histoires. Dans quelle mesure votre jeunesse et votre vie en campagne ont pu influencer vos œuvres ?


Junji Ito : J’ai grandi dans le village de Nakatsugawa, dans le département de Gifu. C’est une région très montagneuse, avec une rivière au centre et beaucoup de côtés. Pour cette raison, les paysages que je voyais étaient souvent en volume : je pouvais par exemple contempler, depuis les hauteurs,  les paysages en contrebas, et observer depuis le bas des choses vers le haut. Il ne s'agissait jamais de paysages plats, et je pense que cela m'a vraiment influencé. En tout cas, ça m'a au moins fait prendre conscience de la profondeur des paysages. 



Actua BD : Considérez-vous qu'il y a des différences entre l’horreur japonaise et l'horreur dans le reste du monde ?


Autrefois au Japon, il y avait les histoires de kaidan, des fantômes typiquement japonais, qui étaient souvent révélatrices des différences de castes à l’époque d’Edo, époque où les guerriers des classes élevées pouvaient souvent maltraiter les citadins et villageois des classes les plus basses. Ces histoires mettaient alors en scènes ces humains de basse condition qui se transformaient en fantômes pour hanter leurs tortionnaires et se venger d'eux. Je pense que c’était vraiment une particularité des récits d’horreur japonais., mais de nos jours les échanges entre le Japon et l’étranger sont plus nombreux, ce qui amène une influence mutuelle et fait qu'il y a de moins en moins de différences.



Journal du Japon : Dans la plupart de vos histoires, vous dessinez des personnages plutôt jeunes. Est-ce une volonté de votre part ? Si oui, pourquoi ? Et comment procédez-vous à leur création ?


Je dessine souvent mes mangas pour des magazines adressés à un jeune public, et je me dis que c'est plus simple pour ce public d'avoir de la sympathie pour des personnages qui ont à peu près leur âge. J’ai aussi beaucoup travaillé pour des magazines shôjo, ce qui explique pourquoi j’ai souvent des personnages féminins dans mes récits. Pour la construction de mes personnages, en général je ne pars pas d'eux-mêmes mais plutôt des histoires, et ensuite je vais façonner les personnages pour qu'ils cadrent bien avec mon scénario. Mais il arrive parfois que mes personnages soient assez forts pour se démarquer, si bien que je vais les décliner sous forme de série, en ajoutant au fur et à mesure plus de forme dans leur nature. Dans ces cas-là, je leur insuffle souvent des aspects de ma propre personnalité.



Canal + : Quelles œuvres de votre bibliographie aimeriez-vous conseiller à un public qui ne vous connaîtrait pas encore, et pourquoi ?


Objectivement je dirais que des séries comme Spirale et Gyo sont un bon moyen de commencer, mais personnellement j’ai une préférence pour mes recueils d’histoires courtes.





Unification : D'où viennent vos idées ? Et à partir de quel moment décidez-vous d'en faire une histoire courte ou longue ?


Pour mes idées, je ne vais pas partir d'une situation précise. Généralement, tout va partir d'anecdotes intéressantes que j'entends autour de moi, et qui vont me donner des indices pour me conduire à une idée de manga. Ensuite, il est assez difficile de juger si je vais en faire une histoire courte ou un récit plus long, mais lorsque je sens que c'est une idée qui peut aller loin je vais la garder pour une histoire longue.



Mangacast : Quelles œuvres japonaises ou étrangères, notamment en matière de films d'horreur, ont pu vous marquer ?


Un peu avant de faire mes débuts en tant que mangaka, j'ai vu Evil Dead de Sam Raimi, et il m'a beaucoup marqué et influencé. D’ailleurs, le titre japonais de ce film signifie « Les Entrailles du Fantôme de la Mort ».



Geek Magazine : Pour beaucoup de gens, la maison est souvent un lieu de sécurité, or dans vos livres elle devient souvent un lieu angoissant où tout part de travers. D'où cela vous vient-il ? On sait notamment, grâce à votre livre Terroriser - La Méthode Junji Ito, que les toilettes de votre maison d’enfance étaient au bout d'un couloir sombre au sous-sol...


J’ai en effet grandi dans une maison qui avait plus de 80 ans, ce qui est très ancien pour une maison japonaise. Les toilettes étaient lugubres avec leur passage souterrain, et j’avais très peur d’y aller seul la nuit. D’autres aspects de la maison m’effrayaient aussi, comme une remise à l'étage qui était remplie d’objets et où on n'allait quasiment jamais. Cependant, je ne dirais pas qu'il s'agissait vraiment d'un lieu d’angoisse pour moi, car la plupart des pièces étaient normales, comme le salon où la chambre à coucher où on passait des moments de détente en famille. Mais c'est vrai que via ses quelques endroits qui m'inquiétaient, cette maison a sûrement eu une certaine influence sur ma manière de mettre en scène l'horreur.



Journal du Japon : Le suicide est un thème récurrent dans vos œuvres. Pourquoi ?


En fait, j'exploite ce thème sans trop y réfléchir, mais c'est vrai que quand je construis mes histoires j'ai différents patterns pour mettre en scène la mort : la présence d'un tueur, l'accident, le suicide... je choisis ces différents types de mort selon mes histoires. Après, j'ai aussi l'impression que le thème du doppelgänger, du double, est souvent présent dans mes récits. Il y a quelque chose qui m'accroche dans cette idée de rencontrer un autre soi-même, d'y voir un présage funeste, et de devoir faire face à soi-même au risque d'être poussé au suicide.



Manga-News : Vous avez aussi offert une adaptation manga assez ambitieuse et personnelle du célèbre roman La Déchéance d’un homme d’Osamu Dazai. Quel est votre rapport  avec cette œuvre ? En quoi vous fascine-t-elle ? Comment est né le projet de manga, et comment avez-vous imprégné le récit d'origine avec votre patte un peu plus horrifique ?


Au départ, c’est mon éditrice qui m’a suggéré cette adaptation, à une époque où je n'avais encore jamais lu ce roman. Quand je l’ai découvert, j’ai été marqué par le héros, qui me ressemble beaucoup. Que ce soit dans ses souvenirs d’enfance, dans les différents malentendus et ses relations avec autrui, je me suis retrouvé en lui. Mais la grande différence entre lui et moi, c’est qu’il a beaucoup de succès avec les femmes, et au moins cela m’a donné l’occasion de dessiner de jolis personnages féminins, ce qui m'a motivé (rires). Ensuite, ce roman est classé comme de la « littérature blanche », donc sans horreur, bien qu’il s’agisse d’une histoire déjà assez angoissante. Pour l’adaptation manga, j'ai alors voulu insister sur une dimension plus horrifique en incluant des histoires de kaidan. On en trouve aussi dans beaucoup de récits de rakugo, et je trouvais que ça collait très bien car ces récits traditionnels japonais évoquent souvent la fatalité humaine, fatalité qu'on retrouve dans le roman de Dazai.





Actua BD : Cela fait plusieurs fois que vous venez en France. Quel est votre rapport avec le public français ? A-t-il une particularité ?


La France est l’un des pays d’Europe où j’ai été traduit le plus tôt et le plus souvent, et il s'agit d'un pays qui est très ouvert à la culture japonaise, donc je me dis que c’est sûrement pour ça que mes mangas sont si bien acceptés chez vous. Et quand je rencontre mes lecteurs français en dédicaces, je les trouve très polis et gentlemen.



Canal+ : On vous qualifie souvent de maître de l’horreur. Que pensez-vous de ce titre ? Et le maître de l'horreur a-t-il lui-même des peurs et des angoisses ?


Quand on me dit que je suis le maître de l'horreur, j’ai envie de répondre pas du tout ! Il y a de beaucoup d'autres grands maîtres de l’horreur, donc ça me gêne toujours un peu, même si en même temps je suis très reconnaissant d’être considéré à ce niveau-là. Cela me fait me dire que je dois continuer mes efforts pour réellement mériter ce qualificatif.  Et sinon, je suis quelqu'un d'extrêmement peureux ! Beaucoup de choses me terrifient. Rien qu'un exemple que je donne souvent en interviews : j’ai une grande peur des cafards, mille-pattes et autres insectes un peu dégoûtants.



Unification : Au début de votre carrière, avez-vous été influencé par les œuvres de Kazuo Umezu, notamment L'École Emportée ?


J'ai été complètement influencé par son travail. C’est un auteur que je lisais déjà beaucoup dès l’enfance. En japonais, il y a une expression qui signifie « Il est ma chair et mon sang » et elle s'applique totalement à Umezu. C’est dire à quel point lui et son œuvre m’ont profondément imprégné et influencé. Sinon, l'École Emportée est une série que j'aime particulièrement, et à chaque fois que je travaille sur une série longue je prends pour exemple le format de cette œuvre.



Geek Magazine : Enfant, vous ne vouliez pas faire lire vos mangas, par peur que cela dévoile trop de choses sur vous. A présent, avez-vous encore peur que les gens puissent lire en vous en lisant vos mangas ?


Quand j'étais enfant je dessinais uniquement pour le plaisir, mais lorsque mes histoires devenaient plus sentimentales j’avais effectivement peur d’en révéler trop sur moi, si bien que je ne les montrais qu’à un cercle restreint : mes amis d’enfance et peut-être ma mère. Mais aujourd’hui c’est mon travail, donc j’ai surtout envie d’être lu par le plus grand nombre.



Mangacast : Y a-t-il un thème ou un genre que vous n’avez pas encore exploré et que vous aimeriez aborder ?


J’aimerais beaucoup réaliser une comédie sentimentale avec des adolescents, mais je pense que je n'en suis pas capable et que ça partirait naturellement dans un récit d'horreur (rires).



Manga-News : Dans la nouvelle génération de mangakas d’horreur, quels artistes attirent votre attention et vous impressionnent ?


J’ai beaucoup aimé Mes Cent Contes Mortels d’Anji Matono (publié en France par les éditions Akata, ndlr), avec ses histoires très courtes où à chaque fois un incident survient, et son fil conducteur autour de ce jeune héros à qui il arrive des choses terribles. C'est un concept très accrocheur, et je trouve que cette autrice a un sens très aiguisé de l'angoisse. Je l'ai déjà rencontrée, et j'ai été très surpris de découvrir qu'il s'agissait d'une femme, alors que son nom a une sonorité plutôt masculine.





Canal + : Avant d’être auteur de mangas, vous avez été prothésiste dentaire. Est-ce que cela vous a aidé dans votre carrière de mangaka, notamment pour vos monstres ?


Ça ne m’a pas aidé pour concevoir mes monstres. Mon travail consistait à fabriquer des dentiers. C’est un savoir-faire très spécifique, et qui sert peu pour d'autres choses. Cependant, j'ai tendance à dessiner des personnages qui ont souvent une très belle dentition. Bref, en terme d'influence ça ne me sert pas à grand chose. Mais sur un plan plus technique, j'utilise mon expérience pour transformer mes outils de dessin et dessiner plus facilement avec.



Propos recueillis par Koiwai. Un grand merci à Junji Ito, à Sullivan Rouaud en coordinateur de cette rencontre, à l'interprète Miyako Slocombe, à Japan Expo, et aux autres médias présents.

commentaires

POM

De POM, le 03 Novembre 2025 à 15h32

Merci pour cette nouvelle interview très sympa à lire :)

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