Interview de Xiao Dao autour de The Lion in Manga Library- Actus manga
actualité manga - news illustration

Manga Interview de Xiao Dao autour de The Lion in Manga Library

Samedi, 09 Septembre 2023 à 16h00 - Source :Rubrique interviews

Pour leur première participation à Japan Expo, les jeunes éditions Komogi nous ont fait le plaisir d’inviter Xiao Dao, l’autrice taïwanaise de leur tout premier manga The Lion in Manga library, une œuvre abordant à la fois l’univers du go et les librairies de prêt de manga de façon originale et assez prenante. Bien évidemment, ce fut l’occasion pour nous d’aller à la rencontre de cette autrice qui s’est révélée être l’une des excellentes surprises du salon, tant elle a de choses à raconter ! A l’occasion de la sortie cette semaine du tome 3 de sa série, nous vous invitons à découvrir aujourd’hui notre interview.




Xiao Dao, merci d'avoir accepté cette interview. A l'origine, qu'est-ce qui vous a donné envie de faire du manga ? Avez-vous suivi un parcours particulier pour ça ?

Xiao Dao : Depuis toute petite j'aimais déjà beaucoup dessiner, mais à Taïwan c'est extrêmement dur de vivre uniquement du dessin, donc j'ai d'abord fait des études en kinésithérapie pendant un certain temps à l'université. Mais au cours de mes études j'ai compris que je serais incapable de faire ça toute ma vie. A partir de cette prise de conscience, j'ai retiré de ma vie ce qui ne me convenait pas, et c'est uniquement le manga qui est resté.

J'ai commencé à dessiner du manga de façon intensive uniquement à partir de la fac, du coup, mais j'ai toujours été une lectrice très avide de mangas, donc quand j'ai commencé je me suis tout de suite sentie à l'aise.

Cependant, faire du manga de manière professionnelle demande beaucoup de temps, donc entre ma décision d'en faire et la mise en pratique il s'est écoulé environ 9 ans. Je trouve que j'ai beaucoup de chance, car pour moi 9 ans ce n'est pas si long que ça, je pensais que ça me prendrait une quinzaine d'années avant d'avoir un bon niveau et de pouvoir être publiée.


Votre série pullule de clins d'oeil à des mangas, on sent votre passion et vos connaissances dans le domaine. Du coup, quels sont vos mangas et mangakas de référence ?

En réalité, le nombre de mangas qui m'ont influencée est énorme. Mais si je dois en citer qui sont plus importants, il y a tout d'abord Vagabond de Takehiko Inoue, puis Monster de Naoki Urasawa, et Bride Stories de Kaoru Mori.

Enfin, je dois en citer un dernier qui est sans doute moins connu, et il s'agit de Wolfsmund de Mitsuhisa Kuji, car il raconte l'histoire de l'indépendance de la Suisse, qui rappelle la situation politique de Taïwan, mon pays n'étant pas encore entièrement indépendant. Si on veut obtenir ce qu'on veut, il faut se préparer à faire des sacrifices. C'est une oeuvre importante pour moi, car elle représente un objectif à atteindre, et cet objectif est encore extrêmement loin pour les Taïwanais, car je ne pense pas qu'on soit encore prêts à faire ces sacrifices.




Vous semblez avoir un goût pour les mangas à connotation historique...

C'est plus ou moins une coïncidence. Ce que j'aime surtout, ce sont les mangas qui sont ancrés dans un univers vraiment construit, profond et bien réfléchi.


The Lion in Manga Library associe deux thèmes assez différents : le go, et le manga via notamment les librairies de prêt. Comment vous est venue l'idée de combiner ces deux sujets ?

Ce sont deux choses que j'adore. Je suis moi-même joueuse et professeure de go, et je connais très bien l'univers des librairies de prêts en voie de disparition car j'effectue moi aussi le genre de travail que fait mon héroïne en aidant ces établissements à fermer.

C'est un peu par hasard si j'ai choisi de combiner ces deux sujets, mais c'est aussi parce que ce sont des choses qui sont un peu en train de disparaître. Les librairies de prêt sont vraiment en déclin, et les personnes souhaitant apprendre des sports cérébraux comme le go ou les échecs sont de moins en moins nombreuses parce qu'on vit à une époque où il y a énormément de divertissements. Si on parle uniquement de mangas, même pour le manga japonais je pense que l'heure de gloire, le sommet est déjà passé. Par ces années dorées, je désigne surtout l'aspect commercial, le nombre de ventes. Mais d'un point de vue histoires et créativité, le Japon continue encore et encore de se renouveler, de ce côté-là le manga a encore de beaux jours devant lui. On retrouve aussi ce renouvellement dans le go avec l'arrivée de l'intelligence artificielle. En somme, on ne cesse de se réinventer et de continuer à progresser, mais malgré tout il y a de moins en moins de gens vraiment passionnés qui vont s'intéresser au go.




Du coup, l'intelligence artificielle dans le go, est-ce plutôt une bonne ou une mauvaise chose à vos yeux ?

C'est une très bonne chose. Je pense qu'il fallait que quelque chose surpasse l'humain pour le pousser à aller encore plus loin. Il se trouve qu'aujourd'hui c'est l'intelligence artificielle qui a surpassé l'homme, et j'ai été extrêmement bouleversée la première fois que j'ai vu une I.A. gagner au go car je pensais ça inconcevable. Moi qui aime et pratique le go depuis si longtemps, je pense être capable d'en apprécier tous les aspects et les innovations.


Du coup, qu'est ce qui vous attire tant dans ce sport cérébral ?

Le plus évident et simple, c'est la joie quand on gagne. Sinon c'est la sensation de progresser, ainsi que les moments où l'on se surprend soi-même en effectuant des coups dont on ne se pensait pas capable ou qui sont différents de ce qu'on fait d'habitude. Il y a aussi le fait de jouer avec des personnes que l'on connaît bien ou qu'on apprécie: on peut les observer, essayer de comprendre leur manière de penser... Il y a une autre façon d'appeler le go, qui pourrait être traduit par "le dialogue de la main", c'est-à-dire passer par la main pour échanger et dialoguer avec l'autre, et je trouve ça très réel.




Vous abordez notamment le go via ses évolutions de ces dernières années comme la percée de l'IA, mais aussi via ses limites comme la pression (parentale, de soi-même...). Quel regard posez-vous là dessus ?

Dans les familles asiatiques il est assez courant de voir la pression que les familles mettent sur leurs enfants. Il arrive très fréquemment que les parents imposent des exigences qui sont au-delà de leurs propres capacités. Même si aujourd'hui il y a sûrement de moins en moins de parents qui vont recourir à la violence physique comme on en voit dans mon manga, ça existe quand même encore. Et très souvent, la manière dont les parents asiatiques traitent leurs enfants montre un évident manque de respect. Et généralement, les enfants qui ont été traités de cette manière-là vont traiter le monde autour d'eux de la même manière, comme un effet miroir. Pour moi, pour arriver au sommet, il n'y a pas besoin de cette pression, il n'y a pas besoin que quelqu'un vienne nous forcer. On peut y arriver par soi-même.


En manga sur le go, l'inévitable référence en la matière est Hikaru no Go. Que pensez vous de cette série et de sa manière d'aborder le go ?

Je pense que c'est vraiment un magnifique classique du manga de go, et du manga tout court. Il est extrêmement riche, notamment dans sa manière d'exprimer les relations et les émotions entre les personnages. Je me vois moi-même à mon niveau, et je suis incapable d'atteindre cette dimension-là. Il y a de très nombreux passages extrêmement émouvants. Rien que quand Hikaru joue, termine une partie puis regarde systématiquement derrière lui à gauche son mentor Sai, un peu comme s'il recherchait son approbation ou sa reconnaissance, c'est beau. Et même après le bouleversement du tome 15, il continue de regarder derrière lui, ce qui en dit long. Pour moi, c'est l'expression très sincère de la façon dont le corps se souvient de l'amour.




Concernant l'abord du manga dans la série, vous parlez notamment de certaines lois taïwanaises de censure et des libraires de prêt qui disparaissent. Quelle documentation cela a-t-il demandé ? Et vous personnellement, que pensez-vous des évolutions modernes entraînant la disparition de ce type d'établissement ?

J'ai interviewé de nombreux libraires de prêt, et ai pu aussi beaucoup échanger avec eux en les aidant à fermer, pour les connaître vraiment. Il y a également de nombreux chercheurs taïwanais qui ont écrit des notes et thèses sur ces sujets.

Concernant leur disparition, en tant que bouddhiste, je considère que toute chose est éphémère, et il en est de même pour les librairies de prêt. En tant qu'humains, tout ce qu'on peut faire, c'est apprécier le moment présent et les choses tant qu'elles sont là.


The Lion in Manga Library étant votre toute première série professionnelle, quelles difficultés rencontrez vous pour la mener à bien, en tant que débutante ?

La plus grande difficulté était, en écrivant le tome 3, de bien dépeindre la tournure que prend l'intrigue. J'ai réfléchi très longtemps à cette partie de l'histoire, et ai essayé une trentaine de manières différentes de la mettre en scène jusqu'à parvenir à un résultat me satisfaisant vraiment. Je parle un peu de ces difficultés dans les pages bonus de ce 3e volume.

Aujourd'hui, en retournant regarder les deux premiers tomes, je vois beaucoup de choses qui pourraient être améliorées, mais à l'époque c'était tout ce que j'étais capable de faire, ça représentait mon meilleur niveau du moment, donc je ne veux pas y retoucher.




La série a été récompensée en 2021 aux Golden Comic Awards. Que représente ce prix pour vous ?

En réalité, c'est un prix qui est très jeune, car on n'en est qu'à la 13e édition. Sans faire de comparaison, j'estime que le jury n'est pas encore assez mature. Il faudrait vraiment faire abstraction des goûts personnels du jury. Je pense que la part de chance dans l'obtention de ce prix est très importante. Evidemment, je ne trouve pas mon oeuvre mauvaise, mais je trouve que j'ai encore une énorme marge de progression, donc recevoir un prix me semble prématuré.


Votre représentation graphique des traumatismes des héros est assez violente, comme quand Tung se griffe jusqu'au sang. Pourquoi ce un peu choix excessif ?

j'ai déjà eu à traiter des patients qui avaient des problèmes psychologiques, et quand ils étaient en crise ce genre de chose pouvait vraiment arriver. Cependant, ce que je décris dans mon manga ne représente pas vraiment l'état traumatique d'un patient schizophrène, car en pleine crise de schizophrénie on serait incapable de jouer au go. Ce que j'essaie de montrer dans ce manga, c'est un peu un état de folie un peu romancé quand on joue au go.




Les héros sont tous deux meurtris en profondeur par leur pratique intense du go, ils semblent en mesure de se comprendre, d'oser se dévoiler petit à petit l'un à l'autre, pour peut-être parvenir à cicatriser mutuellement leurs blessures. Comment travaillez-vous cette relation ?

J'estime que mes personnages ne sont pas vraiment en train de se guérir mutuellement, ou en tout cas pas directement. Quoi qu'il nous arrive dans la vie, il n'y a que nous-mêmes qui pouvons réellement soigner nos problèmes. Même si dans mon histoire on trouve des moments où ils sont plus intimement en contact, en réalité c'est sur eux-mêmes qu'ils agissent. Parce que finalement, chaque personne doit suivre son propre chemin et se prendre en mains soi-même.


C'est exactement ce que nous disait Yanai en interview la veille (lire notre interview de Yanai).

C'est une vision qui est très bouddhique, parce que c'est quelque chose qu'on enseigne dans le Bouddhisme.




Visuellement il y a pas mal de densité et de verve. Certains décors (de bâtiments notamment) se veulent assez riches et impressionnants, il y a un petit paquet d'angles de vue et perspectives ambitieux, certaines planches au découpage plus déstructuré (pour coller au ressenti psychologique des personnages) sont du plus bel effet... Comment travaillez-vous ce rendu visuel ?

Je pense en premier lieu à l'histoire et à la manière dont elle doit se dérouler. Après avoir décidé ça, les idées visuelles me viennent assez naturellement. J'imagine que ça me vient inconsciemment de mes très nombreuses lectures de mangas, car je suis une lectrice extrêmement avide (j'ai actuellement plus de 10000 mangas chez moi).

J'ai plus ou moins de la chance, car vu que The Lion in Manga Library est mon premier manga, il n'y a pas de comparaison avec des oeuvres précédentes, donc tout ce que je vais pouvoir sortir sera vraiment nouveau en tant qu'autrice, avec plein de choses à expérimenter et aucun risque de me répéter pour le moment.


Interview menée par Koiwai. Un grand merci à Xiao Dao, à son interprète et aux éditions Komogi !

commentaires

Cm17

De Cm17, le 10 Septembre 2023 à 08h10

Très interressante interview de cette mangaka Taïwanaise, qui donne envie de s'intéresser de plus près à son " The Lion in a Manga Library ".

Merci à l'équipe 👍

VOTRE AVIS



Si vous voulez créer un compte, c'est ICI et c'est gratuit!

> Conditions d'utilisation