Manga Nouvelle interview de Kan Takahama, autour de L'Amant, du Goût d'Emma et de La lanterne de Nyx
Kan Takahama est une autrice plus que présente dans nos contrées depuis quelques mois. Outre ses ouvrages qui paraissent à un rythme très régulier, L'Amant étant justement sa dernière parution en date en France tandis que la parution de La Lanterne de Nyx se poursuit, la mangaka est aussi très présente sur les salons. Quelques mois après sa venue à Livre Paris 2019, elle était de retour au Festival International de la Bande-Dessinée d'Angoulême, célébrant justement la sortie de L'Amant.
Nous avons eu l'occasion de rencontrer l'artiste à plusieurs reprises, et ne boudons jamais notre plaisir quand il s'agit de la retrouver pour parler de ses travaux. Aussi, c'est une nouvelle rencontre autour de L'Amant, mais aussi autour du Goût d'Emma et de la Lanterne de Nyx, que nous vous proposons aujourd'hui.
Lors de notre dernière entrevue, nous n'avons pas eu le temps d'aborder Le Goût d'Emma, c'est l'occasion de remédier à ça. Comment êtes-vous arrivée sur ce projet ?
Kan Takahama : Ça remonte à quelques années, alors je vais laisser mon agente répondre.
Corinne Quentin : Kan étant au Japon, c'est moi que les éditions Les Arènes ont contacté, car ils étaient à la recherche d'un dessinateur, sachant qu'ils avaient déjà le scénario d'Emmanuelle Maisonneuve et Julia Pavlowitch. Je leur ai proposés Kan, et le projet s'est fait. Ils ont été très content de ce choix.
Vous avez l'air de beaucoup apprécier la culture française. Ainsi, vous retrouver sur un ouvrage abordant la gastronomie du pays vous a-t-il particulièrement enthousiasmée ?
Kan Takahama : A l'Université, j'avais pris le français comme deuxième langue vivante. Aussi, quand j'étais plus jeune, j'ai fait un séjour linguistique d'un mois en France, chez l'habitant.
Depuis que j'ai commencé à dessiner, j'ai toujours eu beaucoup d'occasions de travailler avec la France. Ma position a beaucoup évolué, sachant que j'étais rêveuse par rapport à ce pays. Mais je continue de respecter cette culture et le pays qui m'accueille.
Bien que Le Goût d'Emma parle de la vie d'Emmanuelle Maisonneuve, pensez-vous qu'il y a un peu de vous dans le personnage ?
Kan Takahama : Peut-être, oui. Notamment quand Emma panique, c'est un peu moi. (rires)
Concernant La Lanterne de Nyx, c'est votre plus longue série à l'heure actuelle. A-t-elle représenté un challenge pour vous, sachant que vous êtes plutôt habituée aux histoires en un volume ?
Kan Takahama : Hmmm... Pas vraiment. La durée de l’œuvre est liée au système de prépublication japonais en feuilleton, dans les magazines. Quand on travaille pour la première fois pour une revue, on débute généralement par une parution en chapitres qui donneront un unique volume, au final. Si l’œuvre a suffisamment d'écho, on peut décider de prolonger sur une série plus longue. J'avais déjà des idées de projets plus aboutis, mais je n'avais pas encore eu la possibilité de les faire passer. Maintenant, mon éditeur me laisse davantage développer des histoires plus denses.
La Lanterne de Nyx est désormais terminé. Avec du recul, êtes-vous satisfaite de la série, dans sa globalité ?
Kan Takahama : Oui, j'en suis assez fière. J'ai fait une fin qui laissait en suspens le lecteur, mais me suis aperçue que cette conclusion était satisfaisante. Ça m'a rassurée. Mais vu que la série n'est pas encore finie en France, je n'en dirai pas plus. (rires)
Parlons maintenant de L'Amant, adaptation du roman de Marguerite Duras. Lorsque vous avez lu pour la première fois l’œuvre originale, quelles furent vos impressions ? Et, même s'il y a des éléments de réponse dans la postface de l'ouvrage, pourquoi avoir choisi ce roman plus qu'un autre ?
Kan Takahama : Le style de Marguerite Duras est puissant, et ses mots sont forts. Elle donne l'impression d'une position critique. Mais si on prend de la distance et qu'on regarde Duras avec un œil tiers, on se rend compte qu'elle était en position de faiblesse, ou de difficulté. Elle n'avait pas de moyens financiers, n'a pas été choisie par celui qu'elle aime et n'a pas été acceptée par la culture chinoise...
Quand elle décide de partir, c'est comme si on l'avait poussée à prendre cette décision, et c'est extrêmement triste ! J'ai eu l'impression que cette force qu'elle montre est une réaction à cette position de faiblesse.
Pas mal de lecteurs disent qu'ils n'ont pas vraiment aimé le roman, ou qu'ils se sont arrêté en cours de route. Mais je pense que Duras, derrière ces mots, voulaient exprimer encore d'autres choses. C'est ce qui était intéressant : essayer de découvrir ce qu'il y avait derrière ce roman, ce qu'elle avait dissimulé.
L'Amant parle beaucoup des conventions sociales d'époque, un thème qu'on retrouve dans vos autres œuvres, comme Le dernier envol du papillon. Est-ce un sujet qui vous interpelle personnellement ?
Kan Takahama : J'ai le sentiment d'avoir vécu ces situations plusieurs fois, à titre personnel. Dans notre époque contemporaine, moi-même, et y compris des amis, nous sommes trouvés dans ce genre de situation. Par exemple, une amie a eu une relation avec un chinois, mais la famille de ce dernier refusait que leur fils se marie avec une japonaise. Ce sont des cas de figure qui existent encore, de nos jours. J'ai aussi vécu ce genre d'expérience.
Une autre similarité entre L'Amant et vos autres œuvres, c'est la relation amoureuse complexe. On en trouve dans vos autres mangas, y compris dans La Lanterne de Nyx. Est-ce un type de relation que vous aimez développer ?
Kan Takahama : J'ai une assez longue expérience de l'alcoolisme, qui m'a entrainée dans des relations complexes et difficiles. Mais je sais que je ne suis pas la seule à avoir eu ce genre de liaison, alors peut-être qu'en parler me permet de toucher des personnes aussi concernées. Je reçois souvent des lettres de lecteurs qui ont retrouvé du courage grâce à mes œuvres. Ça a mis un peu de baume sur mes blessures. Je pense donc que raconter ce type d'histoires a du sens, ne serait-ce pour les lecteurs.
En France, nous vous voyons pour la deuxième fois sur une période assez courte, puisque vous êtes venue nous rendre visite au printemps dernier. Rencontrez-vous aussi vos lecteurs japonais, via des séances de dédicace ?
Kan Takahama : Oui, ça arrive. Mais j'ai réduit ce type de rencontre, tout comme j'ai réduit les échanges trop réguliers avec le lectorat, via les réseaux sociaux. Bien entendu, rencontrer ses lecteurs est une bonne chose, et cela permet des échanges intéressants. Mais je pense que c'est mieux encore de prendre plus de temps pour mon travail, afin de créer de bonnes histoires. C'est aussi bénéfique pour les lecteurs. (rires)
Revenons à L'Amant. Quelles furent les grandes difficultés dans l'adaptation du roman de Marguerite Duras ?
Kan Takahama : Au début, je pensais m'approprier l'histoire, et la retranscrire à ma manière. Mais, en cours de route, j'ai préféré rester fidèle au roman. J'avais commencé à écrire certains dialogues que j'ai fini par retirer.
Aimeriez-vous adapter une autre œuvre littéraire en manga ? Qu'elle soit française ou internationale...
Kan Takahama : Pour être franche, ce qui me plait le plus est de créer les histoires moi-même. Mais on apprend aussi beaucoup en adaptant l'intrigue de quelqu'un d'autre, donc pourquoi pas.
On y apprend deux choses, au choix : Soit à se plonger soi-même dans une histoire, soit, au contraire, à se retenir et laisser vivre l'intrigue existante.
Au Japon, vous avez récemment lancé un nouveau manga, Oogishima Saijiki. Sachant que nous ne connaissons pas encore le titre en France, pouvez-vous dire quelques mots autour de cette nouvelle histoire ?
Kan Takahama : C'est une histoire qui se déroule une dizaine d'année avant La Lanterne de Nyx, à la fin de l'époque d'Edo, les deux années avant le passage à l'ère Meiji. Le personnage principal est Tama, une jeune femme que nous avons vu enfant dans Le dernier envol du papillon, puis adulte dans La Lanterne de Nyx. Elle est née dans une maison close, et devra devenir prostituée arrivée à un certain âge. Dans ce manga, elle a 15 ans. Elle connaît son destin, mais reste encore relativement libre. On suit donc son histoire, avec en décor la fin de l'ère Edo. Certains personnages de La lanterne de Nyx y apparaissent, c'est vraiment toute une saga. (rires)
Justement, lors de notre interview précédente, vous nous aviez confié qu'il y aurait une troisième série dans le cadre du Dernier envol du papillon et de La lanterne de Nyx. Est-ce celle-là ?
Kan Takahama : Au début, cette troisième série devait être une autre histoire, mais ça a changé. (rires)
La lanterne de Nyx a eu plus de succès que prévu. Avec l'éditeur, nous avons donc opté pour cette histoire.
Remerciements à Kan Takahama, à son agente et interprète Corinne Quentin, ainsi qu'à Doriane Sibilet des éditions Rue de Sèvres pour l'organisation de la rencontre.
Nous avons eu l'occasion de rencontrer l'artiste à plusieurs reprises, et ne boudons jamais notre plaisir quand il s'agit de la retrouver pour parler de ses travaux. Aussi, c'est une nouvelle rencontre autour de L'Amant, mais aussi autour du Goût d'Emma et de la Lanterne de Nyx, que nous vous proposons aujourd'hui.
Lors de notre dernière entrevue, nous n'avons pas eu le temps d'aborder Le Goût d'Emma, c'est l'occasion de remédier à ça. Comment êtes-vous arrivée sur ce projet ?
Kan Takahama : Ça remonte à quelques années, alors je vais laisser mon agente répondre.
Corinne Quentin : Kan étant au Japon, c'est moi que les éditions Les Arènes ont contacté, car ils étaient à la recherche d'un dessinateur, sachant qu'ils avaient déjà le scénario d'Emmanuelle Maisonneuve et Julia Pavlowitch. Je leur ai proposés Kan, et le projet s'est fait. Ils ont été très content de ce choix.
Vous avez l'air de beaucoup apprécier la culture française. Ainsi, vous retrouver sur un ouvrage abordant la gastronomie du pays vous a-t-il particulièrement enthousiasmée ?
Kan Takahama : A l'Université, j'avais pris le français comme deuxième langue vivante. Aussi, quand j'étais plus jeune, j'ai fait un séjour linguistique d'un mois en France, chez l'habitant.
Depuis que j'ai commencé à dessiner, j'ai toujours eu beaucoup d'occasions de travailler avec la France. Ma position a beaucoup évolué, sachant que j'étais rêveuse par rapport à ce pays. Mais je continue de respecter cette culture et le pays qui m'accueille.
Bien que Le Goût d'Emma parle de la vie d'Emmanuelle Maisonneuve, pensez-vous qu'il y a un peu de vous dans le personnage ?
Kan Takahama : Peut-être, oui. Notamment quand Emma panique, c'est un peu moi. (rires)
Concernant La Lanterne de Nyx, c'est votre plus longue série à l'heure actuelle. A-t-elle représenté un challenge pour vous, sachant que vous êtes plutôt habituée aux histoires en un volume ?
Kan Takahama : Hmmm... Pas vraiment. La durée de l’œuvre est liée au système de prépublication japonais en feuilleton, dans les magazines. Quand on travaille pour la première fois pour une revue, on débute généralement par une parution en chapitres qui donneront un unique volume, au final. Si l’œuvre a suffisamment d'écho, on peut décider de prolonger sur une série plus longue. J'avais déjà des idées de projets plus aboutis, mais je n'avais pas encore eu la possibilité de les faire passer. Maintenant, mon éditeur me laisse davantage développer des histoires plus denses.
La Lanterne de Nyx est désormais terminé. Avec du recul, êtes-vous satisfaite de la série, dans sa globalité ?
Kan Takahama : Oui, j'en suis assez fière. J'ai fait une fin qui laissait en suspens le lecteur, mais me suis aperçue que cette conclusion était satisfaisante. Ça m'a rassurée. Mais vu que la série n'est pas encore finie en France, je n'en dirai pas plus. (rires)
Parlons maintenant de L'Amant, adaptation du roman de Marguerite Duras. Lorsque vous avez lu pour la première fois l’œuvre originale, quelles furent vos impressions ? Et, même s'il y a des éléments de réponse dans la postface de l'ouvrage, pourquoi avoir choisi ce roman plus qu'un autre ?
Kan Takahama : Le style de Marguerite Duras est puissant, et ses mots sont forts. Elle donne l'impression d'une position critique. Mais si on prend de la distance et qu'on regarde Duras avec un œil tiers, on se rend compte qu'elle était en position de faiblesse, ou de difficulté. Elle n'avait pas de moyens financiers, n'a pas été choisie par celui qu'elle aime et n'a pas été acceptée par la culture chinoise...
Quand elle décide de partir, c'est comme si on l'avait poussée à prendre cette décision, et c'est extrêmement triste ! J'ai eu l'impression que cette force qu'elle montre est une réaction à cette position de faiblesse.
Pas mal de lecteurs disent qu'ils n'ont pas vraiment aimé le roman, ou qu'ils se sont arrêté en cours de route. Mais je pense que Duras, derrière ces mots, voulaient exprimer encore d'autres choses. C'est ce qui était intéressant : essayer de découvrir ce qu'il y avait derrière ce roman, ce qu'elle avait dissimulé.
L'Amant parle beaucoup des conventions sociales d'époque, un thème qu'on retrouve dans vos autres œuvres, comme Le dernier envol du papillon. Est-ce un sujet qui vous interpelle personnellement ?
Kan Takahama : J'ai le sentiment d'avoir vécu ces situations plusieurs fois, à titre personnel. Dans notre époque contemporaine, moi-même, et y compris des amis, nous sommes trouvés dans ce genre de situation. Par exemple, une amie a eu une relation avec un chinois, mais la famille de ce dernier refusait que leur fils se marie avec une japonaise. Ce sont des cas de figure qui existent encore, de nos jours. J'ai aussi vécu ce genre d'expérience.
Une autre similarité entre L'Amant et vos autres œuvres, c'est la relation amoureuse complexe. On en trouve dans vos autres mangas, y compris dans La Lanterne de Nyx. Est-ce un type de relation que vous aimez développer ?
Kan Takahama : J'ai une assez longue expérience de l'alcoolisme, qui m'a entrainée dans des relations complexes et difficiles. Mais je sais que je ne suis pas la seule à avoir eu ce genre de liaison, alors peut-être qu'en parler me permet de toucher des personnes aussi concernées. Je reçois souvent des lettres de lecteurs qui ont retrouvé du courage grâce à mes œuvres. Ça a mis un peu de baume sur mes blessures. Je pense donc que raconter ce type d'histoires a du sens, ne serait-ce pour les lecteurs.
En France, nous vous voyons pour la deuxième fois sur une période assez courte, puisque vous êtes venue nous rendre visite au printemps dernier. Rencontrez-vous aussi vos lecteurs japonais, via des séances de dédicace ?
Kan Takahama : Oui, ça arrive. Mais j'ai réduit ce type de rencontre, tout comme j'ai réduit les échanges trop réguliers avec le lectorat, via les réseaux sociaux. Bien entendu, rencontrer ses lecteurs est une bonne chose, et cela permet des échanges intéressants. Mais je pense que c'est mieux encore de prendre plus de temps pour mon travail, afin de créer de bonnes histoires. C'est aussi bénéfique pour les lecteurs. (rires)
Revenons à L'Amant. Quelles furent les grandes difficultés dans l'adaptation du roman de Marguerite Duras ?
Kan Takahama : Au début, je pensais m'approprier l'histoire, et la retranscrire à ma manière. Mais, en cours de route, j'ai préféré rester fidèle au roman. J'avais commencé à écrire certains dialogues que j'ai fini par retirer.
Aimeriez-vous adapter une autre œuvre littéraire en manga ? Qu'elle soit française ou internationale...
Kan Takahama : Pour être franche, ce qui me plait le plus est de créer les histoires moi-même. Mais on apprend aussi beaucoup en adaptant l'intrigue de quelqu'un d'autre, donc pourquoi pas.
On y apprend deux choses, au choix : Soit à se plonger soi-même dans une histoire, soit, au contraire, à se retenir et laisser vivre l'intrigue existante.
Au Japon, vous avez récemment lancé un nouveau manga, Oogishima Saijiki. Sachant que nous ne connaissons pas encore le titre en France, pouvez-vous dire quelques mots autour de cette nouvelle histoire ?
Kan Takahama : C'est une histoire qui se déroule une dizaine d'année avant La Lanterne de Nyx, à la fin de l'époque d'Edo, les deux années avant le passage à l'ère Meiji. Le personnage principal est Tama, une jeune femme que nous avons vu enfant dans Le dernier envol du papillon, puis adulte dans La Lanterne de Nyx. Elle est née dans une maison close, et devra devenir prostituée arrivée à un certain âge. Dans ce manga, elle a 15 ans. Elle connaît son destin, mais reste encore relativement libre. On suit donc son histoire, avec en décor la fin de l'ère Edo. Certains personnages de La lanterne de Nyx y apparaissent, c'est vraiment toute une saga. (rires)
Justement, lors de notre interview précédente, vous nous aviez confié qu'il y aurait une troisième série dans le cadre du Dernier envol du papillon et de La lanterne de Nyx. Est-ce celle-là ?
Kan Takahama : Au début, cette troisième série devait être une autre histoire, mais ça a changé. (rires)
La lanterne de Nyx a eu plus de succès que prévu. Avec l'éditeur, nous avons donc opté pour cette histoire.
Remerciements à Kan Takahama, à son agente et interprète Corinne Quentin, ainsi qu'à Doriane Sibilet des éditions Rue de Sèvres pour l'organisation de la rencontre.