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Manga Interview de Sansuke Yamada, l'auteur du manga Sengo

Dimanche, 05 Juillet 2020 à 18h00 - Source :Rubrique interviews

Le 1er juillet a vu la parution aux éditions Sakka/Casterman du troisième volume de Sengo, récit nous immisçant avec réalisme et passion dans le Japon d'après-guerre entre autres, aux côtés d'un improbable duo de héros humains et réunis par les aléas de la guerre.

Ainsi, l'occasion est idéale pour vous dévoiler notre interview de son auteur Sansuke Yamada, qui était présent au FIBD d'Angoulême il y a quelques mois. Une interview qui fait suite à la conférence croisée du mangaka avec l'artiste Baron Yoshimoto puis à sa conférence publique, sur lesquelles nous étions déjà revenus précédemment.

Une très jolie rencontre,qui nous a également permis de poser quelques questions à Madame Aoki, la responsable éditoriale de Monsieur Yamada au sein du Comic Beam, le prestigieux magazine dans lequel fut publié Sengo.




Sansuke Yamada, merci d'avoir accepté cette interview. Vous êtes un artiste touche à tout : musicien, illustrateur, comédien, mangaka… Qu'est-ce qui vous plaît dans cette diversité ?

Sansuke Yamada : C'est moi qui vous remercie d'avoir voulu me rencontrer.

Musicien est un grand mot ! Je ne suis pas instrumentiste, je me contente de chanter. Je pense que psychologiquement c'est important pour moi d'avoir des activités différentes, car quand on dessine on est enfermé chez soi, on se renferme un peu sur soi-même. Alors chanter devant des gens, ça me permet d'évacuer tout le stress que je peux accumuler quand je dessine.

Cela dit, je chante aussi pendant que je dessine (rires).


Dans Sengo, vous traitez les choses sans tabou: les morts violentes comme des décapitations sont là, le sexe est omniprésent et n'est pas vraiment caché, néanmoins ce n'est jamais gratuit ou exagéré. Pourquoi ce choix d'être assez direct ? Et comment avez-vous trouvé l'équilibre pour montrer les choses assez directement sans tomber dans l'excès ?

Je ne suis pas le genre d'auteur très doué pour présenter les choses dans l'excès, que ce soit la violence ou d'autres choses. Ce n'est pas dans mon naturel, donc je pense que cet équilibre est une chose qui m'est venue relativement naturellement.



Une question pour Madame Aoki, votre responsable éditoriale sur Sengo au sein du magazine Comic Beam. Qu'est-ce qui vous a plu dans le projet de M. Yamada ? Aviez-vous tout de même des réticences face à ce sujet délicat, ou étiez-vous emballée dès le départ ?

Madame Aoki : Quand j'ai vu le projet arriver, j'ai eu de l'intérêt pur pour celui-ci, dans la mesure où c'était un sujet intéressant qui n'était pas beaucoup traité. J'ai trouvé qu'il y avait du sens à présenter une époque qui commençait à être oubliée par nos contemporains.

Et dans le sens inverse, des inquiétudes, je n'en ai pas vraiment eues, à part le fait qu'il fallait que moi aussi je sois à la hauteur et que je me mette à niveau culturellement pour pouvoir suivre le projet sur le plan éditorial.



Selon Monsieur Yamada, quelle est l'essence du Comic Beam, étant donné que c'est un magazine ayant une identité forte avec des auteurs à la patte assez personnelle ?

Sansuke Yamada : L'impression que je vais donner, c'est plus celle de l'auteur qui y publie, que celle du lecteur.

Ce qui m'a frappé quand j'ai commencé à publier la série dans le Comic Beam, c'est qu'à aucun moment on a essayé de me reprendre, de me barrer la route sur certains points. J'ai été impressionné par ce courage, et par cette manière de faire confiance à l'auteur.

Alors qu'au départ, c'est un projet que je pensais n'avoir aucune chance de publier, et que je m'attendais à voir rejeté partout ! (rires)


Que pensez-vous de cela, Madame Aoki ?

Madame Aoki : Si le projet a été accepté, je pense que c'est parce que le Comic Beam est un environnement où on laisse travailler les responsables éditoriaux en liberté. A notre niveau, nous avons rarement des barrières pour nous empêcher d'avancer.

Monsieur Yamada a dit qu'on ne lui a jamais posé de limites, et je pense que ça vient aussi de son intention : il décrit une réalité, écrit des choses qui se sont vraiment passées. Tout ce qu'il met en scène n'est jamais gratuit, et n'a aucune intention de nuire ou de porter préjudice à qui que ce soit. Dans cette mesure, il n'y avait pas de nécessité particulière à lui imposer des barrières.



La musique a une place importante dans Sengo, que ce soit en toile de fond, ou quand vous entrecoupez le récit de paroles musicales ou de chants des personnages. Pourquoi ce choix ? Et comment avez-vous réfléchi à la mise en scène de ces moments ?

Sansuke Yamada : C'est quelque chose qui m'intéresse déjà dans les films, sans parler des comédies musicales, mais dans les films classiques. Ces espèces de moments où les personnages se mettent à chanter dans le cours normal des choses. Ces mélodies qui arrivent naturellement, au détour d'une beuverie, d'une soirée entre amis, etc...

C'est typiquement le type de scènes qui m'émeut le plus dans une œuvre cinématographique. Et comme je n'ai pas la talent nécessaire pour tourner des films, j'ai essayé de mettre en scène ça dans mes mangas.


Et quelles difficultés cela a représenté pour vous de mettre en scène ces moments-là ?

Honnêtement, il n'y a rien qui me semble difficile dans la mise en scène de ces choses-là. Ca me vient très naturellement.



Pour rester dans la musique, en toute fin d'interview dans le magazine Atom vous évoquez un chanteur français : Henri Salvador. Pourquoi lui ? Quel est votre rapport avec lui et comment l'avez-vous connu ?

Mon premier contact avec la musique de Henri Salvador s'est fait dans les années 1990, via une compilation sortie au Japon sous le titre de « Rigolo », et qui regroupe des morceaux de différentes époques de sa carrière.

J'étais très intrigué, donc je suis allé voir plus précisément sur internet de quel genre de personnage il s'agissait. Je suis tombé sur des choses très amusantes, notamment des petites scénettes où il jouait la comédie, puis chantait et repassait ensuite à la comédie. Je me suis alors rendu compte que c'était un artiste assez protéiforme.

Et en fouillant un peu, encore un peu plus tard, je suis tombé sur ses premières chansons, qui sont assez anciennes et remontent jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. J'ai notamment été très ému par une chanson qui s'appelle « Syracuse », qui date des années 60 et que vous connaissez sans doute. Et c'est comme ça qu'au fur et à mesure, par une porte un peu dérobée, et en remontant le temps, j'ai découvert toute la richesse de Henri Salvador.



Vous en avez parlé dans votre conférence qui a eu lieu plus tôt dans la journée, mais plutôt concernant la mode : comment vous êtes-vous imprégné de l'ambiance de l'époque ? Quelles documentations avez-vous utilisées pour les décors comme ceux de Tokyo ravagée ou de la garnison chinoise ?

Il s'agit principalement de photos de presse.

Pour ce qui est de la description des garnisons en Chine, je pense que les gens qui ont vraiment vécu cette époque et qui ont connu ça auraient sans doute beaucoup de remarques et de critiques à formuler, car je n'ai quasiment aucune source très précise. Mais si je me suis lancé, c'est parce que j'ai une connaissance assez encyclopédique des films des années 60 qui traitent de cette époque, notamment ceux du réalisateur Kihachi Okamoto. Je suis à peu près persuadé que lui qui a tourné dans les années 60 avait dans son staff des personnes qui avaient l'expérience de cette époque. Alors, même si les décors de ses films étaient des sets construits au Japon pour essayer de reproduire l'ambiance de la Chine de cette époque-là, j'ai le sentiment que c'est quand même quelque chose qui est assez précis et proche de la réalité. Et je pense qu'en m'inspirant de ça, je peux proposer une vision un peu japonisée de la réalité que pouvait être la Chine à cette période.

S'il se trouvait que, quelque part en Chine, un artiste lise Sengo et aurait des critiques à formuler, éventuellement sous la forme d'un manga, je serais très heureux qu'il le fasse et j'adorerais le lire. J'aimerais vraiment que mon manga ne soit pas une réponse définitive, mais plutôt un point de passage qui permettrait à d'autres de s'appuyer dessus pour proposer leur propre vision.

  

Toku et Kadomatsu, les deux héros de Sengo, ont des allures biens marquées. Comment avez-vous défini leur dégaine ?

C'est quelque chose que j'avais depuis longtemps à l'intérieur de moi, cette envie de mettre en scène deux personnages opposés, avec d'un côté un beau garçon et de l'autre un homme un peu plus bestial.


Quels outils utilisez-vous pour dessiner ? Et pour coloriser, vos illustrations et planches couleurs sur Sengo étant très reconnaissables dans leurs teintes ?

J'utilise une plume kabura-pen, notamment pour les nemu (storyboards). Ensuite, j'utilise différents types de feutres, notamment des magic, ou des feutres à l'eau ou à l'huile selon les besoins. Il m'arrive également d'utiliser des plumes quand j'ai besoin de donner plus d'épaisseur à mon trait. Mais la base, c'est le feutre.

Pour ce qui est de ma manière de fonctionner, je dessine les planches de manière analogique, ensuite je les passe au scanner pour les tramer de façon numérique. Et pour la couleur j'utilise du marqueur indélébile comme base, puis je peaufine la couleur en numérique.

  

Pour finir, une question sur le genre du gekiga, qui a eu ses heures de gloire il y a quelques décennies, puis qui est ensuite devenu un peu moins en vue. Or, Sengo peut, par certains aspects, s'inscrire dans ce genre. Qu'en pensez-vous ?

Plutôt que de réfléchir dans la lignée du gekiga, j'ai l'impression d'être plus une citation en forme d'hommage, dans la mesure où le seinen tel qu'on le connaît au Japon est né d'une espèce de réaction contre le gekiga. Moi, par le propos que j'apporte, par le trait fin typique des années 60, et même par ce duo improbable de héros opposés qui font avancer ensemble l'histoire, je pense que j'offre un manga qui est un peu comme un rappel aux origines. En tout cas, c'est la solution graphique qui me semblait le plus à-propos pour ce que je voulais raconter.

Et pour ce qui est du gekiga d'action et de l'influence que je peux en revendiquer, je dois citer le nom de Baron Yoshimoto, qui est présent lui aussi à Angoulême cette année, et pour lequel j'ai un grand respect.


Interview réalisée par Koiwai. Un grand merci à Sansuke Yamada, à Madame Aoki, à l'interprète Sébastien Ludmann pour la qualité de sa traduction, et aux éditions Sakka/Casterman pour la mise en place de cette rencontre.
  




commentaires

cm17

De cm17, le 06 Juillet 2020 à 12h18

j'apprécie beaucoup cette interview et cet auteur, merci manga news ! Très étonné qu'il connaisse Henri Salvador et mentionne les shows qui m'éblouissaient devant la télé de mes parents...dans les années 70 !?! Aie, ça pique un peu !

nolhane

De nolhane [6890 Pts], le 06 Juillet 2020 à 01h56

Merci pour cette interview intéressante et merci à l'auteur

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