Manga Rencontre avec Romain Lemaire autour d'Everdark
L'édition 2018 de Japan Expo marquait le lancement d'Everdark, nouvelle création française de fantasy signée Romain Lemaire. Un nom qui n'est pas inconnu puisque l'artiste est le cousin de Reno Lemaire, l'auteur de Dreamland, et l'a d'abord aidé en tant qu'assistant avant de se lancer dans sa propre série. Malgré son planning chargé, Romain nous a fait le plaisir d'une rencontre pour mieux nous parler d'Everdark, de son travail, mais aussi de ses inspirations...
Bonjour Romain. Peux-tu te présenter en tant qu'artiste, et nous dire comment tu en es venu au dessin ? Quelles formations as-tu suivi ?
Romain Lemaire : Je suis Romain Lemaire, j'ai 33 ans et j'adore le dessin depuis que je suis tout petit. C'est une passion qui m'a suivi durant tout mon cursus scolaire, jusqu'à la fac où j'ai fait deux années d'arts plastiques. C'est à ce moment que Reno est venu me débaucher, parce qu'il lançait Dreamland. Il fallait que ça aille vite, donc il voulait un coup de main sur les décors, ce que j'ai accepté. A cette époque, je ne savais pas si je devais intégrer une grande école comme les Gobelins, ou si je voulais plutôt faire de l'illustration ou du design de jeux-vidéo. C'était l'occasion pour moi de voir comment ça se passe en milieu professionnel, et d'apprendre à raconter des histoires sur ce petit format de 200 pages.
Au départ, je travaillais sur des petites cases, juste pour faire gagner du temps à Reno. C'est ensuite devenu plus professionnel, du tome 4 au tome 13. Avec Salim, l'autre assistant, on s'occupait des décors et des trames pour des chapitres entiers. En parallèle, je montais mon propre dossier pour les éditeurs. A partir du tome 13, j'ai arrêté mon travail sur Dreamland pour aller sur Paris et rencontrer les différentes maison d'édition. Au final, ça s'est joué entre Glénat et Pika, mais j'ai finalement choisi Pika. Et aujourd'hui, le premier tome d'Everdark est sorti, j'en suis ravi.
Ça fait donc un sacré moment que tu travailles sur le projet Everdark...
Romain Lemaire : A la base, je travaillais sur un projet de dark-fantasy, donc davantage seinen. J'ai repris énormément de ce projet pour créer Everdark car pour une première œuvre, je ne voulais pas me priver d'un type de lectorat. C'est un risque quand on travaille sur une série de type seinen. Néanmoins, le Everdark actuel reprend 80% des éléments que j'avais prévu à la base. J'ai rajouté de nouveaux personnages et créé des interactions qui me font plaisir, tout comme je prends plaisir à dessiner la série.
Tu as donc été l'assistant de Reno Lemaire, qui est ton cousin. Qu'est-ce que cette expérience t'a apporté concernant ton dessin ?
Romain Lemaire : Beaucoup de choses ! Reno est très fort en storyboard, ce qui n'était pas du tout mon cas, j'ai donc beaucoup appris sur l'art séquentiel et le découpage. Il m'a aussi enseigné tous les logiciels, pour le tramage par exemple... Ce fut très formateur. Si je n'avais pas travaillé en tant qu'assistant sur Dreamland, Everdark ne serait peut-être jamais sorti. Ou alors, il serait nettement en dessous qualitativement.
Dans ton dessin, on sent une certaine influence de Reno, vos styles ont certains points communs. Mais le tiens se démarque par quelque chose de fin et d'élégant... As-tu autres inspirations en terme de dessin ?
Romain Lemaire : Bien-sûr, et je ne m'en cache pas. Rien que le héros : il a la coupe de Vegeta, sachant que je suis fan d'Akira Fudo dans Devilman de Go Nagai... Les grands ténébreux, j'adore ça. Beaucoup de lecteurs me parlent de ressemblances avec Strider Hiryu (ndt : personne du jeu et du manga éponyme) alors que je suis beaucoup plus axé Shinobi. Évidemment, chacun ses références, et on me parle souvent de Berserk qui est l'un de mes mangas préférés. Aussi, la grosse épée renvoie facilement à la Buster Sword de Cloud, dans Final Fantasy VII. J'ai beaucoup d'influences issues du jeu-vidéo mais aussi de romans... Je fais feu de tous bois. Pour rester sur le manga et pour parler de narration, je retiens Galaxy Express 999 de Leiji Matsumoto, qui est une de mes séries de cœur. A chaque arrêt du train, on voyait une planète différente, des règles différentes... chaque chapitre était une découverte. C'est cet aspect de la rencontre avec de nouveaux univers que j'ai voulu retranscrire dans Everdark. Y suis-je parvenu ? C'est aux lecteurs de me le dire. (rires)
Everdark se déroule justement dans un univers de fantasy, voirede dark-fantasy. Peu importe le médium, es-tu un fan de fantasy en général ?
Romain Lemaire : Oui, depuis que je suis très jeune. J'ai d'abord lu Tolkien avec Le Seigneur des Anneaux, mais aussi Pug L'Apprenti de Raymond E. Feist qui est une série qui m'a fasciné. La fantasy m'a beaucoup marqué, mais pas que. La fantasy classique, à base d'elfes, de troll et de nains, a déjà été faite plein de fois, et d'excellente manière. Je ne me sentais pas de partir sur cette piste, donc je préférais créer un univers avec ses propres règles, et être en roue libre. Je suis aussi fan de mythologie nordique et de mythologie grecque. Aussi, si je veux me faire plaisir en m'inspirant de la Gorgone, je pourrais. Mais ça n'ira jamais plus loin qu'un design, et ça n'impactera pas un pan narratif de l’œuvre.
Ton style est très impressionnant : très dynamique et riche en détails... Pour arriver à un tel résultat, travailles-tu avec des assistantes ? Quelle charge de travaille représente ce résultat ?
Romain Lemaire : Je n'ai aucun assistant, mais on m'aide sur les couleurs. La couverture et les huit pages couleur sont du fait d'une amie à moi, Lena Sayaphoum, aussi dessinatrice de la bande-dessinée Emma et Capucine, éditée chez Dargaud. J'adorais son style, je lui ai donc proposé de m'aider, vu que la colo numérique n'est pas du tout mon truc. Une autre personne m'a aidé sur le logo que j'ai seulement crayonné : Noémie Chevalier. J'invite mes lecteurs à aller voir ce qu'elle fait. Évidemment, Pika m'aide beaucoup aussi. L'équipe éditoriale a fait du très bon boulot. Everdark est un travail d'équipe, c'est l’œuvre d'un peu tout le monde : de moi, des amis, des éditeurs... Je tiens à ce que cette aventure reste du partage.
On trouve deux types de colorisation différents dans le premier volume d'Everdark : sur la couverture, puis sur les pages intérieures du tome. Même si ce n'est pas toi qui a colorisé, sais-tu d'où vient cette différence de style ?
Romain Lemaire : Pour les huit pages couleur, j'ai donné carte blanche à Lena. Pour la couverture, vu qu'il s'agit d'un premier tome, Pika a eu plus son mot à dit côté visuel. On ne travaille pas une couverture comme on travaille des pages couleur, d'où cette différence côté visuel.
Justement, peux-tu nous parler de l'implication de Pika sur la série ?
Romain Lemaire : A l'époque, j'ai fait lire mon storyboard à Kim Bedenne, qui travaillait alors chez Pika. Certaines scènes fonctionnaient, d'autres moins... On a ensuite gardé cette méthode : Je montre mon storyboard complet et s'il y a des remarques, on en discute. Je suis ouvert à tout et s'il y a des éléments sur lesquels ils ont raison, je modifierai. Par la suite, notre rythme de travail a évolué au fil des tomes. Quand je suis dans la phase crayonné/encrage, je leur envoie une dizaine de pages tous les lundis. Même si j'en envoie moins, mes éditeurs savent que je travaille. Je pense que ce cadre est assez important car je suis quelqu'un de plutôt perfectionniste et si on me laissait en roue libre, je retoucherais sans cesse mes pages, comme ce que j'ai fait après le premier tome.
Depuis le début de l'élaboration du premier tome jusqu'à son bouclage, combien de temps s'est-il écoulé ?
Romain Lemaire : Le premier tome est un mauvais exemple car j'ai pris mon temps, sachant qu'il n'y avait pas d'attente particulière à ce moment. J'ai entamé le tome en 2014 et ait parfois refait des chapitres entiers. Le deal de base était de publier le tome un quand le second était quasi fini. C'est le cas, il ne reste plus que la couleur à faire (ndt : à l'heure où l'interview a été faite, en juillet 2018). Mais quand j'ai fini le tome deux, je me suis rendu compte que j'ai dessiné les visages d'une manière différente, et ait dû retoucher tous ceux du tome un. (rires)
Énormément de choses se sont donc ajoutées sur le premier opus. J'ai pu boucler le second en un an, et j'espère m'améliorer sur les prochains. Je suis aussi lecteur, et il est normal de ne pas avoir à attendre trop longtemps pour le volume suivant. L'idéal étant que lorsqu'un tome sort, le suivant est presque terminé. Ainsi, Pika a une visibilité et peut sortir le tome dès que possible. Pour le reste, c'est à moi d'avancer suffisamment pour que le volume suivant soit presque achevé quand le précédent paraît.
On sent bien que l'univers d'Everdark est vaste, et que tu pourrais le développer pendant très longtemps. As-tu déjà tout cet univers en tête, ainsi que le schéma de ta série ?
Romain Lemaire : Oui, du début à la fin. Je sais comment mes personnages naissent, ce qu'ils accomplissent, et comment ils terminent, pas forcément dans le sens morbide bien sûr. (rires)
Avec Pika, j'ai signé pour cinq tomes minimum, j'ai donc cinq volumes pour convaincre mes lecteurs. Bien-sûr, j'ai imaginé ma série au-delà de ces cinq tomes. Si malheureusement elle ne trouve pas son public, j'essaierai de conclure de façon correcte, par respect pour mes lecteurs. Mais je vise plus haut, et j'aimerais que la série aille loin. Sachant que je ne suis pas fan des séries à rallonge comme Détective Conan. Je ne me sens pas la force de tenir une série aussi longue, mais l'histoire d'Everdark telle que je l'ai imaginée ne pourra pas durer si longtemps.
On me demande beaucoup combien de tomes fera la série, mais c'est impossible pour un auteur de donner cette information. Par exemple sur le stoaryboard de mon tome deux, je ne pensais pas faire le cut de fin là où je l'ai mis. J'ai aussi créé de bonnes interactions entre les personnages, et je ne me suis pas privé de certaines scènes totalement improvisées. En faisant ça sur chaque tome, on arrive vite à dix ou vingt pages de plus, puis des volumes supplémentaires au final. Connaître un nombre précis de tomes est très compliqué, on ne peut savoir ça qu'en ayant storyboardé toute la série à l'avance. Mais ça serait contre-productif de faire ça. Par exemple, si tu es sur ton storyboard du tome cinq, tu trouveras peut-être que d'autres éléments narrés auparavant fonctionneront mieux d'une autre façon. A la limite, il faut prendre des note pour les grands arcs narratifs, mais faire des storyboards trop poussés serait absurde.
En début de Japan Expo, tu as fait un live-drawing avec Reno. Peux-tu revenir sur cette expérience ?
Romain Lemaire : C'était une première pour moi. C'était rigolo mais c'était un exercice assez particulier, car je n'ai jamais dessiné au feutre sur du grand format. Mais clairement, il ne fallait pas venir là pour voir du grand art. J'ai fait trois dessins pourris, et trois à peu près corrects. (rires)
Tu vois, dans mon style de dessin, je rature énormément puis j'ai fini par arracher la feuille. Je me demandais vraiment ce que je faisais, mais on a passé un bon moment.
Tu rencontres tes lecteurs pour la première fois. Comment se passe ce premier contact ?
Romain Lemaire : Tous les premiers retours que j'ai eu sont bienveillants, les lecteurs ont adoré ce qu'ils ont lu. Je demande à chaque fois ce que les gens ont aimé, et ce qu'ils ont moins aimé. Plusieurs personnes m'ont confié que l'univers est très dense, et qu'il faut donc bien se poser pour intégrer toutes ces données. C'est vrai que retenir toutes ces informations en lisant dans la file d'attente de Japan Expo, avec la foule, c'est compliqué. (rires)
La grande difficulté, c'est justement d'y aller à fond tout en ne perdant pas le lecteur. On passe notre temps à dessiner dans nos bureaux, le partage avec les lecteurs est donc important, et les entendre dire qu'ils apprécient la lecture signifie que le projet est lancé et qu'il y a une attente, il faut donc tout faire pour ne pas les décevoir. C'est que de la bonne énergie, et ça me motive à faire mieux pour la suite.
A propos de la fabrication du tome, elle est exemplaire, avec notamment un beau papier. C'est rare de voir ça sur du manga français. Qu'as-tu ressenti en tenant ce tome entre tes mains ?
Romain Lemaire : Oui, j'ai aussi été stupéfait devant la qualité d'impression, quand j'ai reçu le bouquin. D'une manière générale, Pika fait du très bon boulot sur la qualité d'impression : leurs tomes sont beaux et le papier utilisé est de qualité. Pour Everdark, on m'a demandé quel papier et quel type d'impression je souhaitais. Si vous êtes satisfaits de la qualité des tomes, n'hésitez pas à remercier les équipes de Pika sur leur stand.
Everdark s'inscrit, entre autre, dans la mouvance du manga de création française. C'est un essor qui prend de plus en plus, et chez tous les éditeurs. Quelle vision as-tu du manga français ?
Romain Lemaire : Je suis très fier de voir des auteurs qui tirent le niveau vers le haut. Quand on voit Tony Valente (ndt : auteur du manga Radiant) qui est maintenant édité au Japon et qui va avoir son adaptation animée, c'est une fierté. Je pense aussi à Horion qui est très beau. Je suis ravi de cette situation, et j'espère que ça ira de mieux en mieux, que les auteurs qui arriveront par la suite produiront des tomes d'encore plus grande qualité, et que les lecteurs prendront encore plus de plaisir à les lire.
Il ne faut pas croire que les auteurs français de manga cherchent à simplement copier les japonais. C'était peut-être le cas avant sur certaines œuvres, mais plus maintenant. Il y a une certaine maturité, et beaucoup d'auteurs viennent du domaine franco-belge et ont une sacrée expérience. J'adore tomber sur des gens qui m'inspirent, j'espère en voir davantage.
Certains auteurs de franco-belge t'inspirent-ils ?
Romain Lemaire : Je vais être honnête, j'en lis moins en ce moment. Mes grandes sources d'influences restent les classiques de chez classiques, c'est à dire Goscinny, Hergé et Uderzo. Côté designs torturés, j'aime beaucoup ce que fait Enki Bilal et Guarnido avec Blacksad, c'est magnifique. Il y en a d'autres, comme Moebius ou Jean Giraud qui a un encrage extraordinaire. Il y en a tellement... Je lis moins de franco-belge en ce moment, car je manque de temps. C'est comme sur les romans, j'ai énormément de choses à rattraper. Mais je fait confiance à mes amis pour me conseiller des titres que je mettrai sur ma pile de lectures en attente. Il ne faut pas croire qu'un auteur français de manga n'a lu que des mangas. Mes inspirations viennent autant du cinéma que du roman, de la bande-dessinée franco-belge, du comics... Il y a de tout. Quelqu'un qui ne s'intéresserait qu'à un seul type de média se briderait un peu. Il faut élargir ses horizons et voir tout ce qui se fait, pour enrichir ses influences.
Interview réalisée par Takato. Remerciements à Romain Lemaire pour sa disponibilité et ses réponses, et à Marie Vautrin des éditions Pika pour l'organisation de la rencontre.
Bonjour Romain. Peux-tu te présenter en tant qu'artiste, et nous dire comment tu en es venu au dessin ? Quelles formations as-tu suivi ?
Romain Lemaire : Je suis Romain Lemaire, j'ai 33 ans et j'adore le dessin depuis que je suis tout petit. C'est une passion qui m'a suivi durant tout mon cursus scolaire, jusqu'à la fac où j'ai fait deux années d'arts plastiques. C'est à ce moment que Reno est venu me débaucher, parce qu'il lançait Dreamland. Il fallait que ça aille vite, donc il voulait un coup de main sur les décors, ce que j'ai accepté. A cette époque, je ne savais pas si je devais intégrer une grande école comme les Gobelins, ou si je voulais plutôt faire de l'illustration ou du design de jeux-vidéo. C'était l'occasion pour moi de voir comment ça se passe en milieu professionnel, et d'apprendre à raconter des histoires sur ce petit format de 200 pages.
Au départ, je travaillais sur des petites cases, juste pour faire gagner du temps à Reno. C'est ensuite devenu plus professionnel, du tome 4 au tome 13. Avec Salim, l'autre assistant, on s'occupait des décors et des trames pour des chapitres entiers. En parallèle, je montais mon propre dossier pour les éditeurs. A partir du tome 13, j'ai arrêté mon travail sur Dreamland pour aller sur Paris et rencontrer les différentes maison d'édition. Au final, ça s'est joué entre Glénat et Pika, mais j'ai finalement choisi Pika. Et aujourd'hui, le premier tome d'Everdark est sorti, j'en suis ravi.
Ça fait donc un sacré moment que tu travailles sur le projet Everdark...
Romain Lemaire : A la base, je travaillais sur un projet de dark-fantasy, donc davantage seinen. J'ai repris énormément de ce projet pour créer Everdark car pour une première œuvre, je ne voulais pas me priver d'un type de lectorat. C'est un risque quand on travaille sur une série de type seinen. Néanmoins, le Everdark actuel reprend 80% des éléments que j'avais prévu à la base. J'ai rajouté de nouveaux personnages et créé des interactions qui me font plaisir, tout comme je prends plaisir à dessiner la série.
Tu as donc été l'assistant de Reno Lemaire, qui est ton cousin. Qu'est-ce que cette expérience t'a apporté concernant ton dessin ?
Romain Lemaire : Beaucoup de choses ! Reno est très fort en storyboard, ce qui n'était pas du tout mon cas, j'ai donc beaucoup appris sur l'art séquentiel et le découpage. Il m'a aussi enseigné tous les logiciels, pour le tramage par exemple... Ce fut très formateur. Si je n'avais pas travaillé en tant qu'assistant sur Dreamland, Everdark ne serait peut-être jamais sorti. Ou alors, il serait nettement en dessous qualitativement.
Dans ton dessin, on sent une certaine influence de Reno, vos styles ont certains points communs. Mais le tiens se démarque par quelque chose de fin et d'élégant... As-tu autres inspirations en terme de dessin ?
Romain Lemaire : Bien-sûr, et je ne m'en cache pas. Rien que le héros : il a la coupe de Vegeta, sachant que je suis fan d'Akira Fudo dans Devilman de Go Nagai... Les grands ténébreux, j'adore ça. Beaucoup de lecteurs me parlent de ressemblances avec Strider Hiryu (ndt : personne du jeu et du manga éponyme) alors que je suis beaucoup plus axé Shinobi. Évidemment, chacun ses références, et on me parle souvent de Berserk qui est l'un de mes mangas préférés. Aussi, la grosse épée renvoie facilement à la Buster Sword de Cloud, dans Final Fantasy VII. J'ai beaucoup d'influences issues du jeu-vidéo mais aussi de romans... Je fais feu de tous bois. Pour rester sur le manga et pour parler de narration, je retiens Galaxy Express 999 de Leiji Matsumoto, qui est une de mes séries de cœur. A chaque arrêt du train, on voyait une planète différente, des règles différentes... chaque chapitre était une découverte. C'est cet aspect de la rencontre avec de nouveaux univers que j'ai voulu retranscrire dans Everdark. Y suis-je parvenu ? C'est aux lecteurs de me le dire. (rires)
Everdark se déroule justement dans un univers de fantasy, voirede dark-fantasy. Peu importe le médium, es-tu un fan de fantasy en général ?
Romain Lemaire : Oui, depuis que je suis très jeune. J'ai d'abord lu Tolkien avec Le Seigneur des Anneaux, mais aussi Pug L'Apprenti de Raymond E. Feist qui est une série qui m'a fasciné. La fantasy m'a beaucoup marqué, mais pas que. La fantasy classique, à base d'elfes, de troll et de nains, a déjà été faite plein de fois, et d'excellente manière. Je ne me sentais pas de partir sur cette piste, donc je préférais créer un univers avec ses propres règles, et être en roue libre. Je suis aussi fan de mythologie nordique et de mythologie grecque. Aussi, si je veux me faire plaisir en m'inspirant de la Gorgone, je pourrais. Mais ça n'ira jamais plus loin qu'un design, et ça n'impactera pas un pan narratif de l’œuvre.
Ton style est très impressionnant : très dynamique et riche en détails... Pour arriver à un tel résultat, travailles-tu avec des assistantes ? Quelle charge de travaille représente ce résultat ?
Romain Lemaire : Je n'ai aucun assistant, mais on m'aide sur les couleurs. La couverture et les huit pages couleur sont du fait d'une amie à moi, Lena Sayaphoum, aussi dessinatrice de la bande-dessinée Emma et Capucine, éditée chez Dargaud. J'adorais son style, je lui ai donc proposé de m'aider, vu que la colo numérique n'est pas du tout mon truc. Une autre personne m'a aidé sur le logo que j'ai seulement crayonné : Noémie Chevalier. J'invite mes lecteurs à aller voir ce qu'elle fait. Évidemment, Pika m'aide beaucoup aussi. L'équipe éditoriale a fait du très bon boulot. Everdark est un travail d'équipe, c'est l’œuvre d'un peu tout le monde : de moi, des amis, des éditeurs... Je tiens à ce que cette aventure reste du partage.
On trouve deux types de colorisation différents dans le premier volume d'Everdark : sur la couverture, puis sur les pages intérieures du tome. Même si ce n'est pas toi qui a colorisé, sais-tu d'où vient cette différence de style ?
Romain Lemaire : Pour les huit pages couleur, j'ai donné carte blanche à Lena. Pour la couverture, vu qu'il s'agit d'un premier tome, Pika a eu plus son mot à dit côté visuel. On ne travaille pas une couverture comme on travaille des pages couleur, d'où cette différence côté visuel.
Justement, peux-tu nous parler de l'implication de Pika sur la série ?
Romain Lemaire : A l'époque, j'ai fait lire mon storyboard à Kim Bedenne, qui travaillait alors chez Pika. Certaines scènes fonctionnaient, d'autres moins... On a ensuite gardé cette méthode : Je montre mon storyboard complet et s'il y a des remarques, on en discute. Je suis ouvert à tout et s'il y a des éléments sur lesquels ils ont raison, je modifierai. Par la suite, notre rythme de travail a évolué au fil des tomes. Quand je suis dans la phase crayonné/encrage, je leur envoie une dizaine de pages tous les lundis. Même si j'en envoie moins, mes éditeurs savent que je travaille. Je pense que ce cadre est assez important car je suis quelqu'un de plutôt perfectionniste et si on me laissait en roue libre, je retoucherais sans cesse mes pages, comme ce que j'ai fait après le premier tome.
Depuis le début de l'élaboration du premier tome jusqu'à son bouclage, combien de temps s'est-il écoulé ?
Romain Lemaire : Le premier tome est un mauvais exemple car j'ai pris mon temps, sachant qu'il n'y avait pas d'attente particulière à ce moment. J'ai entamé le tome en 2014 et ait parfois refait des chapitres entiers. Le deal de base était de publier le tome un quand le second était quasi fini. C'est le cas, il ne reste plus que la couleur à faire (ndt : à l'heure où l'interview a été faite, en juillet 2018). Mais quand j'ai fini le tome deux, je me suis rendu compte que j'ai dessiné les visages d'une manière différente, et ait dû retoucher tous ceux du tome un. (rires)
Énormément de choses se sont donc ajoutées sur le premier opus. J'ai pu boucler le second en un an, et j'espère m'améliorer sur les prochains. Je suis aussi lecteur, et il est normal de ne pas avoir à attendre trop longtemps pour le volume suivant. L'idéal étant que lorsqu'un tome sort, le suivant est presque terminé. Ainsi, Pika a une visibilité et peut sortir le tome dès que possible. Pour le reste, c'est à moi d'avancer suffisamment pour que le volume suivant soit presque achevé quand le précédent paraît.
On sent bien que l'univers d'Everdark est vaste, et que tu pourrais le développer pendant très longtemps. As-tu déjà tout cet univers en tête, ainsi que le schéma de ta série ?
Romain Lemaire : Oui, du début à la fin. Je sais comment mes personnages naissent, ce qu'ils accomplissent, et comment ils terminent, pas forcément dans le sens morbide bien sûr. (rires)
Avec Pika, j'ai signé pour cinq tomes minimum, j'ai donc cinq volumes pour convaincre mes lecteurs. Bien-sûr, j'ai imaginé ma série au-delà de ces cinq tomes. Si malheureusement elle ne trouve pas son public, j'essaierai de conclure de façon correcte, par respect pour mes lecteurs. Mais je vise plus haut, et j'aimerais que la série aille loin. Sachant que je ne suis pas fan des séries à rallonge comme Détective Conan. Je ne me sens pas la force de tenir une série aussi longue, mais l'histoire d'Everdark telle que je l'ai imaginée ne pourra pas durer si longtemps.
On me demande beaucoup combien de tomes fera la série, mais c'est impossible pour un auteur de donner cette information. Par exemple sur le stoaryboard de mon tome deux, je ne pensais pas faire le cut de fin là où je l'ai mis. J'ai aussi créé de bonnes interactions entre les personnages, et je ne me suis pas privé de certaines scènes totalement improvisées. En faisant ça sur chaque tome, on arrive vite à dix ou vingt pages de plus, puis des volumes supplémentaires au final. Connaître un nombre précis de tomes est très compliqué, on ne peut savoir ça qu'en ayant storyboardé toute la série à l'avance. Mais ça serait contre-productif de faire ça. Par exemple, si tu es sur ton storyboard du tome cinq, tu trouveras peut-être que d'autres éléments narrés auparavant fonctionneront mieux d'une autre façon. A la limite, il faut prendre des note pour les grands arcs narratifs, mais faire des storyboards trop poussés serait absurde.
En début de Japan Expo, tu as fait un live-drawing avec Reno. Peux-tu revenir sur cette expérience ?
Romain Lemaire : C'était une première pour moi. C'était rigolo mais c'était un exercice assez particulier, car je n'ai jamais dessiné au feutre sur du grand format. Mais clairement, il ne fallait pas venir là pour voir du grand art. J'ai fait trois dessins pourris, et trois à peu près corrects. (rires)
Tu vois, dans mon style de dessin, je rature énormément puis j'ai fini par arracher la feuille. Je me demandais vraiment ce que je faisais, mais on a passé un bon moment.
Tu rencontres tes lecteurs pour la première fois. Comment se passe ce premier contact ?
Romain Lemaire : Tous les premiers retours que j'ai eu sont bienveillants, les lecteurs ont adoré ce qu'ils ont lu. Je demande à chaque fois ce que les gens ont aimé, et ce qu'ils ont moins aimé. Plusieurs personnes m'ont confié que l'univers est très dense, et qu'il faut donc bien se poser pour intégrer toutes ces données. C'est vrai que retenir toutes ces informations en lisant dans la file d'attente de Japan Expo, avec la foule, c'est compliqué. (rires)
La grande difficulté, c'est justement d'y aller à fond tout en ne perdant pas le lecteur. On passe notre temps à dessiner dans nos bureaux, le partage avec les lecteurs est donc important, et les entendre dire qu'ils apprécient la lecture signifie que le projet est lancé et qu'il y a une attente, il faut donc tout faire pour ne pas les décevoir. C'est que de la bonne énergie, et ça me motive à faire mieux pour la suite.
A propos de la fabrication du tome, elle est exemplaire, avec notamment un beau papier. C'est rare de voir ça sur du manga français. Qu'as-tu ressenti en tenant ce tome entre tes mains ?
Romain Lemaire : Oui, j'ai aussi été stupéfait devant la qualité d'impression, quand j'ai reçu le bouquin. D'une manière générale, Pika fait du très bon boulot sur la qualité d'impression : leurs tomes sont beaux et le papier utilisé est de qualité. Pour Everdark, on m'a demandé quel papier et quel type d'impression je souhaitais. Si vous êtes satisfaits de la qualité des tomes, n'hésitez pas à remercier les équipes de Pika sur leur stand.
Everdark s'inscrit, entre autre, dans la mouvance du manga de création française. C'est un essor qui prend de plus en plus, et chez tous les éditeurs. Quelle vision as-tu du manga français ?
Romain Lemaire : Je suis très fier de voir des auteurs qui tirent le niveau vers le haut. Quand on voit Tony Valente (ndt : auteur du manga Radiant) qui est maintenant édité au Japon et qui va avoir son adaptation animée, c'est une fierté. Je pense aussi à Horion qui est très beau. Je suis ravi de cette situation, et j'espère que ça ira de mieux en mieux, que les auteurs qui arriveront par la suite produiront des tomes d'encore plus grande qualité, et que les lecteurs prendront encore plus de plaisir à les lire.
Il ne faut pas croire que les auteurs français de manga cherchent à simplement copier les japonais. C'était peut-être le cas avant sur certaines œuvres, mais plus maintenant. Il y a une certaine maturité, et beaucoup d'auteurs viennent du domaine franco-belge et ont une sacrée expérience. J'adore tomber sur des gens qui m'inspirent, j'espère en voir davantage.
Certains auteurs de franco-belge t'inspirent-ils ?
Romain Lemaire : Je vais être honnête, j'en lis moins en ce moment. Mes grandes sources d'influences restent les classiques de chez classiques, c'est à dire Goscinny, Hergé et Uderzo. Côté designs torturés, j'aime beaucoup ce que fait Enki Bilal et Guarnido avec Blacksad, c'est magnifique. Il y en a d'autres, comme Moebius ou Jean Giraud qui a un encrage extraordinaire. Il y en a tellement... Je lis moins de franco-belge en ce moment, car je manque de temps. C'est comme sur les romans, j'ai énormément de choses à rattraper. Mais je fait confiance à mes amis pour me conseiller des titres que je mettrai sur ma pile de lectures en attente. Il ne faut pas croire qu'un auteur français de manga n'a lu que des mangas. Mes inspirations viennent autant du cinéma que du roman, de la bande-dessinée franco-belge, du comics... Il y a de tout. Quelqu'un qui ne s'intéresserait qu'à un seul type de média se briderait un peu. Il faut élargir ses horizons et voir tout ce qui se fait, pour enrichir ses influences.
Interview réalisée par Takato. Remerciements à Romain Lemaire pour sa disponibilité et ses réponses, et à Marie Vautrin des éditions Pika pour l'organisation de la rencontre.