Rencontre avec Kei Fujii, l'auteur du manga Sous un ciel nouveau- Actus manga
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Manga Rencontre avec Kei Fujii, l'auteur du manga Sous un ciel nouveau

Samedi, 14 Avril 2018 à 18h00 - Source :Rubrique Interviews

Sorti le 5 avril dernier aux éditions Ki-oon, le recueil Sous un ciel nouveau est la deuxième création originale de l'éditeur pour l'année 2018.

A la base, tout, y compris la collaboration entre Kei Fujii (scénario) et Cocoro Hirai (dessin), est né du premier chapitre de l'histoire qui offre son nom au recueil. En 2007, sa publication sur internet a rencontré un énorme succès au Japon avec plus d'un million de vues en 4 jours, si bien qu'un éditeur professionnel, Mag Garden, a proposé aux 2 auteurs d'en tirer un ouvrage dès 2008, ouvrage pour lequel le 2ème chapitre de Sous un ciel nouveau a été écrit. Puis l'histoire a fait partie de la sélection du prix Japan Media Arts Festival, et a été repérée par Ki-oon pour une édition en France. Notons que l'édition française proposée par Ki-oon diffère largement de l'édition japonaise sortie par Mag Garden en 2008 (édition japonaise qui aujourd'hui n'est plus commercialisée, l'éditeur japonais n'ayant plus les droits): seuls les chapitres 1 et 2, soit l'ensemble de l'histoire originelle de Sous un ciel nouveau, sont identiques.

Le vendredi 13 avril, nous avons eu la chance de pouvoir interviewer Kei Fujii, l'auteur des histoires, alors de passage à Paris.



Kei Fujii, merci d'avoir accepté cette interview. Vous êtes un homme à multiples facettes : diplômé en économie, informaticien, entrepreneur, auteur... Qu'est-ce qui vous a donné envie d'écrire, de concevoir des histoires ?

Kei Fujii : J'ai toujours aimé lire des livres, découvrir des histoires, et du coup en créer moi-même était une envie que j'avais depuis très longtemps. C'est pour ça que j'ai changé le contenu-même du travail que je faisais dans mon entreprise.

Quand je me promène, généralement j'aime imaginer comment sont les gens en les observant, quelles sont leurs relations, ce qu'ils pensent... Je me fais alors des histoires tout seul, de façon naturelle.



Comment vous sont venus les scénarii des 4 histoires du recueil ? Comment les avez vous imaginés ?

Pour « Sous un ciel nouveau », la première image qui m'est venue est celle d'un couple de personnes âgées, dans la campagne japonaise où plus grand chose ne se passe et où tout tourne un peu en décrépitude, qui reprendraient l'affaire de leur fils. Le thème de l'histoire serait une succession inversée. D'habitude ce sont les parent ou grands-parents qui lèguent les choses à leur descendance, mais dans cette histoire où il y a 3 générations c'est la 2ème génération, le fils Ryûta, qui lègue l'affaire à la 1ère génération (ses propres parents), avant que ceux-ci lèguent eux-mêmes à la 3ème génération (leurs petits-enfants).

Le thème d' »Un bel enfant » est celui d'une femme qui, même si elle sait que l'homme qu'elle aime cache quelque chose et prépare un mauvais coup, prend sur elle et continue de le soutenir. Il faut savoir qu'au Japon on a une culture de l'enka, chansons traditionnelles très mélancoliques se rapprochant un peu de la soul, où l'histoire typique est celle d'une femme qui attend un homme qui ne viendra jamais et qui pleure de tristesse. Je voulais reprendre cette idée-là, dans un contexte d'arnaque au mariage.

« Le gant de base-ball de maman » est une œuvre qui a un scénario plutôt simple à première vue. Mais en fait, moi aussi j'ai grandi sans père, il est décédé quand j'étais jeune, et c'est une absence qui se fait ressentir au plus profond de soi. J'ai voulu exprimer ces sentiments, tout en montrant les liens qui se renforcent entre le fils et sa mère.

Concernant, "La dernière leçon", on dit souvent qu'il faut prendre le temps d'enseigner ce qu'est la mort aux enfants, mais la vraie question est de savoir comment transmettre ce concept. J'ai réfléchi à la manière dont je procéderais si j'étais enseignant, et j'ai alors imaginé cette scène où le professeur montre sans complexes sa peur-panique face à la mort. Moi-même, je suis terrifié à l'idée de mourir un jour.


Grâce au Ki-oon Mag on sait déjà comment vous avez rencontré la dessinatrice Cocoro Hirai. Mais pourriez-vous nous dire plus précisément comment se déroule une collaboration entre vous deux ? Cocoro Hirai participe-t-elle parfois aux scénarii, par exemple en émettant des idées ? Et vous-même, apportez-vous parfois votre touche à l'aspect visuel, ou alors Cocoro Hirai est totalement libre ?

Au début on se contentait de mettre nos histoires en ligne, il n'y avait pas d'obligation de résultats absolues, donc je ne lui mettais pas la pression, et il n'y avait aucune obligation pour elle de dessiner mes histoires. Je lui proposais mes scénarii, et quand elle n'aimait pas elle me le disait cash, parfois même de façon trop cash (rires).

Concernant les remarques que l'on peut se faire l'un l'autre,  quand j'ai des remarques sur le design de ses personnages généralement ça s'arrête à une seule correction. Je le lui dis, elle  propose alors autre chose, et j'essaie de m'arrêter là pour ne pas handicaper le projet. A l'inverse, elle, quand elle a envie de modifier un scénario, elle le fait directement sans vraiment me demander la permission (rires).


Du coup, les visuels de Cocoro Hirai correspondent-ils toujours à l'image que vous en aviez au moment de l'écriture des scénarii ?

C'est généralement très proche de ce à quoi je m'attendais. Maintenant qu'on se connaît bien, j'essaie moi-même d'adapter mes récits au style qu'elle pourrait apprécier. Personnellement, je n'ai jamais vu quelqu'un se donner autant, à 100%, quand elle dessine. C'est une véritable passion pour elle, et j'ai complètement confiance en elle.



Votre collaboration avec Cocoro Hirai dure désormais depuis une dizaine d'années, désormais vous vous connaissez très bien. Quand vous écrivez une histoire, comment savez-vous que c'est à elle qu'il faut la confier pour les dessins ?

A présent, quand je lui demande de mettre en images l'un de mes scénarii, c'est parce que j'ai écrit ce scénario avec elle en tête.


A-t-elle des sujets de prédilection, et au contraire d'autres qu'elle n'aime pas et refuse de faire ?

Il y a certains type d'histoires qu'elle n'aime pas trop, par exemple la pure romance, ou quand elle n'arrive pas à se mettre à la place des personnages principaux et à comprendre leur façon de penser. Dans ces cas-là, elle refuse les scénarii.


Chaque histoire propose des personnages dont le destin bascule soudainement, mais qui cherchent à rester fort et à avancer. Or, on sait que vous avez vécu de près le grande séisme de votre ville natale de Kobe en 1995, puis en 2011 il y a aussi eu le tsunami. Deux drames qui ont fait basculer beaucoup de vies, mais face auxquels les Japonais ont continué d'avancer avec courage et abnégation, comme vos personnages. Du coup, ces événements ont-ils eu une influence sur vos histoires ?

Effectivement, j'ai fait l'expérience du séisme de Kobe, extrêmement puissant, et depuis je me pose toujours une question : comment réagit l'homme quand il se retrouve face à une situation extrême ou très difficile ? Certains peuvent devenir des traître, se livrer au désespoir, tomber amoureux... Au-delà de ça, ce qui m'intéresse encore plus, c'est de voir ce qu'il peut advenir une fois ces premières réactions passées.



Dans le recueil il y a l'idée qu'il n'y a pas d'âge pour que notre vie bascule... Que pouvez-vous nous dire là-dessus ?

Votre remarque est juste. Par exemple, dans « La dernière leçon », le professeur, même s'il a un certain âge, montre qu'il a toujours très peur de la mort. Dans la vie réelle, j'ai vu cette même réaction chez ma grand-mère qui est décédée à 94 ans : elle était toujours pétrifiée à l'idée de mourir. Je pense que les humains grandissent et évoluent sur certains aspects, mais que sur d'autres plans ils restent finalement toujours les mêmes. C'est ce concept que j'aime explorer dans mes œuvres.


Peut-être pour rendre vos récits plus réalistes, y a aussi un petit portrait de la société moderne : concurrence de l'autre restaurant dans la 1ère histoire où le patron a peu de scrupules pour faire grimper son entreprise, problèmes financiers des frais d'hôpitaux, et des choses plus personnelles comme la vieillesse, la maladie, les familles monoparentales, les considérations autour du mariage... Comment et où avez-vous puisé cet aspect-là ?

Oui, c'est pour avoir plus de réalisme. Concernant ce réalisme, je pense que ça vient du fait que dans mes activités professionnelles, en dehors de l'écriture, je fais aussi une émission où je m'implique personnellement. Je vais voir les habitants de ma région, je crée un dialogue avec eux, c'est le cœur de cette émission. Grâce à ça, j'ai la possibilité d'avoir le ressenti de plein de personnes différentes, et de rester en contact avec la réalité.


Vos histoires marquent également par votre manière de rapprocher les gens : par exemple les provinciaux et les tokyoïtes, les personnes âgées et les gens plus jeunes, les différentes générations, et bien sûr via l'amour familial, l'amour tout court, l'amitié... Dans quelle mesure ça vous tient à cœur ?

Le lien entre les humains est quelque chose qui est très important pour moi. J'ai bien conscience que ce n'est pas toujours facile, dans la vie de tous les jours, de s'en rappeler au quotidien, parce qu'on s'habitue à être avec certaines personnes, ou qu'on n'a pas la possibilité de garder suffisamment la forme pour être gentil avec les autres, ou qu'on est trop centré sur soi-même... A l'intérieur de mes œuvres, j'aimerais bien montrer certains moments rappelant l'importance du lien humain. Je souhaite qu'en lisant mes histoires, on ait une sorte de déclic qui nous pousse à mieux respecter les autres et à nous rapprocher d'eux.



L'histoire courte qui a donné son nom au recueil fut un vrai phénomène au Japon en 2007 avec plus d'un million de vues en 4 jours, puis le recueil a fait partie en 2017 de la sélection du prix Japan Media Arts Festival. Comment expliqueriez-vous ce succès ?

Effectivement il y a déjà pas mal de choses qui se sont passées pour cette œuvre, mais je pense que ce n'est encore qu'un début, et qu'il va encore y avoir pas mal d'événements, à commencer par cette publication en France. J'espère que cette histoire va continuer de se développer sous diverses formes. Le plus important, c'est de réussir à toucher le cœur d'un maximum de gens.

Il y a plusieurs années, au Japon, les droits pour une adaptation en film avaient été achetés, et la personne qui s'occupait de l'achat des droits m'avait justement dit quelque chose que je trouve très juste : une œuvre cinématographique qui a coûté des milliards à Hollywood a autant de potentiel et de valeur qu'une œuvre qui est juste mise sur internet, comme le fut Sous un ciel nouveau au début. Les liens avec les autres peuvent permettre de faire bouger les choses pour certaines œuvres particulières comme Sous un ciel nouveau.


Comment avez-vous été repéré par les éditions Ki-oon ? Comment l'éditeur vous a déniché ? Et comment vous, de votre côté, avez-vous ressenti cette proposition de publication française ?

Au départ, j'ai reçu un mail de la part de Kim Bédenne des éditions Ki-oon. Honnêtement, au début j'étais un peu sceptique, je n'y croyais pas trop, je me demandais un peu ce que c'était que cette histoire.

(Kim Bédenne, interprète pour l'interview, prend ensuite la parole).

J'ai trouvé son œuvre sur internet, tout simplement, parce que j'étais en recherche d'histoires intéressantes en webcomics, comme ça avait par exemple été le cas pour Tetsuya Tsutsui à l'époque où Ahmed Agne (le patron de Ki-oon, ndlr) l'a découvert avec Duds Hunt. Il s'avère que le premier chapitre de Sous un ciel nouveau était plutôt bien classé sur un site internet, sans être forcément tout en haut, et quand j'y ai jeté un oeil je suis personnellement tombée complètement amoureuse de cette histoire. J'ai ensuite fait le travail nécessaire pour vérifier que ce n'était pas déjà acquis par un éditeur japonais professionnel, j'ai vu que les droits étaient libres, et j'ai alors contacté M. Fujii.

(Kei Fujii reprend ensuite la parole)

J'étais surpris, parce que l'histoire paraissait trop belle pour être vraie. C'est à ce moment-là que je me suis vraiment rendu compte du pouvoir que peut avoir internet.


Interview réalisée par Koiwai. Un grand merci à Kei Fujii, ainsi qu'aux éditions Ki-oon et à leurs interprètes.
  

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