Dvd Rencontre avec Shigeru Fujita (Monster, Master Keaton, Piano Forest...)
Connu notamment pour avoir signé le character design de Monster et de Piano Forest, ou plus récemment pour avoir travaillé sur Mary et la fleur de la sorcière ou sur les films d'Eureka Seven, Shigeru Fujita est un artiste plutôt discret : au Japon, il n'a jamais participé au moindre événement. Sa venue en France à la dernière édition du salon Paris Manga était donc, en quelque sorte, une petite exclusivité, et Manga-news a répondu présent en allant l'interviewer. Compte-rendu !
Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler dans l’animation ? Des œuvres en particulier vous ont marqué voire influencé ?
Shigeru Fujita : Je ne voulais pas devenir un employé ou un salarié, et au départ j'avais prévu de devenir dessinateur sur les décors de séries. J'aime beaucoup les backgrounds depuis le collège, à cette époque je faisais de la peinture à l'huile, et j'adorais des séries animées devenues des classiques, comme Heidi d'Isao Takahata, où j'observais beaucoup les paysages.
Mais une fois arrivé dans le milieu de l'animation, j'ai vite compris que les gens qui deviennent les plus réputés sont ceux qui travaillent sur les personnages et leur animation, et c'est ainsi que finalement je me suis axé sur cette voie. Je n'avais jamais vraiment dessiné de personnages avant.
On peut associer votre nom à celui de Naoki Urasawa puisque vous avez travaillé sur Master Keaton et Monster, mais aussi sur le film Le Chien du Tibet dont il a fait le chara design original. Comment fait-on pour se réapproprier une identité visuelle aussi forte que la sienne ?
Je suis plutôt polyvalent côté dessins, je m'adapte facilement. Et du coup, je ne comprends pas trop quand d'autres character designers me disent qu'ils ont du mal à rapprocher leur trait d'un autre style. Si on me demande de m'adapter à un autre style que celui de M. Urasawa, j'ai confiance en moi et je sais que je pourrais m'adapter.
Après, du côté de mes préférences, je n'ai pas du tout envie de travailler sur des choses un peu mignonnes, « kawaii », « moe », comme on en voit tant depuis quelques années. Je préfère faire des choses plus matures, pour un public un peu plus âgé ou moins « de niche ».
De même, vous collaborez régulièrement avec le réalisateur Masayuki Kojima, sur Master Keaton, Monster, Piano Forest, Le chien du Tibet... Comment est née et a évolué cette relation de confiance, et comment est M. Kojima dans le travail ?
A l'époque où on a commencé à travailler ensemble, c'est M. Masao Maruyama qui a fait de nous une sorte de binôme. A l'époque, M. Maruyama était le patron du studio Madhouse (ndlr, depuis 2011 il travaille au sein du studio Mappa, dont il est le créateur).
Comme M. Kojima est lui-même quelqu'un qui dessine assez bien, ses storyboards sont très parlants, et le travail avec lui est alors très facile. Quant à moi, en plus de dessiner, je fais aussi de la mise en scène, donc M. Kojima écoute souvent mon avis et c'est très stimulant. Il y a une sorte de synergie entre nous.
Vous avez également eu l’occasion de travailler sur les films de Mamoru Hosoda à différents postes. Que retenez-vous de cette expérience ?
Au tout début, ce n'était pas prévu que je travaille sur La Traversée du Temps. A l'époque j'avais quitté Madhouse et je voulais me diriger vers le studio Ghibli, mais à ce moment-là La Traversée du Temps était un peu en galère de production, alors quand M. Hosoda m'a demandé de venir travailler dessus j'ai accepté.
Suite à cette première expérience avec lui, une certaine relation de confiance s'est installée entre nous, et c'est ainsi que par la suite M. Hosoda est revenu vers moi à plusieurs reprises.
Comment est M. Hosoda dans le travail ?
C'est quelqu'un avec qui c'est facile de travailler. Il n'est pas du genre à donner des directives de façon autoritaire et ne m'a jamais donné de retours négatifs. J'ai toujours pu travailler assez librement avec lui.
Parmi vos travaux les plus récents on trouve Mary et la fleur de la sorcière, où vous avez été animateur-clé. C’est la première réalisation du studio Ponoc et de Hiromasa Yonebayashi depuis l’ère Ghibli. Pouvez-vous nous parler de cette expérience sur ce film qui a vraiment des allures de Ghibli ?
J'ai juste donné un petit coup de main. Je travaillais à domicile, pas au sein d'un studio, un peu comme c'était le cas avec Ghibli. C'était donc assez facile, et dans le même esprit que Ghibli.
Comme j'ai juste donné un coup de main je n'étais pas impliqué dans l'oeuvre à 100%, mais en voyant le storyboard j'ai ressenti que c'était un projet très ambitieux et sans doute assez dur à concevoir.
Récemment j'ai aussi travaillé sur le film d'Eureka Seven ainsi que sur certains teasers, et j'ai aussi d'autres projets sous un autre pseudonyme. Je suis en parallèle sur plusieurs choses.
Quel travail vous a laissé le meilleur souvenir et pourquoi ?
C'est le fait que les œuvres sur lesquelles j'ai travaillées jusqu'à présent peuvent être vues par un large public. Ma carrière générale, en tant qu'artiste, me plaît quand elle suit cette voie. J'essaie de choisir des œuvres qui sont dans cette optique et qui ne visent pas un public de niche.
Auriez-vous une anecdote amusante à nous raconter sur votre carrière ?
J'ai beaucoup de choses tristes en tête, par contre une anecdote rigolote ça va être dur (rires).
Je vis en province, alors côté travail je suis souvent obligé d'aller à Tokyo et de rester « enfermé » quelques semaines voire quelques mois, et ça me rend triste de ne pas pouvoir voir mes proches, mes enfants.
A votre avis, que vous reste-t-il à apprendre ?
Il y a toujours des choses à apprendre.
Chaque jour il m'arrive de me dire « Pourquoi je suis aussi nul ? », « Pourquoi je dessine aussi mal? ». Il y a un re-questionnement permanent.
Je ne regarde pas beaucoup d 'animes traditionnels, et du coup j'essaie d'apprendre à partir des films live et en 3D au niveau des expressions et des détails. Je tente de m'imprégner du photoréalisme de la 3D pour parfaire mon art.
Vous avez eu l'occasion de travailler à de nombreux postes. Lequel vous stimule le plus ?
C'est récent, mais en ce moment je suis plutôt branché animation pure.
Je préfère être animateur-clé.
Le poste de directeur de l'animation, c'est juste pénible, car il faut beaucoup corriger le travail d'autres artistes. Surtout qu'en ce moment il y a une pénurie d'animateurs, que ceux-ci ont donc plus de travail à abattre, et qu'il y a donc une surenchère d'erreurs et que le niveau global baisse.
Le character design c'est amusant, mais surtout au début, car après c'est de plus en plus fatigant.
Interview réalisée par Koiwai et Takato. Remerciements à Shigeru Fujita, à son agent Emmanuel Bochew, à son interprète Andy Kimura, et au staff de Paris Manga.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler dans l’animation ? Des œuvres en particulier vous ont marqué voire influencé ?
Shigeru Fujita : Je ne voulais pas devenir un employé ou un salarié, et au départ j'avais prévu de devenir dessinateur sur les décors de séries. J'aime beaucoup les backgrounds depuis le collège, à cette époque je faisais de la peinture à l'huile, et j'adorais des séries animées devenues des classiques, comme Heidi d'Isao Takahata, où j'observais beaucoup les paysages.
Mais une fois arrivé dans le milieu de l'animation, j'ai vite compris que les gens qui deviennent les plus réputés sont ceux qui travaillent sur les personnages et leur animation, et c'est ainsi que finalement je me suis axé sur cette voie. Je n'avais jamais vraiment dessiné de personnages avant.
On peut associer votre nom à celui de Naoki Urasawa puisque vous avez travaillé sur Master Keaton et Monster, mais aussi sur le film Le Chien du Tibet dont il a fait le chara design original. Comment fait-on pour se réapproprier une identité visuelle aussi forte que la sienne ?
Je suis plutôt polyvalent côté dessins, je m'adapte facilement. Et du coup, je ne comprends pas trop quand d'autres character designers me disent qu'ils ont du mal à rapprocher leur trait d'un autre style. Si on me demande de m'adapter à un autre style que celui de M. Urasawa, j'ai confiance en moi et je sais que je pourrais m'adapter.
Après, du côté de mes préférences, je n'ai pas du tout envie de travailler sur des choses un peu mignonnes, « kawaii », « moe », comme on en voit tant depuis quelques années. Je préfère faire des choses plus matures, pour un public un peu plus âgé ou moins « de niche ».
De même, vous collaborez régulièrement avec le réalisateur Masayuki Kojima, sur Master Keaton, Monster, Piano Forest, Le chien du Tibet... Comment est née et a évolué cette relation de confiance, et comment est M. Kojima dans le travail ?
A l'époque où on a commencé à travailler ensemble, c'est M. Masao Maruyama qui a fait de nous une sorte de binôme. A l'époque, M. Maruyama était le patron du studio Madhouse (ndlr, depuis 2011 il travaille au sein du studio Mappa, dont il est le créateur).
Comme M. Kojima est lui-même quelqu'un qui dessine assez bien, ses storyboards sont très parlants, et le travail avec lui est alors très facile. Quant à moi, en plus de dessiner, je fais aussi de la mise en scène, donc M. Kojima écoute souvent mon avis et c'est très stimulant. Il y a une sorte de synergie entre nous.
Vous avez également eu l’occasion de travailler sur les films de Mamoru Hosoda à différents postes. Que retenez-vous de cette expérience ?
Au tout début, ce n'était pas prévu que je travaille sur La Traversée du Temps. A l'époque j'avais quitté Madhouse et je voulais me diriger vers le studio Ghibli, mais à ce moment-là La Traversée du Temps était un peu en galère de production, alors quand M. Hosoda m'a demandé de venir travailler dessus j'ai accepté.
Suite à cette première expérience avec lui, une certaine relation de confiance s'est installée entre nous, et c'est ainsi que par la suite M. Hosoda est revenu vers moi à plusieurs reprises.
Comment est M. Hosoda dans le travail ?
C'est quelqu'un avec qui c'est facile de travailler. Il n'est pas du genre à donner des directives de façon autoritaire et ne m'a jamais donné de retours négatifs. J'ai toujours pu travailler assez librement avec lui.
Parmi vos travaux les plus récents on trouve Mary et la fleur de la sorcière, où vous avez été animateur-clé. C’est la première réalisation du studio Ponoc et de Hiromasa Yonebayashi depuis l’ère Ghibli. Pouvez-vous nous parler de cette expérience sur ce film qui a vraiment des allures de Ghibli ?
J'ai juste donné un petit coup de main. Je travaillais à domicile, pas au sein d'un studio, un peu comme c'était le cas avec Ghibli. C'était donc assez facile, et dans le même esprit que Ghibli.
Comme j'ai juste donné un coup de main je n'étais pas impliqué dans l'oeuvre à 100%, mais en voyant le storyboard j'ai ressenti que c'était un projet très ambitieux et sans doute assez dur à concevoir.
Récemment j'ai aussi travaillé sur le film d'Eureka Seven ainsi que sur certains teasers, et j'ai aussi d'autres projets sous un autre pseudonyme. Je suis en parallèle sur plusieurs choses.
Quel travail vous a laissé le meilleur souvenir et pourquoi ?
C'est le fait que les œuvres sur lesquelles j'ai travaillées jusqu'à présent peuvent être vues par un large public. Ma carrière générale, en tant qu'artiste, me plaît quand elle suit cette voie. J'essaie de choisir des œuvres qui sont dans cette optique et qui ne visent pas un public de niche.
Auriez-vous une anecdote amusante à nous raconter sur votre carrière ?
J'ai beaucoup de choses tristes en tête, par contre une anecdote rigolote ça va être dur (rires).
Je vis en province, alors côté travail je suis souvent obligé d'aller à Tokyo et de rester « enfermé » quelques semaines voire quelques mois, et ça me rend triste de ne pas pouvoir voir mes proches, mes enfants.
A votre avis, que vous reste-t-il à apprendre ?
Il y a toujours des choses à apprendre.
Chaque jour il m'arrive de me dire « Pourquoi je suis aussi nul ? », « Pourquoi je dessine aussi mal? ». Il y a un re-questionnement permanent.
Je ne regarde pas beaucoup d 'animes traditionnels, et du coup j'essaie d'apprendre à partir des films live et en 3D au niveau des expressions et des détails. Je tente de m'imprégner du photoréalisme de la 3D pour parfaire mon art.
Vous avez eu l'occasion de travailler à de nombreux postes. Lequel vous stimule le plus ?
C'est récent, mais en ce moment je suis plutôt branché animation pure.
Je préfère être animateur-clé.
Le poste de directeur de l'animation, c'est juste pénible, car il faut beaucoup corriger le travail d'autres artistes. Surtout qu'en ce moment il y a une pénurie d'animateurs, que ceux-ci ont donc plus de travail à abattre, et qu'il y a donc une surenchère d'erreurs et que le niveau global baisse.
Le character design c'est amusant, mais surtout au début, car après c'est de plus en plus fatigant.
Interview réalisée par Koiwai et Takato. Remerciements à Shigeru Fujita, à son agent Emmanuel Bochew, à son interprète Andy Kimura, et au staff de Paris Manga.
De Oline59, le 28 Décembre 2017 à 19h56
Merci à Koiwai et Takato pour cette interview.
De Daggetz, le 28 Décembre 2017 à 19h35
Très intéressant à lire cette petite interview