Dvd Interview de Patrick Borg et Philippe Ariotti
Les 10 et 11 septembre derniers se sont tenus les Tsume Fan Days, événement autour du fabricant de figurines luxembourgeois. Tsume en a profité pour convier quelques personnalités et, parmi-elles, des comédiens français connus notamment pour le doublage d'anime ont répondu présents. Patrick Borg et Philippe Ariotti ont signé leurs rôles les plus importants dans Dragon Ball et ses suites. Le premier incarne Son Gokû, C-16 et Majin Buu tandis que le second campe, par exemple Piccolo, Freezer, Oolong et Babidi. Venus célébrer notamment la sortie imminente de Dragon Ball Super en France et rencontrer leurs fans, tous deux ont accepté de répondre à nos questions au cours d'une interview aussi vivante que chaleureuse.
Bonjour Patrick Borg et Philippe Ariotti. Pouvez-vous d'abord nous parler de votre parcours ?
Patrick Borg : J'ai eu beaucoup de chance pour faire ce métier. Je regardais la une à la télévision, de toute façon il n'y avait que cette chaîne, quand j'étais enfant. J'adorais Medhy El Glaoui dans Belle et Sébastien, ça me faisait rêver ! Ou plutôt, ce qui me faisait rêver était le métier de comédien, mais aussi l'aventure de ce jeune garçon qui vit avec son grand-père dans la montagne. Je m'ennuyais un peu dans un appartement du quatorzième arrondissement de Paris, je n'aimais pas l'école parce que je trouvais ça rébarbatif. Mon père m'a alors proposé de faire de la comédie, j'ai accepté.
Il était réalisateur de dessins animés donc était dans le métier, il entend parler autour de lui d'une école publique qui s'appelle l’École des Enfants du Spectacle. Il n'y a pas de pratique artistique enseignée, mais il n'y avait cours que l'après-midi afin de permettre à ceux qui ont une représentation le soir de se reposer, ou alors de prendre des cours de chant ou de danse le matin. Nous étions au mois de juin 1967, mon père m'y amène pour m'inscrire. Pendant ce temps, la directrice m'invite à aller dans la cour de récré afin de je rencontre les enfants qui seront dans ma classe le septembre qui suit. Vient ensuite un monsieur qui parle avec des professeurs et montre du doigt certains élèves de la cour. Il finit par me désigner, puis les profs nous appellent. L'homme nous donne alors sa carte en se présentant comme Jean Mercure - je ne savais alors pas qui était ce monsieur - et directeur du nouveau théâtre de la ville qui était le théâtre Sarah Bernhardt.
Il montait une pièce de six personnages, mise en scène par Pierre Andello. Mon père n'en croyait pas ses oreilles quand je lui ai raconté, il a alors appelé Jean Mercure qui le connaissais bien puisque mon père était réalisateur des Shadocks. Mon père lui explique alors que les autres élèves de l'école avaient déjà de l'expérience en tant que comédiens, ce à quoi M. Mercure a répondu cette jolie phrase : "M. Borg, je ne connais pas d'enfant comédiens. Je connais des enfants qui ont un charisme, une personnalité. J'ai regardé des enfants jouer dans une cour, j'ai vu le votre, voilà. Si vous êtes d'accord et s'il est d'accord, j'aimerais qu'il passe l'audition."
J'ai donc passé l'audition. Ils cherchaient des garçons et des filles mais il y avait le souci de la loi française qui interdit de travailler avant seize ans. Je n'avais jamais pris de cours d'art dramatique, j'ai pourtant démarré avec un contrat d'un an au théâtre de la ville. A ce jour, j'ai 59 ans et je n'ai jamais pris un seul cour d'art dramatique puisque j'ai eu la chance d'apprendre mon métier sur le tas. J'ai ensuite enchaîné "Beaucoup de bruit pour rien" adapté de Shakespeare par Jorge Lavelli la saison d'après, puis "La ville dont le prince est un enfant" par Montherlant que j'ai pu rencontrer... Ça a eu un effet boule-de-neige.
Quand les copains disaient que leur métier est difficile, je les regardais comme un zombie. Car "La ville dont le prince est un enfant", c'était matinées et soirées. J'avais alors seize ans, je jouais tous les jours plus l'école l'après-midi, donc pas de week-end pendant trois ans et demi. Je voulais justement avoir des vacances scolaires comme les copains. (rires)
Philippe Ariotti : J'ai débuté un peu plus vieux que Patrick, mon parcours sera donc plus rapide. (rires)
Comme beaucoup, je voulais être comédien à cause de mes parents. J'étais le dernier d'une famille de comédiens, pas question que je ne le sois pas. J'étais âgé, mais j'ai quand même passé le concours de la Rue Blanche où j'ai été admis. Mais comme mes parents refusaient de me payer des cours, ce n'était pas possible. Je chantais un peu alors j'ai pris des cours de chant, j'ai presque tout de suite après trouvé une place dans un groupe de choristes au Théâtre de Limoges, pendant six mois. Je pense que j'avais déjà certaines dispositions, on m'a donc donné des petits rôles puis d'assez grands rôles, c'est là où j'ai fait mes classes.
J'ai ensuite été plongé dans la marmite du théâtre lyrique car ça fonctionnait bien, j'avais un emploi qui me permettait de jouer différentes choses, dans une vingtaine d'opéras et une centaine d'opérettes. On signait longtemps à l'avance, un an et demi ou deux ans, c'est comme ça que j'ai joué dans énormément de provinces. J'avais un peu la trouille d'être comédien pur car il y en avait beaucoup, et je n'étais peut-être pas le meilleur. Au moins dans le lyrique, j'étais tranquille. Quand ça a un petit peu moins marché, j'ai changé de registre et fait du cabaret pendant deux ans, au Caveau des Oubliettes. Puis le directeur du Théâtre des Deux Ânes est venu et m'a engagé.
C'est à ce moment-là, en 1988, que je me suis intéressé au doublage. J'ai fait un stage avec Jean-Pierre Dorat, puis un ami comédien du nom de Pierre Trabaud, qui faisait du doublage, m'a proposé d'en faire. Pendant un, deux ou trois mois, je me suis familiarisé avec le doublage, avec la bande rythmo, car c'est une pratique très difficile. J'ai ensuite fait quelques petits rôles : deux lignes par ci, trois lignes par là... Pierre Trabaud a vu que je pouvais changer facilement ma voix et m'a fait venir sur un dessin-animé qui s'appelle Sab Rider. Dragon Ball est venu tout de suite après, en 1989. Pierre m'a demandé si je pouvais faire Oolong, le cochon, donc j'ai fait le cochon.
Patrick Borg : Il existe d'excellents comédiens ainsi que des comédiens choisis pour leur voix. Il y a aussi des acteurs qui savent se déplacer, tous n'y arrivent pas, mais Philippe fait partie de ceux-là. Il arrive à faire des voix différentes sans que ce soit de l'imitation.
Ça rejoint notre seconde question car dans Dragon Ball, vous faites beaucoup de voix différentes...
Patrick Borg : On faisait sept ou huit personnages au départ, ce qui signifie huit voix différentes ! On se partageait tous les personnages dans le groupe, et on enregistrait en même temps ! Ça veut dire que je passais d'un Kame Hame Ha de Gokû à C-16 qui parlait avec une voix grave. Pierre Trabaud prenait sa petite voix aiguë pour nous dire quand on se trompait, et on recommençait ! (rires)
Philippe Ariotti : C'était formidable et bon enfant, sans oublier qu'on faisait quatre ou cinq épisodes dans la journée !
Comment avez-vous fait vos choix pour ces voix, et adapter votre timbre aux personnages ?
Patrick Borg : On fonctionne avec notre imaginaire. On voit le personnage, on propose alors quelque chose et c'est au directeur artistique de valider ou nous demander de proposer autre chose. C'est un dessin-animé et en plus japonais, c'est des inflexions tellement différentes de la langue française... On ne peut pas se calquer sur la version japonaise car la manière de jouer les émotions n'a strictement rien à voir. C'est de la création pure.
Philippe, vous incarnez par exemple Freezer, c'est donc une voix assez aiguë...
Philippe Ariotti : J'ai d'abord pris ma voix normale, assez grave, pour Piccolo. C'est un salaud au départ puis il devient sage et calme. Pour Freezer, j'ai pris une voix plus chuchotée, plus aiguë. Le problème, c'est qu'on ma ensuite donné le sorcier Babidi, j'ai du alors prendre (M. Ariotti finit alors sa phrase en prenant la voix de Babidi) une voix aiguë tout à fait différente, j'avais très peur que Babidi soit assimilé à Freezer.
Patrick Borg : Il fallait passer sans cesse d'une voix à l'autre. Il y avait un temps de livraison, on nous confiait aussi le travail parce qu'on savait qu'on pouvait aller vite.
Philippe Ariotti : C'est arrivé qu'une même scène réunisse deux ou trois personnages de nos personnages respectifs, c'est arrivé à chacun ! On les faisait à tour de rôle. Pour le défi, il nous arrivait de vouloir en faire deux en même temps.
Patrick Borg : Quand un nouveau personnage arrivait, Pierre le soumettait soit à l'un d'entre nous parce qu'il le sentait bien, soit il demandait qui voulait s'en charger. C'était un esprit bon enfant ! (rires)
Vous arriviez à vous rappeler de tous les personnages ? Vous deviez en avoir un certain nombre à votre compteur, au bout d'un moment...
Patrick Borg : Il est arrivé qu'il y ait des coupures qui durent deux-trois mois, après qu'on ait doublé plein de personnages. On revenait sans forcément se souvenir quelle voix on avait fait, il y avait heureusement des enregistrements d'anciens épisodes pour s'en rappeler.
Philippe Ariotti : Justement, dans Dragon Ball Z Kai enregistré en 2011, ça faisait plus de cinq ou six ans qu'on n'avait plus enregistré de Dragon Ball. J'ai alors acheté les DVD pour retrouver ma voix en espérant que celle-ci n'ait pas trop vieilli. Il fallait que je me rappelle les voix prises sur Freezer et Piccolo. J'ai bien réécouté les anciens épisodes pour essayer de restituer la même chose.
Toutefois, dans Dragon Ball Z Kai, on ne voulait d'abord pas que le même comédien incarne ces deux personnages, on voulait donc me confier uniquement Piccolo. Je n'ai rien dit car je trouvais ça normal, mais le comédien qui devait me remplacer s'est calqué sur ma voix et a cherché à m'imiter. Le directeur artistique a pensé qu'il valait mieux prendre l'original que la copie, et c'est comme ça que j'ai gardé Freezer. (rires)
Dans Dragon Ball Super, vous retrouvez Piccolo et Freezer, ce dernier est même devenu un peu plus méchant...
Philippe Ariotti : Bien-sûr. Freezer est plus méchant puisqu'il est devenu Golden Freezer dans La résurrection de 'F'. Pour ça, on m'a demandé de faire une voix un peu plus aiguë et moins chuchotée.
Piccolo, lui, est devenu beaucoup plus gentil...
Philippe Ariotti : Oui, je suis allé davantage dans les graves pour Piccolo. Un peu comme maître Shifu, le bon conseilleur...
Cela arrive-t-il que des gens vous demandent de faire la voix de tel ou tel personnage ?
Philippe Ariotti : Oh oui, beaucoup. On est pris au dépourvu dans ces moments-là. Ça arrive qu'on me reconnaisse alors que ma voix est assez normale. Je déjeunais une fois à la Courtepaille à côté de chez moi. Deux tables plus loin se trouvait un couple de jeunes qui m'écoutaient un peu... Pourquoi pas. Dans ce restaurant, vous ne demandez pas la note mais allez payer au guichet, ce que j'ai fait. A peine me suis-je levé que l'un des jeunes m'a demandé si j'étais bien Philippe Ariotti. C'est fou, il avait quand même reconnu ma voix ! Il ne voulait pas me déranger durant le repas mais voulais s'assurer que c'était bien moi. Il était très gentil, comme la plupart des fans d'ailleurs. Je ne sais pas pour Patrick mais pour ma part, je ne suis jamais tombé sur quelqu'un de désagréable. Ils sont tous courtois et d'une extrême politesse.
Patrick Borg : Oui. D'abord, c'est des gens qui nous mettent sur un piédestal parce qu'on les a fait "rêver", ce sont leurs propres mots et je ne me permettrais pas de dire ça sinon. On nous a vraiment dit : "Philippe, Patrick, vous avez bercé notre enfance !", tout comme nous avons été bercés par des voix, dans mon cas Jacques Thébault, voix de Steve Mcqueen ou Jean-Claude Michel, voix de Sean Connery. Puis un jour, c'est à toi qu'on dit ça. Les fans sont tous des gens qui, avec leurs mots, nous disent à quel point ils sont heureux de nous rencontrer alors qu'ils nous ont connu par le petit écran et par les jeux-vidéo.
Justement, vous avez doublé dans beaucoup de jeux-vidéo. Est-ce que la pratique change par rapport au doublage d'anime ou de film ?
Patrick Borg : On est un peu frustrés dans le doublage de jeux-vidéo. Quand on regarde les images, on voit que c'est traité comme du cinéma de nos jours, c'est vraiment troublant. Mais comme les éditeurs veulent que ça sorte dans le monde entier à la même date, on enregistre sans aucun visuel. On a des petites notes d'indiquées, on essaie alors de s'adapter avec le directeur artistique, mais on n'a pas beaucoup d'informations. Certains jeux ont l'image et la bande rythmo, dans ce cas là c'est merveilleux : on voit si le gars souffre, s'il est en train de courir... Toutes ces petites choses nous manquent. On a un peu l'habitude d'en faire depuis des années, on compose, mais on aurait pu faire tellement mieux sur certains jeux si on avait une rythmo...
Pour finir, pouvez-vous parler de vos projets actuels ?
Patrick Borg : On vient donc de commencer, avec Philippe et toute l'équipe, Dragon Ball Super. On a enregistré environ une trentaine d'épisodes dont dix lundi et mardi derniers, et ça devrait sortir bientôt. En revanche, on est incapables de vous dire quand, nous ne sommes pas du tout tenus au courant là-dessus. Ça dépend de la Toei et du planning des chaînes. On sait en tout cas que les fans attendent avec beaucoup d'impatience.
Après-demain, j'ai huit heures d’enregistrement sur Warcraft, puis j'enregistrerai avec une société du Luxembourg qui attendait ma venue. Enfin, Bones devait s'arrêter mais il y aura normalement une douzième saison. Libra Films, la société pour laquelle j'enregistre, m'a dit qu'il devrait y avoir dix ou onze épisodes, ça va être très peu de temps de travail puisque j'enregistre seul avec l'ingénieur son, on fait trois épisodes dans la journée soit huit jours d'enregistrements par saison.
Remerciements à Patrick Borg et Philippe Ariotti pour leurs réponses.
Bonjour Patrick Borg et Philippe Ariotti. Pouvez-vous d'abord nous parler de votre parcours ?
Patrick Borg : J'ai eu beaucoup de chance pour faire ce métier. Je regardais la une à la télévision, de toute façon il n'y avait que cette chaîne, quand j'étais enfant. J'adorais Medhy El Glaoui dans Belle et Sébastien, ça me faisait rêver ! Ou plutôt, ce qui me faisait rêver était le métier de comédien, mais aussi l'aventure de ce jeune garçon qui vit avec son grand-père dans la montagne. Je m'ennuyais un peu dans un appartement du quatorzième arrondissement de Paris, je n'aimais pas l'école parce que je trouvais ça rébarbatif. Mon père m'a alors proposé de faire de la comédie, j'ai accepté.
Il était réalisateur de dessins animés donc était dans le métier, il entend parler autour de lui d'une école publique qui s'appelle l’École des Enfants du Spectacle. Il n'y a pas de pratique artistique enseignée, mais il n'y avait cours que l'après-midi afin de permettre à ceux qui ont une représentation le soir de se reposer, ou alors de prendre des cours de chant ou de danse le matin. Nous étions au mois de juin 1967, mon père m'y amène pour m'inscrire. Pendant ce temps, la directrice m'invite à aller dans la cour de récré afin de je rencontre les enfants qui seront dans ma classe le septembre qui suit. Vient ensuite un monsieur qui parle avec des professeurs et montre du doigt certains élèves de la cour. Il finit par me désigner, puis les profs nous appellent. L'homme nous donne alors sa carte en se présentant comme Jean Mercure - je ne savais alors pas qui était ce monsieur - et directeur du nouveau théâtre de la ville qui était le théâtre Sarah Bernhardt.
Il montait une pièce de six personnages, mise en scène par Pierre Andello. Mon père n'en croyait pas ses oreilles quand je lui ai raconté, il a alors appelé Jean Mercure qui le connaissais bien puisque mon père était réalisateur des Shadocks. Mon père lui explique alors que les autres élèves de l'école avaient déjà de l'expérience en tant que comédiens, ce à quoi M. Mercure a répondu cette jolie phrase : "M. Borg, je ne connais pas d'enfant comédiens. Je connais des enfants qui ont un charisme, une personnalité. J'ai regardé des enfants jouer dans une cour, j'ai vu le votre, voilà. Si vous êtes d'accord et s'il est d'accord, j'aimerais qu'il passe l'audition."
J'ai donc passé l'audition. Ils cherchaient des garçons et des filles mais il y avait le souci de la loi française qui interdit de travailler avant seize ans. Je n'avais jamais pris de cours d'art dramatique, j'ai pourtant démarré avec un contrat d'un an au théâtre de la ville. A ce jour, j'ai 59 ans et je n'ai jamais pris un seul cour d'art dramatique puisque j'ai eu la chance d'apprendre mon métier sur le tas. J'ai ensuite enchaîné "Beaucoup de bruit pour rien" adapté de Shakespeare par Jorge Lavelli la saison d'après, puis "La ville dont le prince est un enfant" par Montherlant que j'ai pu rencontrer... Ça a eu un effet boule-de-neige.
Quand les copains disaient que leur métier est difficile, je les regardais comme un zombie. Car "La ville dont le prince est un enfant", c'était matinées et soirées. J'avais alors seize ans, je jouais tous les jours plus l'école l'après-midi, donc pas de week-end pendant trois ans et demi. Je voulais justement avoir des vacances scolaires comme les copains. (rires)
Philippe Ariotti : J'ai débuté un peu plus vieux que Patrick, mon parcours sera donc plus rapide. (rires)
Comme beaucoup, je voulais être comédien à cause de mes parents. J'étais le dernier d'une famille de comédiens, pas question que je ne le sois pas. J'étais âgé, mais j'ai quand même passé le concours de la Rue Blanche où j'ai été admis. Mais comme mes parents refusaient de me payer des cours, ce n'était pas possible. Je chantais un peu alors j'ai pris des cours de chant, j'ai presque tout de suite après trouvé une place dans un groupe de choristes au Théâtre de Limoges, pendant six mois. Je pense que j'avais déjà certaines dispositions, on m'a donc donné des petits rôles puis d'assez grands rôles, c'est là où j'ai fait mes classes.
J'ai ensuite été plongé dans la marmite du théâtre lyrique car ça fonctionnait bien, j'avais un emploi qui me permettait de jouer différentes choses, dans une vingtaine d'opéras et une centaine d'opérettes. On signait longtemps à l'avance, un an et demi ou deux ans, c'est comme ça que j'ai joué dans énormément de provinces. J'avais un peu la trouille d'être comédien pur car il y en avait beaucoup, et je n'étais peut-être pas le meilleur. Au moins dans le lyrique, j'étais tranquille. Quand ça a un petit peu moins marché, j'ai changé de registre et fait du cabaret pendant deux ans, au Caveau des Oubliettes. Puis le directeur du Théâtre des Deux Ânes est venu et m'a engagé.
C'est à ce moment-là, en 1988, que je me suis intéressé au doublage. J'ai fait un stage avec Jean-Pierre Dorat, puis un ami comédien du nom de Pierre Trabaud, qui faisait du doublage, m'a proposé d'en faire. Pendant un, deux ou trois mois, je me suis familiarisé avec le doublage, avec la bande rythmo, car c'est une pratique très difficile. J'ai ensuite fait quelques petits rôles : deux lignes par ci, trois lignes par là... Pierre Trabaud a vu que je pouvais changer facilement ma voix et m'a fait venir sur un dessin-animé qui s'appelle Sab Rider. Dragon Ball est venu tout de suite après, en 1989. Pierre m'a demandé si je pouvais faire Oolong, le cochon, donc j'ai fait le cochon.
Patrick Borg : Il existe d'excellents comédiens ainsi que des comédiens choisis pour leur voix. Il y a aussi des acteurs qui savent se déplacer, tous n'y arrivent pas, mais Philippe fait partie de ceux-là. Il arrive à faire des voix différentes sans que ce soit de l'imitation.
Ça rejoint notre seconde question car dans Dragon Ball, vous faites beaucoup de voix différentes...
Patrick Borg : On faisait sept ou huit personnages au départ, ce qui signifie huit voix différentes ! On se partageait tous les personnages dans le groupe, et on enregistrait en même temps ! Ça veut dire que je passais d'un Kame Hame Ha de Gokû à C-16 qui parlait avec une voix grave. Pierre Trabaud prenait sa petite voix aiguë pour nous dire quand on se trompait, et on recommençait ! (rires)
Philippe Ariotti : C'était formidable et bon enfant, sans oublier qu'on faisait quatre ou cinq épisodes dans la journée !
Comment avez-vous fait vos choix pour ces voix, et adapter votre timbre aux personnages ?
Patrick Borg : On fonctionne avec notre imaginaire. On voit le personnage, on propose alors quelque chose et c'est au directeur artistique de valider ou nous demander de proposer autre chose. C'est un dessin-animé et en plus japonais, c'est des inflexions tellement différentes de la langue française... On ne peut pas se calquer sur la version japonaise car la manière de jouer les émotions n'a strictement rien à voir. C'est de la création pure.
Philippe, vous incarnez par exemple Freezer, c'est donc une voix assez aiguë...
Philippe Ariotti : J'ai d'abord pris ma voix normale, assez grave, pour Piccolo. C'est un salaud au départ puis il devient sage et calme. Pour Freezer, j'ai pris une voix plus chuchotée, plus aiguë. Le problème, c'est qu'on ma ensuite donné le sorcier Babidi, j'ai du alors prendre (M. Ariotti finit alors sa phrase en prenant la voix de Babidi) une voix aiguë tout à fait différente, j'avais très peur que Babidi soit assimilé à Freezer.
Patrick Borg : Il fallait passer sans cesse d'une voix à l'autre. Il y avait un temps de livraison, on nous confiait aussi le travail parce qu'on savait qu'on pouvait aller vite.
Philippe Ariotti : C'est arrivé qu'une même scène réunisse deux ou trois personnages de nos personnages respectifs, c'est arrivé à chacun ! On les faisait à tour de rôle. Pour le défi, il nous arrivait de vouloir en faire deux en même temps.
Patrick Borg : Quand un nouveau personnage arrivait, Pierre le soumettait soit à l'un d'entre nous parce qu'il le sentait bien, soit il demandait qui voulait s'en charger. C'était un esprit bon enfant ! (rires)
Vous arriviez à vous rappeler de tous les personnages ? Vous deviez en avoir un certain nombre à votre compteur, au bout d'un moment...
Patrick Borg : Il est arrivé qu'il y ait des coupures qui durent deux-trois mois, après qu'on ait doublé plein de personnages. On revenait sans forcément se souvenir quelle voix on avait fait, il y avait heureusement des enregistrements d'anciens épisodes pour s'en rappeler.
Philippe Ariotti : Justement, dans Dragon Ball Z Kai enregistré en 2011, ça faisait plus de cinq ou six ans qu'on n'avait plus enregistré de Dragon Ball. J'ai alors acheté les DVD pour retrouver ma voix en espérant que celle-ci n'ait pas trop vieilli. Il fallait que je me rappelle les voix prises sur Freezer et Piccolo. J'ai bien réécouté les anciens épisodes pour essayer de restituer la même chose.
Toutefois, dans Dragon Ball Z Kai, on ne voulait d'abord pas que le même comédien incarne ces deux personnages, on voulait donc me confier uniquement Piccolo. Je n'ai rien dit car je trouvais ça normal, mais le comédien qui devait me remplacer s'est calqué sur ma voix et a cherché à m'imiter. Le directeur artistique a pensé qu'il valait mieux prendre l'original que la copie, et c'est comme ça que j'ai gardé Freezer. (rires)
Dans Dragon Ball Super, vous retrouvez Piccolo et Freezer, ce dernier est même devenu un peu plus méchant...
Philippe Ariotti : Bien-sûr. Freezer est plus méchant puisqu'il est devenu Golden Freezer dans La résurrection de 'F'. Pour ça, on m'a demandé de faire une voix un peu plus aiguë et moins chuchotée.
Piccolo, lui, est devenu beaucoup plus gentil...
Philippe Ariotti : Oui, je suis allé davantage dans les graves pour Piccolo. Un peu comme maître Shifu, le bon conseilleur...
Cela arrive-t-il que des gens vous demandent de faire la voix de tel ou tel personnage ?
Philippe Ariotti : Oh oui, beaucoup. On est pris au dépourvu dans ces moments-là. Ça arrive qu'on me reconnaisse alors que ma voix est assez normale. Je déjeunais une fois à la Courtepaille à côté de chez moi. Deux tables plus loin se trouvait un couple de jeunes qui m'écoutaient un peu... Pourquoi pas. Dans ce restaurant, vous ne demandez pas la note mais allez payer au guichet, ce que j'ai fait. A peine me suis-je levé que l'un des jeunes m'a demandé si j'étais bien Philippe Ariotti. C'est fou, il avait quand même reconnu ma voix ! Il ne voulait pas me déranger durant le repas mais voulais s'assurer que c'était bien moi. Il était très gentil, comme la plupart des fans d'ailleurs. Je ne sais pas pour Patrick mais pour ma part, je ne suis jamais tombé sur quelqu'un de désagréable. Ils sont tous courtois et d'une extrême politesse.
Patrick Borg : Oui. D'abord, c'est des gens qui nous mettent sur un piédestal parce qu'on les a fait "rêver", ce sont leurs propres mots et je ne me permettrais pas de dire ça sinon. On nous a vraiment dit : "Philippe, Patrick, vous avez bercé notre enfance !", tout comme nous avons été bercés par des voix, dans mon cas Jacques Thébault, voix de Steve Mcqueen ou Jean-Claude Michel, voix de Sean Connery. Puis un jour, c'est à toi qu'on dit ça. Les fans sont tous des gens qui, avec leurs mots, nous disent à quel point ils sont heureux de nous rencontrer alors qu'ils nous ont connu par le petit écran et par les jeux-vidéo.
Justement, vous avez doublé dans beaucoup de jeux-vidéo. Est-ce que la pratique change par rapport au doublage d'anime ou de film ?
Patrick Borg : On est un peu frustrés dans le doublage de jeux-vidéo. Quand on regarde les images, on voit que c'est traité comme du cinéma de nos jours, c'est vraiment troublant. Mais comme les éditeurs veulent que ça sorte dans le monde entier à la même date, on enregistre sans aucun visuel. On a des petites notes d'indiquées, on essaie alors de s'adapter avec le directeur artistique, mais on n'a pas beaucoup d'informations. Certains jeux ont l'image et la bande rythmo, dans ce cas là c'est merveilleux : on voit si le gars souffre, s'il est en train de courir... Toutes ces petites choses nous manquent. On a un peu l'habitude d'en faire depuis des années, on compose, mais on aurait pu faire tellement mieux sur certains jeux si on avait une rythmo...
Pour finir, pouvez-vous parler de vos projets actuels ?
Patrick Borg : On vient donc de commencer, avec Philippe et toute l'équipe, Dragon Ball Super. On a enregistré environ une trentaine d'épisodes dont dix lundi et mardi derniers, et ça devrait sortir bientôt. En revanche, on est incapables de vous dire quand, nous ne sommes pas du tout tenus au courant là-dessus. Ça dépend de la Toei et du planning des chaînes. On sait en tout cas que les fans attendent avec beaucoup d'impatience.
Après-demain, j'ai huit heures d’enregistrement sur Warcraft, puis j'enregistrerai avec une société du Luxembourg qui attendait ma venue. Enfin, Bones devait s'arrêter mais il y aura normalement une douzième saison. Libra Films, la société pour laquelle j'enregistre, m'a dit qu'il devrait y avoir dix ou onze épisodes, ça va être très peu de temps de travail puisque j'enregistre seul avec l'ingénieur son, on fait trois épisodes dans la journée soit huit jours d'enregistrements par saison.
Remerciements à Patrick Borg et Philippe Ariotti pour leurs réponses.