Ciné-Asie Critique - Coffret Tokyo Fist & Bullet Ballet
Manga-news et RogueAerith vous font découvrir aujourd'hui deux films de Shinya Tsukamoto, réunis dans un coffret de la collection malheureusement disparue Asian classics : Tokyo Fist et Bullet Ballet.
Après « Tetsuo » et « Tetsuo II », deux films classés au rang d'oeuvres cultes par les fervents adorateurs du courant cyperpunk et les amateurs de cinéma expérimental, mais restant pour des spectateurs lambda trop difficiles d'accès, Studio Canal via sa collection Asian classics a eu la bonne idée de proposer les deux films suivants du réalisateur nippon Shinya Tsukamoto : « Tokyo Fist » et « Bullet ballet ». L'occasion pour des cinéphiles restés sur leur faim avec les deux « Tetsuo », la faute à une mise en scène trop particulière et à un fond guère plus accessible, de se réconcilier avec le réalisateur ? Peut-être bien.
Dans « Tokyo Fist », sorti en 1995 au Japon et en 2001 en France, Tsuda (Shinya Tsukamoto, le réalisateur lui-même) est un salaryman nippon comme il en existerait des milliers : obéissant, mais stressé, travailleur, mais fatigué, une petite amie, mais pas beaucoup d'échanges. Tsuda va recroiser un ami perdu de vue, Kojima (Kôji Tsukamoto, le jeune frère du réalisateur et ancien boxeur professionnel), pratiquant la boxe, et qui le passera à tabac. Cet événement sera le déclencheur d'une concurrence entre les deux hommes, la boxe devenant un exutoire face à une vie morose, mais aussi le moyen de s'accaparer l'attention de Hizuru (Kahori Fuji), la petite amie de Tsuda. Celle-ci semble prendre un plaisir pervers à reprocher à Tsuda son impuissance physique. Et c'est sur ce terrain que le passé des deux hommes resurgira.
Toujours à la tête de quasiment tous les pans de son film (réalisation, scénario, photographie, montage, acteur), Shinya Tsukamoto signe avec « Tokyo Fist » un film étonnamment proche du « Fight club » de David Fincher sorti 4 ans plus tard. Beaucoup d'éléments sont communs : le triangle amoureux, les personnages à moitié déments, la boxe, la recherche de soi à travers la violence physique, un Tokyo aussi aseptisé que la mégapole américaine dans laquelle se promènent Edward Norton et Brad Pitt. Alors pillage en règle du cinéma underground nippon par le cinéma américain ? Ce ne serait pas une nouveauté. Après diverses investigations menées auprès de Fincher, il s'avère que les accusations n'ont pas lieu d'être, comme nous l'explique Jean-Pierre Dionnet dans le livret (très riche, on y reviendra) fourni avec le coffret. Pas de plagiat certes, mais alors une vraie coïncidence ! Pour autant, « Tokyo Fist » possède son identité propre à travers un scénario bien mené, loin des expérimentations de toutes sortes de Tsukamoto sur ses « Tetsuo ». « Tokyo Fist » permet d'apprécier l'univers sale et violent ainsi que le côté électrique et fou de la mise en scène, déjà présentes dans les deux « Tetsuo » mais qui, à cause de la forme trop anarchique, ne pouvaient qu'agacer à court ou moyen terme. Toutefois, si « Tokyo Fist » est indéniablement plus clair que le diptyque déjanté, le film reste brouillon et laisse sur un goût amer, la faute à des personnages encore insuffisamment exploités malgré un scénario qui avait tout pour le faire. Pas particulièrement prometteur au début, il s'enrichit jusqu'à vraiment passer un cap au bout de la première heure, mais retombe à plat sur la fin.
C'est dommage, car l'ensemble reste prenant, sentiment renforcé grâce à un montage nerveux, mais plus maîtrisé et moins nauséeux que sur « Tetsuo » (comment faire pire de toue façon ?). Notons que Tsukamoto reprend la palette des couleurs de son « Tetsuo II » et en fait une utilisation assez similaire : du bleu glacial pour les rues de Tokyo, du rouge façon lave de volcan pour les boxeurs, comme s'ils étaient la seule forme de vie existante, tous les autres personnages étant en grisâtre. La métaphore est ici habile. Les idées de mise en scène ne manquent pas, et s'avèrent, on l'a déjà dit, infiniment plus accessibles que dans les « Tetsuo ». En témoignent les entraînements de boxe, intelligemment filmés en accéléré, ou les combats de boxe filmés quasi-exclusivement caméra à l'épaule, renforçant l'immersion. Un film de boxe en vue subjective, façon jeu vidéo, loin des soi-disants cadors hollywoodiens filmant de la boxe comme un jardin d'enfants.
Mais, plus globalement, déchiffrer la symbolique de Shinya Tsukamoto s'avère toujours aussi complexe, puisqu'on peut tout voir, finalement, dans les réactions des personnages. L'ultraviolence est-elle la marque de l'oubli, du dépit, voire d'un châtiment, ou de la bravoure, de la passion ? On serait tenté de dire... tout en même temps. Soigner la psychologie des personnages n'aurait pas été un luxe pour recentrer la violence, qui est ici trop générale, donc aléatoire dans sa signification. En tous cas, on comprend bien que Tsukamoto a précédé Fincher dans son message, à savoir que la douleur permet à l'homme de retrouver la conscience de son corps, perdu entre tous les immeubles tokyoïtes démesurés et austères, et de son esprit, qui baigne dans trop d'automatismes urbains (métro, boulot, dodo) jusqu'à perdre sa singularité.
Mieux vaut donc être attaché aux thématiques de l'aliénation et de la confrontation entre l'individu et la société, à grands coups d'idéologies nihilistes et punks, pour apprécier « Tokyo Fist ». C'était déjà une condition sine qua non pour apprécier un tant soit peu les deux « Tetsuo ». La boxe, thème fort du film, est traitée de façon inédite, ce qui constitue un point fort (...non, non, toujours pas de jeux de mots pourris ici !) : ici, les visages sont tuméfiés à outrance, et le sang gicle des coquards. Exemple avec cette scène surréaliste où un coup de poing explose un nez (jusqu'ici, on est d'accord) puis... la moitié d'un visage. Trop exagéré (trop WTF?!, pour adopter un langage à la mode) pour être vrai, on préférera les classiques Rocky et Raging Bull, jugés trop mesurés par certains, et pourtant si justes. Et en parlant de justesse, les spectateurs qui ont détesté la bande son désespérément hardcore des « Tetsuo » risquent de nouveau de ne pas apprécier ce qu'on leur propose : moins violent, mais toujours éreintant pour les tympans ! Côté casting néanmoins, les acteurs se donnent à fond, et les interprétations sont toutes très puissantes : incontestablement la plus grosse réussite ici !
En résumé, si le grain expérimental de l'écriture et de la mise en scène est moins présent, ce qui produit un attrait plus grand, le tout reste encore très imparfait, laissant un sentiment d'inachevé.
(« Tokyo Fist » : 11/20).
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Intéressons-nous maintenant à « Bullet Ballet », sorti en 2000.
Quelques jours après le suicide de sa compagne, Goda (Shinya Tsukamoto) recroise Chisato (Kirina Mano), une jeune femme qu'il avait rencontrée et sauvée après qu'elle ait tenté elle-aussi de se suicider. Mais celle-ci hurle au viol, et Goda se fait tabasser et détrousser par un gang. Cela va provoquer chez Goda une envie irrépressible : se procurer une arme à feu. Mais les humiliations continuent, renforçant son envie de tuer.
Si « Tokyo Fist » se rapprochait fortement d'un « Fight club », alors « Bullet ballet » a tout d'un « Taxi driver »... ou presque ! Si la volonté de tuer partait chez le personnage joué par Robert de Niro d'un deuil identitaire, celui de Goda part du deuil de sa petite amie et... de celui de sa masculinité. Comme d'habitude chez Tsukamoto, le personnage principal est un salaryman banal. Mais voilà qu'il n'a plus de femme, et est tabassé par un gang à cause d'une autre qu'il a pourtant sauvée. Tout part d'un homme qui perd tout. Tous ses repères s’écroulent. Le sentiment de destruction totale qui s'impose à lui est logique. Jusqu'ici, pas de problème. Il est cependant dommage que Tsukamoto ait laissé une part de mystère qui ne sera pas résolu. La fameuse toile d'araignée formée à partir de l'impact de la balle dans la salle d'eau où se suicide l'épouse au début est effectivement le point de départ de maintes questions.
Pourquoi ce suicide ? Goda a-t-il mal fait, s'est-il mal comporté ? Les réponses ne seront pas trouvées, tant la vague de violence qui va le submerger domine tout le film. La psychologie des personnages est donc encore une fois sacrifiée sur l'autel de la violence. Les deux semblent inconciliables, comme trop souvent chez Tsukamoto. Pourtant, il étonne, en offrant une fin réussie, où l'espoir vient en contraste de la noirceur du film. Très content de voir que le cinéaste peut faire ce genre de choses. Les choix, bien plus humains envers son personnage principal que sur ses autres films, rendent « Bullet Ballet » plus intéressant... et l'aspect expérimental laisse place à un vrai cinéma contemplatif. Un bon point ! Même la musique, qui nous en met plein la tronche pendant tout le film, finit par céder lors du final à quelque chose de plus posé. On se prend alors à rêver de ce que pourrait faire un Tsukamoto rassasié de ses délires violents, de son attrait pour le cyberpunk et pour une esthétique urbaine crasseuse, débarrassé de ses démons visuels, se laissant aller à quelque chose de plus doux, plus humain, un peu comme l'a fait Sion Sono avec « Land of Hope » (qui a dit que les films les plus touchants ne pourraient jamais venir de réalisateurs ayant produit autrefois des oeuvres nihilistes et ultraviolentes ?).
Pourtant, si comme « Tokyo Fist », « Bullet Ballet » est clairement plus maîtrisé que les « Tetsuo », que les bonnes idées sont bel et bien présentes, que l'image en noir et blanc héritée du premier « Tetsuo » fait vraiment son effet, il reste globalement plutôt ennuyeux et manque de punch. Ironique n'est-ce pas ? « Tokyo Fist » manque de ce ton plus humain qui caractérise « Bullet ballet », et ce dernier manque de la nervosité du premier.
(« Bullet Ballet » : 12/20)
Un mot sur l'édition, de très bonne facture. On trouve comme toujours avec les coffrets Asian classics un livret (très) riche en infos et des interviews du réalisateur sur chacun des DVD... sauf qu'ici, c'est, encore plus que sur les autres coffrets de la collection, de l'excellent travail ! Les questions sont très pertinentes, diffèrent énormément de celles posées dans les interviews présentes dans le coffret « Tetsuo ». Surtout, il est franchement agréable de lire ou regarder Tsukamoto, qui répond à tout ! Son passé, ses goûts en matière de cinéma et de manga, ses influences. Takeshi Kitano ne s'est jamais laissé interviewé de la sorte si on en croit les livrets et interviews présents dans les coffrets Asian classics ! Cette richesse en termes d'interviews fait plaisir à voir, et il ne serait pas étonnant que ce résultat soit dû aux liens particuliers entretenus entre Jean-Pierre Dionnet et Shinya Tsukamoto, le premier apparaissant encore une fois comme un grand fan du second.
Beaucoup plus accessibles que les deux « Tetsuo », mais toujours marqués par de forts délires sur beaucoup de points, « Tokyo Fist » et « Bullet Ballet » sont tous deux assez inégaux. La psychologie des personnages trop souvent laissée de côté, hormis lors du très bon final de « Bullet Ballet », est vraiment le point qui fait tache : Tsukamoto se concentre sur la violence au détriment du reste. « Tokyo Fist » aurait mérité un message mieux ciblé, « Bullet Ballet » un rythme plus enlevé (un comble lorsqu'on voit les autres films de Tsukamoto, justement trop rapides !).
Après « Tetsuo » et « Tetsuo II », deux films classés au rang d'oeuvres cultes par les fervents adorateurs du courant cyperpunk et les amateurs de cinéma expérimental, mais restant pour des spectateurs lambda trop difficiles d'accès, Studio Canal via sa collection Asian classics a eu la bonne idée de proposer les deux films suivants du réalisateur nippon Shinya Tsukamoto : « Tokyo Fist » et « Bullet ballet ». L'occasion pour des cinéphiles restés sur leur faim avec les deux « Tetsuo », la faute à une mise en scène trop particulière et à un fond guère plus accessible, de se réconcilier avec le réalisateur ? Peut-être bien.
Dans « Tokyo Fist », sorti en 1995 au Japon et en 2001 en France, Tsuda (Shinya Tsukamoto, le réalisateur lui-même) est un salaryman nippon comme il en existerait des milliers : obéissant, mais stressé, travailleur, mais fatigué, une petite amie, mais pas beaucoup d'échanges. Tsuda va recroiser un ami perdu de vue, Kojima (Kôji Tsukamoto, le jeune frère du réalisateur et ancien boxeur professionnel), pratiquant la boxe, et qui le passera à tabac. Cet événement sera le déclencheur d'une concurrence entre les deux hommes, la boxe devenant un exutoire face à une vie morose, mais aussi le moyen de s'accaparer l'attention de Hizuru (Kahori Fuji), la petite amie de Tsuda. Celle-ci semble prendre un plaisir pervers à reprocher à Tsuda son impuissance physique. Et c'est sur ce terrain que le passé des deux hommes resurgira.
Toujours à la tête de quasiment tous les pans de son film (réalisation, scénario, photographie, montage, acteur), Shinya Tsukamoto signe avec « Tokyo Fist » un film étonnamment proche du « Fight club » de David Fincher sorti 4 ans plus tard. Beaucoup d'éléments sont communs : le triangle amoureux, les personnages à moitié déments, la boxe, la recherche de soi à travers la violence physique, un Tokyo aussi aseptisé que la mégapole américaine dans laquelle se promènent Edward Norton et Brad Pitt. Alors pillage en règle du cinéma underground nippon par le cinéma américain ? Ce ne serait pas une nouveauté. Après diverses investigations menées auprès de Fincher, il s'avère que les accusations n'ont pas lieu d'être, comme nous l'explique Jean-Pierre Dionnet dans le livret (très riche, on y reviendra) fourni avec le coffret. Pas de plagiat certes, mais alors une vraie coïncidence ! Pour autant, « Tokyo Fist » possède son identité propre à travers un scénario bien mené, loin des expérimentations de toutes sortes de Tsukamoto sur ses « Tetsuo ». « Tokyo Fist » permet d'apprécier l'univers sale et violent ainsi que le côté électrique et fou de la mise en scène, déjà présentes dans les deux « Tetsuo » mais qui, à cause de la forme trop anarchique, ne pouvaient qu'agacer à court ou moyen terme. Toutefois, si « Tokyo Fist » est indéniablement plus clair que le diptyque déjanté, le film reste brouillon et laisse sur un goût amer, la faute à des personnages encore insuffisamment exploités malgré un scénario qui avait tout pour le faire. Pas particulièrement prometteur au début, il s'enrichit jusqu'à vraiment passer un cap au bout de la première heure, mais retombe à plat sur la fin.
C'est dommage, car l'ensemble reste prenant, sentiment renforcé grâce à un montage nerveux, mais plus maîtrisé et moins nauséeux que sur « Tetsuo » (comment faire pire de toue façon ?). Notons que Tsukamoto reprend la palette des couleurs de son « Tetsuo II » et en fait une utilisation assez similaire : du bleu glacial pour les rues de Tokyo, du rouge façon lave de volcan pour les boxeurs, comme s'ils étaient la seule forme de vie existante, tous les autres personnages étant en grisâtre. La métaphore est ici habile. Les idées de mise en scène ne manquent pas, et s'avèrent, on l'a déjà dit, infiniment plus accessibles que dans les « Tetsuo ». En témoignent les entraînements de boxe, intelligemment filmés en accéléré, ou les combats de boxe filmés quasi-exclusivement caméra à l'épaule, renforçant l'immersion. Un film de boxe en vue subjective, façon jeu vidéo, loin des soi-disants cadors hollywoodiens filmant de la boxe comme un jardin d'enfants.
Mais, plus globalement, déchiffrer la symbolique de Shinya Tsukamoto s'avère toujours aussi complexe, puisqu'on peut tout voir, finalement, dans les réactions des personnages. L'ultraviolence est-elle la marque de l'oubli, du dépit, voire d'un châtiment, ou de la bravoure, de la passion ? On serait tenté de dire... tout en même temps. Soigner la psychologie des personnages n'aurait pas été un luxe pour recentrer la violence, qui est ici trop générale, donc aléatoire dans sa signification. En tous cas, on comprend bien que Tsukamoto a précédé Fincher dans son message, à savoir que la douleur permet à l'homme de retrouver la conscience de son corps, perdu entre tous les immeubles tokyoïtes démesurés et austères, et de son esprit, qui baigne dans trop d'automatismes urbains (métro, boulot, dodo) jusqu'à perdre sa singularité.
Mieux vaut donc être attaché aux thématiques de l'aliénation et de la confrontation entre l'individu et la société, à grands coups d'idéologies nihilistes et punks, pour apprécier « Tokyo Fist ». C'était déjà une condition sine qua non pour apprécier un tant soit peu les deux « Tetsuo ». La boxe, thème fort du film, est traitée de façon inédite, ce qui constitue un point fort (...non, non, toujours pas de jeux de mots pourris ici !) : ici, les visages sont tuméfiés à outrance, et le sang gicle des coquards. Exemple avec cette scène surréaliste où un coup de poing explose un nez (jusqu'ici, on est d'accord) puis... la moitié d'un visage. Trop exagéré (trop WTF?!, pour adopter un langage à la mode) pour être vrai, on préférera les classiques Rocky et Raging Bull, jugés trop mesurés par certains, et pourtant si justes. Et en parlant de justesse, les spectateurs qui ont détesté la bande son désespérément hardcore des « Tetsuo » risquent de nouveau de ne pas apprécier ce qu'on leur propose : moins violent, mais toujours éreintant pour les tympans ! Côté casting néanmoins, les acteurs se donnent à fond, et les interprétations sont toutes très puissantes : incontestablement la plus grosse réussite ici !
En résumé, si le grain expérimental de l'écriture et de la mise en scène est moins présent, ce qui produit un attrait plus grand, le tout reste encore très imparfait, laissant un sentiment d'inachevé.
(« Tokyo Fist » : 11/20).
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Intéressons-nous maintenant à « Bullet Ballet », sorti en 2000.
Quelques jours après le suicide de sa compagne, Goda (Shinya Tsukamoto) recroise Chisato (Kirina Mano), une jeune femme qu'il avait rencontrée et sauvée après qu'elle ait tenté elle-aussi de se suicider. Mais celle-ci hurle au viol, et Goda se fait tabasser et détrousser par un gang. Cela va provoquer chez Goda une envie irrépressible : se procurer une arme à feu. Mais les humiliations continuent, renforçant son envie de tuer.
Si « Tokyo Fist » se rapprochait fortement d'un « Fight club », alors « Bullet ballet » a tout d'un « Taxi driver »... ou presque ! Si la volonté de tuer partait chez le personnage joué par Robert de Niro d'un deuil identitaire, celui de Goda part du deuil de sa petite amie et... de celui de sa masculinité. Comme d'habitude chez Tsukamoto, le personnage principal est un salaryman banal. Mais voilà qu'il n'a plus de femme, et est tabassé par un gang à cause d'une autre qu'il a pourtant sauvée. Tout part d'un homme qui perd tout. Tous ses repères s’écroulent. Le sentiment de destruction totale qui s'impose à lui est logique. Jusqu'ici, pas de problème. Il est cependant dommage que Tsukamoto ait laissé une part de mystère qui ne sera pas résolu. La fameuse toile d'araignée formée à partir de l'impact de la balle dans la salle d'eau où se suicide l'épouse au début est effectivement le point de départ de maintes questions.
Pourquoi ce suicide ? Goda a-t-il mal fait, s'est-il mal comporté ? Les réponses ne seront pas trouvées, tant la vague de violence qui va le submerger domine tout le film. La psychologie des personnages est donc encore une fois sacrifiée sur l'autel de la violence. Les deux semblent inconciliables, comme trop souvent chez Tsukamoto. Pourtant, il étonne, en offrant une fin réussie, où l'espoir vient en contraste de la noirceur du film. Très content de voir que le cinéaste peut faire ce genre de choses. Les choix, bien plus humains envers son personnage principal que sur ses autres films, rendent « Bullet Ballet » plus intéressant... et l'aspect expérimental laisse place à un vrai cinéma contemplatif. Un bon point ! Même la musique, qui nous en met plein la tronche pendant tout le film, finit par céder lors du final à quelque chose de plus posé. On se prend alors à rêver de ce que pourrait faire un Tsukamoto rassasié de ses délires violents, de son attrait pour le cyberpunk et pour une esthétique urbaine crasseuse, débarrassé de ses démons visuels, se laissant aller à quelque chose de plus doux, plus humain, un peu comme l'a fait Sion Sono avec « Land of Hope » (qui a dit que les films les plus touchants ne pourraient jamais venir de réalisateurs ayant produit autrefois des oeuvres nihilistes et ultraviolentes ?).
Pourtant, si comme « Tokyo Fist », « Bullet Ballet » est clairement plus maîtrisé que les « Tetsuo », que les bonnes idées sont bel et bien présentes, que l'image en noir et blanc héritée du premier « Tetsuo » fait vraiment son effet, il reste globalement plutôt ennuyeux et manque de punch. Ironique n'est-ce pas ? « Tokyo Fist » manque de ce ton plus humain qui caractérise « Bullet ballet », et ce dernier manque de la nervosité du premier.
(« Bullet Ballet » : 12/20)
Un mot sur l'édition, de très bonne facture. On trouve comme toujours avec les coffrets Asian classics un livret (très) riche en infos et des interviews du réalisateur sur chacun des DVD... sauf qu'ici, c'est, encore plus que sur les autres coffrets de la collection, de l'excellent travail ! Les questions sont très pertinentes, diffèrent énormément de celles posées dans les interviews présentes dans le coffret « Tetsuo ». Surtout, il est franchement agréable de lire ou regarder Tsukamoto, qui répond à tout ! Son passé, ses goûts en matière de cinéma et de manga, ses influences. Takeshi Kitano ne s'est jamais laissé interviewé de la sorte si on en croit les livrets et interviews présents dans les coffrets Asian classics ! Cette richesse en termes d'interviews fait plaisir à voir, et il ne serait pas étonnant que ce résultat soit dû aux liens particuliers entretenus entre Jean-Pierre Dionnet et Shinya Tsukamoto, le premier apparaissant encore une fois comme un grand fan du second.
Beaucoup plus accessibles que les deux « Tetsuo », mais toujours marqués par de forts délires sur beaucoup de points, « Tokyo Fist » et « Bullet Ballet » sont tous deux assez inégaux. La psychologie des personnages trop souvent laissée de côté, hormis lors du très bon final de « Bullet Ballet », est vraiment le point qui fait tache : Tsukamoto se concentre sur la violence au détriment du reste. « Tokyo Fist » aurait mérité un message mieux ciblé, « Bullet Ballet » un rythme plus enlevé (un comble lorsqu'on voit les autres films de Tsukamoto, justement trop rapides !).
De kokitolous [2243 Pts], le 12 Octobre 2013 à 00h58
J'ai justement acheté ce coffret suite à la critique des 2 tetsuo. La seule chose qu j'ai à dire, c'est que c'ets le genre de film qu'on aime ou qu'on déteste. Moi, j'adore. C'est brutal, trés violent (là-dessus, je dois admettre que certaines scènes en faisaient trop), étouffant et ça nous renvoie une image trés négative de la mégalopole sur ce qu'elle peut avoir comme effets sur les humains. Il est à noter la rôle de la femme dans les 2 films qui est marquant.