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Ciné-Asie Critique - Ivre de femmes et de peinture

Jeudi, 29 Novembre 2012 à 10h02

Découvrez aujourd'hui la chronique de Rogue Aerith portant sur le film Ivre de femmes et de peinture du coréen Kwon Taek Im !
 

 
Au XIX° siècle, Jang Seung-up (Choi Min-sik) est orphelin, contraint à être mendiant. Secouru par un intellectuel issu de la noblesse fasciné par ses aptitudes à la peinture, Jang finit néanmoins par s'enfuir. Il retrouvera son maître quelques années plus tard, qui le recommandera à ses amis peintres afin de faire son éducation. Jang se fera vite connaître. Il se surnommera Ohwon et deviendra un génie de la peinture facétieux et rebelle, dont les nobles s'arracheront les services. Imitant à la perfection les maîtres chinois, Ohwon s'émancipera en trouvant son propre style et de nouvelles inspirations. Mais son génie sera confronté à ses pulsions libertines, ses nombreux questionnements, et à l'évolution politique de son pays.

« Ivre de femmes et de peinture » est un film d'Im Kwon-taek, à l'origine de plus d'une centaine de films, dont quasiment tous sont inédits en France. Sorti en 2002, « Ivre de femmes et de peinture » a obtenu le prix de la mise en scène au Festival de Cannes (ex-aequo avec le Punch-Drunk Love de Paul Thomas Anderson), a été nominé pour la Palme d'or et pour le César du meilleur film étranger.

Même s'il n'est pas dénué de maladresses dans son rythme et sa narration, le film d'Im Kwon-taek s'avère passionnant à travers les interrogations posées et les thématiques soulevées. Celles-ci sont nombreuses.

« Ivre de femmes et de peinture » est un véritable hymne à l'artiste. Pas seulement à celui auquel il s'intéresse, de façon très autobiographique, même si on se doute que l'ensemble est très romancé. Non, cette petite pépite d'Im Kwon-taek s'intéresse au statut, à la valeur, à la vie, à la liberté d'un artiste peintre.

La première thématique se trouve donc évidemment être le malaise et le mal-être de l'artiste, sa remise en cause permanente. Ohwon déteste voir les gens apprécier son travail, car pour lui, cela signifie qu'il a fait ce que l'on attendait de lui, ce qui n'est pas son objectif. Il veut surprendre, être à la marge. Et pour cela, il n'a d'autres choix que de céder à ses vices, qui lui permettent de trouver l'inspiration : les femmes et l'alcool. Son goût pour les tavernes et les courtisanes ne cessera de se renforcer au fil de ses errances. Car Ohwon se cherche, tente des périples dans la nature, est déçu par chacun des maîtres ou des écoles chez qui il est accepté. Ohwon devient irascible, en lutte contre tout le monde et contre lui-même. S'il a l'impression que sa créativité se perd, ce n'est pas le cas de son génie, malgré ses excès, si bien que tous continuent de lui demander de peindre malgré sa personnalité si particulière.

La seconde question du film est de savoir si l'art est soluble dans une société de classes comme la Corée de l'époque. Ohwon est roturier, refuse la soumission à des maîtres souvent issus de la noblesse, s'attire les foudres du roi, non pour l'avoir directement offensé à travers une de ses peintures, mais pour ne pas avoir respecté la bienséance en s'enfuyant du palais pour trouver l'alcool qu'on lui refusait ! Pour Ohwon, ses maîtres sont des « barbouilleurs » : il refuse d'agrémenter ses peintures d'un poème ou de tout autre texte, car la peinture se suffit à elle même. Si elle a besoin d'un texte, c'est qu'elle n'est pas bonne, ne parvenant pas à rendre un sentiment ou une expression. Tous ces nobles, pourtant, ne cesseront pas de respecter Ohwon malgré son caractère, car éblouis par son génie. Ohwon peint avec ses convictions, et plus encore : avec ses tripes.

L'éblouissement, c'est justement l'impression que pourront avoir beaucoup de spectateurs devant l'esthétique du film. Les décors somptueux (que la nature coréenne est belle !) ressemblent à ce que Ohwon peint. Le film est un régal pour les yeux puisque les peintures sur rouleaux se succèdent, tantôt à l'encre noire, tantôt en couleurs. De plus, Im Kwon-taek a amplement mérité son prix de la mise en scène à Cannes, tant sa caméra capte bien le mouvement du pinceau sur la toile, le visage concentré et passionné de son acteur.

En arrière-plan de l'évolution de l'artiste, on retrouve l'Histoire de la Corée à la fin du XIX°s, marquée par la chute de la dynastie Chosun (une des plus longues de l'Histoire de l'Humanité, excusez du peu). Or, les bons films historiques sud-coréens, ça ne court pas les rues (du côté des bons, tout juste pourrais-je vous citer « Le roi et le clown », prenant place au XVI°s), et ça fait franchement plaisir d'en voir un ! Im Kwon-taek a su livrer une reconstitution historique impressionnante, aussi bien sur les décors, sur les costumes, que sur les « manières » et comportements. Pas question de bling-bling, la reconstitution sert l’histoire : les intérieurs sont riches, et on peut découvrir les traditions décoratives coréennes des échoppes et des habitations. Tout simplement excellent. Cette arrière-fond historique sert de même à poser une des autres thématiques du film : la place de l'artiste face au politique. Quelle place pour Ohwon face aux réformistes prenant le pouvoir en Corée grâce aux Japonais, et face à des troupes chinoises qui continuent d'être intéressées par le pays malgré leur défaite ?

L'interprétation magistrale de Choi Min-sik doit être soulignée. Jouant tour à tour un personnage passionné ou enragé, violent ou plus doux, marginal ou sage, l'acteur évolue parfaitement avec son personnage. L'ambiance sonore n'est pas en reste.

Mais alors, « Ivre de femmes et de peinture » est-il dénué de défauts ? De défauts, oui, de petites maladresses, hélas non. On note par exemple une relative linéarité et une narration un peu faiblarde (des flash-backs confus et aléatoires, un manque de dynamisme global), qui cependant s'adapte parfaitement à ce qu'a voulu montrer le cinéaste : l'errance perpétuelle de son personnage. Notons que le milieu du film, quelque peu ennuyeux, laisse place à un final très enthousiasmant, rempli de passages forts (les retrouvailles poignantes avec le vieux maître, le désir final de Ohwon d'explorer un autre art pour comprendre le sien, et on taira d'autres choses pour ne pas vous gâcher la surprise...). L'autre maladresse relève non du film lui-même mais de sa promotion, à travers l'affiche occidentale (reprise sur la jaquette) suggestive, qui ne reflète pas franchement le sens du film. A ceux qui espèrent avant tout voir l'artiste glisser dans la débauche érotique, passez votre chemin : hormis une scène, l'érotisme demeure assez discret.

L'édition est parfaite, notamment grâce à la présence d'excellents bonus. Le premier est un entretien introductif au film entre Jean-Pierre Dionnet et Pierre Rissient (deux spécialistes du cinéma asiatique, introducteurs de celui-ci en France), dont les propos ne manquent pas de pertinence, comme à chaque fois qu'ils s'expriment sur le sujet ! Le second est un reportage de 20 minutes sur les manifestations ayant eu lieu en Corée du Sud pour protester contre la limitation des quotas de films sud-coréens et la montée en puissance du monopole hollywoodien dans les salles de cinéma. En 2003, dans le cadre d'accords bilatéraux entre Corée du Sud et Etats Unis, ils ont en effet été remis en cause, ce qui a donné lieu à un soulèvement général du milieu du cinéma sud-coréen, beaucoup de personnes se rasant la tête (symbole fort en Asie). Une des scènes de ce reportage est particulièrement forte : le rasage de crâne en direct sur une estrade du cinéaste Im Kwon-taek, vu par beaucoup de Coréens comme le meilleur réalisateur du pays. Il est saisissant de voir les plus vieux comme les plus jeunes, femmes et hommes, essuyer leurs larmes, dans une foule de centaines d'individus travaillant dans le cinéma et protégeant leur culture en refusant trop de Hollywood (et « refuser trop de » Hollywood, ce n'est pas « refuser » Hollywood). Notons enfin que l'édition Asian star ne propose que le film en version originale sous-titrée (ce qui n'est pas plus mal !), et que le menu DVD rend hommage au film avec ses peintures interactives.

Au final, « Ivre de femmes et de peinture » brille par sa mise en scène soignée sans être trop sophistiquée (à la Im Sang-soo), et s'avère extrêmement riche dans son propos sans jamais tomber dans la métaphysique, demeurant au contraire très accessible. Im Kwon-taek mélange parfaitement Histoire coréenne et histoire de l'artiste, en posant de nombreuses questions sur ce dernier... et finalement sur ce que tout artiste a déjà ressenti : refuser les règles, établir les siennes, les bafouer ensuite ou ne pas les considérer comme des règles, comment se renouveler, ne pas vouloir répondre aux attentes. Et le plus important, comment changer. Soi-même, son oeuvre, ou son pays.
 

commentaires

Koiwai

De Koiwai [12693 Pts], le 29 Novembre 2012 à 20h48

Un très grand film, bien mis en valeur par cette chronique !

Manga-News

De Manga-News [3732 Pts], le 29 Novembre 2012 à 11h58

un chef d'oeuvre avec un très grand acteur

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