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Ciné-Asie Critique - Hana-bi

Lundi, 17 Septembre 2012 à 09h48

Cette semaine, c'est spéciale Takeshi Kitano dans la section DVD Asie de Manga-news. L'occasion de découvrir une chronique de RogueAerith sur un film d'un des artistes les plus appréciés du Japon. Rappelons en effet que, si Kitano est surtout connu en Occident en tant que réalisateur et acteur, il bénéficie au Japon d'une aura particulière, jouant sur tous les tableaux, sorte de Coluche local (animateur télé, comédien, chanteur de variétés, peintre, écrivain).
Aujourd'hui, c'est avec une chronique de Hana-bi, son chef d'œuvre sorti en 1997, que nous vous proposons de débuter la semaine.


 
 
L'inspecteur de police Nishi (Takeshi « Beat » Kitano) voit ses repères s'effondrer les uns après les autres : sa femme est atteinte d'un cancer en phase terminale, son meilleur ami et collègue est paralysé après s'être fait tirer dessus, un jeune bleu meurt en essayant d'appréhender l'agresseur, des yakuzas le harcèlent, et les démons de sa fille décédée à l'âge de 5 ans resurgissent. Usé par la vie et ses contingences, Nishi revient à l'essentiel : réparer ses erreurs et tenter d'amener un peu de bonheur autour de lui.

Lion d'or de la Mostra de Venise 1997, « Hana-bi » a fait l'objet d'une quasi-unanimité critique à sa sortie et a véritablement fait connaître son réalisateur, Takeshi Kitano, en Occident. « Hana-bi » signifie en japonais « feux d'artifice », et littéralement, se traduirait en français par fleurs (« hana ») de feu (« bi »). Le caractère « hana » est également symbole de l'amour tandis que « bi » est celui de la mort. Un titre et une symbolique simples qui en disent long sur les thématiques développées par Kitano : en mélangeant l'amour, la mort, la maladie, la violence, la nostalgie, sans que son film soit boursouflé, incohérent, mais au contraire extrêmement touchant et simple, le cinéaste livre un film exceptionnel.

Le début de « Hana-bi » pose les bases de ce qui signera le destin funeste de beaucoup de personnages. Tandis que l'inspecteur Nishi rend visite à se femme atteinte d'un cancer incurable dans une clinique, son collègue et meilleur ami Horibe fait le guet : un voyou le crible de balles, le policier finira en fauteuil roulant. En voulant appréhender le suspect, Kitano et un autre de ses collègues seront blessés, le plus jeune mourra. Les yakuzas quant à eux, ne cessent de demander de l'argent à Nishi, avec le maximum d'intérêts. Ajoutons à cela le traumatisme passé d'une enfant perdue à l'âge de 5 ans, et vous comprendrez pourquoi Nishi raccrochera l'uniforme pour se consacrer à l'essentiel : vivre de bons moments avec sa femme condamnée, faire quelque chose pour la veuve du jeune policier, redonner à son collègue Horibe, handicapé et abandonné par sa femme et sa fille, le goût de vivre grâce à une passion trop longtemps enfouie, la peinture. Notez que la construction narrative, faite d'ellipses, ne donne pas toutes les clefs de compréhension de façon instantanée. Il faudra attendre un moment afin de reconstruire le puzzle passé/présent, avec notamment la fameuse scène où Nishi perdra son plus jeune collègue et videra son chargeur sur l'assassin, qui n'intervient qu'au bout d'un certain temps.

« Hana-bi » est une franche réussite scénaristique car la noirceur des événements, la violence omniprésente (attendez-vous à des scènes cultes entre Nishi et les yakuzas) ou la niaiserie qui aurait pu naître de la fin de vie de l'épouse, sont neutralisées par une mise en scène épurée. Le raffinement esthétique de « Hana-bi » est d'autant plus surprenant que la mise en scène n'est pas sophistiquée, mais au contraire très simple, faite de plans fixes extrêmement bien pensés. Ce qui fait le charme du film, c'est aussi l'ode à la contemplation. Kitano invite à observer l'océan, les fleurs, la neige, sans jamais s'abandonner à des lourdeurs métaphysiques ou spirituelles. On insiste vraiment sur la simplicité apparente de tout ce que l'on voit à l'écran : une photographie superbe, des sentiments très naturels et montrés avec pudeur, une partition magnifique du pianiste Joe Hisaishi, qui magnifie l'ensemble.

Après « Sonatine », déjà très particulier, mais sans doute un peu trop incomplet, « Hana-bi » réinvente véritablement le polar, étant en décalage permanent avec les codes du genre : violence tantôt hors champ, tantôt plein champ, impression de personnages en suspension par rapport à la réalité et ce qui peut leur arriver... La patte Kitano est évidente avec un quasi-mutisme généralisé chez les personnages, des gags simples, prévisibles mais attachants. Kitano maintient son jeu volontairement froid (où la rage n'explose que par moments), bien décidé à arborer comme dans tous ses autres films un masque sans aucune expression. Son visage néanmoins, est parfois soumis à des tics rompant avec sa volonté d'être le plus impassible possible : les stigmates de son accident de moto datant de 1994 sont bien visibles. Ren Osugi et Susumu Terajima, meilleurs complices de Kitano, sont absolument excellents : mention spéciale au premier et ses regards perdus dans ses peintures, profondément émouvants. Kayoko Kishimoto, qui joue l'épouse de Nishi, est formidable, sachant passer de la douleur intériorisée des débuts à une petite espièglerie naissante au fur et à mesure.

De la contemplation présente dans « Haba-bi » ressort une grande richesse, qui ne nuit jamais à la compréhension du scénario, et qui, comme dit précédemment, ne s'encombre d'aucune lourdeur. La majorité des films de Kitano (il n'y a bien que ses tout premiers, ainsi qu'« Aniki » et « Outrage » qui fassent exception) entretiennent des rapports particuliers vis-à-vis de la nature. « Hana-bi » s'axe sur l'exaltation des petites choses simples, qu'elles soient improbables (amusante scène de pêche infructueuse dans un lac et de la réaction de Kitano envers ceux qui troublent ce moment) ou non (promenade dans la neige, observation de l'océan, jeux divers). Ces retrouvailles avec une vie chaleureuse constituent la seule chose qui puisse donner à Nishi et sa femme un peu de temps avant l'inéluctable. Sachez enfin que « Hana-bi » brille de mille feux (d'artifice) par sa fin, qui est l'une des plus marquantes et poignantes jamais vues pour ma part.

Par ailleurs, la contemplation est l'occasion pour Kitano d'imposer ses propres peintures pendant tout le film. Trop souvent accusé de faire son autopromotion, ses toiles naïves et colorées ou beaucoup plus graves (celle sur fond blanc, avec le caractère « suicide » en rouge, n'est pas autre chose qu'une toile de maître), illustrent à merveille ce qui se passe à l'écran, la symbolique de « Hana-bi » ayant le mérite d'être parfaitement compréhensible. Les destins parallèles de Nishi et Horibe, l'un ayant la « chance » de pouvoir vivre les derniers instants de sa femme, l'autre étant injustement abandonné et n'ayant plus que la peinture pour seul épanouissement, sont par exemple retranscrits à travers les toiles, qui se répondent. Horibe annonce ainsi la fin de Nishi, Nishi quant à lui continue de lui offrir des cadeaux (moyen d'expression quand on ne parvient pas à dire ce que l'on ressent) tant qu'il le peut. La violence n'est pas esthétisée ni gratuite, survenant par éclats pour souligner l'importance de s'échapper, passer à autre chose...

L'édition DVD est très satisfaisante : l'image laisse un peu à désirer mais le son est parfait. Making-of, interview, filmographies sont assez complets, et il n'y a bien que quelques coquilles orthographiques qui font tache (heureusement pas dans le film, mais dans les reportages qui semble-t-il ont été directement traduits par des Japonais francophones sans intervention d'un correcteur).

« Hana-bi » est un film beau et douloureux, honnête et pudique, mélancolique et très silencieux. L'affection et les larmes, absentes, sont remplacées par les regards et les situations. La mise en scène sobre s'appuyant sur des décors superbes et des fantaisies picturales à la symbolique pas hermétique (ça change), est excellente. Tout le mélange d'émotions voulues par Kitano passe aisément. Et quel final bouleversant et bien filmé ! « Hana-bi » est incontestablement le meilleur film de Takeshi Kitano, et certainement le plus beau film japonais de la décennie 1990 (avec « L'anguille » de Shohei Imamura), décennie ayant eu la lourde tâche de succéder à l'âge d'or 1970-1980 Kurosawa-Ozu-Mizoguchi.
 
 

commentaires

RogueAerith

De RogueAerith [395 Pts], le 18 Septembre 2012 à 14h16

@NuageGeant :

Le fait est que les années 50-60 sont en France encore marquées par une fermeture politico-culturelle, où le cinéma français est autocentré sur lui-même et sa nouvelle vague, ainsi que celle venant d'Italie, et le cinéma américain. Le cinéma nippon à l'époque est réservé à une élite d'une centaine de personnes à peine (je caricature, et pourtant). Il suffit de voir les critiques cinéma de quotidiens de l'époque (Le Figaro etc...) sur le cinéma japonais pour s'apercevoir que le cinéma oriental n'était pas compris. Les années 70, ce n'est pas que la révolution des moeurs post-68, c'est aussi une vraie évolution culturelle, où enfin les cinémas étrangers sont vraiment considérés. La connaissance en France des chefs d'oeuvre que tu cites, sortis effectivement dans les années 50, ne commence vraiment que dans les années 70-80. J'arrêterai là mon argumentation.

NuageGeant

De NuageGeant [231 Pts], le 17 Septembre 2012 à 22h44

Moui enfin je trouve ça un peu bizare pour moi de placer l'age d'or du cinéma japonais en fonction de l'arrivée des classiques de ce dernier en France.

Et puis la "découverte" à l'internationale du cinéma japonais commence dès les années 50 avec des prixs à la Mostra de Venise pour Kurosawa et Mizoguchi.

RogueAerith

De RogueAerith [395 Pts], le 17 Septembre 2012 à 20h52

@NuageGeant : Non, non, pas d'erreur.

L’œuvre d'Ozu reste inconnue en France jusqu'en 1978. Trois films sortent alors en France cette année-là : Voyage à Tokyo, le Goût du saké et Fin d'automne. S'agissant de Mizoguchi, il reste de même peu connu en France, jusque dans les années 1970.

Koiwai

De Koiwai [12811 Pts], le 17 Septembre 2012 à 17h10

Sans doute mon Kitano préféré après l'exceptionnel Eté de Kikujiro.

NuageGeant

De NuageGeant [231 Pts], le 17 Septembre 2012 à 14h47

" décennie ayant eu la lourde tâche de succéder à l'âge d'or 1970-1980 Kurosawa-Ozu-Mizoguchi."

 

Petite erreur nan? Seul Kurosawa était encore vivant durant cette décénie. Et puis l'âge d'or se situerai plus dans les années 50 avec les grands classiques: Voyage à Tokyo, Vivre, 7 Samouraïs, les Amants crucifiés et Les Contes de la Lune vague après la pluie.

 

M'sinon j'ai jamais été un grand fan des films de Kitano, exception faite pour ses films plus abordables comme Kikujiro ou son Zatoichi.

shinob

De shinob [127 Pts], le 17 Septembre 2012 à 14h03

Dommage que le film ne soit pas vendu en Blu-Ray...

dkrevenge

De dkrevenge [2696 Pts], le 17 Septembre 2012 à 10h30

un chef d'oeuvre

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