Ciné-Asie Critique - Samaria
Il y a un peu moins d'une semaine, le réalisateur sud-coréen Kim Ki-Duk a remporté la récompense la plus prestigieuse d'un des festivals de cinéma les plus célèbres au monde : le Lion d'or de la Mostra de Venise. Aujourd'hui, grâce à RogueAerith, nous vous proposons de découvrir la chronique d'un film du cinéaste coréen, sorti en 2004 : Samaria.
Deux adolescentes, Yeo-Jin (Kwak Ji-Min) et Jae-Young (Seo Min-jung) rêvent de faire un voyage en Europe. Afin de réunir la somme d’argent nécessaire, Jae-Young se prostitue, Yeo-Jin s'occupant des aspects « administratifs » : prises de rendez-vous, surveillance de la police pendant « l'acte », régulation du tempérament trop affectif de son amie. Mais la situation ne dure pas. Séparée de Jae-Young, Yeo-Jin va se lancer dans une spirale morbide. Et son père (Lee Eol) ne tardera pas à découvrir ce qu'elle fait.
Réalisé par Kim Ki-Duk et sorti en 2004, « Samaria » a créé la controverse en Corée du Sud, comme la plupart des films du réalisateur. La place de la femme dans la société a été questionnée, puisque « Samaria » s'engage sur la voie de la prostitution adolescente en Corée du Sud. La prostitution est un thème récurrent pour ce cinéaste. Dans « The Birdcage Inn », une prostituée bouleverse la vie des habitants d'une auberge. Dans « Bad Guy », un gangster proxénète entretient une relation avec une jeune étudiante. Dans « L'Île », l'héroïne se prostitue souvent. Mais dans « Samaria », le thème de la prostitution adolescente est au cœur du scénario. Pour se payer un nouveau téléphone portable, des habits, du parfum, des jeunes filles, collégiennes ou lycéennes, se livrent à des adultes, parfois pères de famille. Un phénomène connu au Japon, et présent en Corée du Sud. La volonté de Kim Ki-Duk avec ce film ? Lever des tabous, comme il a déjà pu le faire dans ses films précédents. Ne vous attendez pas à des scènes racoleuses : pas de cela avec Kim Ki-Duk. L'étude du sujet reste toujours primordiale. Mais la violence sociale et physique, ça, vous en aurez.
La vision du réalisateur est plus nuancée que ce qu'on a l'habitude de lire ou de voir : alors que l'on considère généralement les jeunes filles comme des victimes d'un système social et économique, le cinéaste ose un cinéma plus subversif. Car là où les deux ados de « Samaria » se distinguent, c'est que leur motivation est somme toute louable : plus que des accessoires dernier cri, c'est un voyage en Europe pour lequel elles mettent toutes leurs économies de côté. Pour autant, la prostitution s'impose-t-elle ? Kim Ki-Duk nous montre que non. Si le contexte familial de Jae-Young n'est pas connu, celui de Yeo-Jin ne devrait pas l'amener à se prostituer : même si sa mère est décédée, son père la gâte et s'occupe d'elle avec le plus grand soin. L'aider financièrement pour un voyage en Europe n'aurait pas beaucoup posé problème, mais Yeo-Jin encourage néanmoins son amie en organisant ses rendez-vous avec des hommes telle une proxénète. Et là où tout devient plus compliqué, c'est que Yeo-Jin, suite à un événement dont on vous taira les détails, va s'enfermer dans un processus psychologique morbide, se substituer à Jae-young pour faire un deuil et se défaire d'une culpabilité qu'elle a accumulée... même si finalement, ses pensées véritables demeurent opaques?
Kim Ki-Duk a découpé son film en plusieurs segments, chacun étant axé sur un duo de personnages : drame (Jae-Young/Yeo-Jin), vengeance (Yeo-Jin/son père), rédemption (son père/Yeo-Jin). Si le sujet offre un fort potentiel, les choix du réalisateur plombent tout à fait le potentiel dramatique de « Samaria » : les trois segments accusent un manque flagrant d'homogénéité. Kim Ki-Duk mélange un peu tout, avec un manque de profondeur psychologique et de rigueur étonnants, que l'on ne retrouve guère dans ses autres films. L'amour entre les deux jeunes filles est effleuré, les raisons de la vengeance et du deuil ne diffèrent pas plus que dans d'autres vigilantes, le tout est saupoudré d'un peu de catholicisme, prenant de plus en plus de place au pays du Matin calme.
Le premier segment s'avère gâché par des situations improbables et des personnages manquant de réalisme. Jae-Young est totalement marginale, tombant amoureuse de ses clients mais ne perdant jamais son sourire niais... et ne parlons pas d'un choix qu'elle fera, qui restera inexpliqué pendant tout le film : ce personnage ne convainc pas. Cela n'est pas plus le cas des clients, dont un musicien faisant preuve d'un cynisme dans une situation très particulière, réaction totalement improbable en réalité...mais pas selon Kim Ki-Duk. Et ne parlons pas de deux autres situations qui frôlent le ridicule tant elles semblent irréalistes, que l'on ne peut pas décrire sous peine de spoilers. Ce segment est sauvé en partie grâce au propos corrosif du réalisateur sur les choix faits par les jeunes filles et les paroles de certains personnages (comme Jae-Young affirmant que tous ses clients ne sont pas des pervers et sont parfois attachants, sont des hommes normaux dont les envies diffèrent).
Le second segment emprunte fortement au vigilante, avec le père de Yeo-Jin, lui-même flic, traquant les hommes rencontrés par sa fille, sans s'attaquer au cœur du problème : une discussion avec celle-ci. Ce père qui résiste à la misère sociale rencontrée dans son travail de policier finit par céder et franchit la ligne rouge en père blessé, ange gardien tentant de rétablir une morale en s'attaquant aux clients. Mais ce segment ne convainc pas plus que le premier. Car comment, encore une fois, ne pas reprocher au réalisateur la critique sous-jacente vis-à-vis des services de police, critique devenue typiquement sud-coréenne, franchement énervante vu que d'autres cinéastes nous font le coup dans un film sur deux (Bong Joon-Ho, Na Hong-Jin, Park Chan-Wook, Kim Jee-Woon, et tant d'autres). La police manque en effet totalement de réactivité : alors qu'ils ont pourtant réussi à prendre les jeunes filles en filatures (segment 1), alors que les cadavres s'enchaînent (segments 1-2), les policiers sont incompétents ou absents.
Le dernier segment nous fait le coup de retrouvailles père-fille en campagne isolée sur la tombe de la mère. Les dialogues sont rares, le silence règne, même les regards ne disent rien, et on ne vous dira rien sur la fin, qui reste sans nul doute l'aspect le plus réussi du film.
De cette segmentation, il ressort donc une grave carence en réalisme alors même que la volonté du cinéaste était de l'être le plus possible pour traiter son sujet, ainsi qu'un rythme en dents-de-scie qui ne s'accommode jamais des choix faits. Le mélange des genres, jamais mis en exergue par le réalisateur dans ses interviews, mais tellement évident au visionnage de son film, est raté : premier segment dramatique qui ne produit pas son effet à cause de situations et personnages improbables, deuxième segment « vigilante » peu intéressant car les personnages manquent de profondeur psychologique, dernier segment quasi-contemplatif. Alors qu'il ne dépasse pas une heure et quarante minutes, « Samaria » n'est par conséquent pas très agréable à suivre et semble très long.
« Samaria » porte de fait la triste étiquette de film montrant les limites de la nouvelle vague du cinéma sud-coréen : dans beaucoup de films (voir notamment ceux des réalisateurs précédemment cités concernant la critique des services de police), le drame vécu par les personnages est de pire en pire, jusqu'à atteindre les confins de la noirceur. Ici, le problème est qu'on ne sait pas vraiment pourquoi, les personnages agissant sans vraie logique, à cause, devinez-quoi (l'insistance et la répétition sont justifiées), du manque de profondeur et de situations improbables. Cependant, il est très intéressant de regarder le film une seconde fois en faisant fi de toutes les situations improbables dénoncées, et en observant davantage selon un angle symbolique : considérer par exemple, Jae-Young comme une samaritaine marginal(isé)e des temps modernes, plutôt qu'un personnage dont la psychologie ne saurait exister tel quel, et tant d'autres choses.
Heureusement, « Samaria » a pour lui quelques réussites. On commence avec la mise en scène, propre et plaisante, à défaut d'être originale (pour cela, il faudra voir le vrai chef d'œuvre de Kim Ki-Duk, « Locataires »). Le réalisateur opte largement pour les plans fixes et une violence plein champ/hors champ efficace. Quelques scènes sont de même très réussies, comme la plupart des rencontres entre le père de Yeo-Jin et les anciens clients, ou la fin. Le casting est très bon en dépit de personnages (les deux ados) mal-écrits. On retient particulièrement Lee Eol (le père de Yeo-Jin), qui livre un jeu puissant.
L'édition DVD propose un making-of, révélant l'engagement des acteurs (avec des claques non simulées, souvent filmées de façon unique, les acteurs s'excusant après les uns auprès des autres) mais aussi les difficultés rencontrées par Kim Ki-Duk pour diriger les deux adolescentes, trop émotives vis-à-vis de leurs personnages.
Alors que « Samaria » avait pour lui son sujet, ce n'est pas tant son traitement qui pose problème, mais les choix en matière de narration qui gâchent tout. On ne doute pas que « Pieta », le nouveau film de Kim Ki-Duk, récent Lion d'Or à la Mostra de Venise de 2012, et chronique d'une misère sociale sans nom, aura profité de choix narratifs plus appropriés.
Deux adolescentes, Yeo-Jin (Kwak Ji-Min) et Jae-Young (Seo Min-jung) rêvent de faire un voyage en Europe. Afin de réunir la somme d’argent nécessaire, Jae-Young se prostitue, Yeo-Jin s'occupant des aspects « administratifs » : prises de rendez-vous, surveillance de la police pendant « l'acte », régulation du tempérament trop affectif de son amie. Mais la situation ne dure pas. Séparée de Jae-Young, Yeo-Jin va se lancer dans une spirale morbide. Et son père (Lee Eol) ne tardera pas à découvrir ce qu'elle fait.
Réalisé par Kim Ki-Duk et sorti en 2004, « Samaria » a créé la controverse en Corée du Sud, comme la plupart des films du réalisateur. La place de la femme dans la société a été questionnée, puisque « Samaria » s'engage sur la voie de la prostitution adolescente en Corée du Sud. La prostitution est un thème récurrent pour ce cinéaste. Dans « The Birdcage Inn », une prostituée bouleverse la vie des habitants d'une auberge. Dans « Bad Guy », un gangster proxénète entretient une relation avec une jeune étudiante. Dans « L'Île », l'héroïne se prostitue souvent. Mais dans « Samaria », le thème de la prostitution adolescente est au cœur du scénario. Pour se payer un nouveau téléphone portable, des habits, du parfum, des jeunes filles, collégiennes ou lycéennes, se livrent à des adultes, parfois pères de famille. Un phénomène connu au Japon, et présent en Corée du Sud. La volonté de Kim Ki-Duk avec ce film ? Lever des tabous, comme il a déjà pu le faire dans ses films précédents. Ne vous attendez pas à des scènes racoleuses : pas de cela avec Kim Ki-Duk. L'étude du sujet reste toujours primordiale. Mais la violence sociale et physique, ça, vous en aurez.
La vision du réalisateur est plus nuancée que ce qu'on a l'habitude de lire ou de voir : alors que l'on considère généralement les jeunes filles comme des victimes d'un système social et économique, le cinéaste ose un cinéma plus subversif. Car là où les deux ados de « Samaria » se distinguent, c'est que leur motivation est somme toute louable : plus que des accessoires dernier cri, c'est un voyage en Europe pour lequel elles mettent toutes leurs économies de côté. Pour autant, la prostitution s'impose-t-elle ? Kim Ki-Duk nous montre que non. Si le contexte familial de Jae-Young n'est pas connu, celui de Yeo-Jin ne devrait pas l'amener à se prostituer : même si sa mère est décédée, son père la gâte et s'occupe d'elle avec le plus grand soin. L'aider financièrement pour un voyage en Europe n'aurait pas beaucoup posé problème, mais Yeo-Jin encourage néanmoins son amie en organisant ses rendez-vous avec des hommes telle une proxénète. Et là où tout devient plus compliqué, c'est que Yeo-Jin, suite à un événement dont on vous taira les détails, va s'enfermer dans un processus psychologique morbide, se substituer à Jae-young pour faire un deuil et se défaire d'une culpabilité qu'elle a accumulée... même si finalement, ses pensées véritables demeurent opaques?
Kim Ki-Duk a découpé son film en plusieurs segments, chacun étant axé sur un duo de personnages : drame (Jae-Young/Yeo-Jin), vengeance (Yeo-Jin/son père), rédemption (son père/Yeo-Jin). Si le sujet offre un fort potentiel, les choix du réalisateur plombent tout à fait le potentiel dramatique de « Samaria » : les trois segments accusent un manque flagrant d'homogénéité. Kim Ki-Duk mélange un peu tout, avec un manque de profondeur psychologique et de rigueur étonnants, que l'on ne retrouve guère dans ses autres films. L'amour entre les deux jeunes filles est effleuré, les raisons de la vengeance et du deuil ne diffèrent pas plus que dans d'autres vigilantes, le tout est saupoudré d'un peu de catholicisme, prenant de plus en plus de place au pays du Matin calme.
Le premier segment s'avère gâché par des situations improbables et des personnages manquant de réalisme. Jae-Young est totalement marginale, tombant amoureuse de ses clients mais ne perdant jamais son sourire niais... et ne parlons pas d'un choix qu'elle fera, qui restera inexpliqué pendant tout le film : ce personnage ne convainc pas. Cela n'est pas plus le cas des clients, dont un musicien faisant preuve d'un cynisme dans une situation très particulière, réaction totalement improbable en réalité...mais pas selon Kim Ki-Duk. Et ne parlons pas de deux autres situations qui frôlent le ridicule tant elles semblent irréalistes, que l'on ne peut pas décrire sous peine de spoilers. Ce segment est sauvé en partie grâce au propos corrosif du réalisateur sur les choix faits par les jeunes filles et les paroles de certains personnages (comme Jae-Young affirmant que tous ses clients ne sont pas des pervers et sont parfois attachants, sont des hommes normaux dont les envies diffèrent).
Le second segment emprunte fortement au vigilante, avec le père de Yeo-Jin, lui-même flic, traquant les hommes rencontrés par sa fille, sans s'attaquer au cœur du problème : une discussion avec celle-ci. Ce père qui résiste à la misère sociale rencontrée dans son travail de policier finit par céder et franchit la ligne rouge en père blessé, ange gardien tentant de rétablir une morale en s'attaquant aux clients. Mais ce segment ne convainc pas plus que le premier. Car comment, encore une fois, ne pas reprocher au réalisateur la critique sous-jacente vis-à-vis des services de police, critique devenue typiquement sud-coréenne, franchement énervante vu que d'autres cinéastes nous font le coup dans un film sur deux (Bong Joon-Ho, Na Hong-Jin, Park Chan-Wook, Kim Jee-Woon, et tant d'autres). La police manque en effet totalement de réactivité : alors qu'ils ont pourtant réussi à prendre les jeunes filles en filatures (segment 1), alors que les cadavres s'enchaînent (segments 1-2), les policiers sont incompétents ou absents.
Le dernier segment nous fait le coup de retrouvailles père-fille en campagne isolée sur la tombe de la mère. Les dialogues sont rares, le silence règne, même les regards ne disent rien, et on ne vous dira rien sur la fin, qui reste sans nul doute l'aspect le plus réussi du film.
De cette segmentation, il ressort donc une grave carence en réalisme alors même que la volonté du cinéaste était de l'être le plus possible pour traiter son sujet, ainsi qu'un rythme en dents-de-scie qui ne s'accommode jamais des choix faits. Le mélange des genres, jamais mis en exergue par le réalisateur dans ses interviews, mais tellement évident au visionnage de son film, est raté : premier segment dramatique qui ne produit pas son effet à cause de situations et personnages improbables, deuxième segment « vigilante » peu intéressant car les personnages manquent de profondeur psychologique, dernier segment quasi-contemplatif. Alors qu'il ne dépasse pas une heure et quarante minutes, « Samaria » n'est par conséquent pas très agréable à suivre et semble très long.
« Samaria » porte de fait la triste étiquette de film montrant les limites de la nouvelle vague du cinéma sud-coréen : dans beaucoup de films (voir notamment ceux des réalisateurs précédemment cités concernant la critique des services de police), le drame vécu par les personnages est de pire en pire, jusqu'à atteindre les confins de la noirceur. Ici, le problème est qu'on ne sait pas vraiment pourquoi, les personnages agissant sans vraie logique, à cause, devinez-quoi (l'insistance et la répétition sont justifiées), du manque de profondeur et de situations improbables. Cependant, il est très intéressant de regarder le film une seconde fois en faisant fi de toutes les situations improbables dénoncées, et en observant davantage selon un angle symbolique : considérer par exemple, Jae-Young comme une samaritaine marginal(isé)e des temps modernes, plutôt qu'un personnage dont la psychologie ne saurait exister tel quel, et tant d'autres choses.
Heureusement, « Samaria » a pour lui quelques réussites. On commence avec la mise en scène, propre et plaisante, à défaut d'être originale (pour cela, il faudra voir le vrai chef d'œuvre de Kim Ki-Duk, « Locataires »). Le réalisateur opte largement pour les plans fixes et une violence plein champ/hors champ efficace. Quelques scènes sont de même très réussies, comme la plupart des rencontres entre le père de Yeo-Jin et les anciens clients, ou la fin. Le casting est très bon en dépit de personnages (les deux ados) mal-écrits. On retient particulièrement Lee Eol (le père de Yeo-Jin), qui livre un jeu puissant.
L'édition DVD propose un making-of, révélant l'engagement des acteurs (avec des claques non simulées, souvent filmées de façon unique, les acteurs s'excusant après les uns auprès des autres) mais aussi les difficultés rencontrées par Kim Ki-Duk pour diriger les deux adolescentes, trop émotives vis-à-vis de leurs personnages.
Alors que « Samaria » avait pour lui son sujet, ce n'est pas tant son traitement qui pose problème, mais les choix en matière de narration qui gâchent tout. On ne doute pas que « Pieta », le nouveau film de Kim Ki-Duk, récent Lion d'Or à la Mostra de Venise de 2012, et chronique d'une misère sociale sans nom, aura profité de choix narratifs plus appropriés.
De Alixa90 [584 Pts], le 14 Septembre 2012 à 15h00
Jviens de voir la bande annonce, il a l'air d'être dur moralement comme film et triste a voir mais pas pour l'instant ^^