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Ciné-Asie Critique - Breathless

Lundi, 04 Juin 2012 à 11h09

Aujourd'hui, découvrez la critique de Rogue Aerith consacrée au film Breathless !




Sang-hoon (Yang Ik-june, le réalisateur lui-même) est usurier. Hyperviolent et impulsif, il passe ses journées à tabasser les clients pour recouvrer les dettes en cash et à insulter et frapper ses collègues. Pendant ce temps, Man-sik (Jeong Man-sik), son ami avec qui il a créé la petite affaire, gère la boite. Un jour, il croise une lycéenne, Yeon-hee (Kim Kkobbi). Leur rencontre se passe mal. Mais une relation particulière va naître entre eux. Ils ont en effet un point commun : tous deux ont été ou sont confrontés à la violence dans leur milieu familial. Ces deux êtres meurtris par un contexte familial chaotique tentent de communiquer.

Yang Ik-june, est autodidacte. A la fois réalisateur, scénariste et acteur dans ce « Breathless », il se livre à une exploration sans concession de la transmission de la violence au niveau de la cellule familiale. L'apport sociologique est indéniable, puisque le Coréen nous montre comment un contexte social et affectif durant l'enfance influe sur la vie future d’un individu. Le film est en partie autobiographique, ce qui se ressent, et dérange. Ce film a d'ailleurs été récompensé par le grand prix et le prix de la critique internationale au festival du film asiatique de Deauville.

Le titre occidental, « Breathless », manque certainement de pertinence, encore plus si on doit y voir une quelconque référence au film de Godard, « A bout de souffle », puisqu'enfin, les deux films n'ont évidemment rien à voir, si ce n'est d'être les illustres représentants de la nouvelle vague dans leur pays respectif à des époques différentes. Pour autant, le titre occidental est en phase avec l'image la plus célèbre du film, soit le réalisateur lui-même poussant un cri de rage. Un cri de rage pour dénoncer beaucoup de choses : cercle vicieux de la violence familiale ou encore société conservatrice au sein de laquelle il est difficile de parler de ses relations familiales à l'extérieur de la cellule elle-même. La jaquette est particulièrement marquante, reprenant cette image nous confrontant à un visage défiguré par la rage. Il faut aussi s'intéresser au titre original du film (« dong pari »), signifie « mouche à merde », qualifiant en coréen des marginaux, des personnes qui cherchent à s’intégrer. Sang-hoon est de ceux-là. Son milieu familial l'a brisé, à tel point qu’il ne parvient pas à communiquer autrement que par une violence intense. Que la violence soit à ce point son seul moyen de s’exprimer et de vivre confine à l'insupportable. Mais c'est justement la redondance de la violence dans toutes les scènes qui finit par modifier le sentiment du spectateur envers le personnage de Sang-hoon. Sans devenir attachant, la compréhension du personnage finit par se faire. Sa violence acharnée fait de lui un être asocial. Il ne parvient pas à se rapprocher de sa demi-soeur aînée, martyrise son neveu par des petites tapes et insultes constantes. Et lorsqu'il voit son père, fraîchement sorti de prison, à l'origine de toute sa souffrance mais qui a perdu toute pulsion violente, Sang-hoon ne peut, lui, réfréner ses coups, lourds et sans fin. Pour lui, son père ne mérite pas de vivre. Seule Yeon-hee, la lycéenne, parvient à nouer un contact durable avec Sang-hoon.

Les dialogues sont une autre grande réussite du film. Les paradoxes apparaissant dans ces dialogues soulignent la psychologie des personnages, soignée, et montrent la complexité de ces derniers plutôt que leur incohérence. Exemples : Sang-hoon recommandant à sa demi-soeur de trouver un mec, car son neveu a besoin d'un vrai père, alors qu'il annonce qu'il aurait lui-même préféré être orphelin. Ou encore un étonnant « Tu pourrais pas être poli, connard ? ». Lorsque les personnages du film ne déblatèrent pas insultes sur insultes, ils sont muets, écrasés sous le poids d'une violence omniprésente : la leur et celle de leur entourage. Face à cette violence, ils sont à bout de souffle. Le titre occidental illustre de même parfaitement le ressenti du spectateur face au film : on a jamais vu une telle débauche de langage fleuri et de coups. Les polars et thrillers coréens sont pourtant connus pour ne pas faire dans la concession. Mais dans ce « Breathless », pas une seule scène ne se passe sans coup ou sans insulte. Les personnages vivent dans la violence et la retransmettent en permanence. C'est à travers cette débauche qu'on devine que le film est pour son réalisateur-acteur une forme de catharsis. Le personnage de Sang-hoon rappelle celui de Takeshi (Beat) Kitano dans « Violent cop » et « Sonatine », voire « L'été de Kikujiro » (les enfants se faisant insulter par jeu). Mais là où Kikujiro ne touche jamais à Masao dans le film nippon, Sang-hoon ne cesse de donner de petites frappes à son neveu dans « Breathless ». Cette différence est significative : contrairement à un thriller sud-coréen ou « vigilante » où l'excès de violence vire parfois à la caricature, produisant un effet comique, l'humour n'est jamais totalement franc dans « Breathless » puisque la violence conserve sa brutalité, un aspect très premier degré, pendant 2 heures. De plus, contrairement au cinéma de Kitano, au final lyrique et contemplatif malgré la violence, « Breathless » se situe dans une approche totalement nihiliste. Un niveau qui n'est pas même atteint dans les oeuvres de Park Chan-Wook ou le récent « J'ai rencontré le diable ».

La mise en scène est sèche, avec un montage saccadé renforçant l'importance des coups, et de très nombreuses scènes filmées dans des intérieurs clos (environ 75%) : jolie symbolique que celle de l'enfermement pour un film sur ce thème. Paradoxalement, lors des rares décors en extérieur, on ne se sent jamais libéré, tant le poids, le marteau de la violence, est permanent. En effet, les décors choisis illustrent la précarité : pas un seul souffle de campagne ne se lève, on se situe toujours dans des environnements urbains. « Breathless » produit l'effet escompté : on étouffe devant ce qui nous est montré. La musique brille quant à elle par son absence, renforçant le caractère brut de l'ensemble.

L'aspect le plus réussi du film est indéniablement le parti-pris du réalisateur. Alors que l'entourage de Sang-hoon pardonne au père violent sortant de prison, le fils traumatisé, qui est devenu finalement encore plus violent que son père, refuse de pardonner. Il refuse de pardonner, à tel point que cela en devient une obsession, presque une maladie. On voit très rarement cela dans un cinéma européen pétri de morale judéo-chrétienne. Peut-être les cinémas scandinave et russe seraient-ils propices à proposer une expérience équivalente... mais plus à l'Ouest, rien de tout ça. Le film brille aussi par son réalisme, notamment le jeu des acteurs, qui ne sont pas des grands noms en Corée du Sud, mais sont ici parfaits. On remarque notamment le père de Yeon-hee, rescapé de la guerre du Vietnam, touché par la mort de sa femme jusqu'à en devenir débile. L'illustration de la misère sociale est un des points forts du cinéma sud-coréen, ce que vient à nouveau montrer Yang Ik-june.
Sa propre interprétation et la direction des autres acteurs porte ses fruits : en refusant de les faire répéter avant le tournage et en privilégiant la spontanéité, on obtient un résultat excellent, montrant qu'il est bon de voir autre chose que des acteurs connus.

Paradoxalement, l'un des aspects les plus réussis de Breathless est aussi ce qui peut gêner : on peine à savoir si le jeu qui s'installe entre Sang-hoon et Jeon-hee en est un ou pas. Beaucoup de suggestions sont faites, mais les réponses ne viennent pas. Et contrairement à beaucoup de films, ce silence volontaire du réalisateur est ici préjudiciable.

Dans sa quête de dénonciation de la violence familiale, la critique est certes souvent pertinente : les enfants deviennent précocement des adultes, tentant de s'opposer vainement contre la violence extrême alors que c'est physiquement impossible. Mais Yang Ik-june oublie, volontairement, un acteur fondamental, qui fait perdre de la consistance à sa critique : la police. Tout amateur de cinéma sud-coréen sait bien que les services policiers sont souvent mis à mal par les réalisateurs. C'est une constante dans les thrillers en provenance du pays du Matin calme : l'incompétence de la police dans « Memories of murder » et « Mother » de Bong Joon-ho, « J'ai rencontré le diable » de Kim Jee-woon, « The Chaser » de Na Hong-jin, ou leur absence (les vengeances jamais avortées par une intervention policière dans les oeuvres de Park Chan-Wook). Mais dans ce « Breathless », on se demande vraiment où sont les forces de l'ordre, seules capables de venir mettre un terme à la violence. Le réalisateur-acteur en fait vraiment trop, puisque la seule présence des policiers à l'écran donne lieu à un simple passage à tabac par Sang-hoon, qui se défait de deux policiers à la fois... Trop facile, trop simple. Ici, l'absence des forces de l'ordre est inopportune, alors que les voies de fait, quand ce ne sont pas les homicides involontaires dans les flash-back, sont multiples, dans les rues ou à domicile. On croirait tant que Séoul est une ville sans policiers ! Il est évident que « Breathless » montre hélas que le cinéma sud-coréen peut aussi tourner en rond. Le prochain réalisateur qui s'attellera à un polar ou un thriller devra faire bien attention : la tarte à la crème de la critique, ouverte ou non, de la police, incompétente ou absente, devient indigeste.
« Breathless » souffre également de quelques maladresses ponctuelles, notamment une scène où les personnages pleurent autour d'un lit d'hôpital, qui certes bénéficie d'une mise en scène intelligente, mais a été déjà vue maintes fois dans un cinéma coréen réputé voyeuriste. Heureusement, la fin est très réussie, apportant une conclusion emprunte de sagesse (montrant à quel point Yang Ik-june a été proche de ce qu'il décrit), et terriblement réaliste : la violence est sans fins, cercle vicieux parfait.

Concernant les bonus, l'interview d'un critique est très pertinente et saura prolonger l'expérience du film et susciter des interrogations qui ne nous étaient pas venues à l'esprit. Malheureusement, le son n'est pas bon, et X articule mal, donc il faudra s'armer de patience pour bien comprendre ce qui est dit.

« Breathless » n'est pas parfait mais bénéficie d'une identité et d'une force indéniables. On attend avec impatience une prochaine oeuvre de Yang Ik-june, même si cela ne doit pas être facile pour lui de se lancer dans de nouveaux projets, puisqu'il a réalisé « Breathless » avec peu de moyens.

commentaires

IchigoSan

De IchigoSan [998 Pts], le 06 Juin 2012 à 10h23

Ca me donne envie de le voir ^^

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