Ciné-Asie Critique - The Heavenly Kings
Aujourd'hui, Rogue Aerith nous propose de décrypter le vrai et le faux dans The Heavenly Kings, film réalisé par Daniel Wu à la manière d'un documentaire, et disponible depuis mars 2012 chez Spectrum Films.
The Heavenly kings est un « mockumentary » (soit « documenteur »), c'est-à-dire un leurre qui tout en ayant l'apparence d'un documentaire mélange des éléments fictifs et joués à des éléments qui ont eu réellement lieu. Récemment, le documenteur a été remis au goût du jour avec les réalisations de Larry Charles avec pour acteur principal Sacha Baron Cohen (Borat, Bruno), qui ont rempli pleinement leur objectif : laisser planer le doute quant à la réalité de l'ensemble des scènes filmées, grâce à un personnage principal extravagant mêlé à de véritables personnes, filmées à leur insu, médusées de voir ce qui se passe devant leurs yeux.
Dans The Heavenly kings, quatre acteurs (Daniel Wu, Andrew Lin, Terence Yin et Conroy Chan) se lancent dans la création d'un boys band en 2005. Le nom du groupe est « Alive ». Seul Terence Yin chante correctement, et le chef autoproclamé, Daniel Wu, est le moins bon de tous en matière musicale et pour assurer le spectacle. Et pourtant, tout le monde y a cru, et seules une quinzaine de personnes étaient dans le secret. Les quatre compères n'avaient pas l'intention de s'éterniser dans le milieu, ils souhaitaient juste récolter de la matière pour mettre en scène la création de leur faux boys band. Notons que le titre du film (The Heavenly kings, soit les « Rois célestes ») est inspiré par le surnom donné aux quatre stars qui dominaient le divertissement hongkongais dans les années 1990, à la fois chanteurs et acteurs : Jacky Cheung, Andy Lau, Aaron Kwok et Leon Lai. Par rapport à eux, Daniel Wu, Andrew Lin, Terence Yin et Conroy Chan sont bien moins connus, acteurs de second rang, même si Wu se distingue un peu plus.
Comme dans tout documenteur, le spectateur doit accepter d'être désorienté. En mélangeant des scènes issues de la réalité (tournées sur le tas) à des scènes rejouées pour le besoin du film qui s'inspirent de ce que les acteurs ont vécu mais n'ont pas pu filmer, en agrémentant l'ensemble d'interviews de grandes figures du milieu musical à Hong Kong, the Heavenly kings fait le choix de perdre quelque peu le spectateur, voire de l'ennuyer car le film est assez long. Mais, comme on le verra plus tard, c'est pour mieux se réconcilier avec lui grâce à des bonus salvateurs.
Sur les trois types de scènes décrites plus haut, les premières témoignent du travail réalisé, les secondes servent de très bons interludes humoristiques et les dernières sont l'occasion de critiquer le milieu de façon plus directe et tranchée. Les scènes tirées de la réalité sont généralement issues de concerts donnés en live et de réactions à chaud des quatre membres du groupe : une caméra les suivait en permanence. Les scènes rejouées sont finalement assez reconnaissables car ce sont les seules qui paraissent vraiment caricaturales aux yeux du spectateur occidental... or, il se trouve que le milieu de la pop hongkongaise est comme ça. On arrive aisément à l'imaginer au vu de ce qui arrive chez nous depuis quelques années, qui ressemble fort à la pop acidulée asiatique, avec des groupes qui ne savent pas chanter, qui misent tout sur les clips, l'esthétique, le look. Enfin, les scènes qui donnent la parole aux spécialistes et acteurs du milieu de la chanson hongkongaise constituent autant de diatribes qui s'implantent très bien dans le film, ne venant pas casser le rythme. Ce mélange aboutit à un résultat qui est, et c'est là l'une des plus grandes réussites du film, homogène. Le tour de force des quatre membres d'Alive, qui sont acteurs avant d'être (faux) chanteurs, on le rappelle, est d'avoir su garder un jeu crédible quelles que soient les scènes, réelles ou rejouées.
Grâce à l'habile supercherie organisée par les quatre membres, et qui a quand même duré plus de deux ans, deux ans où tout le monde y a cru, on entrevoit ce qu'est le milieu de l'entertainment à Hong Kong. L'apparence et le marketing priment sur tout le reste, quand bien même les quatre membres d'Alive sont des chanteurs médiocres, des faux fans sont payés pour assister à des concerts, la presse est crédule à un point inimaginable. The Heavenly kings, pris au sérieux, expose un nombre de dangers importants. Un tel niveau de naïveté chez la presse, cela devient tout de même dangereux ! Etre dépourvu à ce point-là de sens critique, cela est quand même inquiétant !
The Heavenly kings est une jolie preuve d'engagement artistique et de malice, où quatre seconds couteaux ont su jouer d'un système qui ne s'aperçoit pas à quel point il se mord la queue, qui ont su le railler comme il faut. La presse à scandales, ridiculisée, s'en donne depuis à coeur joie contre les anciens faux chanteurs, que l'on espère beaucoup revoir comme acteurs. L'engagement continue d'ailleurs au-delà du film, puisque l'ex-site officiel d’Alive a évolué pour devenir une communauté au service des artistes.
Venons-en aux bonus. D'habitude, ceux-ci sont capitaux dans le cadre de certains genres de film, pour les documentaires notamment. Et bien, dans le cas d'un documenteur comme c'est le cas ici, jamais ceux-ci n'ont été aussi indispensables ! The Heavenly kings, sans ses bonus explicatifs, ne représenterait que 50% d'un film. Spectrum films l'a bien compris : avec deux interviews de Daniel Wu, l'éditeur spécialisé nous garantit une parfaite compréhension des enjeux de ce documenteur hongkongais. Sans cela, il est clair que les interrogations seraient multiples et les interprétations du spectateur fausses. En effet, la barrière culturelle et linguistique, ainsi que la mise en scène, font qu'on a du mal à distinguer les scènes vraies des scènes fausses ; heureusement que Daniel Wu, dans ses interviews, nous donne quelques précisions sur tout ça. Le discours de l'acteur sur l'état des médias à Hong Kong est très pertinent, et on sent bien que ce film l'a mis dans l'embarras, puisque depuis, ces médias peu perspicaces, manipulés pendant plusieurs mois, déchaînent leurs passions à son encontre. L'idée de faire un documenteur vient a priori d'Andrew Lin et de lui. Le fait d'avoir supervisé l'équipe et gardé le secret (Alive était en fait un faux groupe), c'est aussi en grande partie grâce à eux. Bref, on apprécie vraiment ces deux interviews, qui permettent de prendre la mesure de l'ampleur du projet et de cerner la personnalité de Daniel Wu, sa vision particulière du cinéma à Hong Kong, qui va à l'encontre du personnage prétentieux qu'il joue dans son propre documenteur. Néanmoins, dans ces bonus, si Daniel Wu dit vouloir se battre contre un cinéma hongkongais uniformisé, son palmarès prouve qu'il a lui-aussi joué dans des nanars d'action caractéristiques de ce contre quoi il dit vouloir lutter, et qu'il admire l'un des ambassadeurs de l'uniformisation du cinéma hongkongais : Jackie Chan. Quelques paradoxes donc, mais des propos qui restent globalement intéressants.
Si l'on reste assez perplexe devant The Heavenly kings de prime abord, la vision des bonus fait prendre au film une toute autre ampleur. Idée de départ osée, et résultat final très réussi ! On a hâte de voir Daniel Wu dans un des rôles-titres de la prochaine grande fresque historique du cinéma chinois : The last supper, par le réalisateur de City of life and death. Et on espère le voir récidiver dans le domaine de la réalisation, car les idées exposées dans ce Heavenly kings sont porteuses.