Règle de trois (La) Vol.1 - Actualité manga
Règle de trois (La) Vol.1 - Manga

Règle de trois (La) Vol.1 : Critiques

Seshuusei Triangle

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 27 Mars 2024

Annoncé en France l'été dernier par le label Sakka des éditions Casterman en étant initialement présenté sous le titre "Le triangle en héritage", le manga "Seishûsei Triangle" débarque finalement dans notre langue sous le nom "La règle de trois", avec une publication simultanée de ses deux volumes en cette fin mars.

L'oeuvre nous permet de découvrir en France Fumiya Hayashi, une figure de proue d'une nouvelle vague de mangakas portés sur la tranche de vie sensible, qui signait là sa toute première série professionnelle après avoir fait ses armes dans le milieu amateur, sous le nom de Fumiya, au sein du cercle de doujinshi Fuhitobe, dans lequel il travailla notamment sur des parodies shônen-ai de Détective Conan. Un signe qui ne trompe pas quant au statut prometteur de Hayashi: les dix chapitres composant ce diptyque furent prépubliés au Japon de décembre 2021 à octobre 2022 au sein du prestigieux Comic Beam d'Enterbrain/Kadokawa, un magazine particulièrement qualitatif et rigoureux, qui est justement très réputé pour laisser s'exprimer des auteurs à la patte bien personnelle, comme Gou Tanabe (collection Lovecraft de Ki-oon), Atsushi Kaneko (Bambi, Soil, Wet moon, Deathco, EVOL) ou encore Suehiro Maruo (L'Île Panorama, L'Enfer en bouteille, Tomino la maudite, Paraiso). Et les choses étant bien faites, on pourra retrouver l'artiste dès le mois prochain aux éditions naBan avec sa deuxième et actuellement dernière oeuvre en date: Kemutai Hanashi, qui sera proposée dans notre langue sous le nom "Vies d'ensemble -Au-delà des mots-".

Tout commence ici par le retour, dans leur province natale, de Kôtarô Fujiki et de sa femme Tôko, pour aider la mère du jeune homme qui commence à se faire vieille. Le couple retrouve les lieux où il a grandi pendant plusieurs années, même si le temps a fait son oeuvre sur beaucoup d'entre eux. Mais Kôtarô, lui, semble avant tout troublé depuis qu'il a appris, quelque temps auparavant, la mort dans un accident de Tôru Kajiwara. Même si, ces dernières années, Kôtarô n'avait plus de nouvelles de ce garçon qui était parti du jour au lendemain vivre son rêve de photographe à travers le monde, il reste que Tôru était son voisin et son plus proche ami depuis leur plus tendre enfance, et qu'ils avaient noué un lien indéfectible malgré leurs personnalités opposées (là où Kôtarô a toujours été plutôt posé et renfermé, Tôru était toujours franc, sociable et lumineux, avec des étoiles plein les yeux quand quelque chose le passionnait). A vrai-dire, leur alchimie unique était telle qu'ils ne se sont même pas opposés l'un à l'autre quand ils sont tous les deux tombés très amoureux de la même fille, Tôko, avec qui Kôtarô commença vite à sortir, en donnant alors lieu à une sorte de triangle amoureux étonnamment détendu. Mais derrière la bonne humeur que continuait d'afficher en permanence Tôru à cette époque, que pouvait-il bien renfermer en lui en réalité ? Kôtarô n'a jamais osé le lui demander, et regrette toujours cette lâcheté aujourd'hui. Et c'est dans ce contexte trouble, alors que Tôru ne sera plus jamais là et qu'il est désormais impossible de lui parler, que Kôtarô et Tôko vont faire une surprenante rencontre, risquant de les ramener tous les deux dans le passé...

Posant parfaitement toutes les bases de son histoire dès les premières pages, Fumiya Hayashi brille ensuite (et impressionne beaucoup, pour une première série) dans sa manière toujours limpide de raconter les choses, en jonglant entre temps passé et temps présent, au fil des souvenirs revenant à la mémoire de Kôtarô comme s'il remontait le temps, pour révéler petit à petit la situation à part de son amitié d'autrefois avec le défunt Tôru et du très particulier triangle amoureux qu'ils formèrent avec Tôko, dans une atmosphère qui semblait alors presque insouciante. Principalement à travers un Kôtarô que l'on sent très humain dans ses sentiments contradictoires (ne serait-ce que ce qu'il a ressenti en apprenant le décès de son ami d'enfance), Hayashi nous fait pleinement ressentir, en ne forçant jamais les choses,son regard sur lui-même, ses regrets de ne jamais avoir parlé à Tôru de ce qui le tourmentait et de ne jamais lui avoir posé certaines questions qui le rongeaient pourtant, faisant qu'il n'arrive toujours pas à tourner la page, car il a le sentiment que le temps s'est arrêté le jour où son ami est parti du jour au lendemain. Etait-ce purement pour vivre son rêve de photographe qu'il est parti ainsi ? Ou pour fuir des sentiments amoureux puissants pour lesquelles il peinait à renoncer et au sujet desquels les deux garçons ne se confiaient finalement pas pleinement l'un à l'autre ? Etant donné que Tôru n'est plus de ce monde et qu'il est impossible de revenir en arrière, Kôtarô pourrait rester hanté par cette absence de réponses sur le sujet, lui qui n'a me^me jamais osé reparler profondément de tout ça avec son épouse, pourtant au centre de tout. A moins que la donne ne change avec la fameuse rencontre étonnante que Tôko et lui font, sur laquelle nous ne diront rien de plus afin de ne pas spoiler.

Ce que l'on peut dire, par contre, c'est que Hayashi, en plus de sa construction narrative impeccable, brille également beaucoup dans son écriture et dans ses dessins. Surtout quand il s'agit de faire ressortir naturellement les pensées et tourments contenus de Kôtarô, l'artiste livre une écriture toujours juste, d'une finesse impressionnante qui touche tout naturellement, mais Hayashi sait aussi maîtriser comme il se doit l'art du non-dit, en nous laissant deviner certaines choses uniquement par l'image, principalement à travers les regards que portent les personnages les uns envers les autres. Et pour rester sur l'aspect visuel, soulignons la finesse du trait qui retranscrit avec subtilité les émotions tantôt bien visibles tantôt contenues des personnages, et l'utilisation intelligente des décors, photoréalistes, d'une clarté exemplaire en contribuant ainsi à l'atmosphère estivale du titre (puisque tout se déroule en été), et avec des vues généralement placées à hauteur d'homme pour nous faire encore mieux ressentir une certaine proximité avec ces protagonistes.

Il semble alors difficile de ne pas ressortir troublé et conquis par la lecture du premier volume de La règle de trois, sublime dans sa subtilité scénaristique, narrative et visuelle, et nous donnant irrémédiablement envie de connaître la suite et fin de cette tranche de vie capable d'être autant sensible qu'humaine et poétique.

Enfin, du côté de l'édition française, elle s'avère très satisfaisante, dès la jaquette qui reprend fidèlement l'illustration de la version japonaise et qui propose un logo-titre tout en sobriété. A l'intérieur, l'impression est très bonne, et le papier est de qualité malgré une légère transparence. Enfin, le travail d'adaptation graphique et de lettrage de Blackstudio est très soigné, tandis qu'Anaïs Koechlin livre une traduction impeccable, tant elle retranscrit bien le ressenti des personnages ainsi que la finesse d'écriture du mangaka.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs