Interview d'Inio Asano- Actus manga
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Manga Interview d'Inio Asano

Dimanche, 06 Juin 2021 à 18h00 - Source :Rubrique interviews

Après notre retour sur les deux parties de sa masterclass (cf partie 1 et partie 2), l'heure est enfin venue de vous laisser découvrir notre interview d'Inio Asano, publiée à l'occasion de la double actualité de l'auteur aux éditions Kana avec la publication de Nijigahara Holograph et du volume 10 de Dead Dead Demon's DeDeDeDe Destruction. Une rencontre qui fut courte mais intéressante, le maître n'ayant rien perdu de son franc-parler pour l'occasion, en répondant assez longuement à nos quelques questions.



Inio Asano, bonjour et merci beaucoup d'avoir accepté cette courte rencontre, c'est un immense honneur de vous avoir ici. Pour commencer, parlons d'Errance, une oeuvre assez unique dans votre carrière et rare dans le milieu du manga, puisqu'elle aborde une chose essentielle que l'on oublie parfois: le fait qu'il y a un humain derrière l'artiste, et que quelqu'un comme vous peut aussi avoir ses faiblesses, ses errances. La veille, lors de votre masterclass, vous avez parlé de la façon dont l'envie de faire ce manga vous est venue. Pouvez-vous nous dire dans quel état d'esprit vous étiez exactement quand vous avez conçu ce bijou, plus précisément vis-à-vis de votre rapport à votre Art ?

Inio Asano : Au moment où j'ai réalisé Errance, j'étais en train de me dire que les mangakas commençaient à être traités de façon un peu trop spéciale, qu'on les considérait comme des personnes à part. C'était devenu un peu excessif. Ca m'embêtait un peu à cette époque-là, et je sentais alors comme une nécessité de montrer des choses que les autres mangakas ne montrent pas habituellement.

Pour cette série, c'est vraiment le réalisme qui était important à représenter. pendant que je dessinais ce manga, je suis arrivé à une scène où le héros part à la campagne avec la call girl avec qui il a une relation, et pour dessiner cette scène je me suis dit qu'il fallait que je reprenne contact avec la call girl que moi-même je fréquentais quelque temps auparavant. Mais à ce moment-là, je n'avais plus du tout de contact avec cette personne. Et quand j'ai essayé de reprendre contact, il n'y a eu aucune réaction de sa part. Et donc, en vrai, si j'avais réussi à reprendre contact avec elle, peut-être que le récit d'Errance se serait déroulé différemment aussi.

C'est sur ce genre de détail, en essayant d'être toujours en temps réel, que j'ai fait le plus attention. C'est l'idée centrale qui occupait mon esprit pendant la conception de ce manga. Je ne voulais pas arriver à une fin que j'aurais imaginée à l'avance, mais plutôt voir jusqu'à quel point j'arriverais à rendre le récit réaliste.



Souvent, on associe vos oeuvres à un certain portrait de la jeunesse. Mais on vous a aussi vu aborder parfois le sujet du vieillissement de la population japonaise, et c'est peut-être plus que jamais le cas dans l'histoire courte "Tempest", parue en version papier dans votre anthologie. Cette histoire aborde de front la place parfois tragique des personnes âgées dans la société, et ici vous le abordez par le prisme de l'anticipation. Personnellement, cette histoire m'a complètement retourné, j'ai eu le sentiment de me prendre une déflagration. Avec cette part d'anticipation et les personnes âgées en guise d'acteurs principaux, cette histoire dénote dans votre carrière. Qu'est-ce qui vous a motivé à attaquer ce sujet sous cet angle ? Quel fut l'accueil du public japonais ? Savez-vous si des personnages âgées l'ont lue, et si oui quel retour avez-vous eu de leur part ?

J'ai choisi d'aborder ce sujet parce qu'actuellement, au Japon, de plus en plus de gens ont conscience de cette problématique qui devient réelle dans leur quotidien. C'était donc le bon moment pour dessiner ce genre d'histoire.

Pourquoi l'ai-je fait sous cette forme, avec de la science-fiction et en ne faisant apparaître quasiment que des personnes âgées ? Eh bien, c'est justement parce que, pour les lecteurs de manga qui ne sont pas mes fans, j'ai une image d'auteur qui ne dessine que la jeunesse et le ressenti des jeunes. Cette image-là était, quelque part, très implantée dans l'esprit des gens, et du coup j'étais un peu "sous-estimé" pour l'abord d'autres sujets. Alors, j'ai voulu montrer que je sais dessiner d'autres choses, et que je suis capable de bien le faire. Je me suis donc vraiment appliqué à réaliser quelque chose de différent pour ce titre-là.

Parmi les oeuvres que j'ai publiées jusqu'à présent dans ma carrière, "Tempest" est sans doute  l'une de celles qui a eu le plus grand écho au moment de sa prépublication. Mais ce fut le cas uniquement au moment de la prépublication. Car par la suite, l'histoire a été publiée en version papier dans mon anthologie, et du coup il n'y a que mes fans qui l'ont acheté. Quelque part, les avis les plus précieux pour moi sur ce récit, ce sont ceux des personnes qui ne sont pas déjà fans de moi à la base.

Hélas, j'ai l'impression que je n'ai pas vraiment eu d'occasion où je pouvais avoir des avis d'un grand public ne me connaissant pas très bien, donc je ne sais pas exactement quel a été le véritable écho de "Tempest".

Peut-être que ça aurait eu un plus grand impact de le publier sur Twitter par exemple, mais si je fais ça je ne suis pas payé (rires).

Je n'ai pas eu ni vu d'échos venant directement de personnes âgées. Mais en mettant de côté "Tempest", j'ai l'impression qu'actuellement, dans la société japonaise, les personnes âgées sont en train de sentir que les gens sont devenus de moins en moins indulgents envers elles. Il y a des comportements qui sont en train de changer, et les personnes âgées doivent vivre ça au quotidien.

Et à l'inverse, j'ai eu l'avis de beaucoup de jeunes lecteurs, qui disaient avoir l'impression que l'avenir sera comme dans "Tempest" quand eux seront vieux. Une vision du futur bien pessimiste.



Enfin, revenons un peu plus sur votre relation avec le mangaka Kengo Hanazawa, dont vous avez déjà un peu parlé lors de votre masterclass. Il semble y avoir un lien assez à part entre vous deux, pleine de taquineries, chose que vous avez encore montrée dans votre masterclass où vous l'avez dénigré avec humour (mais était-ce vraiment de l'humour ?!).  Et ça se voit aussi dans la dernière histoire de votre anthologie, où vous vous mettez en scène avec lui dans une relation un peu surprenante. Il y a quelques années, quand nous avions pu interviewer Kengo Hanazawa (lire l'interview), ce dernier nous avait dit que vous aimiez vous mettre tous les deux en rivalité et vous sentir supérieur à l'autre, avec un certain humour bien sûr. Aujourd'hui, on peut enfin vous demander votre droit de réponse !

En fait, Kengo Hanazawa ne lit pas mes mangas, il n'en veut pas, et du coup moi je me permets de le critiquer et de le taquiner en public. Je fais ça parce que je reconnais son talent et que même en le critiquant, je "sais qu'il sait que".

Et puis, c'est rare d'avoir un auteur avec lequel on peut s'afficher en tant que rival de façon évidente, ce qui est le cas avec lui. Du coup, on adore jouer avec cette espèce de rivalité.

En réalité, je pense qu'on a du respect l'un envers l'autre, mais vu que nous sommes tous les deux un peu des timides, le seul moyen qu'on trouve pour exprimer ce respect mutuel, c'est de dire qu'on n'aime pas l'autre et de se critiquer en public (rires).


Interview réalisée par Koiwai. Un grand merci à Inio Asano, à son interprète, au FIBD d'Angoulême, et à Stéphanie Nunez des éditions Kana pour avoir permis cette rencontre !
  




commentaires

peachgirll

De peachgirll [7826 Pts], le 29 Juin 2021 à 22h06

Merci beaucoup, très intéressant!

nolhane

De nolhane [6594 Pts], le 11 Juin 2021 à 19h28

Merci beaucoup pour cette passionnante interview!

wARRiba

De wARRiba, le 10 Juin 2021 à 23h49

Merci encore Koiwai pour cette interview qui est très enrichissante !

Oline59

De Oline59, le 07 Juin 2021 à 13h02

Merci beaucoup pour cette interview.

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