Retour sur la masterclass d'Inio Asano à Angoulême - partie 1/2- Actus manga
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Manga Retour sur la masterclass d'Inio Asano à Angoulême - partie 1/2

Dimanche, 30 Mai 2021 à 18h00

Le 4 juin, Inio Asano bénéficiera d'une très belle double-actualité aux éditions Kana, avec la sortie non seulement du tome 10 de Dead Dead Demon’s DeDeDeDe Destruction, mais aussi de la toute nouvelle édition de Nijigahara Holograph / Le champ de l'arc-en-ciel. Une actualité que l'on attendait de pieds fermes pour, enfin, mettre en avant l'auteur, au travers de trois articles successifs découlant de sa venue en France au FIBD d'Angoulême début 2020.

A l'occasion de sa venue, l'artiste tint effectivement une longue et passionnante masterclass d'environ 1h45, sur laquelle il était impossible de ne pas revenir, tant elle a des choses à nous enseigner sur le maître.

Et cette masterclass n'a pas volé son nom, en démarrant par une première partie d'environ 45 minutes, pendant laquelle Asano nous offrit un seul en scène, expliquant comment il travaille, quels sont ses processus créatifs et ses méthodes.

Aujourd'hui, on vous propose donc la première partie de cette captivante rencontre avec le public. Puis, dans les prochains jours, vous pourrez découvrir la deuxième et dernière partie de cette masterclass, et enfin notre interview du mangaka !

Pour agrandir les photos, il vous suffit de cliquer dessus.

Après une salve d'applaudissements et une brève présentation par l'animateur de la rencontre, Asano prit donc seul la parole, uniquement épaulé par son interprète.



Inio Asano : D'habitude, pour commencer, je dessine au trait à l'analogique, avec des plumes et de l'encre sur des planches. Puis je passe au numérique pour les finitions. Il y a longtemps, pour d'autres conférences, j'apportais mes planches pour dessiner en live, mais je ne parvenais absolument jamais à la fin de ce que je voulais expliquer, donc pour cette fois je me suis dit que j'allais me limiter uniquement à la partie numérique de mon travail.

La planche que je vous montre en premier a été réalisée récemment. A chaque fois, je change un petit peu de style graphique selon l'oeuvre que je réalise.



Voici la photo de ma table de travail dans mon atelier. Aujourd'hui, on peut faire tout un manga avec uniquement le matériel que vous voyez sur la photo.



Vous voyez ici une planche réalisée à la main. Pour l'encrage, comme tous les mangakas ou presque, j'utilise une plume et un marqueur. Après cette étape, je vais scanner la planche et faire au numérique le travail de finition, comme les trames...



Voici une planche, tirée de Dead Dead Demon's DeDeDeDe Destruction, dont je vais vous montrer le processus de création.



Je commence par choisir la photo qui va servir de décor pour la case, je la place comme j'en ai envie, et là-dedans je vais faire un dessin assez approximatif pour voir où je vais placer chaque élément: les personnages, les bulles...



Je vais ensuite placer un filtre qui va faire ressortir les éléments du décor, et sur ça je vais redessiner à la main les traits, pour avoir un décor plus authentique et s'apparentant plus à un dessin.



A côté de ça, je fais donc mes dessins d'éléments en analogique, puis je les scanne, je les numérise, je les nettoie, et je les intègre dans le décor que j'ai travaillé précédemment tout en ajoutant les détails, comme les ombrages (qui peuvent être des trames ou des hachures), le ciel, les finitions...





Comme je désire avoir dans mes mangas des décors très réalistes, je me base sur des photos, mais il peut y avoir des cas où je ne peux pas prendre en photo les décors dont j'ai besoin. Une vue de la ville depuis le ciel, par exemple. Ce genre de choses, c'est compliqué de les faire avec l'angle précis que je voudrais. Alors quand je m'en suis rendu compte, j'en suis arrivé à la technique de la modélisation 3D des décors.

Voici un exemple, celui de l'intérieur du Parlement japonais, qui est forcément un lieu où je ne peux pas aller prendre des photos. J'ai donc demandé à un assistant spécialisé dans la modélisation 3D de réaliser ce décor en 3D. A partir de cette modélisation, le processus va être le même qu'avec une photo.




Ensuite, dans le cas d'une série de science-fiction comme Dead Dead Demon's DeDeDeDe Destruction, il y a des objets, des éléments fictifs, comme le vaisseau des aliens au-dessus de la ville. Le problème avec ce genre d'élément imaginaire, c'est qu'au début je les dessinais moins et les assistants me secondaient, mais selon la personne qui la dessine l'objet change forcément un peu. Alors pour remédier à ce problème, j'ai décidé d'également utiliser la modélisation 3D. Avec mes assistants, nous avons donc modélisé le vaisseau.



Avec le programme de modélisation 3D, on a créé les différentes parties de ce vaisseau, puis à partir de là, ici aussi le procédé reste ensuite le même que pour le dessin à partir des photos.

 
 


Les modélisations 3D sont très détaillées. Si on le voulait, on pourrait dessiner ces éléments à la main, mais si j'en demandais autant à mes assistants ils souffriraient. C'est une autre raison pour laquelle je préfère utiliser la modélisation 3D. Et puis surtout, je me dis aussi que tout ce temps qu'il aurait fallu passer à dessiner à la main ces choses-là, on peut l'utiliser pour d'autres choses.

Pour l'instant, dans DDDD, il y a aussi différents types de robots qui apparaissent. Et ces éléments aussi, on les modélise autant que possible en 3D.



Les photos juste en-dessous, c'est une scène où les personnages sont en train de remonter dans le temps. Quand on voit ça, on a l'impression que c'est quelque chose de très très complexe à faire, mais en fait, quand on a un peu de notions de modélisation 3D, ce n'est pas quelque chose de très difficile à réaliser. Si on devait faire ça à la main, ça demanderait un temps incommensurable et beaucoup trop d'énergie. Moi, aujourd'hui, j'utilise la 3D en me disant que ça permet des représentations qui, sans elle, ne seraient pas possibles à avoir, et dans l'idée que ça peut élargir les possibilités visuelles dans le manga. Dans le cas des deux planches juste en-dessous, tout le décor a été effectué en 3D, et ensuite je n'avais plus qu'à dessiner les personnages. Ca, c'est une étape que je réalise relativement rapidement, alors quand on est dans des situations de délais très serrés, je vais avoir tendance à accumuler ce genre de scènes où je peux ré-exploiter, sous différents angles, ce matériel 3D déjà prêt.

 


Jusqu'à présent, j'avais tendance à modéliser uniquement des choses que j'aurais eu du mal à avoir différemment. Mais ensuite je me suis rendu compte qu'il y a des éléments de décors apparaissant très régulièrement, comme l'intérieur des salles de classe. J'ai alors décidé d'en concevoir aussi des modélisations 3D de ce genre de décors du quotidien fréquents. Comme ça, si j'ai oublié de prendre une photo sous un angle précis dont j'ai besoin, il me suffit d'utiliser ces modélisations. De plus en plus, je demande à mes assistants de préparer ce genre de décors en modélisation.



Avec toutes ces modélisations 3D et le temps passé dessus par mes assistants, vous vous demandez peut-être si tout ceci est bien rentable financièrement. Eh bien, la réponse est non (rires). Dans les faits, à la base, le manga était quelque chose que l'on pouvait créer avec peu de matériel et peu de frais. Pour mon manga, c'est l'inverse, et je peux vite être dans le rouge, surtout si le manga ne se vend pas. En gaspillant tout mon argent là-dedans, ces derniers temps je réalise même des décors comme celui de la photo suivante, ici la chambre de l'une des héroïnes de DDDD quand elle était enfant. Ce genre de décor, j'aurais pu aller le prendre en photo dans une maison quelconque, mais je trouvais tellement pratique de pouvoir avoir ce genre de décor sous n'importe quel angle... Et donc, comme ce sont des décors que j'ai créés en utilisant beaucoup d'argent, j'ai envie de me vanter et de vous les montrer (rires).



Pour moi, dans le manga, les décors, c'est quelque chose qui donne des indices sur la personnalité des personnages qui y évoluent. Par exemple, la chambre d'un personnage donne des informations sur la personne qu'elle est, selon la disposition des objets et des meubles. Je trouve ça indispensable. Donc si un jour, vous voyez qu'il n'y a plus de décors dans mon manga, ça veut dire que je n'ai plus du tout d'argent (rires).

Récemment, j'en suis arrivé à me dire qu'on pouvait peut-être aller encore plus loin dans le travail à partir de la modélisation 3D. En discutant avec mes assistants, on s'est rendus compte qu'il n'y a probablement encore personne qui a dû créer son manga en commençant par imaginer et modéliser une ville entière, puis seulement après en imaginant l'histoire qui pourrait s'y développer. Alors en ce moment, on est en train de créer toute une ville pour ensuite éventuellement l'utiliser comme décor dans des oeuvres futures. Vous avez ci-dessous un aperçu de cette ville. Les connaisseurs de Tokyo reconnaîtront peut-être le quartier juste à côté de la gare de Shinjuku. Vous allez me dire que si c'est une ville qui existe déjà, pourquoi la modéliser ? Mais en vrai, on va intégrer là-dedans des éléments qui sont des créations de notre part, pour avoir une ville spécifique. Du coup, vous devez vous demander dans combien de temps on pourra avoir une création s'y déroule: je pense que ce sera dans plusieurs années, car ça fait déjà 3 ans qu'on est dessus et ce n'est toujours pas fini. C'est possible aussi que ce ne soit jamais terminé, et qu'on ne puisse pas faire ce qu'on a imaginé à la base. Mais dans cette ville en 3D en couleurs, il y a déjà certains décors utilisables. Là par exemple, je vous montre une partie de cette ville déjà utilisable.

  


Là, vous êtes sans doute en train de vous dire que je ne parle absolument pas du fond, du scénario de mes oeuvres. Mais en fait, le scénario de les mangas, c'est quelque chose de très fugace, qu'il faut adapter à l'instant, donc pour moi c'est difficile à expliquer quand l'instant est passé. C'est aussi quelque chose qui demande beaucoup d'implication et de réflexion, et pour pouvoir continuer à dessiner des mangas à l'avenir j'ai besoin de retrouver de la motivation, et pour trouver celle-ci j'ai besoin de trouver de nouvelles façons de dessiner du manga, comme celle de la modélisation 3D.

Pour l'instant, je travaille toujours dans le manga, mais en parallèle je fais aussi de l'illustration, et pour moi c'est quelque chose d'important. Un manga peut avoir du succès sur le coup, mais c'est passager, alors j'ai besoin de l'illustration pour continuer à vivre, à payer mes assistants, etc... Si un manga ne se vend pas, comment gagner de l'argent ? Eh bien, en faisant des goodies, du merchandising. Et pour ça, il faut que dans mes mangas il y ait des personnages qui s'y prêtent. Je crée alors dans mes oeuvres des personnages de ce type, qui me permettent de subsister et de continuer à être mangaka.

Depuis tout à l'heure, je n'arrête pas de dire des choses qui pourraient vous décevoir sur ma personne. Mais j'ai l'intention de continuer à être un mangaka qui crée des oeuvres qui vous séduiront. Et juste pour la fin de cette partie technique, je vais vous montrer le making of de l'illustration qui a fait la une du magazine Libération.



Pour cette illustration, Libération ne m'a donné aucune directive i thématique, donc j'ai fait quelque chose que j'avais envie de dessiner sur le moment. Cette jeune fille est totalement une fille à mon goût (rires). Depuis toujours, j'aime dessiner des personnages, des gens. par contre, quand je me suis demandé ce que j'allais mettre comme décor derrière cette fille, il s'avérait que dans ma ville en 3D on venait de terminer un petit magasin de friandises traditionnels japonaises, et je me suis dit que ce serait bien d'utiliser ce décor. A la base, j'avais déjà utilisé ce décor en arrière-plan d'une autre illustration, mais comme cette fois-ci je n'ai pas utilisé une grande partie de ce décor, j'ai pu le reprendre ici.

 
  

On me demande souvent ce qu'il faut faire pour s'améliorer en dessin. Je dirais que ce qui est important, ce n'est ni les traits, ni la couleur, ni les cadrages, mais plutôt l'ombrage. Quand on arrive à placer les ombres de façon réaliste, ça apporte du volume.

Et voilà, c'est tout ce que j'avais à dire sur la partie technique, concernant mes méthodes de réalisation de planches et d'illustrations.


Cette première partie de masterclass s'acheva, évidemment, sous une salve d'applaudissements après près de 45 minutes.


Compte-rendu effectué par Koiwai.

commentaires

LucidatorMeister

De LucidatorMeister, le 06 Juin 2021 à 11h02

Cette jeune fille est totalement une fille à mon goût (rires).

Un peu malaisant cette remarque...

Merci pour le compte rendu et le partage, c'est très précieux comme ressource !


nolhane

De nolhane [6559 Pts], le 02 Juin 2021 à 18h34

Merci pour ce retour! C'est toujours intéressant de voir comment travail les artistes. 

Gens

De Gens, le 31 Mai 2021 à 00h22

Merci d'avoir partagé ça. J'adore cet auteur et découvrir le secret de ses oeuvres est super chouette !

FinalMangakaPasConnecté

De FinalMangakaPasConnecté, le 30 Mai 2021 à 21h27

Super interessant ! Mais en vrai, même avec une base 3D ou photo, placer les traits où il faut et avoir un rendu comme ça à la fin, ça doit être un travail long et intense !!

Lyendith

De Lyendith, le 30 Mai 2021 à 19h14

On dirait plus une masterclass de développeur de jeu vidéo XD

J’avoue, je ne pensais pas qu’il utilisait autant de modèles 3D pour ses planches. Le plus impressionnant c’est la façon naturelle dont il arrive à les intégrer.

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