Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 19 Décembre 2025
Initialement prévu fin octobre, Akari est finalement arrivé dans le catalogue du Lézard Noir dans les premiers jours de décembre, après quelques semaines de report. Prépublié au Japon pendant l'année 2022 sur le site Flat Heros des éditions Comiplex avant de paraître en un unique volume broché de près de 240 pages en juin de cette même année, ce récit en cinq chapitres nous permet de découvrir pour la première fois en France le travail de Marco Kohinata, une artiste qui officie depuis 2015 en tant qu'indépendante et qui réalise des projets variés dans les domaines du manga, de l’illustration et de l’animation.
Dans cette tranche de vie, l'autrice commence par nous immiscer auprès de Fumiyo Kagari, un vieil homme qui n'a plus goût à rien depuis le décès de son épouse Yôko quelque temps auparavant. Jusque-là talentueux et passionné artisan vitrailliste, il semble désormais dépérir à vue d'oeil, suscitant l'inquiétude des personnes venant prendre des cours dans son atelier, un atelier qu'il affirme même vouloir fermer prochainement, comme si plus rien n'avait d'intérêt dans sa vie. Il faut dire aussi que cela fait 15 années qu'il n'a plus d'attache avec son fils, homme divorcé qui a coupé les ponts avec son père, et qu'il n'a pas vu sa petite-fille Akari, qu'il n'a connue que dans ses toutes premières années d'existence. Bref, les choses pourraient s'arrêter là pour le pauvre homme... du moins, jusqu'à un jour où, en rentrant chez lui, il découvre devant son atelier une jeune femme en qui il reconnaît immédiatement Akari. Sa petite-fille qu'il n'a pas vue depuis quinze années a bien grandi, semble un peu perdue si bien qu'il lui propose de la loger autant de temps qu'elle le souhaitera, et va d'emblée montrer un profond intérêt pour la verrerie, qui semble la fasciner et où elle risque de révéler de vrais talents...
Si l'on se fie uniquement à ce pitch, l'oeuvre semble en premier lieu vouée à nous narrer l'histoire d'une reconstruction, à savoir celle de deux êtres meurtris, l'un par la perte de son épouse lui ayant fait perdre goût à la vie, et l'autre qui ne trouve sa place nulle part. Ces "retrouvailles" entre grand-père et petite-fille après quinze ans sans avoir de nouvelles l'un(e) de l'autre va alors naturellement sonner comme un déclic où il sera question de beaucoup de choses, entre lui qui pourrait ressentir le besoin de rattraper le temps perdu voire de renouer des liens avec un fils avec qui il est resté trop longtemps fâché, mais qui a aussi besoin de faire le deuil de sa femme et de comprendre que même à son page il a encore un avenir, et elle dont la vie semble ne pas avoir été évidente jusque-là, qui peine beaucoup à trouver sa place malgré sa sensibilité et son talent en matière d'Art, la faute à certaines affres de la société actuelle, comme si on refusait systématiquement jusqu'à présent de lui laisser sa chance.
Mais s'il est évident que le vieil homme et la jeune fille s'apportent doucement mais sûrement beaucoup de choses pour repartir de l'avant, le récit est loin de s'arrêter à cela, dès lors que, suffisamment tôt, survient une révélation qui, à terme, risquerait de tout bouleverser, en posant en premier lieu une question: comment préserver une relation si belle, chaleureuse et bénéfique pour les deux protagonistes, alors que celle-ci repose sur un mensonge ? A partir de là, il sera aussi beaucoup question, pour l'autrice, de questionner les notions de lien à préserver malgré tout, de pardon et de famille, pour un résultat qui s'avère très juste dans l'écriture de Kohinata, où aucun mot n'est de trop afin de véhiculer avec une force, une sincérité et une humanité naturelles tout ce que ses personnages peuvent bien ressentir en leur for intérieur.
En plus de ça, l'oeuvre a aussi pour elle sa thématique peu courante autour de l'artisanat du vitrail, un sujet qui est loin, très loin d'être là uniquement pour servir l'histoire. Bien sûr, c'est une passion commune pour la verrerie et le vitrail qui unit constamment Fumiyo et Akari jusqu'à donner un sens nouveau à leur existence, et ce fait est superbement exploité par la mangaka, notamment quand elle retranscrit cette fascination des personnages dans ses planches, quand on voit ceux-ci réfléchir constamment aux couleurs qui les entoure et qu'ils observent, ou quand on a droit à différentes petites métaphores où le verre, le vitrail et les créations qui en découlent se font l'écho du parcours et du ressenti des deux protagonistes. Mais Marco Kohinata va souvent plus loin, que ce soit en croquant avec soin les gestes minutieux pour aboutir à des créations artisanale ravissantes, en offrant suffisamment d'explications techniques pour faire saisir toute la minutie et la créativité qu'il y a dans cet art, et même en offrant quelques focus sur certains noms ayant marqué l'Histoire de de cet Art.
Pour sublimer tout ceci, on peut compter sur le dessin en lui-même de l'autrice, réellement impressionnant dans son genre. Non contente d'offrir des designs doux et des décors bien présent et un peu diffus, dégageant ainsi une certain chaleur, ainsi qu'une minutie des gestes quand on voit les personnages à l'oeuvre dans leur Art, l'artiste semble avoir beaucoup réfléchir à ses découpages en alternant entre des séquences assez sobres et d'autres phases avec des cases plus déconstruites, surtout quand il est question pour elle d'utiliser ses métaphores visuelles pour cristalliser le ressenti de ses personnages. Enfin, impossible de ne pas rester régulièrement fasciné face aux planches où la mangaka exploite ses jeux de lumière diffus pour faire briller toute la beauté des objets de verre qui ont été façonnés par ses personnages, comme une sorte d'ultime hommage à cet artisanat.
Côté édition, c'est impeccable. Le très grand format de 13x23cm permet de profiter pleinement du travail visuel de l'autrice, d'autant plus que l'impression est très propre en ayant été effectuée sur un papier assez épais, souple et suffisamment opaque (même si, une nouvelle fois avec l'éditeur, on regrettera que l'origine de l'imprimeur ne soit pas plus précisément indiquée, un simple "imprimé en U.E. étant là). On appréciera aussi la conservation des deux très symboliques pages en couleurs vers la fin de l'histoire, ainsi que la traduction très claire d'Adrien Blouët, et enfin la très jolie postface de Marco Kohinata qui, en plus d'offrir un bel hommage à son défunt grand-père qui était lui-même artisan vitrailliste, nous fait sentir qu'elle a aussi mis une part d'elle-même dans le personnage d'Akari.
Osons dire qu'Akari est le dernier chef d'oeuvre de 2025. Un manga doté d'une grande humanité, dont la sensibilité est sublimée par des personnages naturellement touchants tant ils sonnent vrais, et où une douceur et une chaleur infinies se dégagent à travers l'impressionnant travail visuel de Marco Kohinata, qui sait en plus rendre un vibrant hommage à son propre grand-père et à tout un pan de l'artisanat rarement abordé en manga. Un indispensable total pour quiconque aime le genre.
03/12/2025