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Manga Interview de Shinichi Ishizuka, l'auteur des mangas Blue Giant et Vertical

Mardi, 16 Avril 2019 à 18h00 - Source :Rubrique Interviews

Il y a quelques années, il nous charmait avec Vertical, série à l’humanité rare qui parvenait également à souligner toute la beauté de la montagne dans ce qu’elle peut avoir de fascinant ou, au contraire, de dangereux.
  
Depuis 2018, il est de retour en France aux éditions Glénat avec Blue Giant, où il aborde son autre passion, le jazz, en le sublimant en tant que musique de l’instinct, loin des préjugés élitistes qu’on lui prête parfois.
  
Mais ce qu’il y a aussi de commun entre les deux œuvres phares multi-primées de Shinichi Ishizuka, c’est un goût profond pour dépeindre l’humain, les relations humaines qui nous tirent vers l’avant.
  
Présent à la dernière édition en date de Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, le mangaka a accepté de répondre à nos questions, et nous avons pu découvrir un homme aussi intéressant que le laissent deviner ses planches, et aussi désireux d’échanger avec les autres que les personnages de ses séries.
  
  

Shinichi Ishizuka, merci beaucoup d’avoir accepté cette interview. Votre parcours est pour le moins étonnant, puisque avant de vous lancer dans le manga, vous avez notamment vécu aux USA quelques années à partir de vos 22 ans, avez étudié la météorologie tout en vivant votre passion pour l'escalade, avez aussi découvert le jazz à cette époque... Qu'est-ce que ces quelques années avant de devenir mangaka vous ont enseigné ? Quels souvenirs forts en gardez-vous ?

Shinichi Ishizuka : Comme vous le dites, les deux choses que j’ai ramenées des Etats-Unis, c’est le jazz et l’envie de faire du manga, mais aussi, de façon plus large, le fait qu’en changeant de lieu on change aussi de mode de pensée, et que tout peut être pris de manière différente. Un exemple tout bête : au Japon, quand on se gare en voiture, on le fait toujours en marche arrière, alors qu’aux Etats-Unis il n’y a pas ce genre de contrainte. « Autre lieu, autre pensée », c’est vraiment une idée que j’ai ramenée dans mes bagages.


C'est finalement seul et de façon tardive que vous avez appris à faire du manga, en autodidacte. Comment vous y êtes-vous pris ?

Un jour, j’ai acheté un livre tout fin et vraiment pas cher qui s’appelait « Comment dessiner des mangas ». J’ai suivi les étapes de ce guide, j’ai acheté du papier, des stylos et tous les outils nécessaires. J’ai fait attention à toute la méthode, et me suis également appuyé sur les mangas de Naoki Urasawa et de Kenshi Hirokane.


Pourquoi Urasawa et Hirokane ?

Leur dessin et leur découpage me fascinent par leur clarté, leur fluidité. Tout semble couler de source quand on lit un de leurs mangas.
  
  

Dans vos deux premiers grands succès manga que sont Vertical et Blue Giant, vous avez choisi de mettre en images vos deux passions, et c'est peut-être grâce à ça que vos séries paraissent si sincères et authentiques. En quoi cela sonnait comme une évidence pour vous ? Vous imaginez-vous, un jour, faire un manga sur un sujet qui ne vous passionne pas dès le départ ?

Jusqu’à présent, j’ai dessiné au sujet de ce que j’aimais, et j’ai eu la chance de rencontrer le succès en traitant de mes passions. Mais je pense que certaines des qualités nécessaires à un grand mangaka, ce sont la puissance de construction mentale, et sa capacité à créer des univers qui lui sont complètement étrangers. Donc peut-être que dans le futur, j’aurai intérêt à me frotter à un thème qui ne m’est pas aussi familier que ceux que j’aborde dans Vertical et Blue Giant.


Dans Vertical, vous sublimez la montagne, autant dans sa beauté sauvage que dans les dangers mortels qu'elle recèle. Vous, qu'est-ce qui vous fascine, vous attire le plus dans la montagne ?

Quand on est en ville, il y a beaucoup d’éléments qui participent à fatiguer les gens. Je pense que de nombreuses personnes ressentent ça. A l’inverse, être dans la nature, c’est se retrouver un peu au milieu du vide, de nulle part, là où il n’y a rien pour faciliter la vie. Ca peut paraître parfois un peu dur et contraignant, mais je pense que c’est aussi ça qui fait partie du charme de la montagne. Et puis, le plat instantané qu’on mange chez soi et qui est un peu insipide, au milieu de la montagne il prend une toute autre saveur, et ça aussi c’est quelque chose qui me plaît.
  
  

Comment vous est venue l'idée, l'envie de centrer le récit sur le secourisme, et pourquoi ?

C’est une idée de mon responsable éditorial, M. Katsuki, qui a souligné qu’il était important qu’il y ait un élément dramatique dans la série. C’est ainsi que l’on a décidé de prendre pour terme le secours en montagne.


Dans Blue Giant, c'est le jazz qui est mis en valeur de superbe manière. Vous cassez l'image de musique « hautaine » et élitiste qu'on en a parfois et mettez en avant une musique franche, une musique de l'émotion et de l'instant. Vous vous intéressez aux liens qui se créent entre jazzmen et public, mais aussi entre les musiciens eux-mêmes quand ils jouent en groupe. Et vous soulignez les a-côté comme l'ambiance enivrante des clubs de jazz. Est-ce tout cela qui vous plaît le plus dans ce style musical, ou y a-t-il autre chose ?

Je veux vraiment mettre en avant le fait que le jazz n’est pas quelque chose de très adulte ni de très compliqué, mais qu’il s’agit plutôt d’une chose qu’il faut ressentir de façon instinctive, et qu’on peut apprécier tout simplement en se débarrassant de tous les artifices qui ont tendance à graviter autour et qui lui donnent parfois une image élitiste. Le jazz, c’est quelque chose de simple, et en même temps de naturel, de franc, de direct, où tout le monde prend du plaisir en se laissant emporter de manière commune.
  
  

Et quels sont vos musiciens de jazz favoris, et pourquoi ?

Je pourrais en citer plusieurs, mais quand on me pose cette question généralement je réponds John Coltrane, car en plus de ses qualités musicales c’est un jazzman qui a toujours recherché de nouvelles choses, qui voulait sans cesse se renouveler, dépasser ses limites, découvrir de nouvelles manières de jouer le jazz. Il ne se fixait pas de barrières.


On dit souvent que dessiner des scènes musicales est très difficile, or vous vous en sortez superbement avec des planches vibrantes, où l'on ressent pleinement la musique, le son, l'émotion des personnages sur le moment, ainsi que la connexion entre les musiciens eux-mêmes ou entre les musiciens et le public. Comment êtes-vous arrivé à un tel résultat, si saisissant ? Quels efforts cela vous a-t-il demandés ?

Exprimer la musique, au début ça a été un gros challenge, parce que effectivement on ne savait pas si c’était possible de la rendre aussi bien qu’on le voulait. Au départ on y est allés en tâtonnant, sans savoir. Et c’est au fur et à mesure de la réception et de la réaction des lecteurs qu’on a compris qu’effectivement, après avoir vu les planches, ils réussissaient à entendre la musique. Personnellement, ma théorie, c’est que ce sont les gens qui lisent qui font la démarche d’imagination nécessaire pour que cette musique sorte des planches, et finalement ce sont eux qui me soutiennent dans ma tentative de dessiner la musique. Je pense que le gros de la démarche, ce sont les lecteurs qui la font.
  
  

Pourquoi le saxophone, et pas un autre instrument ?

Il y a plusieurs raisons à cela, à commencer par le fait que ce soit l’instrument le plus emblématique de la musique jazz. Ensuite, étant donné que j’aime dessiner les personnages de profil, le saxophone est parfait, car sa forme épouse les courbes du corps, ce qui offre un rendu harmonieux et classe.


Que ce soit Sanpo dans Vertical, Dai dans Blue Giant, ou tous ceux qui gravitent autour d'eux, vos personnages sont tous très humains, très justes, crédibles et réalistes, et ont des rapports humains très poussés entre eux. Comment procédez-vous pour dépeindre des personnages si justes ?

Mon plus gros intérêt est de dessiner les relations humaines. Les liens entre les gens sont importants à dépeindre, sans se limiter au personnage principal. Je pense que le personnage principal et ceux qui gravitent autour sont tous aussi importants les uns que les autres. L’un des rôles de Blue Giant, c’est vraiment de mettre en perspective et dépeindre ces relations, et quand j’entends mes lecteurs dire qu’il y a un aspect réaliste et de la justesse dans le propos c'est un très beau compliment pour moi.
  
  

Quelle part de documentation y a-t-il dans vos séries-phares, que ce soit Vertical ou Blue Giant ? Observez-vous les gens ? Avez-vous des auteurs et ouvrages de prédilection pour ça ?

Quand, avec mon responsable éditorial M. Katsuki, on se réunit pour décider dans quelle direction l’histoire va aller, on échange des idées, et quand moi je trouve les siennes pertinentes on part dessus pour construire quelque chose. Et je crois que ce qui vient nous nourrir dans tout ça, ce sont nos relations avec les autres, à lui de son côté et moi du mien, et la mise en commun de toutes ces expériences sociales qui nous permettent de construire un monde et une histoire tenant la route. Observer les gens, je pense que c’est quelque chose de très, très important. Par exemple, selon la façon dont je m’assois, je ne suis pas la même personne.


Dans Vertical, Sanpo ne lâche rien dans son rôle de secouriste, ne se laisse jamais abattre, affirme souvent aux gens qu'il aide sa phrase fétiche « vous avez été très courageux » (« yoku ganbatta »). Dans Blue Giant, Dai ne lâche rien quelles que soient les difficultés, est convaincu qu'il deviendra le plus grand jazzman du monde, avance toujours avec courage et volonté. Ces personnages regardent toujours de l'avant sans se retourner. Quelle place accordez-vous aux notions de courage ou de détermination dans la vie humaine ?

Dans la vie de chacun, la chance est un facteur-clé. Quand on regarde évoluer les gens chanceux, tout semble facile. C’est pour ça qu’il me semble important de mettre en scène des personnages qui, plutôt que de critiquer les autres comme s’ils n’avaient pas fait les efforts nécessaires, sont capables de leur dire « yoku ganbatta », « vous avez bien travaillé », « vous avez fait ce que vous avez pu », et qui sont capables de les tirer vers l’avant. C’est vraiment cette notion là, celle de sourire pour attirer vers soi le positif, que j’essaie de transmettre.
  
  

Dans une interview pour le magazine Atom, vous avez déjà évoqué le lien fort entre vous et votre tantô M. Katsuki, et ça s’est à nouveau ressenti dans certains de vos réponses ici. Pouvez-vous parler un peu plus de cette relation de confiance, et du rôle que M. Katsuki a auprès de vous ?

Merci de poser cette très bonne question. A mon avis, il y a deux types de tantô : les normaux et les créatifs. Et moi, j’ai la chance d’en avoir un qui fait partie de la deuxième catégorie. On est dans une vraie relation de confiance, j’ai totalement conscience qu’on construit l’histoire ensemble, et je suis vraiment très très chanceux d’être tombé sur lui. Derrière une œuvre réussie, il y a un mangaka, mais il faut toujours penser qu’il y a aussi un éditeur qui donne des directions, et je crois que c’est vrai pour n’importe quel auteur. La personne avec qui on travaille peut donner une orientation complètement différente à une œuvre.


Interview réalisée par Koiwai. Un grand merci à Shinichi Ishizuka pour ses réponses et sa gentillesse, à l’interprète Sébastien Ludmann pour la qualité de sa traduction, à Charlotte Pérennes des éditions Glénat pour la mise en place de cette rencontre, et au FIBD d’Angoulême pour les locaux.
  



commentaires

nolhane

De nolhane [6891 Pts], le 11 Mai 2019 à 18h31

Merci pour cet entretien très intéressant! :)

kowazoe

De kowazoe, le 16 Avril 2019 à 20h58

C’est ainsi que l’on a décidé de prendre pour terme le secours en montagne.

Vous ne vouliez pas dire thème par hasard ?

Zeik

De Zeik [2187 Pts], le 16 Avril 2019 à 18h57

Merci infiniment pour cette belle entrevue !

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