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Manga Rencontre avec Eldo Yoshimizu, l'auteur du manga Ryuko

Samedi, 16 Juin 2018 à 18h00 - Source :Rubrique Interviews

A l'occasion du Festival d'Angoulême en janvier dernier, nous avons eu la chance de pouvoir nous entretenir avec Eldo Yoshimizu, l'auteur de la série Ryuko dont le deuxième et dernier volume sortait en avant-première chez Le Lézard Noir pour l'occasion. Look impeccable, beaucoup d'humour et de disponibilité... Nous avons découvert un artiste particulièrement sympathique et bavard, et nous vous proposons de la découvrir un peu plus, vous aussi, à travers le compte-rendu de notre interview !
  
  
  
Eldo Yoshimizu, merci beaucoup d'avoir accepté cette interview. Au départ, vous avez d'abord été connu pour vos sculptures. Qu'est-ce qui vous intéressait dans cet art ?
  
Eldo Yoshimizu : Merci à vous.
  
Quand j'étais lycéen, je voulais devenir directeur de publicité, mais pour travailler dans ce domaine un copain  un peu voyou m'a expliqué qu'il fallait d'abord se former aux Beaux-Arts, et j'ai donc suivi cette voie.
  
Je suis entré dans la section design. Il y avait beaucoup de monde et j'ai appris des choses sur le travail d'équipe, mais je ne trouvais pas ça très intéressant. Or, à côté, il y avait la classe de sculpture, où il n'y avait que 3 personnes, et où le professeur M. Nishimura avait l'air très cool. Lui m'a expliqué qu'il était artiste et non designer, car un artiste est libre de construire et d'expliquer ses oeuvres comme il le veut, contrairement au designer qui doit souvent se plier aux demandes. Cette façon de voir les choses m'a beaucoup marqué, et je me suis alors mis à la gravure..
  
  
Ensuite vous vous êtes étendu vers d'autres horizons en vous essayant une première fois au manga avec Ryuko. Qu'est-ce qui vous a attiré vers le manga ?
  
En fait, après les Beaux-Arts et la section sculpture, j'ai travaillé dans l'Art contemporain. J'ai fait des expositions, du Public Art, et j'ai eu l'occasion de bien travailler pendant 20 ans pour cela.
  
Concernant mon travail, on peut dire que c'est du Minimal Art, je pense que pour le public c'est un peu difficile à comprendre et que ça s'adresse plutôt à des professionnels. Je pense que les gens ne peuvent pas vraiment communiquer et ressentir des choses au travers de cet art. Ca me frustrait un peu, et du coup j'ai eu envie d'écrire une histoire, de concevoir un scénario, pour pouvoir mieux m'exprimer et communiquer avec les gens.
  
  
  
Qu'est-ce qui vous a attiré vers un genre plutôt proche du gekiga ?
  
Quand j'étais enfant, j'aimais beaucoup Gô Nagai et Leiji Matsumoto, au point qu'un jour j'ai demandé à mes parents pour aller voir Gô Nagai. Son œuvre Devilman m'attirait beaucoup, c'était très impressionnant pour moi. A cette époque, avec des copains d'enfance on a fait du manga sur 5 volumes, moi j'étais rédacteur en chef.
  
Ensuite, ça n'a pas forcément de rapport avec ce que je viens de dire, mais je m'intéressais également beaucoup à la musique punk, à des groupes comme The Clash et Sex Pistols. Fondamentalement, c'est le message de ce genre de groupes qui m'a énormément influencé dans mon travail. Que ce soit dans la sculpture, dans l'Art contemporain ou dans le manga, je veux travailler en ayant le même état d'esprit qu'eux.
  
  
Puisque vous parliez de Leiji Matsumoto, je trouve que vos héroïnes ont un côté élancé, sensuel et sexy qui rappelle un peu cet auteur, voire aussi Monkey Punch. Certains visages, comme celui de Barrell, ressemblent fort à ce que pouvait faire Osamu Tezuka. Il y a aussi des designs rappelant Sanpei Shirato, des illustrations métaphoriques évoquant Kazuo Kamimura. Est-ce que tous ces auteurs, qui ont aussi fait plus ou moins dans le gekiga, vous ont marqué ?
  
Ah, Monkey Punch ! Avez-vous déjà vu, à ses tout débuts, le premier tome de Lupin III ? Il dessine avec beaucoup de détails. C'est vrai aussi pour les autres, mais cet auteur en particulier m'a marqué. Il a créé en Fujiko Mine un personnage inoubliable (ndlr, Fujiko Mine, voleuse insaisissable, femme forte et sexy qui fait tourner la tête de Lupin).
  
  
  
Comment vous est venue l'idée de l'histoire de Ryuko ?
  
Quand on est artiste, ce qui pour moi inclut le manga, il faut d'abord décider du concept. Le thème le plus important que je voulais mettre en avant dans Ryuko est celui de verticalité/horizontalité. Pour la verticalité, il y a l'histoire du père et de sa fille. Pour l'horizontalité, il y a la dureté et la beauté du monde.
  
Sur un plan personnel, après le Public Art, je devais quitter ma fille suite à mon divorce, et cet événement a sûrement influé sur mon choix pour l'aspect vertical de mon histoire. Concernant l'aspect horizontal, il y a eu des influences actuelles comme les Etats-Unis et leur rapport au terrorisme... Je voulais parler de personnages qui sont ennemis, mais qui ont des raisons d'agir comme ils le font. On peut être quelqu'un de bien et avoir une part de méchanceté, et vice versa.
  
  
Les femmes de la série sont généralement fortes, séduisantes, peuvent même paraître indomptables. Est-ce votre vision de la femme idéale ?
  
Depuis l'enfance, j'ai toujours été attiré pas ce genre de personnages féminins, comme la Fujiko Mine de Monkey Punch ou la Queen Emeraldas de Leiji Matsumoto.
  
  
  
On peut aussi trouver dans l'oeuvre un hommage aux vieux films de yakuzas, surtout dans le tome 1. Qu'est-ce qui vous paît dans ce genre de films, et quelles sont vos références ?
  
J'aime bien les films de yakuzas, mais plus que ça, j'aime beaucoup les films de la Nikkatsu, avec l'acteur star Yûjirô Ishihara, ou encore Keiichirô Akagi. Ca mêle quelque chose de romantique à l'action, j'adore ça. En dehors du Japon, il y a notamment le film Casablanca.
  
Parmi les films japonais qui m'ont beaucoup marqué dès l'enfance, il y a l'histoire d'un homme qui tient un pub près d'un port et qui joue du piano, mais qui, en parallèle, sauve des réfugiés en les faisant traverser. Ce genre d'histoire m'intéressait déjà beaucoup quand j'étais petit. Et dans mon histoire, il y a souvent la ville de Yokohama et son port.
  
  
C'était déjà visible dans le tome 1, mais c'est encore plus présent dans le volume 2 : vous exploitez des thématiques qui restent très actuelles : vous utilisez certaines dérives du capitalisme et le terrorisme, vous évoquez l'affaire Snowden, les Moudjahidines, l'Afghanistan, le 11 septembre 2001, Boko Haram... Pourquoi avez-vous choisi de donner cette orientation qui ancre plus profondément le récit dans la réalité ?
  
Il se passe tellement de choses dans le monde, et bonnes comme mauvaises elles nous touchent. L'armée américaine, l'Irak, Al-Qaida, les réfugiés... j'y pense tout le temps dans la vie. Il y a des gens qui écrivent, sur les réseaux sociaux notamment, sur ce genre de problèmes, mais moi je préfère les utiliser pour dessiner une histoire.
  
Je ne parle pas de choses politiques, mais il y a des messages que le musicien Joe Strummer, que j'adore, avait très bien évoqués par le biais artistique dans ses chansons, et c'est lui qui m'a influencé dans mon choix de moi-même en parler à mon tour dans le manga.
  
  
  
Joe Strummer... Vous avez très bon goût, je suis fan aussi.
  
Oh, on va aller boire un coup ensemble ! (rires)
  
  
Maintenant, parlons de vos visuels. Il y a un très gros travail sur les courses-poursuites, les motos qui crépitent, les hélicoptères, les flingues, les explosions... Comment avez-vous travaillé et développé ces éléments d'action ?
  
Je m'intéresse toujours à ce qui se rapporte au design, y compris dans d'autres mangas. Par exemple, pour les motos, dans le manga Wild 7 de Mikiya Mochizuki, qui est à mes yeux une excellente œuvre, il y avait beaucoup de motos qui m'ont marqué. Puis il y a aussi Mine Fujiko de Lupin III et sa manière de chevaucher sa moto, ainsi que Marianne Faithfull qui faisait de la moto dans le film La Motocyclette (Girl on a Motorcycle) avec Alain Delon (d'ailleurs, je pense que cette dernière a servi de modèle pour Mine Fujiko). Je trouve toujours cool et excellentes les femmes qui montent à moto. Les vêtements m'intéressent beaucoup aussi, ainsi que l'architecture, les voitures, les bateaux.
  
J'aimerais bien que quelqu'un qui en général ne lis pas de manga puisse s'intéresser à la série par le biais de la moto. Notamment, j'aime bien aller dans des magasins de véhicules vintages pour leur montrer mon manga. De plus, peut-être connaissez-vous la marque de bateaux Riva ? Je m'en inspire dans mon manga. A Paris, on peut trouver des magasins d'affiches anciennes, et j'y vois toujours la même affiche de bateau Riva. Quand je montre mon manga dans ce genre de magasins, c'est tout de suite emballant, et on peut engager la conversation. Je pourrais aussi citer les vieilles voitures Lamborghini, ou des vêtements de marques de luxe que je mets un peu partout. Ryuko aime bien la mode. Je pense qu'elle a beaucoup de chaussures. Normalement c'est impossible de démarrer une moto avec des talons, mais dans un manga ça passe (rires).
  
Marianne Faithfull dans La Motocyclette.  
  
Vous accordez également beaucoup d'importance aux onomatopées, qui sont vraiment très travaillées. Elles peuvent être très impressionnantes, dans la mesure où elles font partie intégrante du dessin. Quelle importance accordez-vous à cet élément ?
  
En tant qu'artiste, je fais toujours attention à l'encadrement et à l'agencement dans mes dessins. J'aimerais bien faire dans l'originalité pour les onomatopées, et dans les mangas il y en a quasiment toujours. Chaque auteur a des manières différentes de les utiliser. Personnellement, je considère que c'est un élément graphique à part entière. Pour l'édition française de Ryuko, j'ai donc décidé de retravailler les onomatopées.
  
  
Un autre chose impressionnante, c'est tout ce qui se dégage dans la série en termes de vivacité, de rythme et de dynamisme. Par exemple, les personnages sont rarement fixes, ils bougent toujours comme ils le feraient dans un film, il y a des angles de vue excellents, des découpages des cases originaux... Comment avez-vous élaboré toute cette mise en scène ?
  
Je n'aime pas me contenter de choses trop verticales/horizontales. Moi je vais faire attention aux choses comme si je dessinais un tableau. Je n'aime pas faire un découpage de cases normal, et j'aimerais montrer graphiquement la psychologie des personnages. C'est quelque chose qu'autrefois des mangakas comme Osamu Tezuka faisaient souvent, mais je trouve que ça se perd de nos jours dans les mangas plus récents et à la mode.
  
Par exemple, quand je présente des scènes de bagarre, je ne fais pas les choses en horizontal/vertical. Parfois dans les mangas on ne voit pas l'ennemi, derrière on ne voit rien... Sur le plan visuel on ne voit pas vraiment tout. Tout ce qui se passe en vrai, c'est ça que je veux montrer, comme dans des tableaux. Dans des moments de calme et de silence je vais utiliser l'horizontalité et la verticalité, alors que pour des scènes plus vives et plus rapides je cherche à mettre beaucoup de mouvement et à faire des choses plus arrondies.
  
  
  
Il y a aussi les décors qui sont très travaillés. Vous semblez avoir pensé l'architecture dans les détails, et il y a une forte sensation de profondeur où les personnages sont vraiment intégrés dans leur environnement. Quel fut le processus pour si bien gérer ces décors ?
  
L'histoire est une fiction, donc une sorte de « mensonge ». Or, quitte à faire un mensonge, je ne voulais pas faire un petit mensonge, mais un grand mensonge. Cette idée ne vient pas de moi, elle existait déjà avant chez des auteurs connus. C'est en ne m'écartant jamais de cette idée que j'ai cherché à inventer complètement des décors qui pourraient pourtant être crédibles.
  
  
Ryuko a été l'égérie musicale du clip de la chanson « Her Kiss » de Lepers and Crooks. Comment est né ce projet ?
  
Tout simplement, l'employée d'une galerie où j'ai tenu une exposition m'a présenté ce morceau. A côté, un producteur de musique connu, un Australien qui a notamment travaillé avec INXS dans les années 1990, voulait faire quelque chose avec des dessins un peu « manga ». De fil en aiguille, le projet est alors arrivé devant moi.
  
Mais entre nous, pour être franc, je trouve que le teaser musical de Ryuko conçu par Le Lézard Noir est beaucoup mieux.
  
  
  
Interview réalisée par Koiwai. Un grand merci à Eldo Yoshimizu pour sa gentillesse et sa disponibilité, ainsi qu'à l'équipe du Lézard Noir !
  




commentaires

nolhane

De nolhane [6891 Pts], le 20 Juin 2018 à 01h24

Merci pour cette interview très agréable à lire d'un auteur intéressant et sympathique. J'ai encore plus hate de voir sa nouvelle oeuvre être édité en France :)

subaru64

De subaru64 [167 Pts], le 17 Juin 2018 à 18h42

Excellente interview. L'auteur à l'air extrêmement sympathique. Et en plus il a bon goût.

 

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