Manga Rencontre avec Minetarô Mochizuki
Minetarô Mochizuki est un auteur qui aime se lancer des défis, changeant de style régulièrement et offrant dès lors des oeuvres qui ne se ressemblent jamais. Auteur du récit apocalyptique Dragon Head qui nous plongeait au coeur de la peur humaine, de l'horrifique one-shot La Dame de la chambre close, ou encore d'un Maiwai malheureusement impopulaire en France, l'auteur est aussi celui à qui l'on doit plus récemment le remarqué Chiisakobé, et c'est pour porter cette oeuvre que Le Lézard Noir l'a fait venir pour la toute première fois en France, à l'occasion du dernier Festival d'Angoulême.
De notre côté, c'est lors de son bref passage à Paris que nous avons pu le rencontrer pour une interview. Et même si l'on sentait que le mangaka, malgré sa carrière déjà assez longue, n'a pas grande habitude des interviews, on a découvert devant nous un artiste humble, rieur, complice avec son éditeur, et désireux de nous en apprendre plus sur son dernier manga. Compte-rendu !
credits : getnews.jp
Minetarô Mochizuki, merci beaucoup d'avoir accepté cette interview, c'est un grand honneur de vous avoir en face de nous. On sait que l'idée d'adapter la nouvelle originale de Shugôrô Yamamoto vous a été soufflée par votre éditeur, parce qu'il pensait que ça correspondait bien au type d'histoire que vous recherchiez : peinture des sentiments, atmosphère familiale, travail artisanal... Quel fut votre ressenti à la première lecture de la nouvelle ?
Minetarô Mochizuki : C'est moi qui vous remercie.
En effet, c'est exactement ce que je voulais aborder. A cette époque, je ne connaissais pas encore la nouvelle originale. Bien sûr Shugôrô Yamamoto est un auteur très connu au Japon, j'avais déjà lu plusieurs de ses ouvrages, et plusieurs d'entre eux ont connu des adaptations au cinéma, mais concernant Chiisakobé c'était la première fois que je la lisais. Et en la découvrant, j'ai compris que c'était pile ce que je recherchais.
Chiisakobé possède, parmi ses thèmes centraux, la difficulté d'exprimer ses sentiments. Pourquoi avoir choisi d'aborder cette thématique?
(Minetarô Mochizuki se met à réfléchir longuement, se met à rire un peu de son silence, avant de répondre)
Pour moi, cette difficulté d'exprimer ses sentiments n'est pas à proprement parler l'une des thématiques centrales de Chiisakobé. Je dirais que la relation entre les personnages tient plus de la considération, de la façon dont les gens se considèrent les uns les autres et tiennent compte des sentiment des autres.
Pour vous donner un exemple, au Japon les portes coulissantes ne sont pas fermées à clé. Mais quand elles sont closes, on sait qu'il ne faut pas les ouvrir s'il y a quelqu'un derrière, on ne va pas essayer de rentrer de force. Pour les personnages, c'est pareil.
Désolé de ne pas réussir à mieux exprimer ce que je veux dire. Quelque part j'ai moi-même du mal à exprimer mes sentiments (rires).
Shigeji, mais aussi Ritsu régulièrement, font partie de ces gens ayant du mal à exprimer ce qu'ils ressentent, et dans votre série on comprend pourtant tout ce qu'ils peuvent ressentir en observant leurs différents tics de comportement. Etait-ce pour vous un moyen de nous rappeler d'apprendre à observer les gens, à être attentif envers eux pour bien les comprendre ?
Oui, c'est exactement ça. Pour chaque personnage, à travers les objets qu'il utilise, les vêtements qu'il porte, ses coiffures, ses gestes, cette accumulation de détails, je voulais permettre aux lecteurs de vraiment ressentir la personnalité propre à chacun d'eux.
Dans la série, chaque case semble étudiée au millimètre près, que ce soit dans l'angle de vue, la distance des personnages, les détails, les objets qui semblent presque avoir une âme... si bien que chacune d'elles attire le regard du lecteur pour un ou quelques éléments précis. Comment avez-vous travaillé ce souci de mise en scène, cette minutie ?
J'ai vraiment calculé case par case la quantité d'informations en une case et l'effet que ça procurerait au lecteur. Même la position d'un verre, je la calculais et la modifiais. Par exemple, je me demandais où Ritsu, après avoir bu, poserait précisément son verre, et avec mes assistants on en discutait pour savoir quelle serait la meilleure place. Chaque détail a son importance.
Comment procédiez-vous pour modifier les détails si besoin ? Vous faisiez des brouillons ou des croquis avant ? Vous utilisiez l'informatique ?
Une fois le dessin fait et numérisé, je pouvais facilement déplacer les objets par ordinateur.
Sur Chiisakobé, on vous retrouve avec un travail graphique différent de vos précédentes oeuvres : c'est plus épuré, avec une forte attention aux détails et aux parties du corps... Pourquoi avoir choisi ces changements de style ? Est-ce un besoin de renouvellement ?
En réalité, j'ai déjà opéré ce changement dans ma série précédente, Tokyo Kaido, qui n'est pas encore sortie en France. Ce changement n'est donc pas soudain, il s'est fait par étapes, mais de base il y a en effet une volonté de changement.
C'est en réalisant Tokyo Kaido que je me suis vraiment rendu compte que le fait de limiter les traits et de bien les choisir rendait l'oeuvre plus forte. Cela s'est réellement concrétisé dans Chiisakobé.
Dans mes mauvais jours, pour dessiner un pull je vais accumuler plein de traits pour montrer les plis, alors que dans les bons jours je vais avoir besoin de seulement quelques lignes pour évoquer ces plis.
Du coup, sur vos séries futures, pensez-vous que votre style va encore changer ? Y a-t-il des choses que vous aimeriez expérimenter ?
Je ne pense pas qu'il y a un style et une forme de dessins meilleurs que d'autres, et à chaque oeuvre j'essaie de changer de style. Pour mes prochaines oeuvres, je ne sais pas encore vers quel style je me dirigerai, par contre je veux toujours utiliser mes acquis. Ce que j'ai acquis sur Chiisakobé, j'espère que ça me sera utile sur ma prochaine oeuvre, et ainsi de suite.
Il y a un grand soin pour tout ce qui est architectural : la bâtisse où vivent les personnages, le travail de charpentier de Shigeji... Cet aspect vous a-t-il demandé de vous documenter ?
(Minetarô Mochizuki se tourne vers son éditeur japonais, Kôzô Terazawa)
Aide-moi, toi, on est allés se documenter ensemble ! Réveille-toi ! (rires)
Kôzô Terazawa : Nous sommes allés en reportage ensemble dans d'anciennes maisons, nous avons pris de nombreuses photos. Nous avons multiplié comme ça les visites, sommes allés à la rencontre de charpentiers expérimentés, des artisans traditionnels que nous avons interviewés.
Avec son travail artisanal de charpentier, et sa difficulté à exprimer clairement ses sentiments, est-ce qu'il y a un peu de vous dans le personnage principal de Chiisakobé ?
Minetarô Mochizuki : Dans l'oeuvre originale, Shigeji n'est pas du tout comme ça, il a une personnalité très différente. Il est beaucoup plus viril, et c'est un personnage qui ne doute pas. Mais du coup, je n'arrivais pas à m'identifier à lui, et j'ai alors créé mon propre Shigeji qui comporte effectivement une part de moi-même.
Hormis Shigeji, y a-t-il d'autres grandes différences avec la nouvelle originale, que malheureusement nous ne pouvons pas lire en français ?
Bien sûr, il y a le changement d'époque, puisque la nouvelle originale se déroule sous l'ère Edo. Mais à part ça, la trame est tout à fait identique, je tenais à respecter le récit de Mr Yamamoto.
Le challenge pour moi était plutôt de trouver comment mettre en scène chaque élément du récit. Pour donner un exemple concret concernant la mise en scène, il y a dans le tome 3 une scène de conversation entre Shigeji et Ritsu avec une porte coulissante entre eux, qui les sépare. Cette porte, c'est un ajout que j'ai fait, parce que je me suis dit que le fait qu'ils ne se voient pas transmettrait mieux aux lecteurs les sentiments et pensées de chacun.
Après, il y a tout de même le nombre d'enfants qui change : il y en a plus dans la nouvelle, mais pour pouvoir approfondir la personnalité de chacun j'ai réduit leur nombre dans mon manga.
Shigeji est très nourri par des paroles de son défunt père : "Quelle que soit l’époque dans laquelle on vit, ce qui est important, c’est l’humanité et la volonté". Est-ce vous aussi avec cette mentalité que vous poursuivez votre carrière de mangaka, voire que vous vivez ?
Cela fait partie des petits ajouts que je me suis permis : cette phrase n'existe pas dans la nouvelle originale. Donc comme vous vous en doutez, c'est effectivement un point de vue que je partage et que je tenais à transmettre.
(Minetarô Mochizuki, taquin, se tourne à nouveau vers son éditeur)
Mais c'est quoi cet éditeur qui ne m'aide absolument pas et qui est en train de bailler ?! (rires)
Si vous voulez, j'ai justement une question concernant votre éditeur !
Allez-y ! Réveillez-le un peu ! (rires)
Le magazine Big Comic Spirits, où a été prépublié Chiisakobé, semble regorger d'auteurs qui ont une vraie patte graphique bien à eux et semblent assez libres dans leur travail, comme Junji Ito, Inio Asano, Naoki Yamamoto, Taiyô Matsumoto ou Kengo Hanazawa... Est-ce une spécificité, une mentalité de ce magazine ?
Kôzô Terazawa : Personnellement, je trouve que c'est effectivement la façon de travailler idéale que de respecter pleinement la patte de chaque auteur, mais je ne pense pas que ce soit forcément l'esprit-même du Spirits.
Minetarô Mochizuki : Toi tu respectes le style de tes auteurs, mais tu n'es pas sûr que toute la rédaction fasse de même, c'est ça ? (rires)
Kôzô Terazawa : A mon avis c'est du cas par cas. Sans doute vont-ils être plus interventionnistes avec des auteurs moins expérimentés.
Retour à Chiisakobé ! On note aussi dans la série, un certain goût pour un érotisme assez léger, plutôt sous-entendu, presque fétichiste envers les personnages, et d'ailleurs c'était aussi le cas dans Maiwai...
Minetarô Mochizuki : Je me suis demandé s'il ne valait pas mieux ne pas trop insister sur ces aspects fétichistes et légèrement érotiques, mais en même temps je veux présenter les filles les plus charmantes possibles, et surtout décrire le quotidien, or ces petits éléments un peu érotiques font partie du quotidien. Ne pas les représenter, ce serait montrer un quotidien un peu mensonger.
En tout cas, c'est l'excuse que j'ai utilisée pour pouvoir inclure un peu d'érotisme dans Chiisakobé (rires).
On sait qu'adolescent vous étiez un gros lecteur de manga. Quels titres et auteurs vous ont laissé un souvenir impérissable ?
J'ai fait mes débuts dans le Young Magazine de Kôdansha et ai eu le prix Chiba Tetsuya, or ce dernier est un auteur que j'adorais, et j'ai participé à ce concours parce que je savais que c'était lui qui regardait les oeuvres proposées.
Ensuite, j'ai été influencé par tous les mangakas à succès de l'époque, et par l'artiste Yoshikazu Ebisu qui fait du heta-uma, un genre consistant à dessiner d'une façon qui apparaît maladroite et laide alors que derrière il y a en réalité beaucoup de maîtrise. Je trouve vraiment le dessin de Mr Ebisu surprenant.
(c) Ebisu Yoshikazu.
Enfin, on vous connaît aussi en France pour Maiwai, un récit porté sur l'aventure avec un grand A, avec un aspect finalement assez décomplexé, un sentiment de fun et des héroïnes de rêve. Comment est né ce récit dans votre esprit ?
Dans Dragon Head, je racontais le récit d'adolescents pris dans une catastrophe qui les dépasse complètement, et qui n'avaient plus nulle part où rentrer, plus de chez eux. Avec Maiwai, tout est parti de mon désir de présenter la situation inverse : les héros ont beau partir dans une aventure complètement folle qui va les emmener jusque sur une île perdue et quasiment inaccessible, au final ils peuvent toujours rentrer chez eux.
Un grand merci à Minetarô Mochizuki et à son éditeur Kôzô Terazawa pour leurs réponses et leur sympathie, à Miyako Slocombe pour la qualité de sa traduction, et au Lézard Noir pour avoir permis cette rencontre.
De notre côté, c'est lors de son bref passage à Paris que nous avons pu le rencontrer pour une interview. Et même si l'on sentait que le mangaka, malgré sa carrière déjà assez longue, n'a pas grande habitude des interviews, on a découvert devant nous un artiste humble, rieur, complice avec son éditeur, et désireux de nous en apprendre plus sur son dernier manga. Compte-rendu !
credits : getnews.jp
Minetarô Mochizuki, merci beaucoup d'avoir accepté cette interview, c'est un grand honneur de vous avoir en face de nous. On sait que l'idée d'adapter la nouvelle originale de Shugôrô Yamamoto vous a été soufflée par votre éditeur, parce qu'il pensait que ça correspondait bien au type d'histoire que vous recherchiez : peinture des sentiments, atmosphère familiale, travail artisanal... Quel fut votre ressenti à la première lecture de la nouvelle ?
Minetarô Mochizuki : C'est moi qui vous remercie.
En effet, c'est exactement ce que je voulais aborder. A cette époque, je ne connaissais pas encore la nouvelle originale. Bien sûr Shugôrô Yamamoto est un auteur très connu au Japon, j'avais déjà lu plusieurs de ses ouvrages, et plusieurs d'entre eux ont connu des adaptations au cinéma, mais concernant Chiisakobé c'était la première fois que je la lisais. Et en la découvrant, j'ai compris que c'était pile ce que je recherchais.
Chiisakobé possède, parmi ses thèmes centraux, la difficulté d'exprimer ses sentiments. Pourquoi avoir choisi d'aborder cette thématique?
(Minetarô Mochizuki se met à réfléchir longuement, se met à rire un peu de son silence, avant de répondre)
Pour moi, cette difficulté d'exprimer ses sentiments n'est pas à proprement parler l'une des thématiques centrales de Chiisakobé. Je dirais que la relation entre les personnages tient plus de la considération, de la façon dont les gens se considèrent les uns les autres et tiennent compte des sentiment des autres.
Pour vous donner un exemple, au Japon les portes coulissantes ne sont pas fermées à clé. Mais quand elles sont closes, on sait qu'il ne faut pas les ouvrir s'il y a quelqu'un derrière, on ne va pas essayer de rentrer de force. Pour les personnages, c'est pareil.
Désolé de ne pas réussir à mieux exprimer ce que je veux dire. Quelque part j'ai moi-même du mal à exprimer mes sentiments (rires).
Shigeji, mais aussi Ritsu régulièrement, font partie de ces gens ayant du mal à exprimer ce qu'ils ressentent, et dans votre série on comprend pourtant tout ce qu'ils peuvent ressentir en observant leurs différents tics de comportement. Etait-ce pour vous un moyen de nous rappeler d'apprendre à observer les gens, à être attentif envers eux pour bien les comprendre ?
Oui, c'est exactement ça. Pour chaque personnage, à travers les objets qu'il utilise, les vêtements qu'il porte, ses coiffures, ses gestes, cette accumulation de détails, je voulais permettre aux lecteurs de vraiment ressentir la personnalité propre à chacun d'eux.
Dans la série, chaque case semble étudiée au millimètre près, que ce soit dans l'angle de vue, la distance des personnages, les détails, les objets qui semblent presque avoir une âme... si bien que chacune d'elles attire le regard du lecteur pour un ou quelques éléments précis. Comment avez-vous travaillé ce souci de mise en scène, cette minutie ?
J'ai vraiment calculé case par case la quantité d'informations en une case et l'effet que ça procurerait au lecteur. Même la position d'un verre, je la calculais et la modifiais. Par exemple, je me demandais où Ritsu, après avoir bu, poserait précisément son verre, et avec mes assistants on en discutait pour savoir quelle serait la meilleure place. Chaque détail a son importance.
Comment procédiez-vous pour modifier les détails si besoin ? Vous faisiez des brouillons ou des croquis avant ? Vous utilisiez l'informatique ?
Une fois le dessin fait et numérisé, je pouvais facilement déplacer les objets par ordinateur.
Sur Chiisakobé, on vous retrouve avec un travail graphique différent de vos précédentes oeuvres : c'est plus épuré, avec une forte attention aux détails et aux parties du corps... Pourquoi avoir choisi ces changements de style ? Est-ce un besoin de renouvellement ?
En réalité, j'ai déjà opéré ce changement dans ma série précédente, Tokyo Kaido, qui n'est pas encore sortie en France. Ce changement n'est donc pas soudain, il s'est fait par étapes, mais de base il y a en effet une volonté de changement.
C'est en réalisant Tokyo Kaido que je me suis vraiment rendu compte que le fait de limiter les traits et de bien les choisir rendait l'oeuvre plus forte. Cela s'est réellement concrétisé dans Chiisakobé.
Dans mes mauvais jours, pour dessiner un pull je vais accumuler plein de traits pour montrer les plis, alors que dans les bons jours je vais avoir besoin de seulement quelques lignes pour évoquer ces plis.
Du coup, sur vos séries futures, pensez-vous que votre style va encore changer ? Y a-t-il des choses que vous aimeriez expérimenter ?
Je ne pense pas qu'il y a un style et une forme de dessins meilleurs que d'autres, et à chaque oeuvre j'essaie de changer de style. Pour mes prochaines oeuvres, je ne sais pas encore vers quel style je me dirigerai, par contre je veux toujours utiliser mes acquis. Ce que j'ai acquis sur Chiisakobé, j'espère que ça me sera utile sur ma prochaine oeuvre, et ainsi de suite.
Il y a un grand soin pour tout ce qui est architectural : la bâtisse où vivent les personnages, le travail de charpentier de Shigeji... Cet aspect vous a-t-il demandé de vous documenter ?
(Minetarô Mochizuki se tourne vers son éditeur japonais, Kôzô Terazawa)
Aide-moi, toi, on est allés se documenter ensemble ! Réveille-toi ! (rires)
Kôzô Terazawa : Nous sommes allés en reportage ensemble dans d'anciennes maisons, nous avons pris de nombreuses photos. Nous avons multiplié comme ça les visites, sommes allés à la rencontre de charpentiers expérimentés, des artisans traditionnels que nous avons interviewés.
Avec son travail artisanal de charpentier, et sa difficulté à exprimer clairement ses sentiments, est-ce qu'il y a un peu de vous dans le personnage principal de Chiisakobé ?
Minetarô Mochizuki : Dans l'oeuvre originale, Shigeji n'est pas du tout comme ça, il a une personnalité très différente. Il est beaucoup plus viril, et c'est un personnage qui ne doute pas. Mais du coup, je n'arrivais pas à m'identifier à lui, et j'ai alors créé mon propre Shigeji qui comporte effectivement une part de moi-même.
Hormis Shigeji, y a-t-il d'autres grandes différences avec la nouvelle originale, que malheureusement nous ne pouvons pas lire en français ?
Bien sûr, il y a le changement d'époque, puisque la nouvelle originale se déroule sous l'ère Edo. Mais à part ça, la trame est tout à fait identique, je tenais à respecter le récit de Mr Yamamoto.
Le challenge pour moi était plutôt de trouver comment mettre en scène chaque élément du récit. Pour donner un exemple concret concernant la mise en scène, il y a dans le tome 3 une scène de conversation entre Shigeji et Ritsu avec une porte coulissante entre eux, qui les sépare. Cette porte, c'est un ajout que j'ai fait, parce que je me suis dit que le fait qu'ils ne se voient pas transmettrait mieux aux lecteurs les sentiments et pensées de chacun.
Après, il y a tout de même le nombre d'enfants qui change : il y en a plus dans la nouvelle, mais pour pouvoir approfondir la personnalité de chacun j'ai réduit leur nombre dans mon manga.
Shigeji est très nourri par des paroles de son défunt père : "Quelle que soit l’époque dans laquelle on vit, ce qui est important, c’est l’humanité et la volonté". Est-ce vous aussi avec cette mentalité que vous poursuivez votre carrière de mangaka, voire que vous vivez ?
Cela fait partie des petits ajouts que je me suis permis : cette phrase n'existe pas dans la nouvelle originale. Donc comme vous vous en doutez, c'est effectivement un point de vue que je partage et que je tenais à transmettre.
(Minetarô Mochizuki, taquin, se tourne à nouveau vers son éditeur)
Mais c'est quoi cet éditeur qui ne m'aide absolument pas et qui est en train de bailler ?! (rires)
Si vous voulez, j'ai justement une question concernant votre éditeur !
Allez-y ! Réveillez-le un peu ! (rires)
Le magazine Big Comic Spirits, où a été prépublié Chiisakobé, semble regorger d'auteurs qui ont une vraie patte graphique bien à eux et semblent assez libres dans leur travail, comme Junji Ito, Inio Asano, Naoki Yamamoto, Taiyô Matsumoto ou Kengo Hanazawa... Est-ce une spécificité, une mentalité de ce magazine ?
Kôzô Terazawa : Personnellement, je trouve que c'est effectivement la façon de travailler idéale que de respecter pleinement la patte de chaque auteur, mais je ne pense pas que ce soit forcément l'esprit-même du Spirits.
Minetarô Mochizuki : Toi tu respectes le style de tes auteurs, mais tu n'es pas sûr que toute la rédaction fasse de même, c'est ça ? (rires)
Kôzô Terazawa : A mon avis c'est du cas par cas. Sans doute vont-ils être plus interventionnistes avec des auteurs moins expérimentés.
Retour à Chiisakobé ! On note aussi dans la série, un certain goût pour un érotisme assez léger, plutôt sous-entendu, presque fétichiste envers les personnages, et d'ailleurs c'était aussi le cas dans Maiwai...
Minetarô Mochizuki : Je me suis demandé s'il ne valait pas mieux ne pas trop insister sur ces aspects fétichistes et légèrement érotiques, mais en même temps je veux présenter les filles les plus charmantes possibles, et surtout décrire le quotidien, or ces petits éléments un peu érotiques font partie du quotidien. Ne pas les représenter, ce serait montrer un quotidien un peu mensonger.
En tout cas, c'est l'excuse que j'ai utilisée pour pouvoir inclure un peu d'érotisme dans Chiisakobé (rires).
On sait qu'adolescent vous étiez un gros lecteur de manga. Quels titres et auteurs vous ont laissé un souvenir impérissable ?
J'ai fait mes débuts dans le Young Magazine de Kôdansha et ai eu le prix Chiba Tetsuya, or ce dernier est un auteur que j'adorais, et j'ai participé à ce concours parce que je savais que c'était lui qui regardait les oeuvres proposées.
Ensuite, j'ai été influencé par tous les mangakas à succès de l'époque, et par l'artiste Yoshikazu Ebisu qui fait du heta-uma, un genre consistant à dessiner d'une façon qui apparaît maladroite et laide alors que derrière il y a en réalité beaucoup de maîtrise. Je trouve vraiment le dessin de Mr Ebisu surprenant.
(c) Ebisu Yoshikazu.
Enfin, on vous connaît aussi en France pour Maiwai, un récit porté sur l'aventure avec un grand A, avec un aspect finalement assez décomplexé, un sentiment de fun et des héroïnes de rêve. Comment est né ce récit dans votre esprit ?
Dans Dragon Head, je racontais le récit d'adolescents pris dans une catastrophe qui les dépasse complètement, et qui n'avaient plus nulle part où rentrer, plus de chez eux. Avec Maiwai, tout est parti de mon désir de présenter la situation inverse : les héros ont beau partir dans une aventure complètement folle qui va les emmener jusque sur une île perdue et quasiment inaccessible, au final ils peuvent toujours rentrer chez eux.
Un grand merci à Minetarô Mochizuki et à son éditeur Kôzô Terazawa pour leurs réponses et leur sympathie, à Miyako Slocombe pour la qualité de sa traduction, et au Lézard Noir pour avoir permis cette rencontre.
De SturmMagruserV [101 Pts], le 13 Juillet 2016 à 15h02
De SturmMagruserV [101 Pts], le 13 Juillet 2016 à 14h56
EN voyant la couverture du premier volume j'ai immédiatement pensé à :
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/1/14/Sangatsu_no_Lion.jpg
De nolhane [6885 Pts], le 10 Avril 2016 à 22h48
Merci beaucoup à Manga News, au Lézard noir ainsi qu'a Minetarô Mochizuki et Kôzô Terazawa pour cette superbe interview. Mochizuki est pour moi un des plus grands Mangaka et cette interview est interessante dans le sens où elle permet connaître un peu mieux l'auteur. Dommage que Maiwai ne marche pas en France s'est pourtant un excellent manga... :/
De Blood [2541 Pts], le 08 Avril 2016 à 22h28
Merci à Manga News et au Lézard Noir de donner un peu plus de visibilité à un auteur passionnant mais complètement boudé en France.
De jojo81 [7325 Pts], le 08 Avril 2016 à 19h27
Je le trouve plus à l'aise avec ses crayons qu'à l'oral, mais néanmoins il est passionnant. Merci pour cette interview intéressante !