Chronique série manga - Satsuma, l'honneur des samouraïs- Actus manga
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Manga Chronique série manga - Satsuma, l'honneur des samouraïs

Jeudi, 01 Janvier 2015 à 15h00

Publiés de 1977 à 1982, les six volumes de ce gekiga sont le résultat d’une longue maturation et documentation de la part d’Hiroshi Hirata. Auteur salué par Katsuhiro Otomo comme l’une de ses références personnelles pour le style, la modernité et l’intensité de ces mangas, il ne s’était pas destiné à cette voie d’artiste et c’est presque par la force des évènements qu’il en fit sa profession. Hiroshi Hirata abandonnera à maintes reprises pour des métiers pratiques, mais y reviendra sans cesse.

Satsuma est une épopée atypique illustrant le quotidien des samouraïs du XVIII siècle avec tant de justesse et de précision que les Japonais eux-mêmes en étaient ignorants. Au lieu de guerre et d’acte héroïque c’est la force mentale qui est illustrée dans ce fait réel où les samouraïs de Satsuma, que le Shogun veut affaiblir et saigner, accepte le défi d’aider à leurs dépens une autre région en crue dans leurs travaux colossaux. Fait en apparence anodin, Satsuma, l’Honneur des Samouraïs, réédité chez Delcourt en 2004, fait partie des grandes fresques épiques du genre.




Le début d’une saga atypique

Le Hiemontori est une coutume où deux camps de samouraïs jouent, à cheval, le foie d’un prisonnier vivant. L’introduction sera violente et sans un mot de plus que cette explication. Tradition barbare, où un homme cherche à attendre sa liberté et va se faire dépecer membre après membre, avant de finir par être l’objet d’un ballon de rugby. Spectacle muet de vingt pages où la mise en scène aux cases ultra-classique, sans fioriture, se trouve être diaboliquement dynamique. Une classe toute cinématographique. Les dessins très réalistes, déroutants au début avec leurs traits accentuant les déplacements, nous envoûtent rapidement par leur intensité et leur crudité. Les postures sont dignes de cours d’anatomie pris sur le vif. La force qui s’en dégage rappelle celle de sculpture. Le second prisonnier (qui peut s’apparenter à l’un des héros de ce tome, mais qui s’effacera par la suite renforçant cet effet de réel) gagnera face aux deux clans de samouraïs enragés dans un moment d’extrême bravoure. Nous apprendrons comment il est arrivé au Hiemontori à travers l’explication de la hiérarchie complexe des samouraïs.




D’autres destins se mêleront à la dramaturgie approfondissant la manière de vivre à Satsuma. Les divers fils du récit convergeront tous vers la conclusion de ce tome qui est l’inéluctabilité face à laquelle le fief de Satsuma devra faire front : les ordres du Shogun. La force du récit réside dans sa maîtrise narrative édifiante. Hiroshi Hirata navigue entre conflit personnel et événements d’envergure historique ou sociale avec un tel brio que les écarts inhérents à cet exercice ne se ressentent aucunement. Les psychologies aussi fines soient-elles s’imbriquent dans les grands mouvements de l’histoire. Les moments d’actions forts et tragiques interpénètrent les explications du quotidien digne des manuels scolaires sans que le contraste nous éjecte du récit. Le fil tendu de l’intrigue et de la tension sous-jacente ne se perd pas à travers les chapitres qui alternent, mine de rien, plusieurs récits, flash-back ou descriptions pures. Ce savoir-faire du récit confère, au contraire, une densité à l’œuvre, une force, une grandeur qui lui permet, telle une pièce symphonique, d’atteindre le sentiment de l’épique.




La vie du Samouraï au XVIIIe


Ce qui frappe d’emblée c’est la place de la mort dans cette société. La mort a un rôle, le suicide une fonction, le meurtre un rôle d’équilibre. C’est cette force mentale hors du commun, ce détachement, cette envie de disposer de sa liberté jusque dans cette extrémité qui démarque le samouraï. Son esprit est au-dessus du corps. Pourtant ici, aucun éloge. Rien ne sera sublimé. A la fois l’on constate cette force d’âme qui ne se vante pas, qui n’est pas gloire, mais une profonde conviction dans les situations les plus banales et les plus pauvres. A la fois l’auteur n’hésite pas à souligner les absurdités d’un tel comportement. Le suicide à tout va est effrayant, l’endoctrinement des écoles un non-sens dans l’absolue soumission qu’elle demande à ses élèves. Les classes supérieures ont le droit civique de tuer la personne qu’elles désirent des classes inférieures sur simple déclaration écrite. Ainsi : les jokashi, samouraïs autour des châteaux ont droit de vie ou de mort sur les goshi, samouraïs pauvres, qui eux écrasent le peuple par haine et frustration. Un autre exemple déroutant de la place de la mort est celui auquel est confronté le héros du tome I. Les autorités vont arrêter lui et ses confrères pour un acte de vendetta, résultat de la condition sociale oppressante à leur égard. Au lieu de se laisser emprisonner, chacun, pour leur honneur et la preuve de leur conviction, avait accepté un pacte contre nature en telle situation. Ils se rangent en ligne et se font trucider sans ciller par la main du héros, leur ami, devant tous – ce qui conduira ce dernier au Hiemontori. Nous voilà aux confins de la folie, du désespoir ou de l’admirable. Un père veut tuer son fils juste parce que celui-ci souhaite épouser une femme indigne à ses yeux. Nous sommes loin du barbarisme du moyen-âge européen. C’est ce qui est effrayant.




Cette société est carrée, ordonnée. Les dialogues de l’auteur nous communiquent l’étrange particularité de cet état d’esprit unique en soi où l’on dispose de sa vie en un clin d’œil. Le Tome II mettra en scène un homme qui choisit, pour s’excuser d’un affront pardonné, de se suicider devant l’offensé. L’auteur centre son épopée sur la classe sociale, les goshi. Samouraïs plus pauvres que les paysans, raillés et contraints à divers travaux en parallèle de leur activité. Ils sont sans le sou et épuisés. Frustrés, déshonorés, humiliés, menant une vie pire que les chiens, c’est de là que va resplendir leur force mentale qui fait d’eux des samouraïs. Leur condition sociale extrême ne parviendra pas à entacher leur engagement et révélera leur honneur inébranlable. Hiroshi Hirata rentre dans les détails les plus saugrenus, preuve de ces recherches et de sa profonde compréhension de cette époque. Il évoquera la place de la sexualité, ses tabous et ses frustrations difficilement conciliables avec l’éthique samouraï. Un autre fait passionnant pour décrire la mentalité des goshi : chaque matin, à l’aube, ils sortaient de leur maison et frappaient 3 000 fois un arbre pour expier leur rage et leur frustration. Les coups de bâtons résonnent à l’unisson dans la région, réglés comme une horloge. L’un d’eux coupera un arbre en trois jours tant leur situation invivable, intenable, injuste est grande. Se dégage une forte impression de cette anecdote quant à la maîtrise d’eux-mêmes et la voie qu’ils suivent.




L’Oeuvre d’un Maître du genre


L’introduction de cette saga montre toute la particularité du talent de Hiroshi Hirata. Dessins sublimes, personnels et vivants, historien précis autant que conteur hors pair. Peu d'auteurs parlent mieux que lui des samouraïs. Ses œuvres sont consacrées à ce thème, sinon à l’histoire du Japon. Les six volumes relateront cran après cran l’épopée humaine des samouraïs du fief de Satsuma face à l’adversité de la nature, aux ruses politiques écrasantes, à l’injustice de la toute-puissance du shogun. Cran après cran nous découvrirons dans la boue la plus épaisse le sens du mot honneur dans son apparat le plus humble et dépouillé.

Chroniqueur :
Benjamin K

commentaires

saqura

De saqura [4244 Pts], le 02 Janvier 2015 à 15h30

pas mon genre

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