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Ciné-Asie Critique - Le Roi et le Clown

Lundi, 16 Juillet 2012 à 10h29

Deuxième plus gros succès du cinéma coréen après The Host, Le Roi et le Clown s'inspire d'une célèbre pièce de théâtre connue au pays du matin calme. Voici la chronique de Rogue Aerith sur ce film réalisé par Lee Jun-Ik.
 



XVI° siècle, Corée. Jang-Seng (Kam Woo-Seong) et Gong-Gil (Lee Jun-Ki) font partie d'une troupe de saltimbanques. Ne parvenant pas à vivre correctement, et suite à des problèmes provoqués par le physique androgyne de Gong-Gil, ils décident de se diriger vers la capitale, Séoul. Ils montent un nouveau numéro, rencontrant beaucoup de succès : il y est question de moqueries sur le roi et la cour. Rapidement arrêtés, un notable leur offre une chance d'éviter la peine de mort : faire rire le roi (Jeong Jin-Yeong) avec leur spectacle satirique. Le rire du roi les sauvera... puis causera leur perte.

Réalisé par Lee Jun-Ik (attention à ne pas confondre avec l'un des acteurs principaux, Lee Jun-Ki), « Le roi et le clown » est sorti en 2005. Deuxième plus gros succès du box-office sud-coréen après The Host, le film a été choisi pour représenter le pays du Matin calme aux Oscars dans la catégorie du meilleur film étranger. Rien ne prédestinait pourtant ce film à un tel succès. Réalisé grâce à de l'argent en provenance d'une maison de production en faillite ou de bons amis du réalisateur, n'ayant pas d'autres choix que de reprendre les décors d'une série télé déjà existante, s'éloignant des blockbusters boostés à coups d'acteurs beaux gosses et de valeurs redondantes (patriotisme, loyauté, amour fleur bleue), « Le roi et le clown » avait toutes les chances de tomber dans l'oubli. Sa seule force a priori ? Être tiré d'une pièce de théâtre assez connue en Corée du Sud, « Yi » (littéralement en coréen : « toi »), qui narre l'attirance d'un roi issu de la dynastie Choson pour Gong-Gil, un clown parodiant la cour. Au-delà des distinctions finalement récoltées partout dans le monde, « Le roi et le clown » est, on va le voir, un film qui sous son apparente accessibilité cache une très grande richesse.

Cette richesse est d'abord esthétique et historique. Les traditions ancestrales de la Corée brillent de mille feux : costumes d'époque, masques, spectacles, jeux... De l'aveu-même des acteurs et spectateurs, cette caractéristique a beaucoup joué dans le succès du film. En effet rares sont ceux, en Corée, à mettre en avant de manière si réaliste les spécificités de la culture coréenne du XVI° siècle, dont les arts de la rue font partie intégrante. Le mieux, c'est qu'on ne perçoit aucun aspect bling-bling, au contraire des fresques historiques du voisin chinois, superproductions soutenues par les autorités et tentant de surpasser Hollywood, et des quelques films guerriers en costumes en provenance de Corée du Sud, dont l'aspect historique n'est presque qu'un prétexte quand on voit le vide intersidéral de l'intrigue. Dans « Le roi et le clown » souffle en permanence la douce brise du cinéma d'auteur : la psychologie des personnages et le scénario sont aussi soignés que l'aspect esthétique qui veut avant tout être réaliste plutôt qu'impressionner.

S'agissant des personnages et du scénario justement, comment ne pas être séduit par « Le roi et le clown », dont la symbolique est extrêmement travaillée. Lee Jun-Ik a su construire des personnages et un récit passionnants. S'agissant des personnages, le premier d'entre eux est évidemment le roi. Les spectacles joués par la troupe deviennent une catharsis pour ce souverain qui a été traumatisé durant l'enfance, et dont les séquelles sont évidentes, avec un complexe d'Oedipe et une immaturité remarquables. Le manque de la mère, la puissance castratrice du père, les manipulations des ministres l'ont rendu fou. Les spectacles sont un réconfort, et il en veut toujours plus. Les affaires d'État passeront vite à la trappe, car le roi veut s'amuser. Il est demandeur, tel un enfant. Ces spectacles lui permettent au début de rire de bon coeur... Puis il en tirera une stimulation sexuelle, reproduisant les spectacles dans sa chambre en compagnie de sa favorite, jusqu'à s'intéresser à Gong-Gil, en faisant son camarade de jeu, son confident, et plus encore... Au final, le roi finit par demander à ce confident de jouer des spectacles sur des thèmes particuliers. Gong-Gil, et toute la troupe avec lui, s'exécutera, pour ne pas risquer de perdre les avantages octroyés par le roi. Les dérives arriveront très vite, le roi rentrant dans les spectacles pour se venger, punir, châtier... tuer. La réflexion sur la satire est vraiment intéressante puisque, si elle apparaît au départ comme un moyen de bousculer l'ordre établi, elle finira par montrer ses limites, la puissance politique reprenant les rênes en utilisant cette satire à son avantage pour régler ses comptes. La frontière plus que ténue entre bouffonneries et drame éclate alors. L'art servant à dénoncer la luxure des puissants se retourne contre ses pratiquants, car la satire est si proche de la réalité que le roi vient à confondre les deux. Cependant, le roi ne voit pas venir la rébellion qui gronde, allant de la cour jusqu'au peuple, ce qui donne d'ailleurs un parallèle intéressant en fin de film autour de la cécité. Et on ne vous en dira pas plus. Le roi et le clown comprend une critique à plusieurs niveaux du pouvoir et de la société coréenne du XVI° siècle, et c'est une de ses plus grandes forces.

Le travail autour des personnages et de la symbolique ne s'arrête pas là. Jang-Seng, leader des saltimbanques, surprend par son tempérament protecteur et sa bienveillance vis-à-vis de Gong-Gil. Il n'est pas un ami, ni un amant, tenant plutôt le rôle d'un frère voire d'un père. Leur complicité les rend vraiment attachants. A ce titre, cette relation est parfaitement traduite par une métaphore très habile : Jang-Seng et Gong-Gil sont funambules. Seuls eux deux peuvent se comprendre. Et c'est au moment où ils seront le plus éloignés du fil qu'ils se disputeront. Quant à Gong-Gil, le réalisateur s'intéresse beaucoup moins aux méandres de son âme qu'il ne le fait pour le roi, allant à l'essentiel. Ce qui pose problème ? Son physique plus qu'androgyne. Fragile et efféminé, Gong-Gil a tout d'une femme. Et forcément, il attise les envies homosexuelles des puissants, contre lesquelles Jang-Seng tente de la protéger en se battant, s'attirant donc des ennuis. Il faut savoir que l'homosexualité reste un sujet tabou dans le cinéma sud-coréen (les autres ne font cependant guère mieux, même si on sent une évolution depuis cinq-six ans), cantonné à des films indépendants ou à des daubes infâmes caricaturant les personnes concernées. Dans « Le roi et le clown », elle demeure équivoque, profitant de la richesse narrative instaurée : ni complètement révélée, ni véritablement tue, l'homosexualité naissante du roi est pour le moins intrigante. Petite anecdote au passage : le film de Lee Jun-Ik est sorti, à quelques mois près, la même année que le génial Secret de Brokeback Mountain d'Ang Lee.

En ce qui concerne le casting, Lee Jun-Ik a fait d'excellents choix. Délaissant des stars de premier plan, il a mis en avant des acteurs mois connus. Le résultat est une réussite totale. Kam Woo-Seong, le leader de la troupe, mélange cabotinage lors des spectacles et discrétion en-dehors. Son gabarit et son jeu n'ont en l'occurrence rien à envier à ceux de Song Kang-Ho et Choi Min-Sik. Jeong Jin-Yeong est génial en roi immature et dément. On apprécie d'ailleurs particulièrement son abnégation, non feinte, dans les bonus, révélant qu'il a lui-même des difficultés à s'habituer à sa propre prestation en la contemplant, ne se reconnaissant pas. Enfin, l'interprétation de Lee Jun-Ki est fascinante et intense. On apprend dans les bonus que, puisqu'il n'y avait pas de précédents dans le cinéma sud-coréen d'un rôle semblable, l'acteur a dû se pencher sur Adieu ma concubine pour observer le jeu de feu Leslie Cheung. Tout amateur de cinéma asiatique, passée la première heure, sera surpris de voir des similitudes entre le jeu des deux acteurs. Il faut dire que Lee Jun-Ki possède un visage d'une finesse impressionnante, lui offrant de grandes facilités pour un rôle de personnage androgyne.

Au niveau des bonus, on a là aussi du tout bon, avec des interviews assez longues des acteurs, un aperçu de l'entraînement (très sportif) des acteurs au funambulisme, et un reportage de quelques minutes sur les traditions de la Corée médiévale.

La diversité des degrés dans les dialogues, les faux-semblants, le déluge d'émotions contradictoires qui ressortent des situations, les décors authentiques, donnent au « Roi et le clown » des accents on ne peut plus shakespeariens. Les personnages sont tourmentés, l'intrigue tragique. Et le mélo est totalement absent grâce aux interprétations saisissantes des trois acteurs principaux. « Le Roi et le clown » est une grande réussite, dont on apprécie particulièrement le caractère osé de son scénario, sa symbolique très riche et à plusieurs niveaux qui s'appuie sur des métaphores multiples et intelligentes, et sa liberté et sa variété de ton.
 

commentaires

mimi05

De mimi05 [381 Pts], le 17 Juillet 2012 à 13h23

Cette critique est très juste :)

Pour sûr, un des films qui m'aura le plus marqué!
A voir absolument!

 

hokka

De hokka, le 17 Juillet 2012 à 10h51

Excellent film. Vu et revu !!! mais toujours fan. Lee Jun Ki est un acteur formidable et son rôle  très efféminé est magnifique. Vous l'aurez compris je donne 5 étoiles à ce film.

 

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