Ressentiment Vol.1 - Actualité manga

Ressentiment Vol.1 : Critiques

Ressentiment

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 10 Octobre 2014

Tandis que le très bon I am a Hero se poursuit aux éditions Kana, du côté de Ki-oon on a choisi de faire découvrir la toute première oeuvre de Kengo Hanazawa, Ressentiment, qui nous sera proposée sous la forme de deux volumes doubles contre les quatre tomes simple de l'édition japonaise. Datant de 2004, la série paraît clairement en avance sur son temps, en ceci qu'elle aborde un thème qui n'a jamais été autant en vogue qu'aujourd'hui : les univers virtuels.


Quelques années avant I am a Hero, Ressentiment nous proposait déjà un personnage principal plutôt peu attirant, assez marginal et parfois irritant : Takuro Sakamoto. Gros, dégarni, moche, très mal à l'aise avec les filles, il est toujours puceau et célibataire alors qu'il approche de la trentaine, et vit toujours chez sa mère avec laquelle il n'est pas toujours très sympathique, quand il ne travaille pas assez minablement dans une imprimerie où il n'entretient que des relations amicales superficielles. Il ne voit pas trop ce qui pourrait offrir à son existence un constat moins amer, jusqu'au jour où Daisaku, son plus proche ami d'enfance lui aussi très repoussant, lui présente un jeu en ligne qui fait fureur : Unreal, monde virtuel où les filles sont toutes à vos pieds, et où l'on peut vivre de belles histoires avec des figures virtuelles !


En voyant son ami devenu un véritable tombeur dans cet univers, Takuro décide de franchir le pas, fait acquisition du soft et se créer un physique virtuel plus joli, ce qui lui permet de commencer à entretenir une relation avec la dénommée Tsukiko, mignonne jeune fille. Dans le monde d'Unreal, Takuro et Tsukiko vivent d'abord seuls sur une île déserte, car notre héros préfère jouer hors-ligne et n'a donc pas de contact avec les autres joueurs. Mais quelque chose semble clocher : si Tsukiko est vraiment heureuse d'avoir enfin de la compagnie sur cette île, elle ne semble absolument pas amoureuse de Takuro, qui voit ses avances (souvent pas très finaudes) repoussées. Surtout, la jeune fille semble avoir quelques anomalies : de très vagues souvenirs d'une personne qu'elle aurait autrefois aimée et qui l'obsède toujours, un bref instant où elle perçoit le Takuro du monde réel alors que c'est censé être impossible... Est-elle défaillante ? Ou alors cacherait-elle au fond d'elle des secrets bien enfouis sur ce qu'est réellement Unreal ?


Dans un premier temps, il faut dire que l'on apprécie beaucoup de pouvoir lire d'un coup deux volumes de la série à travers cet épais tome double de 450 pages, d'autant que l'édition est bien conçue (notamment l'épaisse jaquette qui ne nous glisse pas entre les mains), car pendant une bonne partie du volume, il peut paraître difficile d'accrocher à un style très particulier. Que cela soit volontaire au nom, les dessins de Kengo Hanazawa sont très éloignés des standards de beauté, et font même tout pour accentuer une certaine laideur. Les personnages ont souvent des problèmes de proportion et ont toujours des visages extrêmement moches, de ce côté-là c'est clairement exagéré, presque caricatural, surtout en ce qui concerne Takuro, très gras, à la pilosité assez aléatoire, d'apparence sale, ayant souvent la morve au nez et suant comme pas possible dès qu'une fille s'approche de lui. Et dans son comportement, il n'est guère plus attirant, car il fait peu d'efforts pour aller vers les autres, a souvent des pensées vicieuses et pulsions perverses, a des réflexes peu ragoûtants (péter en dormant, se promener en caleçon dans la maison...)... Rien ne donne franchement envie de s'intéresser à lui, et les autres personnages sont globalement tous, eux aussi, de bonnes grosses caricatures : dans la réalité son ami Daisaku est comme lui, sa mère n'attire pas la sympathie, sa supérieure Nagao est un cliché de femme au mauvais caractère et fumant sans arrêt, et dans le monde virtuel Tsukiko est un gros stéréotype de la jolie jeune fille trop candide à qui on mettrait bien quelques baffes.


Kengo Hanazawa prend pas mal de temps pour dépeindre ses personnages, si bien que pendant une grosse partie du tome on se contente de suivre les frasques de Takuro dans le monde réel et dans Unreal. Dans tous les cas, que ce soit en se cloîtrant dans sa chambre ou en travaillant péniblement dans la réalité, ou en essayant de se faire Tsukiko dans Unreal, il se crée vite une ambiance qui met plutôt mal à l'aise, ambiance que l'auteur sait renforcer à travers des décors fournis quand il le faut, où via un humour déstabilisant qui joue surtout sur le parallèle entre ce que fait Takuro dans le monde virtuel et ce qu'il fait dans la réalité. Par exemple, alors que dans Unreal il s'imagine en train de passer un bon moment en marchant sur la plage, en réalité il tourne en rond dans sa chambre. Ou quand il est sur un cheval dans le monde virtuel, il est en réalité avachi sur le dos d'un canapé... C'est également un bon moyen de nous préparer à une suite mêlant toujours plus le virtuel à la réalité. C'est toutefois régulièrement un peu lourd, étant donné que certains blablas sont assez inutiles et que le mangaka en fait parfois trop sur les comportements crades, malsains ou irritants de son personnage principal.


Bref, si on s'arrêtait à ça, il n'y aurait pas forcément de quoi avoir envie de lire la suite. Mais c'est mal connaître Kengo Hanazawa, qui sait distiller petit à petit les interrogations qu'il faut, d'abord autour de Tsukiko qui semble décidément à part. Pour pouvoir déterminer si oui ou non elle est buggée, Takuro devra accepter de se connecter à internet et d'aller à la rencontre d'autres joueurs et d'autres filles virtuelles. Et c'est à partir de là que les choses commencent à décoller. Le monde d'Unreal s'enrichit soudainement aux yeux de Takuro... mais pas forcément en bien pour lui, car il préférerait largement continuer de vivre seul avec Tsukiko, seulement la jeune fille est largement plus préoccupée par son désir de retrouver l'ancien amour de ses très vagues souvenirs. Et on commencerait presque à prendre en pitié notre héros, qui dévoile un petit peu plus de qualités, semble vouloir bel et bien protéger Tsukiko, bien qu'il le fasse très maladroitement, manque d'abandonner à plusieurs reprises et soit souvent proche de craquer en passant sur elle ses nombreuses frustrations. Il s'ouvre néanmoins un tout petit peu plus, ce qui se ressent aussi dans le monde réel, principalement via l'évolution de sa relation avec Nagao, celle-ci se dévoilant alors beaucoup plus dans ses propres malheurs.


L'évolution de Takuro est donc plutôt bien fichue, se fait par petites doses sans y paraître tant il reste quand même ce qu'il a toujours été, mais on se prend réellement d'intérêt et de tristesse pour lui dans sa quête d'un bonheur qu'il n'arrive jamais à atteindre.


En parallèle, les questions sur l'univers d'Unreal s'accentuent au fil de la découverte de ce monde virtuel, de son fonctionnement, de ses deux grandes parties, de ses spécificités (être blessé dans le jeu ne nous blesse pas dans la réalité, etc.), de ses éléments mettant un peu mal à l'aise comme l'espèce de vagin artificiel, de sa hiérarchie (les personnages non jouables comme Tsukiko, les players killers, etc.)... et des mystères liés aux origines de ce jeu. Sur ce dernier point, on découvre déjà beaucoup de choses, principalement dans la dernière partie du volume avec les informations sur la naissance du monde virtuel, sur son créateur, sur le "dieu" qui semble le dominer. Kengo Hanazawa entretient bien l'entremêlement du virtuel et du réel à travers des éléments comme le réseau de prostitution virtuel proposé aux hommes du réel (réseau dont le fonctionnement rappelle d'ailleurs beaucoup ce qu'on peut voir dans la réalité), avant de carrément faire basculer tout ça à partir du moment où arrivent les grosses informations, le monde virtuel étant pour certains le seul monde réel...


En fin de compte, on s'immerge donc totalement dans l'oeuvre, si tant est que l'on s'habitue à son aspect très déstabilisant. On sent un récit et un univers plutôt bien pensés, et l'on reste surtout épaté de voir à quel point la série a pu être en avance sur son temps. Alors qu'elle accuse dix ans d'âge, elle développe de nombreuses thématiques sur le virtuel et le réel qui sont totalement d'actualité, et c'est donc avec beaucoup d'intérêt que l'on découvrira ce que Kengo Hanazawa va faire de tout ça dans le deuxième et dernier tome double.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs