Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 10 Août 2023
La nouveauté de juillet des éditions Doki-Doki fut Power Antoinette, une comédie qui est, à l'origine, un light novel imaginé par l'écrivain Akinosuke Nishiyama et illustré par Misei Ito. C'est en 2022 que son adaptation manga est lancée au Japon sur le site Manga Up! de Square Enix, en comptant à ce jour deux tomes, et en ayant été confiée à un(e) mangaka se faisant appeler Shima et dont c'est la toute première série.
Power Antoinette nous plonge au coeur de la Révolution Française, et plus précisément à l'heure où la reine Marie-Antoinette doit être exécutée. La souveraine apparaît résignée: si c'est pour le bien de son peuple, elle est prête à être guillotinée, tant que ses enfants sont saufs... mais c'est précisément en apprenant le sort que les révolutionnaires comptent réserver à sa progéniture que quelque chose se met à bouillir en elle: à ses yeux, le peuple français est en train de perdre les pédales, trop enivré par sa Révolution. Marie-Antoinette ne peut laisser passer ça, ne veut pas laisser "sa" France devenir ainsi, si bien qu'elle laisse éclater toute la force physique qu'elle contenait. Car dans cette époque historique laaargement fantaisiste, la lignée de Habsbourg a toujours entretenu des arcanes liés à la musculature, et Marie-Antoinette en a hérité en étant en réalité une bodybuildeuse chevronné. A tel point que son coup est si musclé et dur que la lame de la guillotine ne parvient même pas à le couper ! Il suffit ensuite d'un point d'acuponcture pour que toute sa force musculaire s'active en elle: la voici devenue une femme d'1m80 et dotée de pectoraux d'acier, avec lesquels elle compte bien sauver ses enfants, restaurer la monarchie et retrouver "sa" France !
Sur Manga-news, ont est largement friand des séries "what the fuck", absurdes et décalées, tant que c'est bien fait. Si bien qu'à la lecture du pitch de Power Antoinette, il y avait éventuellement de quoi être enthousiasmé à l'idée de voir du bon gros n'importe quoi porté par une marie-Antoinette tout en muscles et improbable. Mais avoir une idée de base aussi crétine ne peut pas suffire à faire un bon manga: il faut ensuite parvenir à trouver le bon, réussir à raconter quelque chose de valable tout en parvenant à bien distiller les gags pour qu'ils fonctionnent et à les renouveler suffisamment... Et sur tout ça, de notre point de vue, ce premier tome se plante complètement.
Tout d'abord, parce que pour espérer apprécier un tant soit peu la lecture, il faudra passer outre un propos très, très mal équilibré, à tel point que l'on pourrait avoir l'impression de lire une pseudo-comédie qui aurait été écrite par les gens du Puy-du-Fou pour faire passer des idées réac' royalistes et anti-révolutionnaires. Ici, Marie-Antoinette apparaît au départ comme une femme bonne et charitable, aimant tendrement le peuple français pour lequel elle veut bien mourir (alors que, historiquement, elle a trahi la France, ne l'oublions pas), tandis que les révolutionnaires et les gens du peuple sont dépeint comme une masse grouillante de sales types, sans la moindre nuance. Le pompon étant ensuite de voir la reine foutre copieusement des mandales à quelques gens du peuple en leur reprochant d'avoir mauvaise haleine (donc apparemment, se moquer des miséreux qui n'ont pas les moyens d'entretenir leur hygiène, c'est drôle d'après les auteurs). Et de manière générale, quand on connaît un minimum l'histoire de la vraie Marie-Antoinette, la voir montrer tant de coeur à retrouver "sa" France qu'elle aime a quelque chose d'un peu nauséabond.
Alors, oui, on sait bien qu'il ne faut probablement pas prendre tout ça au sérieux, qu'il s'agit avant tout d'une comédie à lire au trouzième degré, mais même dans le cadre d'un humour débile et régressif il y a des règles narratives et visuelles à s'imposer pour que les gags fonctionnent, et concrètement ici il n'y a pas grand chose qui va. Quand il y a des idées potentiellement sympathiques à l'image d'autres figures historiques revisitées (le bourreau Charles-Henri Sanson devient un jeune garçon tout mignon et efféminé pour des raisons que l'on découvre vite et plutôt bien pour le coup, la couturière Rose Bertin conçoit des robes-armures, le chevalier d'Eon est une gaffeuse un peu cruche derrière son apparence digne), les auteurs n'en font finalement quasiment rien une fois le petit délire initial passé. D'autres petites choses semblent sortir de nulle part sans faire sourire tant elles sont mal préparées, à l'image de quelques métaphores moisies ("Dans le biceps de Marie-Antoinette il y a les Alpes", en quoi c'est drôle ?) ou de réparties sans saveur (c'est bien beau de vouloir détourner une -soi-disant- citation de Marie-Antoinette en balançant un "Si vous n'avez pas de pain, musclez-vous !", mais il aurait quand même fallu que ça ait un minimum de sens dans le contexte pour faire éventuellement sourire). Quant à la mise en scène, elle est aux fraises: de nombreux gags sont très mal dépeints (par exemple, la scène où Marie-Antoinette défonce un mur à mains nues aurait pu être amusante si Shima avait mieux représenté le mur en question, et la scène de développé-couché de la jeune princesse Marie-Thérèse aurait pu être hilarante si elle n'était pas reléguée dans un coin de page à la va-vite sous un angle de vue sans inspiration), tandis que les quelques scènes d'action sont brouillonnes et bourrées d'erreurs. A part ça, sur le simple plan des dessins, les designs tout comme les décors restent très banals (bien trop banals pour une comédie de ce genre), et les musculatures elles-mêmes sont soit peu dessinées soit dessinées grossièrement et avec là aussi des erreurs, ce qui est quand même très ballot pour une série reposant beaucoup sur le muscle. Enfin, détourner l'Histoire à des fins comiques demande normalement un gros travail de références, sinon à quoi bon ancrer son récit dans un cadre historique précis ? Or, ici, les références historiques se limitent à quelques détails vite survolés, si bien qu'il y a de quoi se dire que les auteurs pourraient tout à fait raconter la même chose à une autre époque et avec des personnages autres que Marie-Antoinette et consorts.
Alors, certes, il y aura sans doute des gens qui trouveront amusante la lecture de ce premier tome, car il n'y a rien de plus subjectif que l'humour. mais de notre point de vue, le constat est sans appel: le tome 1 de Power Antoinette est une catastrophe. Tout est mal amené si bien que les éléments comiques tombent très souvent à plat, les enjeux sont insipides, c'est très basique voire brouillon visuellement, et c'est narré si maladroitement que l'on pourrait prêter aux auteurs des propos réac' qu'ils n'ont probablement pas en réalité.
Saluons, malgré tout, la qualité de l'édition française, où Doki-Doki s'est, comme très souvent, bien appliqué: la jaquette reste proche de l'originale japonaise, le papier est à la fois épais, assez souple et opaque, l'impression est bonne, la première page en couleurs sur papier glacé est toujours un plus, le lettrage du Studio Charon est convaincant, et le traducteur Arnaud Takahashi a fait de son mieux malgré l'humour initial qui tombe à plat.