Plongée dans la nuit Vol.1 - Actualité manga
Plongée dans la nuit Vol.1 - Manga

Plongée dans la nuit Vol.1 : Critiques

Yoru to Umi

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 29 Mai 2020

Chronique 2

Quitte à même sortir du cadre strict du yuri en ayant accueilli depuis décembre 2016 le très bon seinen Octave, la collection Yuri de Taifu Comics a été très efficacement relancée depuis l'année dernière suite au succès de Citrus. On a eu droit à de la romance adorable à souhait avec Kase-san, à un portrait de femmes et de société mature dans Octave, à quelque chose de plus sulfureux et un brin érotique avec NTR -Netsuzô TRap- ... En somme, Taifu Comics tâche joliment d'en offrir pour tous les goûts, et cela se confirme en cette fin de mois de mai avec l'arrivée d'une série ne ressemblant à aucune autre du catalogue yuri de l'éditeur.

Initialement prévu à partir du 26 mars dernier, Plongée dans la nuit fait donc partie des lancements ayant dû être reportés suite au confinement. Lancée au Japon en 2018 chez l'éditeur Hôbunsha dans les magazines en ligne Rabako et Comic Trail (des magazines plutôt hybrides car ils accueillent un peu de tout: josei, seine, yuri...), il s'agit de la première série longue (avec NekoDamari, série lancée elle aussi en 2018 chez Hôbunsha) et de la première oeuvre publiée en France de Goumoto, une jeune artiste qui, depuis ses débuts en 2017 avec des histoirs courtes dans des anthologies collectives, a su se faire remarquer pour son style graphique assez personnel, et s'est plutôt spécialisée dans la tranche de vie quel que soit le genre (yuri, josei, seinen...). Nommée dans son pays d'origine "Yoru to Umi", ce qui signifie littéralement "Nuit et Mer", la série bénéficie donc d'un titre français assez proche mais plus joliment tournée, mais dans les deux cas nous avons des titres dont les mots collent bien à l'une ou l'autre des deux héroïnes...

Lycéenne fraîchement arrivée dans un nouvel établissement scolaire, Tsukiko Yano est belle, très belle, si bien qu'elle attire facilement le regard des garçons. Mais elle, elle n'a d'intérêt pour personne. Taciturne, solitaire, elle aime être seule et ne ressent pas le besoin d'avoir vraiment des amis ou de communiquer avec les autres, si bien qu'elle ne s'applique même pas à être réellement proche de ses deux seules copines en cours. Plus que les gens, l'adolescente est plutôt du genre à faire attention à des petits détails qui vont l'attirer, l'imprégner. Une trace au plafond, une limace qui rampe, des lumières éteintes qui brisent la lumineuse harmonie d'un immeuble... ce sont plutôt ces petites choses qu'elle se plaît systématiquement à observer. Mais quand, au bord de la piscine du lycée où elle faisait un tour solitaire, elle voit soudainement surgir de l'eau est gracieuse silhouette humaine, elle se sent comme transportée par ce qu'elle observe. Happée par cette jeune fille aux allures d'ondine. Submergée par le spectacle, comme si elle était elle-même entourée d'eau, comme une exaltation éphémère de ses sens. Ayant l'air en permanence blasée et désintéressé des autres, Tsukiko capte tout de même ensuite que cette fille est dans sa classe. Puis elle apprend son nom, même si elle peine un peu à le retenir. Et enfin, en ayant l'occasion de lui prêter son parapluie un jour pluvieux, elle peut lui parler, échanger quelques mots avec elle sur la route du retour. Aya Utsumi, puisque c'est son nom, semble être l'exacte opposée de Tsukiko: plutôt extravertie, n'aimant pas être seule, parlant facilement et de façon très franche quitte à ne pas avoir de tact, elle dégage une impression de liberté. Adorant plus que tout nager librement dans la piscine de l'école pour son simple plaisir, ce qui est son unique passion, cette jolie brune risque bien d'emporter Tsukiko avec elle dans son univers maritime, même si la taciturne jeune fille n'en a pas encore bien conscience...

Comment décrire ce premier volume en quelques mots ? Il ne s'agit pas d'une histoire d'amour. Ni d'une histoire d'amitié, du moins pour le moment. Mais plutôt de l'histoire de deux jeunes filles au premier abord complètement différentes qui sont amenées à passer du temps ensemble car, pour certaines raisons, elles ressentent un intérêt pour l'autre. Ce que nous propose ce tome, c'est de découvrir ces deux demoiselles, mais sans que celles-ci ne se découvrent elles-mêmes: c'est essentiellement à travers une narration passant d'une fille à l'autre, ou via quelques coups du hasard comme quand Tsukiko croise Aya dans la rue vers la fin, que l'on a l'occasion d'entrevoir certains choses sur chacune d'elles. Pourquoi Tsukiko, un prénom signifiant littéralement "enfant de la lune" et lui collant plutôt bien, est-elle ainsi, si solitaire, si distante, si désintéressée des autres ? Des explications, ou plutôt des suppositions, pourraient se dessiner à travers les différentes petites choses que l'on découvre sur son parcours. Et au-delà de son côté extraverti et franc, que peut renfermer Aya en elle ? Une unique passion pour la nage (sans compétition, juste pour le plaisir), une peut d'être seule sans pour autant nouer de réelles amitiés (elle a juste le besoin d'être entourée), une situation familiale a priori un peu difficile financièrement... Mais généralement, tout ceci, on ne fait que l'entrevoir. Car Tsukiko et Aya, même si elles passent du temps ensemble au point que des rumeurs finissent par courir sur elles, ne cherchent pas forcément à en apprendre vraiment plus l'une sur l'autre, si bien qu'au bout d'un volume elles ne connaissent quasiment rien de la vie de l'autre alors qu'elles sont souvent ensemble. Néanmoins, cette situation pourrait être amenée à évoluer, moins par le biais de la renfermée Tsukiko que par celui d'Aya, qui semble vouloir quand même construire une amitié plus concrète.

La lecture captive alors assez pour cette relation pour l'instant assez indescriptible et ne ressemblant à aucune autre. La crainte à la lecture aurait pu être la froideur, l'absence de vraies émotions chez les héroïnes. Mais des émotions, il y en a pourtant, et elles passent par un aspect essentiel de l'oeuvre: ses métaphores maritimes (et, brièvement, vampiriques, pour la façon dont Aya voit Tsukiko au début) qui imprègnent littéralement nombre de pages, jusqu'à parfois les submerger, tout comme elle submergent Tsukiko au tout début. De l'eau, de l'écume, des vagues, de la faune marine apparaissent bien souvent, inondant les cases, voire sortant des cases ou les entourant, en apportant à l'oeuvre une envoûtante part de rêverie et de poésie. Mais ces effets de style imagés ne sont évidemment pas gratuits, et chacun d'eux semble retranscrire ce que les textes ne disent jamais: les vraies émotions s'emparant de Tsukiko, émotions dont elle-même n'a pas forcément conscience, voire parfois qu'elle réfute (il y a ainsi certaines envolées marines en totale contradiction avec ce que Tsukiko pense en son for intérieur, preuve qu'elle-même ne comprend pas forcément les émotions qui jaillissent en elle). Ici, on la voit littéralement submergée par sa toute première vision d'Aya sortant de l'eau. Là, des gouttes d'eau montrent que cette vision est encore ancrée en elle plus tard. Des petits bancs de poissons dirigés vers Aya montre l'intérêt qu'elle semble avoir pour cette dernière sans le dire ou même en avoir conscience. Des méduses piquantes ou des carcasses menaçantes de poissons dans le ciel laissent devines les émotions plus négatives qu'elle ressent. Sans oublier les dernières pages où, tandis qu'Aya lâche des paroles assez fortes, le petite écume se transforme soudainement en immense vague l'emportant elle, la petite sirène.

Chaque apparition maritime se veut, ainsi, une retranscription du réel état d'esprit de la jeune fille, nous laissant alors mieux voir son fort intérieur qu'elle-même ne cerne peut-être pas toujours, toute coincée qu'elle est depuis toujours dans son désintérêt pour les autres. L'idée est belle, et l'est d'autant plus qu'elle est visuellement rendue très aboutie par l'intensité du dessins de Goumoto. En plus d'être assez réaliste dans le rendu des vagues, de l'eau, des animaux marins, c'est cadré avec une certaine science de la mise en scène. Et au-delà des ces éléments marins, c'est aussi sur le reste que la dessinatrice séduit: ses héroïnes, et notamment leurs yeux bien différents, on des designs riches et profonds, un sentiment encore renforcé par l'excellente utilisations des trames, de l'encrage et des jeux d'ombre. Ca ne plaira pas forcément à tout le monde, encore plus couplé à un récit somme tout très posé, mais c'est assurément personnel, riche et maîtrisé, et ça accompagne parfaitement ce "voyage" pas comme les autres auprès de ces deux adolescentes.

Ce premier tome de Plongée dans la nuit est donc, en somme, une véritable réussite, ainsi qu'une expérience de lecture ayant quelque chose d'assez unique, que ce soit pour son aspect visuel ou par son abord des héroïnes. L'oeuvre de Goumoto a quelque chose de captivant, qui fait qu'on a déjà envie d'y replonger...

Du côté de l'édition française, Taifu Comics livre une copie soignée. Pas de page en couleur malheureusement, ce qui aurait pu être intéressant au vu de style visuel de la mangaka, mais c'est un manque qu'il faut reprocher à l'édition originale japonaise. La jaquette offre un beau rendu, et se veut proche de l'édition nippone avec son illustration identique et son logo-titre reprenant le même concept de bulles et de trous. Le papier, assez fin, souple et sans transparence, permet une bonne qualité d'impression. Et à la traduction, Karen Guirado livre une copie qui ne semble souffrir d'aucune fausse note.


Chronique 1

Il est plaisant de voir que l'éditeur Taifu a bel et bien repris son catalogue en main, offrant notamment de belles licences comme Octave (bien qu'il s'agisse plus officiellement d'un seinen) ou Kase-San. Le petit nouveau à rejoindre l'écurie, en ce printemps 2020 marqué par la crise sanitaire du Covid-19, c'est Plongée dans la nuit, manga de l'autrice Goumoto. Le titre est en cours de parution depuis 2018, sous le titre original Yoru to Umi, dans la revue Comic Trail de l'éditeur Hôbunsha, et compte pour l'heure deux opus.

De notre côté, en plus d'avoir accès à un nouveau Yuri dans nos contrées, c'est l'occasion de connaître la mangaka. Une spécialiste de la tranche de vie d'après ses œuvres parues, mais que nous n'avions jamais pu lire jusqu'à ce jour.

La jeune Tsukiko Yano est une lycéenne aussi belle qu'imperturbable. Taciturne, elle n'a pas de véritables attaches, bien qu'elle discute régulièrement avec plusieurs de ses camarades. Pourtant, une rencontre va marquer son esprit, celle d'Aya Utsumi. Elle aperçoit cette dernière nager silencieusement dans la piscine de l'école, et cette vision va particulièrement ma chambouler. Tsukiko, qui ne prêtait attention à personne jusqu'ici, va curieusement s'intéresser à Aya, jusqu'à se rapprocher d'elle. Pourtant, les deux adolescentes sont particulièrement différentes : Si Tsukiko est fermée sur elle-même, Aya est au contraire euphorique et bavarde...

La qualité du catalogue Yuri de Taifu est sa capacité à proposer des titres variés, et Plongée dans la nuit semble être un excellent exemple. Ici, pas de rapports charnels sulfureux, d'amours incestueux ou encore de franche amourettes d'adolescence, mais une relation complexe entre deux lycéennes nettement opposée, servie par une narration constamment imagée pour opposer en permanence la nuit qui caractérise Tsukiko, et la mer qui reflète la pétillante Aya.

A première vue, ce premier volume n'est ni plus ni moins qu'une tranche de vie tournant autour de deux camarades, chacune ayant un tempérament distinct et se dévoilant au fil des pages et des chapitres. La notion d'Amour n'est d'ailleurs même pas évoquée dans tout cet opus, si bien qu'on pourrait parfaitement penser lire une histoire d'amitié si la série n'était pas publiée dans un catalogue Yuri. Cette impression est d'ailleurs renforcée par le dilemme qui caractérise Tsukiko, incapable d'éprouver le moindre intérêt pour son prochain, là où Aya va chercher à nouer une sorte de complicité aimable avec elle.

Et c'est ce rapport complexe, dépeint dans l'ensemble du premier tome, qui constitue le sel de la série pour le moment. Avec un personnage aussi renfrogné que Tsukiko, difficile de savoir exactement dans quelle mesure ses rapports évolueront, aussi sa relation naissante avec Aya donne un certain intérêt à cette tranche de vie, le lecteur gardant évidemment l'espoir que quelque chose se débloquera chez la jolie (et taciturne) blonde.

A côté de ça, c'est l'aspect presque contemplatif de ce début de titre qui marque fortement. Goumoto le montre assez vite, l'allégorie de l'océan est utilisée pour montrer les chamboulements qui traversent Tsukiko, ce qui sera représenté par la mer baignant régulièrement les deux héroïnes, et même d'une faune marine marquant la profondeur des émotions qui les impacteront. Outre le fait qu'il s'agisse d'une bien jolie figure de style, l'utilisation de cette allégorie sur le plan visuel est tout simplement ravissante, appuyant avec efficacité toute la richesse du rapport qui se noue entre les deux personnages centraux du titre.

Le trait de Goumoto sert alors très bien toute cette atmosphère graphique. Son coup de crayon est riche, très expressif et pique de nombreux petits détails sur les planches, tandis que les idées de mise en scène et les jeux d'ombres apportent toujours un relief saisissant. Si ce premier opus ne ravira peut-être pas tout le monde par son histoire, douce et posée, c'est sûrement ce coup de crayon qui marquera davantage.

Du côté de l'édition, Taifu livre une très bonne copie, comme à son habitude. Un papier fin mais de qualité nous est servi sur un ouvrage souple comme aime les confectionner l'éditeur. La traduction de Karen Guirado semble sans fausse note, notamment parce qu'elle s'adapte efficacement à l'atmosphère si particulière de ce premier tome.

Alors, ce début de Plongée dans la nuit est un petit délice dans son genre, pour peu qu'on apprécie les tranches de vie posées aux élans contemplatifs, autour de personnages complexes qui se dévoileront au fil des pages. La série est assez unique au sein du catalogue Yuri de Taifu, pour le moment, ce qui la rend aussi si particulière. A voir comment l'histoire de Tsukiko et Aya se développera, mais il y a de quoi attendre la suite avec une belle curiosité.
  

Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Koiwai

17 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
16 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs