Opus Vol.1 - Actualité manga

Opus Vol.1 : Critiques

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 14 Juin 2013

Surtout connu pour ses réalisations animées, le regretté Satoshi Kon était aussi mangaka à ses heures perdues. Une facette de sa carrière un peu moins connue, mais dont nous avions eu un aperçu en automne 2004 avec Kaikisen, paru en France chez Casterman. Près de 9 ans plus tard, ce sont grâce aux éditions Imho que nous pouvons enfin découvrir d'autres oeuvres papier de cet artiste disparu trop vite. En attendant Seraphim pour lequel Kon a collaboré avec le célèbre Mamoru Oshii, on découvre d'abord le premier volume d'Opus, une série fantastique à suspense en 2 tomes où fiction et réalité ont vite fait de se mêler.

Tout s'ouvre sur une oeuvre du nom de Résonance, récit d'action effréné à succès, qui en est déjà à son 24ème chapitre. Satoko, l'héroïne de la série capable de lire dans les pensées, épaulée par le jeune Rin qui a lui aussi ce pouvoir, lutte contre les méfaits du Masque, un chef de secte qui a prévu de contrôler le monde en prenant le contrôle des gens grâce à une drogue virtuelle qui envoie des messages subliminaux. Après avoir réussi à démanteler le laboratoire de production de cette drogue, elle fait enfin face au grand gourou de la secte, mais doit dans le même temps faire face aux poursuites lancées contre elle par son chef, ses collègues et sa propre mère, tous pris par l'effet de la drogue. Alors que le combat final approche... les esquisses prennent la place des planches finies. L'auteur de cette histoire, le mangaka Chikara Nagai, est tranquillement en train de peaufiner avec son assistant les dernières pages de son chapitre, qui doit aboutir sur un tragique bouleversement : le sacrifice de Rin, qui mourra avec le Masque pour protéger Satoko.

Le ton est donné : avec ce récit dans le récit, cette mise en abyme, Satoshi Kon laisse d'emblée entrevoir un certain regard sur le monde difficile du manga, via l'un de ses thèmes de prédilection : la disparition de la frontière entre réalité et fiction, chose que l'on entrevoyait déjà dans Perfect Blue, Millennium Actress et certains épisodes de Paranoia Agent, et qui éclatait totalement dans Paprika. Dans ces premières pages, on est vite happé par l'action frénétique et par des personnages qui en imposent. Satoko est une héroïne de choc et de charme, tandis que le jeune Rin possède la fougue et la détermination de la jeunesse... Une détermination telle qu'il en arrive à briser la frontière entre manga et réalité pour voler à Chikara la planche où il est censé mourir. En effet, Rin est bien décidé à ne pas se laisser tuer, même si pour cela il doit s'opposer à son propre créateur ! Tentant vainement de rattraper sa planche volée, Chikara se retrouve alors propulsé dans son propre manga...

Vous avez sans doute déjà lu des mots d'auteurs où ceux-ci déclarent avoir tellement travaillé sur leurs personnages qu'ils ont l'impression que ceux-ci ont désormais une existence propre. Satoshi Kon pousse jusqu'au bout cette idée en immergeant le mangaka dans son oeuvre. Dans le monde de Résonance qu'il a créé de toutes pièces et dont il connaît toutes les ficelles de l'histoire et tout le passé des personnages, Chikara prend alors la place du Dieu, du créateur tout puissant... au grand dam de ses créations ! Car si Rin connaît déjà la vérité et est bien décidé à empêcher son funeste sort, Satoko, elle, découvrira la vérité petit à petit, mais sera-t-elle capable de l'accepter ? Alors qu'elle pensait avoir son existence propre et être maîtresse de ses actes, elle découvre qu'elle est entièrement guidée par les choix de son créateur, par les besoins de Chikara pour son histoire, et que finalement elle ne contrôle absolument pas sa vie. La mise en abyme métaphorique qu'offre Satoshi Kon se pare alors de toute une réflexion sur le travail de mangaka, mais aussi sur la religion via la place de Dieu Créateur de Chikara dans le monde de Résonance, sur la condition humaine à travers ces personnages fictifs qui se rebellent tout simplement contre leur destin, et de façon plus générale sur notre société quand ce sera au tour de Satoko de débarquer dans notre réalité.

Au fil des pages et de l'avancée de cet univers qu'il a lui-même créé, Chikara voit sa création lui échapper petit à petit, s'écarter de ce qui était prévu. Entre Rin qui lui a volé sa planche pour ne pas mourir, le Masque qui se lance à sa poursuite et Satoko qui prend peu à peu conscience de sa condition de personnage créé de toutes pièces, le mangaka voit lui aussi s'effondrer ses convictions petit à petit, tandis que la frontière fragile entre fiction et réalité disparaît toujours plus. Et au bout du compte, il est fort possible que le créateur pose un nouveau regard sur ses créations, au point de ne plus vouloir les sacrifier et à mettre sa série en danger auprès de l'éditeur...

Distillant habilement les réflexions qu'apporte cette situation et l'évolution des personnages, Opus est d'autant plus prenant qu'il se pare évidemment des qualités de l'univers de Résonance : un rythme effréné, une narration soutenue, de l'action omniprésente. Une véritable course contre la montre s'engage à Résonance, aussi bien dans la lutte contre le Masque que dans le besoin qu'a Chikara de rendre ses planches à l'heure, et on est alors happé par un récit qui ne laisse aucun répit. D'autant que Kon a su s'approprier le style et le découpage de l'un de ses mentors : Katsuhiro Otomo, pour lequel il a été assistant sur Akira. Ici, dans le design des personnages, on ressent assez l'influence du papa d'Akira, influence qui s'étend d'ailleurs jusqu'au monde de Résonance, monde qui, un peu too much dans son univers très urbain à tendance fantastique et flirtant avec l'anticipation, sonne comme un clin d'oeil amusé. Dans le découpage et à travers la mise en scène urbaine assez sombre et les perspectives vertigineuses sur les immeubles, on pense également à Dômu - Rêves d'enfant, une oeuvre d'Otomo que Kon a toujours citée parmi ses lectures les plus marquantes. Avec tout cela, difficile de ne pas se laisser immerger par ce récit sans temps mort, d'autant que, cerise sur le gâteau, Kon y immisce à plusieurs reprises des clins d'oeil plus ou moins visibles à de nombreuses choses : le cinéma avec Piège de Cristal ou les films de monstres géants, le manga avec Astro, notre propre réalités avec des sectes comme celle d'Aum...

En somme, difficile de bouder son plaisir face à ce récit prenant. Reprenant ce thème qui lui est si cher de la disparition de la frontière entre fiction et réalité, Satoshi Kon délivre une réflexion intéressante sur le métier de mangaka et sur la condition humaine, en emballant le tout dans un récit d'action frénétique ponctué de jolis clins d'oeil amusés et visuellement impeccable (l'influence de Katsuhiro Otomo est claire). On aurait tort de se priver de cette autre facette du regretté réalisateur des célèbres Tokyo Godfathers, Perfect Blue et Paprika.


 


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs