Hôtel Voynich Vol.1 - Actualité manga
Hôtel Voynich Vol.1 - Manga

Hôtel Voynich Vol.1 : Critiques

Voynich Hotel

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 09 Décembre 2021

Auteur incontournable de la scène alternative depuis la fin des années 90, Douman Seiman arrive enfin France avec son propre manga. On avait en effet pu découvrir le talent de l’auteur à l’occasion de l’excellente anthologie Robot parue chez Glénat avec l’histoire courte intitulée La condition pour être sorcière, mais c’est la première fois qu’une de ses séries est publiée chez nous. Et ce n’est pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit de Hôtel Voynich, son manga le plus culte qu’il a débuté en 2006 et conclu en l’espace de trois tomes. Il était donc temps qu’il parvienne jusqu’en France, une publication que l’on doit aux éditions Noeve Grafx qui semblent avoir la volonté de nous proposer de talentueux artistes malheureusement oubliés par le monde du manga francophone.

Située dans l'océan Pacifique, la petite île de Blefuscu, bien que ravagée par la guerre, abrite un énigmatique hôtel. C'est ici que Taizô Kuzuki, un jeune japonais à priori banal, se rend pour un long séjour. Il y découvre que l’endroit est géré par deux étranges soubrettes, qu’il cache de nombreux mystères et que ses compagnons de séjour sont tous plus extravagants les uns que les autres, quand ils ne sont pas des dangers publics...

Si le résumé semble court, c’est parce que le manga, comme son titre l’indique, met en scène ce qui se déroule à l’intérieur et autour de l’hôtel Voynich. Chacun des 26 chapitres de ce premier tome propose une petite histoire centrée sur un visiteur ou le personnel des lieux. Si Taizô Kuzuki est désigné comme le protagoniste et que ses apparitions sont récurrentes, le point de vue tourne constamment entre les différents personnages qui habitent dans l’hôtel. En fin de compte, on assiste à un récit choral dans lequel les petites histoires s’enchevêtrent afin d’en former une plus grande. Au fil de chapitres décousus, on découvre donc les mystères qui entourent non seulement les lieux mais aussi les personnages, dont également le héros qui semble avoir bien des choses à cacher derrière son apparence ordinaire.

Dans ce manga, Douman Seiman parle sans complexe de meurtre, de drogue, de sexe ou encore d’occultisme, autant de sujets qu’il mélange aux apparitions fantomatiques ou aux légendes anciennes. Il entremêle les ambiances en passant du thriller à l’horreur, toujours selon un ton surréaliste, mais qu’on ne s’y trompe pas, Hôtel Voynich est avant tout une comédie. L’auteur enchaîne des gags tous plus tordus et inventifs les uns que les autres au fil de ses petites histoires. Il a un humour assez proche de celui de Kôji Kumeta, l’auteur de Sayonara Monsieur Désespoir et Kakushigoto, c’est-à-dire absurde et ultra-référencé. Il enchaîne les clins d’œil à la culture japonaise, et s’il fait de nombreuses références au monde du manga en se moquant de Mitsuru Adachi et parodiant Kikaider ou encore One Piece, certaines d’entre-elles sont bien plus obscures pour qui n’a pas grandi dans ce pays. Heureusement, il y a des notes de traduction pour expliquer les blagues très marquées par la culture japonaise. Néanmoins, l’auteur fait également des références à d’autres cultures que celle de son pays. Et si certaines sont évidentes, comme Chuck Norris, d’autres le sont bien moins, comme en témoigne le titre du manga. Mais il y a tellement de blagues dans Hotel Voynich qu’il n’est pas nécessaire de toutes les comprendre pour apprécier la lecture, et même sans saisir une référence, on en comprend généralement l’idée sans trop de difficulté. Et puis faire des recherches sur des choses qui nous échappent fait aussi partie du jeu quand on lit ce genre de mangas.

C’est d’autant moins frustrant que le titre a bien d’autres qualités que son humour noir et absurde. Si on a mentionné les mystères dont il regorge et qui se dévoilent au gré des saynètes, il convient également d’aborder le sujet de son ambiance. Une atmosphère gothique que l’on croirait presque sortie d’un film de Tim Burton règne dans cet hôtel, et celle-ci est accentuée par le style de Douman Seiman qui est très influencé par Mike Mignola, l’auteur notamment de Hellboy, qui s’est fait connaître par son utilisation du clair-obscur. Un artiste qui a par ailleurs influencé d’autres mangakas comme Kazuki Takahashi et son fameux Yu-Gi-Oh!, mais aussi et surtout Masato Hisa, qui est peut-être le dessinateur qui lui rend le mieux hommage à travers des mangas comme Area 51 ou Jabberwocky. Si on mentionne Masato Hisa, c’est justement parce que le style de Douman Seiman y fait penser par moment, de l’utilisation du clair-obscur au goût pour les références. Malgré cela les deux auteurs développent des personnalités distinctes et prononcées, et produisent ainsi des mangas comme eux-seuls savent en faire. Simplement, si quelqu’un a déjà rêvé de lire un manga avec un humour à la Kôji Kumeta et un dessin à la Masato Hisa, il verra son souhait exhaussé avec Hotel Voynich. Mais gageons que c’est une demande très spécifique... En plus de son atmosphère macabre, le titre de Douman Seiman est totalement loufoque, si bien qu’il vire au surréalisme. De la diversité des personnages à celle des références, tout semble incohérent, ou du moins incompatible, néanmoins tout s’emboîte parfaitement, comme par magie. Il faut s’y faire, l’auteur maîtrise totalement son univers aussi macabre que grotesque en allant au bout de ses idées les plus farfelues.

Du côté de l’édition, c’est un bonbon. On commence à en avoir l’habitude avec Noeve Grafx, mais Hotel Voynich est peut-être l’un de leurs plus beaux livres, si ce n’est le mieux réalisé. On ne peut que vous recommander d’au moins prendre l’ouvrage entre vos mains pour vous rendre compte par vous-mêmes des effets de fabrication sur la couverture. Et ce n’est pas fortuit, cette décoration rappelant un hôtel donne un véritable cachet au manga qui joue beaucoup sur son atmosphère. Comme d’habitude avec l’éditeur, on trouve une carte à collectionner à l’intérieur du livre ainsi qu’un bandeau promotionnel assez drôle, avec des accroches parodiques dans le ton de la série. La traduction est signée Anaïs Fourny qui fait un travail remarquable et dont il ne faudra pas s’étonner quand on verra son nom dans les sélections d’un futur Prix Konishi. Que ce soit au niveau du vocabulaire, du langage des personnages, de la transcription de l’humour, absolument tout est impeccable. Aucune fausse note à souligner tant les dialogues semblent aussi déjantés que le sont les personnages, tout en sonnant étonnamment naturels. Seuls les petits textes explicatifs à côté des cases peuvent paraître invasifs, mais ils sont nécessaires à la compréhension de tous. Du côté de l’adaptation graphique et du lettrage, Kévin Druelle fait un travail formidable comme à son habitude. Tout est à louer, de son boulot sur les onomatopées à celui sur les dialogues, essentiel car certains personnages ne s’expriment pas selon les mêmes typographies. C’est toujours cohérent, les changements ne jurent jamais et ne sortent pas de la lecture. Au contraire même, ils contribuent à l’ambiance si particulière du titre.

En définitive Hotel Voynich est un manga aussi excellent qu’il est inclassable. À la fois humoristique et alternatif, le titre se veut sans aucun complexe, ce qui lui permet d’aller au bout de ses idées les plus délirantes. C’est un réel plaisir de suivre ces personnages si atypiques naviguer au sein de ce bien mystérieux hôtel et d’observer des intrigues principales se dessiner au fil de leurs aventures. Assurément surréaliste, quand il n’est pas absurde, le manga de Douman Seiman s’impose dès son premier volume comme un incontournable de l’humour noir.   


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
jojo81
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs