Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 08 Juin 2018
Critique 2
Les précédents événements déstabilisent Makoto. S'il s'est rapproché de Yûki et Nao tout en approfondissant ses liens avec Yukiko, et vit une existence paisible en apparence, il ne s'explique pas les changements qui s'opèrent en lui. Entre bonheur d'une vie quotidienne tranquille et malaise à cause de sa « transformation », le héros ne sait pas sur quel pied danser, et les terribles événements à venir risquent de l'éloigner davantage de la vie paisible à laquelle il aspirait...
Suite aux événements qui ont conclu le tome précédent, on s'attendait à ce que le quotidien de Makoto évolue en conséquence. Ça ne manque pas, Yûki cherchant à se racheter une conduite envers celui qu'il a harcelé, une amitié saluée par Nao tandis que le héros se rapproche un peu plus de Yukiko... En résulte une première partie de tome où l'heure est à la quiétude. Shûzo Oshimi croque alors à merveille, une coutume chez l'auteur, un portrait d'adolescence, cette fois-ci totalement optimiste. Le mangaka y va d'ailleurs sans tabou, car outre les parties de bowling tranquilles dans le quatuor, il montre sans se cacher les folies que peuvent commettre de jeunes individus, boire de l'alcool en cachette, ou encore s'adonner aux folies d'un couple dont les hormones sont en pleine ébullition. Sans toutefois se montrer choquant, le récit étant suffisamment pudique pour faire comprendre au lecteur sans avoir besoin d'en faire des caisses.
Ce second volume exploite habilement la dualité qui règne dans la série, à savoir l'existence paisible de Makoto et les chamboulements marqués par sa transformation en buveur de sang. Ainsi, après une première partie de volume calme et pleine d'enthousiasme, l'heure est de nouveau au malaise et au cauchemar. Les événements du premier tome impactent ce second opus, de manière censée sur le plan narratif puisque ce sera l'occasion pour le héros de voir un malaise encore plus profond le marquer, et des personnages concernés par la dimension fantastique de l’œuvre intervenir.
Shûzo Oshimi parvient à susciter un véritable mal chez son lecteur en retranscrivant encore une fois, et avec brio, la vision de Makoto qui voit le monde autour de lui se déformer quand il est en proie à ses sensations extrêmes. En résulte tout un passage violent et à la narration remarquable, nous laissant difficilement indemnes.
D'ailleurs, le mangaka se montre impitoyable jusqu'au bout, et va pousser son récit sur une tout autre voie sur la fin du tome. Il efface volontairement et de manière cruelle la quiétude de l'existence de Makoto à travers une série de rebondissements lui faisant prendre conscience qu'il n'a plus grand-chose à voir avec la société humaine. Outre un rythme manié d'une main de maître, on reste facilement ébahis devant ces rebondissements où d'autres « vampires » sont l'objet, par la volonté du héros de tout quitter pour retrouver son ami, et par la détermination de ses proches de ne pas le laisser tomber. Il est honnêtement impossible de deviner où se dirigera l'intrigue à partir de ce troisième opus. Néanmoins, à travers une série d'événements on ne peut plus grave et après avoir planté des personnages forts et complexes, on s'attend d'ores et déjà à une suite passionnante. Alors que Les Fleurs du Mal est sur le point de s'achever en France, quel plaisir de pouvoir lire une autre série excellente du talentueux Oshimi ! Si les deux titres ne sont pas vraiment comparables, la patte du maître se ressent, et cette nouvelle tranche de vie atypique qu'il nous propose captive sans mal.
Critique 1
C'est le matin, un nouveau jour commence encore pour Makoto. Mais désormais, l'adolescent effacé a totalement conscience qu'il se passe bel et bien quelque chose en lui, depuis que, la veille au soir, il a volé dans les airs en venant en aide à Yûki. Et cela se répercute aussi dans son quotidien au lycée où il se traîne: la taciturne Yukiko n'est plus sa seule amie, car Yûki et Nao changent de comportement envers lui. Désormais, ils ne le harcèleront plus et semblent avoir le désir de se rapprocher de lui...
Le tome commence assez calmement, dans une première partie qui laisse le temps au lecteur de découvrir un peu plus Yûki et Nao, mais aussi Yukiko, que ce soit à travers une sortie à 4, un passage de notre héros et de Nao chez Yûki, ou quelques mots échangés en salle de classe par l'adolescent avec Yukiko. Shuzo Oshimi a beau passer en revue tout ceci de façon assez sommaire et basique, il a le mérite de ne pas trop en faire, et de facilement laisser cerner un peu plus chaque personnage. On voit brièvement certains aspects un peu débridés de Nao et de Yûki, les sentiments de la première pour le deuxième, mais aussi la "vie de famille" loin d'être idéale de Yûki, et l'on continue aussi de cerner un peu plus Yukiko derrière son allure taciturne, solitaire et détachée de tout. Chacun de ces trois visages semble vouloir réellement nouer des liens des avec un Makoto qui pourrait alors voir changer plus en profondeur son quotidien jusque-là terne... Mais à ce petit jeu-là, Oshimi ne laisse jamais le lecteur penser que les choses seront aussi simples. Pendant toute cette première partie au déroulement classique, il sait très bien jouer sur la difficulté qu'a Makoto à bien se faire à ces nouvelles relations qui changent un peu sa vie en société jusque-là austère. Il ne sait pas comment réagir quand Yûki et Nao s'incrustent dans sa sortie avec Yukiko, se force un peu à rire pour suivre le mouvement quand Yukiko se rate au bowling, s'excuse maladroitement auprès de cette dernière sans savoir si c'est réellement nécessaire, peine à accepter le cadeau que Yûki veut lui faire, se sent de trop et préfère partir de chez Yûki quand la situation évolue entre lui et Nao... On a un Makoto qui peine encore face aux autres. De même, les planches de l'auteur amènent un certain malaise dans l'atmosphère. Les cadres intérieurs (le lycée, la chambre de Yuki qui est d'abord vue de dessus pour montrer une sensation d'enfermement) conservent un côté un peu étouffant et assez anxiogène, il y a souvent l'appréhension que quelque chose aille se passer... et ça ne manque pas.
De façon assez classique là aussi, et même de manière très prévisible, la deuxième partie du tome voit revenir à la charge des personnages désireux de se venger dans la violence, créant dès lors une situation qui va à nouveau tout bouleverser. Pendant que Nunoda fait pâle figure, Yûki a l'occasion de confirmer son amitié nouvelle pour Makoto, mais ce qu'on retient avant tout est le retour des pulsions vampiriques de notre héros face à une situation de danger assez extrême, où il ne peut pas tenter de rester normal et se contrôler s'il veut s'en sortir. On sent l'"éveil" arriver petit à petit, grâce au retour de visuels brouillant les perspectives et se faisant plus brutaux que dans le premier tome. Avec, à la clé, une mise en lumière plus prononcée de la nouvelle nature de Makoto, un nouvel élément intrigant sur ces vampires (apparemment, en situation de danger, on peut "appeler" des congénères, même inconsciemment... puis il y a la question de l'immortalité qui pointe), des événements assez durs...
Après deux volumes, les événements de Happiness restent assez classiques, n'offrent pas encore forcément de grosse surprise, mais c'est bien la manière qu'a Oshimi de les dépeindre qui apporte à la série son unicité. L'atmosphère est toujours là, les changements de style visuel aussi (jusque dans la dernière partie, avec sa nuit étoilée un peu post-impressionniste), on reste très intrigué par les thématiques d'adolescence et de transformation... A ce titre, l'auteur, comme pour ses deux précédentes séries publiées en France, semble décidé à explorer à nouveau, mais d'une manière différente, l'idée de "double-visage", "double identité" ou "double nature", dont l'une est cachée par l'autre. Dans les Fleurs du Mal, il y avait l'idée de "faire tomber le masque" pour que le vrai Takao se révèle et laisse de côté son "lui" formaté par la société. Dans Dans l'intimité de Marie, le personnage principal se retrouvait dans un autre corps. Ici, Makoto doit faire avec sa nouvelle nature vampirique qui risque de devenir de plus en plus difficile à contenir...