Fillette au Drapeau blanc (la) - Actualité manga
Fillette au Drapeau blanc (la) - Manga

Fillette au Drapeau blanc (la) : Critiques

Shirahata no Shoujo

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 20 Octobre 2017

Critique 2


Que ce soit à l'époque de leur collaboration avec Delcourt ou depuis leur prise d'indépendance, les éditions Akata ont souvent eu à coeur d'apporter des mangas-témoignages basés sur des parcours réels (rien qu'en regardant l'époque Akata, on peut citer Sans aller à l'école je suis devenu mangaka, ou plus récemment Ma vie dans les bois), mais aussi des récits abordant l'horreur de la guerre sous des angles différents (Zéro pour l'éternité, ou plus récemment Dernière heure, en sont des exemples). Nouveau one-shot de l'éditeur, La Fillette au Drapeau blanc combine les deux.


De son nom original Shirahata no Shôjo, ce manga de 170 pages a été prépublié au Japon en 2005 dans les pages du magazine Bessatsu Friend de Kôdansha (le magazine des séries Life, A fleur de peau, Kiss him not me...). Il a été dessiné par Saya Miyauchi, une mangaka jusque-là inédite en France, mais dont la carrière a pourtant démarré il y a presque 30 ans (son premier récit a été publié en 1988). Forte de ses longues années d'expérience, l'artiste a choisi ici de s'attaquer à l'adaptation d'une histoire vraie, celle de Tomiko Higa, une femme qui a connu la terreur de la guerre à Okinawa en 1945. Immortalisée par le photographe militaire John Hendrickson en juin 1945 alors qu'elle n'avait que 7 ans et qu'elle sortait d'une grotte avec pour seule arme un drapeau blanc, signe de paix, celle qui n'était alors qu'une enfant a fait le tour du monde, Tomiko Higa n'a choisi de raconter son histoire dans un roman autobiographique que plus de 40 ans plus tard. En plus d'être adaptée en manga par Saya Miyauchi, l'oeuvre originale a aussi connu des adaptations en film d'animation en 1988 et en téléfilm en 2009.


Sur son île d'Okinawa, en avril 1945, alors que le Japon est déjà entré en guerre depuis un moment face aux Etats-Unis et ses alliés, la petite Tomiko, alors âgée de 6 ans, voit son quotidien basculer dans l'horreur d'un conflit qui, jusque-là, avait épargné sa petite île tropicale. Depuis que sa mère est morte avant la guerre, l'enfant vit entourée de ses proches : son père, son grand frère Chokuyû plus âgé qu'elle de 2 ans, et ses grandes soeurs Yoshiko, 16 ans, et Hatsuko, 12 ans. Elle a aussi 2 autres frères déjà embarqués dans la guerre en Chine, ainsi que 2 autres soeurs mariées et vivant loin, et un autre frère travaillant en ville.


Atteignant désormais Okinawa, la guerre commence déjà à faire des ravages, et les bombardements arrivent, obligeant le père à laisser ses enfants derrière lui pour partir au front. Attendant, espérant des nouvelles du père, le groupe de 4 enfants tente de survivre à une situation où la mort rôde de plus en plus. Mais en temps de guerre, l'horreur, la folie et la cruauté frappent plus que jamais. Confronté à la mort ou à la séparation, la petite fille doit bientôt apprendre à se débrouiller seule, simplement pour survivre...


Pendant près de 170 pages, le manga nous présente le parcours, sur environ deux mois, d'une toute petite fille confrontée dès son plus jeune âge aux horreurs de la guerre, voyant son innocence enfantine bafouée par les querelles adultes qui sèment mort et chaos. A l'heure où son île natale avec son patrimoine ainsi que son entourage sont dévastés, la fillette se retrouve à devoir essayer de survivre seule, avec ses propres moyens, parfois en se remémorant les paroles de son père ou de son frère (se débrouiller seule, ne pas faire comme les autres, réfléchir avec sa propre tête), et en cherchant, avec son innocence enfantine, du réconfort où elle peut, comme quand elle croise la route d'un lapin qu'elle compare à Chokuyû. Pourtant, partout, seul le désespoir semble l'attendre : séparée des siens, observant de près les cadavres, frôlant elle-même la mort parfois sans en avoir totalement conscience, se confrontant à d'autres dommages collatéraux (rien que boire de l'eau propre devient impossible)... Pire encore, elle voit sans comprendre l'armée japonaise tuer elle-même des Japonais, et voir sa vie menacée par d'autres civils qui la voient comme une menace pour leur sécurité... C'est absolument terrible, tant nous avons là un spectacle de toute la folie humaine. 


Confrontée à l'horreur qu'elle ne comprend pas, à des visions de l'enfer, la petite fille est souvent proche de la perte d'espoir, se dit qu'elle est peut-être la seule survivante à Okinawa, que ses soeurs sont peut-être déjà mortes depuis longtemps... Mais au coeur de l'horreur et de la folie humaine, il peut toujours y avoir l'espoir. Un espoir qui viendra de la rencontre avec un couple de personnes âgées mutilées, attendant leur mort, mais en qui l'espoir de choses meilleures va renaître aussi face à cette petite fille symbole d'avenir, du fait de son jeune âge. Au-delà d'un message positif sur le rapprochement des générations, le récit va alors offrir de vraies notes poussant à relever la tête et à espérer qu'un jour la folie cessera. Et même quand ces deux vieillards, qu'elle ne côtoiera qu'un petit temps, ne seront plus à ses côtés, ceux-ci continueront de vivre dans le coeur de Tomiko. Il est beau et poignant de se dire que plus de 70 ans auparavant, quelque part à Okinawa, ces deux personnages âgés ont réellement sauvé la fillette du désespoir, et qu'elle le leur a bien rendu en ne les oubliant jamais, au point de parler d'eux dans son oeuvre autobiographique. 


Au bout du compte, le récit est à la fois très juste, riche, très éprouvant et très humain. Et même si l'on aurait aimé un petit épilogue plus poussé (qu'est-ce qui a attendu Tomiko juste après la guerre ? A-t-elle eu des nouvelles de ses frères partis à la guerre en Chine et de ses autres frères et soeurs ? ), il y a la satisfaction de voir l'oeuvre se referme sur la symbolique de paix du drapeau blanc.


"La chose la plus importante, dans ce monde... c'est la vie humaine... c'est la vie..."


Visuellement, Saya Miyauchi offre une copie très réussie. Celle-ci n'occulte rien, les pages sont souvent très dures, d'autant que la dessinatrice y instaure un certain réalisme (surtout dans ses décors et dans certains détails de guerre) et qu'elle propose souvent un rendu assez dense dans ses encrages. Pour autant, l'artiste n'est jamais voyeuriste, n'insiste pas plus que de raison. Dans tout ça, impossible de ne pas retenir la frimousse de la jeune héroïne confrontée à l'horreur. Impossible aussi de ne pas souligner la puissance des passages où la mangaka mêle les dessins aux photos d'époque, surtout dans les dernières pages, ce qui raccroche pleinement le manga à la réalité. On appréciera aussi  le choix d'une narration nous faisant vivre les choses directement à travers la fillette, sans doute un héritage du roman autobiographique.


On appréciera beaucoup, en fin de tome, les petites explications sur le contexte de l'époque, et surtout la postface assez longue où Saya Miyauchi, sous la forme d'un manga de 16 pages, présente la conception du manga (une sorte de "making of" avec ses repérages sur place).


L'édition est très soignée. Fidèle à la japonaise pour l'illustration, la jaquette française bénéficie en plus d'un logo titre soigné. Le papier et l'impression faite sont de très bonne facture, Miyako Slocombe offre une traduction sobre et impliquée qui colle très bien au récit et sait faire ressortir les tourments de Tomiko, et le travail de lettrage est très soigné.


Plus de 70 ans après les faits, alors que Tomiko Higa a désormais quitté ce monde, et alors que la guerre est toujours à nos portes un peu partout, La Fillette au Drapeau blanc vient redonner un grand coup en s'intéressant avant tout aux civils les plus fragiles, premières victimes des incessantes guerres, en n'occultant jamais les horreurs, mais en voulant aussi véhiculer l'espoir : même quand la folie des hommes atteint le pire, il y a toujours des bras grands ouverts, preuves que tout n'est pas perdu. Le cas de Tomiko Higa n'est pas isolé : à travers les décennies, on peut par exemple se rappeler de la photo de Kim Phuc, la petite fille brûlée au napalm pendant la Guerre du Vietnam, ou plus récemment de celle d'Alan Kurdi, cet enfant de 3 ans victime de la guerre syrienne et mort sur une plage en 2015. A l'heure où le monde menace encore et toujours de péter, le récit mis en images par Saya Miyauchi reste plus que jamais d'actualité et, avec son message réveillant les consciences et véhiculant la paix face à l'horreur (comme en témoigne ce drapeau blanc, ultime symbole de pacifisme), se présente comme un indispensable à faire lire au maximum de gens. Et cela, malgré ses scènes parfois très dures. Quant à savoir si l'oeuvre, à cause de sa dureté, est à faire lire aux jeunes générations, signalons simplement qu'au Japon ce manga a été publié dans un magazine pour adolescentes, le Bessatsu Friend, magazine des séries Kiss him not me, Life, Seed of Love ou My Lovely Hockey Club, entre autres.


Critique 1


On le sait, les éditions Akata ont à cœur de publier des titres qui, au-delà de leur nature de divertissement, portent un véritable message, souvent social. En ce mois d'octobre 2017, c'est un one-shot particulier que nous propose l'éditeur puisqu'il s'agit d'une histoire vraie, le témoignage d'une rescapée de la Seconde Guerre Mondiale, et plus précisément de la Bataille d'Okinawa qui s'est tenue en 1945. De ce carnage a survécu une petite fille, Tomiko Higa, rendue célèbre par une photo qui l'immortalisa et la représenta en train de porter un drapeau blanc. Restée inconnue un long moment, la petite fille, alors devenue adulte, sortit de l'anonymat à la fin des années 80 et relata son histoire dans une autobiographie en 1989, ouvrage populaire qui a inspiré un téléfilm, avant que la mangaka Saya Miyauchi adapte ce témoignage par son coup de crayon en 2005. Si l'autrice a une carrière assez remplie avec plus d'une vingtaine de titres publiés, des shôjo pour la plupart, c'est la première œuvre d'elle que nous avons l'occasion de lire en France.


L'histoire de La Fillette au Drapeau Blanc dépeint donc une période réelle. En 1945 débute la Bataille d'Okinawa, seule bataille terrestre concernant le Japon, mais néanmoins meurtrière. Peu avant ça, la petite Tomiko vivait une existence paisible avec son père, ses sœurs et son frère. Le conflit avait lieu dans le monde, mais semblait bien loin, laissant la petite-fille dans son insouciante quotidienne. Pourtant, lorsque son père est réquisitionné sur le front, le conflit ne tarde pas à atteindre l'île d'Okinawa. Le quotidien de Tomiko devient un enfer, et la fratrie est condamnée à fuir pour sauver sa propre vie. D'étape en étape et de refuge en refuge, la jeune fille s’apprête à connaître les horreurs de la guerre, la souffrance de perdre ceux qu'on aime et la difficulté de la survie quand même vos compatriotes cherchent à prendre votre vie...


On en a conscience en prenant connaissance de la nature de l'ouvrage : La Fillette au Drapeau Blanc ne sera pas une lecture guillerette, un moment serein qu'on peut déguster comme quand on lit un manga parmi tant d'autres. L'adaptation de l'autobiographie de Tomiko Higa par Saya Miyauchi promet d'être une lecture éprouvante, mais néanmoins passionnante pour le témoignage apporté et les données historiques présentées. Et il ne faut pas attendre bien longtemps pour se rendre compte que le vécu de Tomiko n'a pas été paisible, loin de là. Dès les premières pages, le ton est donné : le père est appelé au front et la petite-fille, par la narration, nous dit clairement qu'il ne reviendra jamais, et la bande de frère et sœurs est condamnée à fuir pour éviter les tueries, les explosions et les bombardements. La suite se présente comme un véritable parcours du combattant durant lequel Tomiko va survivre, parfois accompagnée, parfois seule, donnant à cette histoire un certain côté didactique quant à la survie en temps de guerre.


Car Tomiko doit aussi bien faire face à sa survie au sens biologique, par exemple par la difficulté de se nourrir, que par les dangers humains qui vont la guetter. L'autobiographie de celle qui fut cette petite-fille ne prend pas de détour pour présenter les multiples menaces qui guetteront Tomiko, des explosions qui peuvent se montrer hasardeuses, des tirs perdus qui sont capables de toucher un civil en plein repos, ou des soldats, ennemis comme alliés, qui commencent à s'en prendre aux citoyens, causant les plus grands ravages du côté des non-soldats. Les menaces sont nombreuses et rythment malheureusement le parcours de la demoiselle. Ainsi, les moments où l'on peut se permettre de souffler, à l'instar de Tomiko à l'époque, sont rares. Chaque chapitre apporte son lot de péripéties cruelles et dramatiques où il est difficile d'espérer. Bien que le lecteur sache qu'au final, la fillette sortira vivante du conflit, difficile de redouter le pire des scénarios et de s'inquiéter pour ceux qu'elle croisera.


Le portrait que l'ouvrage dresse sur la guerre est donc complet et sans aucun tabou. Ainsi, il n'y a pas de manichéisme dans cette histoire vraie, pas de gentils Japonais contre les méchants Américains et inversement. La guerre chamboule les humains, peut les amener à commettre le pire, et le récit ne fait que présenter un constat à travers une succession d'événements objectifs, sans jugement aucun, si ce n'est l'incompréhension d'une enfant qui voit l'horreur avoir lieu de multiples manières sous ses yeux. Tomiko a donc vécu les pires atrocités possible durant cette période, et l'un des challenges de la mangaka Saya Miyauchi était de les dépeindre de manière sincère, sans chercher à créer du drame exacerbé, mais simplement rester fidèle à ce que Tomiko Higa a voulu faire avec son témoignage initial : montrer, enseigner et faire prendre conscience de l'enfer qui existait à Okinawa à cette époque, à travers le portrait de la fillette. Les premières pages pourront peut-être en rebuter certains, notamment parce que le trait de l'autrice n'est pas parfait et montre quelques soucis de physionomie à certains moments. Mais le propos du titre n'est pas là et plus tôt que par son design, la mangaka brille par sa mise en scène, efficace et rarement due au hasard. Les événements sont donc montrés sans tabou, ils sont violents et choquants à souhait. Pourtant, là aussi, l'autrice n'a pas besoin d'en faire trop, elle ne fait que montrer et ne joue même pas sur les effusions de sang. Un bébé mort dans les bras de sa mère, une jeune victime au regard vitreux fauché quand il ne s'y attendait pas... La mise en scène de Saya Miyauchi est digne de l'ambition du témoignage original. Aussi, il est difficile de ne pas rester choqués, de ne pas avoir le cœur serrer, voire de ne pas pleurer à la lecture de certains moments. En terme de narration, la dessinatrice dépeint un récit riche en symboliques, aussi. Certaines planches sont presque poétiques quand il est question d'instaurer un peu d'espoir dans le récit, tandis que les dernières pages, associant les photos qui ont réellement été prises à l'intrigue, sont une idée aussi excellente que riche de sens en ce qui concerne la véracité des événements qui ont eu lieu.


Pourtant, si le désespoir est presque omniprésent dans La Fillette au Drapeau Blanc, c'est l'espoir qui brille aussi dans l’œuvre, notamment dans sa deuxième moitié. Car si Tomiko a connu des atrocités, elle a rencontré des personnes formidables, des êtres qui lui ont permis de survivre, des individus qu'elle a elle-même cherché à soutenir et donner l'envie de vivre. L'une des dernières séquences, autour du couple de vieillards, est véritablement émouvante par les aspects positifs montrés de l'humanité. Car si l'être humain, métamorphosé par la guerre est l'horreur, est capable du pire, il est aussi apte à montrer un aspect positif de sa personne qu'il n'aurait peut-être jamais dévoilé en temps normal. Après une lecture si éprouvante, cette note, qui survient vers la fin du titre, est presque salvatrice. Car si, par son témoignage, Tomiko Higa a cherché à dépeindre l'horreur, elle a aussi voulu montrer la chaleur que certains lui ont octroyée.


La Fillette au Drapeau Blanc, outre les émotions suscitées, est un témoignage. Aussi, on pouvait se questionner sur la manière dont Saya Miyauchi a interprété l'autobiographie de la petite-fille, une fois devenue adulte. Quelques pages bonus de fin de tome viennent expliquer ce parcours, avec une certaine légèreté, mais aussi une sincérité qui montrent que la mangaka s'est documentée minutieusement pour établir son récit. Une note finale passionnante donc, notamment parce qu'elle apporte un regard sur les événements d'un point de vue extérieur, à l'image du lecteur.


Du côté de l'édition, Akata a rendu un travail propre et digne du témoignage bouleversant que constitue le one-shot. Le papier est de qualité, la couverture aussi par son papier mat qui renforce son aspect épuré, tandis que la traduction de Miyako Slocombe sonne vraiment juste.


Il est difficile de trouver les mots pour conclure sur un tel ouvrage, un récit fort en émotion, puissant par le témoignage apporté, et que chacun ressentira sans doute à sa manière, sans toutefois rester indifférent. Reste que par cet aspect de la Seconde Guerre Mondiale finalement peu exploité, le récit mérite qu'on s'y intéresse, ne serait-ce pour honorer la mémoire de Tomiko Higa, cette petite-fille forte, qui a énormément perdu en 1945, mais qui a gagné le droit de vivre une vie longue de 87 ans, la dame s'étant éteinte le 6 décembre 2015, à Okinawa.


Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Koiwai

17 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
18.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs