Crescent Moon - Dance with the Monster Vol.1 : Critiques

Kuro Hakubutsukan - Mikazuki yo, Kaibutsu to Odore

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 22 Janvier 2024

Chronique 2 :


Quel bonheur de retrouver Kazuhiro Fujita avec un nouveau récit! Quel bonheur de retrouver cet auteur qui ne cesse de nous émerveiller avec ses histoires toujours plus passionnantes! Quel bonheur de retrouver le Black Museum, concept brillant de l'auteur qui lui permet de raconter des histoires fantastiques au cours de l'ère Victorienne et de toutes les lier entre elles!

Kazuhiro Fujita est un auteur de grand talent, assez prolifique, dont de nombreuses œuvres nous sont parvenues (bien qu'il en manque)...Alors qu'en France son actualité est chargée avec la superbe réédition de Karakuri Circus et l'arrivée prochaine de Sou Bou Tei, il revient chez Ki-oon avec une série courtes de 6 tomes qui s'intègre dans la collection Black Museum!
Pour rappel le Black Museum, qui existe réellement, est un lieu très mystérieux archivant les éléments d'affaires non résolues, non classées, seulement accessibles pour Scotland Yard.
En se servant de cet imaginaire permettant toutes les interprétations, l'auteur va mêler réalité et fantasmes pour nous proposer sa version de légendes urbaines plus ou moins connues!
Après Spingald, nous contant la légende de "Jack talons à ressorts", après "Ghost and Lady" exposant la légende du fantôme hantant le théâtre Londonien de Drury Lane, ce même fantôme croisant la route de la célèbre Florence Nightingale, la célèbre infirmière ayant révolutionné entre autres la manière d'appliquer les soins et les notions d'hygiènes dans les hôpitaux; un troisième récit vient enrichir ce Black Museum!
Et là encore on va y retrouver une figure célèbre et emblématique de l'ère Victorienne: Mary Shelley, l'auteure du non moins célèbre "Frankenstein"!

Une fois la joie passée d'avoir enfin entre ses mains le bel ouvrage proposé par Ki-oon, on se lance à corps perdu dans la découverte de cet auteur génial, qui semble enfin avoir la reconnaissance qu'il a toujours mérité.
Installez vous confortablement et pénétrez à nouveau dans un conte étrange et fascinant!

Le Black Museum ouvre à nouveau ses portes pour accueillir un prestigieux visiteur en la personne de Mary Shelley, l'auteure du très célèbre "Frankenstein"! Elle s'intéresse à une bottine rouge dont même la gardienne du musée ne semble pas savoir grand chose...contrairement à Mary Shelley qui va lui conter la tragique histoire de cette bottine! Cela la renvoie bien des années dans le passé, à une époque où le personnage de son roman la hantait encore, ce même roman qui va faire que l'armée va s'intéresser à elle pour s'occuper d'une étrange créature: puisqu'elle a écrit une œuvre telle que Frankenstein, elle ne devrait pas être impressionnée par un corps réanimé, une femme! Mais cette aberration a tout à apprendre des règles de la société! Avec le corps d'une tueuse et la tête d'un fermière, la créature possède des réflexes impressionnants mais l'intellect d'un enfant! Mary Shelley va prendre en main la créature qu'elle va appeler Elcy...

Troisième récit du Black Museum donc, et à priori, sauf erreur de ma part, l'auteur ne va pas réinterpréter des légendes urbaines et autres contes folkloriques Anglais, mais mélanger deux récits en les interprétant à sa sauce en saupoudrant de problématiques actuelles.

La première influence, la plus évidente, est bien évidemment celle de Frankenstein, l'auteur allant même jusqu'à convoquer Mary Shelley et la placer au premier plan de son histoire.
Ensuite on retrouve un peu du conte de Andersen avec "Les chaussons rouges", où une paysanne se voit doter de chaussons qui la font danser sans pouvoir s’arrêter jusqu'à ce qu'on lui coupe les pieds...mais même une fois coupés, ses pieds continuent de danser à l'intérieur des chaussons.
On a ici en protagoniste une tueuse portant des souliers rouges dont l'art du meurtre est à plusieurs reprises comparé à de la danse, et cette notion d'amputation et de vie malgré la séparation du corps, colle parfaitement avec l'esprit de Frankenstein.
Mais ce qui apparaît le plus étonnant dans ce récit, ce qu'on n'attendait pas forcément, c'est son approche féministe!
Outre le fait que les personnages principaux soient toutes des femmes, on ressent une volonté de l'auteur d'insister sur le fait qu'à l'époque les femmes étaient mal considérées et reléguer à des taches ingrates...preuve en est que Mary Shelley n'a pas pu publier Frankenstein sous son vrai nom dès le début, une femme ne pouvant décemment pas écrire de romans!

Avec ces trois idées / notions en tête, Fujita va démarrer un récit des plus surprenants et inattendus!
Après la célèbre Florence Nightingale, c'est donc au tour de Mary Shelley de prendre la tête d'un récit du Black Museum où elle va nous raconter une histoire incroyable qu'elle a vécu.

Très rapidement les hommes seront décrits comme des brutes arrogantes et les femmes comme devant être mise de coté dans cette société où les choix sont fait pour elles par les hommes. Ainsi le groupe de sept tueuses portant des bottines rouges est perçu comme une menace non seulement parce qu'il s'agit d'un groupe d'assassins mais aussi qu'il s'agit d'un groupe de femmes pouvant remettre en question l'ordre établi. Et on sent bien que, de la part des hommes de pouvoir qu'on va croiser et qui seront impliqués, il en coûte de demander de l'aide à une femme, et plus particulièrement une romancière, ce qu'ils jugent comme étant un non sens...d'ailleurs entre le militaire chargé de l'affaire, le scientifique qui a simplement volé l'idée de Mary Shelley et son beau père méprisant, ils viennent lui demander de l'aide mais ne lui accorde aucun crédit ni le moindre respect.
Et pourtant c'est du fait de son statut de romancière qui a écrit un magnifique récit sur une créature non morte qu'elle est appelée à la rescousse, car sinon elle, qui pourrait résister à la peur face à une de ces créature.
Là encore, Fujita renverse les codes, le Prométhée moderne de son récit n'est pas un homme telle la créature du roman de Shelley, mais bien une femme, un savant mélange de violence et de douceur, d’agressivité et de naïveté, de puissance et d'humilité...
En effet cette dernière possède le corps d'une tueuse et les réflexes allant avec mais la tête et donc le cerveaux d'une jeune paysanne sans éducation. De plus la créature est défigurée et possède donc un aspect particulièrement repoussant.
Et son premier contact avec le monde se fera au contact de la gentillesse des femmes et de la violence des hommes...c'est un peu réducteur, mais probablement assez représentatif de l'époque.

On commence donc à suivre l'initiation de Elcy aux cotés et avec l'aide de Mary, et si la mission qui sera confiée à Elcy est posée dès le début, à ce stade du récit on a peu de mal à voir où va nous conduire l'auteur...nous n'en sommes qu'au début, un tomes sur six, en sachant qu'une grande part de ce dernier à été accordé à l'introduction et la présentation du contexte, des personnages et de l'intrigue. Ainsi malgré la relative épaisseur du volume on pourrait avoir le sentiment que les choses évoluent lentement, en comparaison d'un Springald par exemple où tout reposait en un seul volume d'une densité incroyable!

Par contre, sans surprise et pour notre plus grand plaisir, on retrouve le talent de la mise en scène et de la narration de Fujita qui devient meilleur avec les années! Son trait est toujours aussi intense et vivant, représentatif, bien sur, mais surtout tellement évocateur. Il parvient à nous faire ressentir exactement ce qu'il veut, et nous entraîne avec lui avec une telle facilité...ça tient du génie.

L'édition de Ki-oon est comparable à celle des précédents tomes de cette collection, c'est à dire superbe! Un magnifique papier, une couverture splendide rappelant un vieux livre avec des décorations et des caractères en lettre d'or...un contenant aussi propre et réussi que le contenu!

En étant tout à fait honnête, ce premier tome de ce nouveau récit lié au Black Musuem n'est pas aussi percutant que je l'aurais espéré, il manque un peu d’émotion pour le moment, mais cela n'enlève rien à sa grande qualité et surtout au talent d'un auteur qui a encore tant de choses à nous raconter!
On peut faire confiance à Fujita, un auteur qui réalise un sans faute depuis le début de sa carrière pour nous faire vivre de belles choses dans la suite de ce récit qui a déjà malgré tout beaucoup de choses à nous faire vivre.



Chronique 1 :


L'année 2024 commence de la meilleure des manières aux éditions Ki-oon avec le lancement, dès cette première semaine de janvier, de la troisième oeuvre de l'excellente collection Black Museum de l'immense Kazuhiro Fujita : Crescent Moon, Dance With The Monster, qui succède donc à Springald et Ghost & Lady ! L'auteur à l'imagination débordante a lancé ce manga au Japon en mars 2022 dans le magazine Morning des éditions Kôdansha, sous le titre Mikazuki yo, Kaibutsu to Odore (dont le titre international en anglais est une traduction proche). Celui-ci s'est conclu là-bas il y a quelques mois, avec un 6e et dernier volume paru en octobre 2023.

On retrouve tout d'abord l'attachante et passionnée conservatrice du Black Museum, figure récurrente de chaque oeuvre de la collection, alors qu'elle reçoit une visite des plus étonnantes en cette journée de 1844: celle de Mary Shelley, l'autrice du célèbre roman "Frankenstein ou le Prométhée Moderne" qu'elle publia anonymement en 1818 avant de révéler son identité féminine en 1831. Celle-ci n'est évidemment pas là par hasard: elle souhaite voir un objet conservé au sein du centre d'archives et de documentation, en l'occurrence une bottine rouge retrouvée deux ans plus tôt, le 18 mai 1842, dans la salle où se tenait un bal donné par la Reine Victoria. La légende raconte que lors de ce bal, un grave incident survint: une demoiselle y aurait attaqué une rivale amoureuse à coups de couteau, mais on ignore les identités de l'assaillante et de la victime... Et s'il ne s'agissait pas que d'une légende ? Mary en sait quelque chose puisqu'elle connaît cette histoire et qu'elle y a pris part ! Et touchée par la passion de la conservatrice à l'égard de son oeuvre, elle décide de tout lui raconter, pour la plus grande joie de notre chère férue d'histoires.

Tout commence en toute fin d'année 1841, à une époque où Mary, malgré le succès de son roman emblématique, peine à joindre les deux bouts: elle veut payer les études de son fils Percy, est veuve, ne reçoit aucun soutien de la part de son pourtant très riche beau-père qui s'était opposé au mariage... Et pourtant, c'est bien ce beau-père qui la convie à son grand manoir, mais pas pour le voir lui: sur place, Alex Danvers, capitaine du 1er régiment d'infanterie de la garde royale, est là pour lui confier une mission qui, même si elle est pour la reine Victoria, est si inimaginable et si terrifiante qu'elle a déjà essuyé de nombreux refus. Un an auparavant, celui-ci, avec ses grenadiers, a affronté sept combattantes de talent qui ont décimé son bataillon comme si elles dansaient, le tout avant de disparaître… sauf une, tombée d’une falaise, dont le corps a été récupéré et ramené à la vie par le docteur Conrad Dippel, et cela pour une raison bien précise: tout laisse penser que le groupe de tueuses, venues de Russie où elles ont déjà assassiné plusieurs personne, et se faisant appeler "Les Sept Soeurs", fomente un assassinat sur la souveraine en personne. Pour protéger la reine de ces redoutables assaillantes, quoi de mieux qu'une guerrière du même acabit qu'elles, à savoir leur ancienne partenaire ? Seulement, en vue d'un bal qui aura lieu quatre mois plus tard, il faut désormais réussir à rendre présentable et à amadouer ce monstre conçu à partir d'un cadavre, recouvert de bandelettes et de cicatrices, et qui n'a pas de souvenirs de sa précédente existence hormis ses capacités au combat. Et pour ça, qui de mieux que l’inventrice de Frankenstein ? Mary a beau être au départ terrifiée et très peu partante, elle n'a pas trop le choix...

Une nouvelle fois, Fujita joue donc malicieusement sur une alliance hors du commun entre une grande figure historique et littéraire, en l'occurrence Mary Shelley, et une créature semblant tout droit sortie de son célèbre roman, comme si l'artiste était rattrapée par sa création. Grand fan d'histoires devant l'Eternel (quel meilleur exemple, pour le confirmer, que sa série Moonlight Act où il reprenait à sa sauce nombre de contes ?), le si inventif mangaka est bel et bien dans son élément, et ça lui permet en premier lieu de mettre quelque peu en valeur non seulement le roman de Frankenstein, mais aussi certains aspects de la vie de Mary Shelley, dont il offre une vision réussie, comme il l'avait déjà si bien fait, entre autres, avec sa vision de Florence Nightingale dans Ghost & Lady.

Sur cette base que seul le génie créatif de Fujita pouvait imaginer, la suite de ce premier volume est majoritairement consacrée au besoin de faire en sorte que le monstre se fonde dans le quotidien des humains, et le départ est très convaincant. Tout d'abord, on est facilement réjouis par une petite galerie de personnages secondaires assez vivants et hauts en couleurs, avec une petite mention pour les domestiques féminines du manoir et pour le docteur Conrad Dippel (pour l'anecdote, son nom fait référence à Johann Conrad Dippel un théologien, alchimiste et médecin allemand né le 10 août 1673 au... château Frankenstein, la boucle est bouclée). Ensuite, on suit avec intérêt les premiers pas du lien entre Mary et Elcy (c'est le petit nom que la romancière donne au monstre) pour s'apprivoiser l'une l'autre, ainsi que les premiers pas de la créature pour s'adapter au quotidien humain (travail, tâches ménagère, etc), et ses talents au combat qui apparaissent déjà quand il faut défendre les faibles face à la bêtise des hommes. Et enfin, à partir de là, on voit germer un autre propos très prometteur autour d'une certaine lutte pour les droits féminins, pour l'égalité hommes/femmes et contre les violences faites aux femmes, à une époque particulièrement injuste pour beaucoup d'entre elles.

Série d'annonçant passionnante, Crescent Moon, Dance With The Monster doit aussi beaucoup, bien sûr, à l'habituelle verve visuelle et narrative de l'auteur. Non content de proposer des designs recherchés et des planches toujours très riches, Fujita s'amuse avec sa narration jouant sur différentes périodes (le présent du récit, le passé de 1842...), ayant un côté "histoire dans l'histoire" puisque les choses son racontées par Mary à la conservatrice, et régalant régulièrement pour les réactions passionnées, intéressées et impliquées de la conservatrice en écoutant le récit de la romancière.

On n'en attendait pas moins de l'auteur: Crescent Moon, Dance With The Monster s'offre un très bon démarrage, déjà bourré d'idées et rondement mené, et dont on a hâte de découvrir les rebondissements au fil des 5 volumes suivants !

Et pour bien porter le tout, Ki-oon nous offre une excellente édition, dans la droite lignée de celles de Springald et de Ghost & Lady. La jaquette, avec son aspect granuleux, ses dorures et sa maquette, offre à l'objet un style qui rappelle un vieux livre d'époque. Le papier est à la fois souple, assez épais et suffisamment opaque, tandis que l'impression reste de bonne facture, et que les six premières pages en couleurs sur papier glacé constituent un bonus très sympathique. Le lettrage, lui, est très convaincant. Enfin, on retrouve à la traduction le talentueux Sébastien Ludmann, qui n'est pas un novice sur les oeuvres de Fujita (il a aussi traduit Moonlight Act, Springald et Ghost & Lady) et qui fait à nouveau des merveilles dans le rythme apporté et dans le dynamisme installé par les dialogues, avec différents niveaux de langage selon les personnages.


Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Erkael

17.5 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs