Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 29 Juin 2018
Presque Lune est une maison d'édition proposant des romans graphiques et littéraires qui, généralement, ont des choses à dire sur notre société. L'éditeur se plaît à chercher des ouvrages s'inspirant de sujets très actuels et/ou engagés, et à dénicher des artistes qui ont quelque chose d'insolite. Avec L'art de la vulve, une obscénité ?, il frappe à la fois dans les deux catégories.
Sorti plutôt discrètement le mois dernier, ce one-shot de 180 pages semble être le tout premier manga de l'éditeur, et s'avère être un manga-réalité passionnant centré sur une artiste atypique et les déboires injustes que son Art lui a valus dans son pays.
Peut-être avez-vous déjà entendu parler de Megumi Igarashi ou Rokudenashiko (rokudenashi signifiant bonne à rien, racaille), une artiste qui a inventé son propre art, en gros le "l'art manko". "Manko", mot tabou au Japon, signifie tout simplement "chatte", et colle parfaitement à l'Art de Rokudenashiko: à partir de moulages de son sexe, elle a commencé à confectionner des petits objets décoratifs mignons et rigolos, et a un jour choisi de pousser son concept encore plus loin en lançant un crowdfunding particulier: financer un scannage 3D de son sexe et l'agrandir afin de concevoir à partir de là un bateau. Une idée insolite et drôle mais également artistique, qui a su séduire suffisamment de personnes pour que le projet de financement soit un succès. En contrepartie, Rokudenashiko proposait aux plus importants participants un fichier de sa "manko" pour inciter les gens à laisser eux aussi parler leur patte artistique. En plus de ça, elle s'est mise à donner des "cours" à d'autres femmes intéressées par cette forme d'Art libératrice. Du moins, jusqu'à sa soudaine inculpation le 24 décembre 2014 par la police pour obscénité. L'artiste a à peine eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait qu'elle s'est retrouvée arrêtée, incarcérée, jugée en procès, et dénigrée par de grands médias (notamment la NHK) qui l'ont qualifiée de "soi disant artiste" sans chercher à comprendre. Difficile à accepter, pour une artiste visant à briser le tabou de la représentation du sexe féminin dans son pays, de se retrouver qualifiée de telles choses...
Ce manga raconte tout simplement tout le parcours de Rokudenashiko, et c'est elle-même qui l'a conçu, car l'artiste manko est également une mangaka insolite depuis plusieurs années. Sous un trait assez simple mais génialement expressif, l'artiste décortique précisément tout ce qu'elle a vécu. la naissance de son art, son projet de bateau, son arrestation assez brutale... On suit tout ça avec beaucoup d'intérêt, d'autant que son récit, pointu, est loin de s'arrêter aux considérations autour de son art: on aura droit à une immersion dans les conditions déplorables de sa détention, à un petit portrait des problèmes judiciaires japonais... mais également à toute une réflexion sur la place du sexe féminin et de la femme au Japon. Dès le départ, l'art manko de l'artiste lui a valu des réactions de mâles rétrogrades ou vicieux l'ayant qualifié de dégueulasse ou de "chaude" juste parce qu'elle fait de son sexe un art, et elle a dû se confronter notamment à des policiers tout aussi navrants dans leur comportement. Rokudenashiko s'amuse alors, au fil de son manga, à souligner nombre de contradictions ou de choses qui ne vont pas dans sa société vis-à-vis du sexe féminin. Pourquoi le mot "manko" est-il si tabou alors qu'il désigne simplement la vulve ? Pourquoi flouter l'organe féminin et faire comme s'il n'existait pas, alors qu'à côté le phallus a droit chaque année à son festival à Kawasaki ?
L'ouvrage est également intéressant pour la manière dont l'artiste parle d'elle et se dévoile en toute sincérité. Elle explique précisément sa démarche, sa vision des choses, ses incompréhensions, comment son art est né, ce qu'il représente pour elle... et elle fait souvent tout ça avec beaucoup d'humour, notamment en offrant des dessins rigolos, et surtout en se moquant régulièrement de ses opposants. La lecture, en plus d'être sociale, riche et passionnante, devient alors aussi très ludique, avec par exemple des scènes où l'artiste se fait un plaisir de prononcer à répétition "manko" devant ceux que ça gêne. Qui plus est, chaque petit chapitre est accompagné de documents explicatifs: photos, retour sur des éléments spécifiques... c'est vraiment très complet.
Sorti plutôt discrètement le mois dernier, ce one-shot de 180 pages semble être le tout premier manga de l'éditeur, et s'avère être un manga-réalité passionnant centré sur une artiste atypique et les déboires injustes que son Art lui a valus dans son pays.
Peut-être avez-vous déjà entendu parler de Megumi Igarashi ou Rokudenashiko (rokudenashi signifiant bonne à rien, racaille), une artiste qui a inventé son propre art, en gros le "l'art manko". "Manko", mot tabou au Japon, signifie tout simplement "chatte", et colle parfaitement à l'Art de Rokudenashiko: à partir de moulages de son sexe, elle a commencé à confectionner des petits objets décoratifs mignons et rigolos, et a un jour choisi de pousser son concept encore plus loin en lançant un crowdfunding particulier: financer un scannage 3D de son sexe et l'agrandir afin de concevoir à partir de là un bateau. Une idée insolite et drôle mais également artistique, qui a su séduire suffisamment de personnes pour que le projet de financement soit un succès. En contrepartie, Rokudenashiko proposait aux plus importants participants un fichier de sa "manko" pour inciter les gens à laisser eux aussi parler leur patte artistique. En plus de ça, elle s'est mise à donner des "cours" à d'autres femmes intéressées par cette forme d'Art libératrice. Du moins, jusqu'à sa soudaine inculpation le 24 décembre 2014 par la police pour obscénité. L'artiste a à peine eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait qu'elle s'est retrouvée arrêtée, incarcérée, jugée en procès, et dénigrée par de grands médias (notamment la NHK) qui l'ont qualifiée de "soi disant artiste" sans chercher à comprendre. Difficile à accepter, pour une artiste visant à briser le tabou de la représentation du sexe féminin dans son pays, de se retrouver qualifiée de telles choses...
Ce manga raconte tout simplement tout le parcours de Rokudenashiko, et c'est elle-même qui l'a conçu, car l'artiste manko est également une mangaka insolite depuis plusieurs années. Sous un trait assez simple mais génialement expressif, l'artiste décortique précisément tout ce qu'elle a vécu. la naissance de son art, son projet de bateau, son arrestation assez brutale... On suit tout ça avec beaucoup d'intérêt, d'autant que son récit, pointu, est loin de s'arrêter aux considérations autour de son art: on aura droit à une immersion dans les conditions déplorables de sa détention, à un petit portrait des problèmes judiciaires japonais... mais également à toute une réflexion sur la place du sexe féminin et de la femme au Japon. Dès le départ, l'art manko de l'artiste lui a valu des réactions de mâles rétrogrades ou vicieux l'ayant qualifié de dégueulasse ou de "chaude" juste parce qu'elle fait de son sexe un art, et elle a dû se confronter notamment à des policiers tout aussi navrants dans leur comportement. Rokudenashiko s'amuse alors, au fil de son manga, à souligner nombre de contradictions ou de choses qui ne vont pas dans sa société vis-à-vis du sexe féminin. Pourquoi le mot "manko" est-il si tabou alors qu'il désigne simplement la vulve ? Pourquoi flouter l'organe féminin et faire comme s'il n'existait pas, alors qu'à côté le phallus a droit chaque année à son festival à Kawasaki ?
L'ouvrage est également intéressant pour la manière dont l'artiste parle d'elle et se dévoile en toute sincérité. Elle explique précisément sa démarche, sa vision des choses, ses incompréhensions, comment son art est né, ce qu'il représente pour elle... et elle fait souvent tout ça avec beaucoup d'humour, notamment en offrant des dessins rigolos, et surtout en se moquant régulièrement de ses opposants. La lecture, en plus d'être sociale, riche et passionnante, devient alors aussi très ludique, avec par exemple des scènes où l'artiste se fait un plaisir de prononcer à répétition "manko" devant ceux que ça gêne. Qui plus est, chaque petit chapitre est accompagné de documents explicatifs: photos, retour sur des éléments spécifiques... c'est vraiment très complet.
Au final, ce manga-réalité est véritablement excellent, pour ce qu'il a à dire, pour sa richesse, pour son ton très bien trouvé. L'édition française coûte 20€ et vaut facilement ce prix: c'est un grand format, le papier est bien épais, l'impression est excellente, il y a quelques pages couleurs, la traduction est impeccable.