A Tail's Tale Vol.1 : Critiques

Okashiratsuki

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 22 Octobre 2021

Mizu Sahara est une artiste de grand talent qui, ici, nous a toujours conquis, dès sa première publication française, il y a une dizaine d'années, avec le superbe My Girl chez Kazé Manga. Depuis, c'est toujours avec joie que l'on retrouve la douceur de son trait et l'ouverture de ses récits, que ce soit avec son recueil Un bus passe... puis le magnifique Chant des Souliers rouges toujours chez Kazé Manga,, sous son autre nom de plume Sumomo Yumeka pour le boy's love A l'unisson sorti chez Taifu en 2012, ou plus récemment pour son adaptation manga particulièrement réussie, chez Pika Edition, du court-métrage The Voices of a Distant Star de Makoto Shinkai. A présent, c'est chez les jeunes éditions Noeve Grafx (décidément pleines de ressources) que l'autrice revient avec sa dernière série en date.

De son nom original Okashiratsuki, A Tail's Tale est une oeuvre qui a trouvé sa conclusion au Japon en mai dernier après 4 volumes, et que la mangaka avait entamée en 2018 dans le magazine Comic Tatan de Coamix (le magazine de la série Dans l'ombre de Creamy) avant de passer dans le Comic Zenon (le magazine des séries Arte, Chacun ses goûts, Just Not Married...).

L'oeuvre s'ouvre sur une première page où une jeune femme, à la maternité, est sur le point d'accoucher, entourée des gens qu'elle aime. Au moins, on sait d'emblée que tout se finira bien pour elle, ce qui permettra d'évacuer cette interrogation pour mieux nous concentrer sur son parcours, dès lors que l'on remonte aux origines de tout, soit dix ans auparavant. A cette époque, notre héroïne, Nachi Hiyama, était une collégienne plutôt complexée: membre du club de softball où elle se donne beaucoup même si elle est souvent remplaçante, elle maudit sa peau qui reste désespérément blanche alors que les autres filles du club, à force d'être exposées au soleil, sont toutes bronzées. Et quand, en prime, elle refuse les avances du beau gosse Kino dont toutes les filles raffolent mais qu'elle ne trouve pas gentil, c'est le pompon. Elle se prend alors, parfois, des remarques, comme quoi elle n'est pas normale, ou qu'elle ne doit sans doute pas sortir assez pour rester si pâle. Bref, le genre de petites remarques qui semblent banales et qui, pourtant, l'enfoncent au quotidien dans un certain mal de vivre: à force de subir le regard des autres, elle peine à s'accepter, malgré tout l'attention que lui porte sa grande soeur de 12 ans son aînée, une véritable confidente pour elle.

Mais tout risque de changer pour elle le jour où elle se rapproche, presque par accident, de Kaisei Utsumi, un autre élève qui l'intrigue, dès lors qu'elle le voit discrètement et gentiment redresser une plante tombée. Utsumi est du genre un peu distant habituellement, et c'est finalement par accident qu'elle va vite découvrir l'impensable secret de cet adolescent: en bas du dos, il a comme une petite queue de cochon. Bien sûr, Utsumi a toujours caché à tout le monde ce secret qui est héréditaire dans sa famille. Et quand Hiyama découvre cette petite chose sortant de l'ordinaire, son premier réflexe est de hurler et de s'enfuir. Et pourtant, en y réfléchissant, cette petite excroissance en tire-bouchon, elle ne la choque pas tant que ça, et elle la trouve même plutôt mignonne. Cette queue, qui pourrait être vue comme une dégoûtante anomalie par beaucoup de monde, va alors devenir le symbole de la relation qui, au fil des années, va se construire entre Hiyama et Utsumi, entre acceptation de soi, acceptation de l'autre, et mise en valeur des différences face aux préjugés de la société (et de la société japonaise plus encore).

Ce premier volume s'intéresse donc à la période collégienne de nos deux personnages principaux, où l'on suit avec beaucoup d'intérêt nos deux personnages principaux qui, chacun(e)e pour des raisons propres, ont toutes les difficultés du monde à vivre avec leur différence. Au départ, Utsumi affiche le désir de tout bonnement cacher son secret et de ne pas trop se rapprocher des autres, pour éviter tout problème: après tout, par le passé, il a déjà dû déménager plusieurs fois après que sa queue a été découverte. Quant à Hiyama, son choix est différent au début: elle voudrait juste ressembler aux autres, se fondre dans la masse, au point de vouloir aller dans un cabinet de bronzage... mais est-ce là, pour eux deux, la solution qu'il faut vraiment ? C'est au fil de la relation qui se bâtit entre eux deux que la mangaka nous fait bien sentir que non: Hiyama ne se montre pas dégoûtée par la queue d'Utsumi, tous deux ressentent le désir de se connaître toujours plus sans a priori... Tout simplement, ils acceptent l'autre en même temps qu'ils s'acceptent eux-même, et à partir de là ils connaissent une vraie belle évolution, le point culminant étant sûrement la manière dont Utsumi finit par assumer son secret face à l'abject Kino, dans une dernière partie de tome qui est toutefois assez déchirante.

Et comme si ça ne suffisait pas, Mizu Sahara prend également le soin de renforcer son message de tolérance à travers certains personnages secondaires vraiment bien campés. On pense à la famille d'Utsumi, à sa mère issue d'une culture étrangère assez différente et qui en subit parfois le contrecoup à cause de l'intolérance d'un voisinage qui ne cherche même pas à la connaître, et à son père qui a su faire fi de tout préjugé. Mais il y a surtout la grande soeur de Hiyama, une femme qui, bien qu'elle-même coincée dans la routine de la société nippone côté travail et train de vie, pose toujours un regard mûr, bienveillant et ouvert sur ce que vit notre héroïne, avec à la clé un petit paquet de réflexions très juste sur la société.

Et bien sûr, retrouver le dessin si reconnaissable de Mizu Sahara est un bonheur. Très focalisée sur ses personnages à qui elle confère beaucoup de sensibilité (il suffit de voir certains regards des personnages et surtout de nos deux jeunes protagonistes), la dessinatrice a toujours ce don pour croquer ses histoires avec une infinie douceur la plupart du temps, avec une part plus douce-amère et mélancolique lors des instants les plus difficiles, l'ensemble collant vraiment au message de tolérance et d'acceptation.

Sans surprise, A Tail's Tale s'annonce déjà comme une oeuvre à suivre de très près. On y retrouve toute la maestria narrative et visuelle de Mizu Sahara, au service d'une histoire déjà touchante, subtile et maîtrisée autour de l'importance de s'accepter soi-même et d'accepter les différences de l'autre dans un monde souvent sévère là-dessus. Hiyama et Utsumi nous touchent en plein coeur, et on a alors hâte de découvrir la suite de leur histoire déjà semée d'embûches, mais au bout de laquelle ils se retrouveront.

En ce qui concerne l'édition française, on y retrouve les habitudes de Noeve Grafx avec un papier souple et fin mais sans transparence, une bonne impression, la présence d'une carte (à l'effigie de Nachi), ainsi que d'un insert et d'un bandeau comme dans les éditions japonaises, et une jaquette travaillée et bénéficiant d'un beau vernis sélectif. A la traduction, Frédéric Malet livre une copie impeccable. Et le lettrage s'avère soigné.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs