NAGATE Yuka - Actualité manga

NAGATE Yuka ながてゆか

Interview de l'auteur

2022 marquait le retour de Japan Expo, après deux années sans la plus grande convention manga du pays. Pour la jeune maison d'édition Mangetsu, c'était aussi la première venue à l'événement, une participation célébrée en grande pompe, avec l'invitation de la mangaka Yuka Nagate !


Artiste que nous avons d'abord connu avec le spin-off Hokuto no Ken : La Légende de Toki, puis Silencer, et enfin Gift +/-, l'autrice a ensuite fait son retour chez Mangetsu, avec sa saga Butterfly Beast dont les deux saisons sont aujourd'hui intégralement disponibles. C'est justement pour honorer la parution de l'aventure de la vengeresse Kochô que Yuka Nagate est venue rencontrer son lectorat français.


La mangaka nous a fait l'immense honneur de nous recevoir pour une interview, l'occasion pour nous d'aborder l'ensemble de sa carrière.


 


Merci à vous de nous accorder cette rencontre, Mme Nagate. Tout d'abord, pouvez-vous nous dire ce qui vous a attiré vers le monde du manga ? Est-ce que certains artistes vous ont inspirée, ou influencée ?


Yuka Nagate : Je pense que ce qui m'a d'abord guidé vers le manga, c'est le fait que mes parents m'interdisaient d'en dire quand j'étais jeune. Mais par des cousins et des amis qui en avaient, je pouvais en lire. C'est peut-être par sentiment d'opposition à mes parents que je me suis lancée dans cette carrière. (rires)


Quant aux artistes qui m'ont influencée, il y en a beaucoup trop pour que je puisse tous les citer.


Votre carrière a été lancée en 1995 avec l'histoire courte Bade Blade (« Kyôjin » 凶刃 ), qui a été primée par le lauréat du jeune artiste par les éditions Kôdansha. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur ce récit ?


Yuka Nagate : À l'origine, j'aime beaucoup les ninjas. C'est une œuvre qu'on pourrait qualifier d'esquisse de Butterfly Beast. Mais peu de lecteurs y ont eu accès, car c'était une publication relativement confidentielle. Elle n'a pas été réimprimée depuis.


Dans cette histoire, nous suivons un ninja qui a arrêté d'en être un, et qui doit tuer ses anciens camarades. Au niveau de l'intrigue, nous sommes proches de Butterfly Beast. On y trouve même un personnage nommé Ocho, dont on pourrait dire qu'elle est un prototype à l'héroïne de Butterfly Beast.


Votre première série longue fut Tenka Fubu Nobunaga, lancée en 1996, mais malheureusement inédite chez nous. Pouvez-vous nous en parler ? Quels souvenirs gardez-vous de cette première parution-fleuve ? Que vous a-t-elle appris, à l'époque, en tant que mangaka débutante ?


Yuka Nagate : Oui, c'était ma première véritable œuvre. J'avais entre 23 et 24 ans, c'était donc mes débuts, sachant que mon responsable éditorial était très sévère. Mais il me disait de ne pas trop m'attacher à la véracité des faits historiques, car le manga reste de la fiction. Si des gens veulent lire l'Histoire telle qu'elle s'est produite, il leur fallait dire des manuels historiques, et non du manga qui est de l'ordre du divertissement. C'est quelque chose que j'ai appris par cette première longue publication.


 

Vous avez ensuite été remarquée sur la série Hokuto no Ken : La Légende de Toki, sous la supervision de Buronson et Tetsuo Hara. Comment êtes-vous arrivée sur ce projet ? Avez-vous pu collaborer avec messieurs Hara et Buronson ? Que représente la saga Hokuto no Ken, à vos yeux ?


Yuka Nagate : Hokuto no Ken est une œuvre que je lisais lorsque j'étais à l'école primaire, j'étais donc déjà familière avec cet univers. Avant que je commence à dessiner La Légende de Toki, j'avais arrêté le manga depuis environ cinq ans. Le patron d'un bar que je fréquentais avait beaucoup de contacts d'éditeurs de manga. C'est lui qui a fait le lien avec l'éditeur qui m'a proposé de travailler sur ce spin-off sur Toki. On m'a recruté, mais l'idée de base ne vient pas de moi. Alors que je n'avais plus de travail, cette série m'a véritablement secourue.


Quant à la collaboration avec les auteurs, j'étais été présentée une fois à Tetsuo Hara. Ce ne fut pas le cas de Buronson que j'ai rencontré beaucoup plus tard, quand je dessinais Silencer. On m'a donné l'intrigue dans ses grandes lignes, qui fut mon point de départ pour dessiner mon storyboard. À l'époque, une série d'OVA sur le personnage sortait. On m'a demandé de me baser sur cette production pour réaliser mon manga. Ce récit présentait beaucoup de personnages féminins, alors que Hokuto no Ken est une histoire d'hommes, une histoire virile. C'est ce que je voulais faire, et, heureusement, ma proposition fut acceptée.


Parlons maintenant de Butterfly Beast. Qu'est-ce qui vous a donné envie de dessiner un manga se déroulant au XVIIe siècle, plus précisément vers les années 1630 ?


Yuka Nagate : Comme je le disais tout à l'heure, j'aime beaucoup les ninjas, ainsi que les espions. Ils furent particulièrement actifs lors de l'époque Sengoku, des guerres de provinces. Après cette ère, nous n'avions plus besoin d'eux. Historiquement, la révolte de Shimabara fut le dernier moment d'activité des ninjas. J'ai eu envie de mettre en scène cette période, comme le dernier cri des shinobis qui ne seraient plus utiles à ce monde.


 


L'un des grands arcs narratifs de la deuxième partie de Butterfly Beast, c'est celui de la persécution des chrétiens au Japon. Comment cette thématique vous est-elle venue ? Ce développement vous a-t-il demandé beaucoup de recherches ?


Yuka Nagate : Lors de la révolte de Shimabara, les ninjas jouaient un rôle. Mais il y avait aussi une opposition entre le gouvernement (le Bakufu) et les chrétiens. Je ne pouvais donc pas passer à côté de ce sujet. Avec l'idée des chrétiens qui devaient se cacher, je savais qu'on pouvait faire un parallèle intéressant avec le sort des ninjas. Ces deux groupes pouvaient nouer une intrigue dramatique.


Ce fut beaucoup de travail, en termes de documentation. Je me suis notamment intéressée à l'ouvrage Silence de Shusaku Endo, qui parle de la persécution des chrétiens.


Dans Butterfly Beast, vous dépeignez les conditions de vie des courtisanes d'époque avec dureté, mais aussi avec mélancolie. C'est le cas quand Kochô doit se séparer d'un certain amant, qu'elle ne reverra plus. Dans un tel contexte, comment parvenez-vous à maintenir cet équilibre émotionnel ?


Yuka Nagate : En fin de compte, qu'on soit courtisane ou pas, tout le monde tombe amoureux. Selon les situations, ces romances vont changer. J'ai d'abord pensé au lieu où se déroule l'intrigue, Yoshiwara, puis je me suis inspiré de mes propres expériences, avec un regard ordinaire, pour traiter ce pan émotionnel.


Je mets d'abord en place une situation, avant de me baser sur des expériences personnelles pour établir mon récit.




Butterfly Beast a une construction particulière : La série est en deux parties, car il y a eu un changement d'éditeur en cours de route. Cette division peut paraître un peu obscure pour un lecteur occidental, aussi pouvez-vous revenir sur cette interruption ? Avez-vous rencontré des difficultés lors de la reprise du manga, avec sa deuxième saison ?


Yuka Nagate : Quand j'ai entamé Butterfly Beast dans la première revue de publication, le Comic Bunch, je savais que celle-ci allait bientôt être arrêtée. Mais j'ai quand même tenu à lancer mon manga, car je savais que j'aurais pu la poursuivre, sous une forme ou une autre, si elle produisait de bons résultats. Mais les ventes ne furent pas exceptionnelles, il a donc été décidé de ne pas poursuivre la série. Sachant que lorsqu'un manga ne se vend pas très bien, l'œuvre suivante de l'auteur ne sera pas tirée à beaucoup d'exemplaires. J'ai préféré arrêter Butterfly Beast, pour passer à autre chose.


Puis, l'éditeur Leed a accepté de me laisser reprendre la série, par sa revue Comic Ran. Mais là aussi, les chiffres n'étaient pas fabuleux, et je pense avoir eu de la chance de pouvoir poursuivre jusqu'au tome 5 de la deuxième saison. Entre ce qu'on veut dessiner et la réalité des chiffres, il y a malheureusement un écart. Il faut d'abord que je fasse de bons chiffres avec une autre œuvre, pour espérer reprendre ensuite finir Butterfly Beast.


Vous avez ensuite retrouvé l'auteur Buronson pour mettre en image le manga Silencer, une série d'action centrée sur des tueuses charismatiques qui évoluent dans un univers très masculin et viril. Quels souvenirs gardez-vous de cette série musclée, et de son héroïne de choc ? Comment s'est passée la collaboration avec Buronson ?


Yuka Nagate : C'est mon éditeur qui m'a proposé d'adapter un scénario de Buronson, à ma sauce. Ce n'est pas une histoire conçue pour moi, mais bien une proposition de mon éditeur.



Pour finir, parlons de Gift +/-, que vous venez d'achever. Quelles difficultés avez-vous pu rencontrer, sur cette série développée sur la longueur ?


Yuka Nagate : Dans une histoire qui parle de trafic d'organe, on en vient rapidement à la piste de certains pays, même s'il y a beaucoup de rumeurs dans ces informations, qui restent difficiles à vérifier. En utilisant telles quelles ces rumeurs, ça pouvait poser des problèmes diplomatiques. Je me suis donc demandé jusqu'où je pouvais mettre en scène de telles informations. Avec le Covid, la situation mondiale a totalement changé, et des événements qui dépassaient mon imagination se sont produits. Comment mettre en scène ces événements dans mon manga ? Ce fut une autre difficulté rencontrée.


Pour rester sur le sujet du trafic d'organes, et de ce qu'on pourrait qualifier de faces sombres de la médecine, qu'est-ce qui vous a poussé à vous intéresser à ce sujet, en particulier ?


Yuka Nagate : Souvent, aux informations, on entend parler des condamnations à mort de certains criminels. Beaucoup de gens pensent qu'on pourrait faire des dons d'organes avec les corps de ces condamnés. Si tel était le cas, comment cela se passerait ? C'est en explorant cette thématique que m'est venue l'idée du manga.


 



Interview menée par Koiwai et Takato, rédigée par Takato. Remerciements à Yuka Nagate, à son interprète Miyako Slocombe, et à Mangetsu pour l'organisation de la rencontre.