Interview de l'auteur
Publiée le Mardi, 15 Juillet 2014
Interview
Invitée des éditions Glénat à Japan Expo, la jeune et souriante Kachou Hashimoto, présente pour présenter sa série Cagaster, n'eut malheureusement pas de chance en se brisant le poignet pendant le salon. Mais avant cela, elle eut malgré tout le temps de tenir une conférence publique, sur laquelle nous reviendrons plus tard, et put accorder quelques interviews, dont la nôtre, que nous vous proposons de découvrir aujourd'hui.







Mise en ligne en juillet 2014.
Conférence publique
Présente au début du salon parisien avant de connaître un malheureux accident, la mangaka avait eu néanmoins le temps de nous accorder une interview (que vous pouvez retrouver en suivant ce lien), mais aussi de tenir une conférence où elle répondit aux différentes questions posées par le public.
Cagaster se terminant en France cette semaine, nous avons choisi de revenir aujourd'hui sur cette rencontre de l'artiste avec ses lecteurs, afin de boucler la boucle avec cette oeuvre courte et maîtrisée que nous avons beaucoup aimée.
Après une petite présentation de Cagaster par l'animateur de la conférence et responsable éditorial de Glénat Manga Stéphane Ferrand, la suite fut consacrée à des questions-réponses avec le public.

D'où vous vient votre intérêt pour le dessin et pour les mangas ?
Kachou Hashimoto : Je suis passionnée de manga depuis environ l'âge de 5 ans. J'ai voulu en dessiner quand je suis entrée au collège, mais j'ia réellement commencé en entrant au lycée.
Après le lycée j'ai passé une année dans une école de manga, mais ça ne m'a pas appris beaucoup de choses. Après cette année peu fructueuse, j'ai eu la chance de devenir l'assistante d'un mangaka professionnelle pendant deux ans. Deux années où j'ai appris beaucoup de choses en dessinant les fonds et les décors.
Est-ce un phénomène courant, au Japon, de publier son manga sur internet sans passer par un éditeur ?
On trouve beaucoup de personnes publiant leurs oeuvres sur internet, que ce soit des auteurs reconnus ou des débutants.
Pour ces derniers, s'auto-publier sur le net peut être un très bon moyen de se faire connaître et repérer.

Est-ce que le fait d'être publiée en France a poussé des maisons d'édition japonaise à s'intéresser à Cagaster ?
Depuis 8 ans que j'ai écrit Cagaster, il y a eu plusieurs maisons d'édition japonaises qui se sont intéressées à ma série. Mais à chaque fois, elles voulaient m'obliger à ne plus la publier en ligne, ce que je n'ai jamais voulu faire.
Pour la publication française, les éditions Glénat ne m'ont jamais demandé une telle chose, et c'est en partie pour ça que j'ai accepté qu'ils me publient !
Au Japon, y a-t-il beaucoup d'opportunités pour devenir mangaka ?
Difficile de dire quel est le chemin le plus simple ou le plus rapide.
En tout cas, depuis l'arrivée d'internet, il est plus facile de faire connaître ses oeuvres jusqu'à se faire repérer par des maisons d'édition et se faire publier dans des magazines. Je pense que c'est une pratique qu'on voit de plus en plus au Japon.
Après, si malgré tout on n'arrive pas à se faire publier par des éditeurs, il faut persévérer ! Continuer, encore et encore, et présenter ses oeuvres sur le net.

Pour le déroulement de votre histoire, vous avez donc tout décidé toute seule ? Ou y avait-il tout de même des personnes de votre entourage qui vous ont conseillée ?
Mon concept était de tout décider et tout dessiner par moi-même, donc je ne recevais de conseils de personne. Mais autour de moi, des amis m'ont soutenue dans ma démarche. Pas en tant que conseillers, simplement en tant qu'amis et fans.
La publication de votre série sur internet était-elle gratuite, ou avez-vous mis en place un système de paiement ?
On peut lire Cagaster en japonais entièrement gratuitement depuis le début, et c'est encore le cas aujourd'hui.

Combien de temps par jour dessinez-vous ?
Je passe mon temps à dessiner, du matin jusqu'au soir, sauf quand je mange, quand je dors et quand je me lave. Simplement parce que j'adore ça.
Peut-on espérer une version animée de Cagaster ?
Au Japon, plusieurs lecteurs me l'ont déjà demandé. A chaque fois, je leur réponds que si on me donnait le budget pour le faire ce serait avec plaisir. Mais je ne peux pas le faire toute seule. Si vous connaissez quelqu'un qui pourrait apporter les fonds nécessaires, n'hésitez pas à me le dire !

Quels outils utilisez-vous pour dessiner ?
Les personnages et décors sont entièrement faits à la main. J'utilise l'ordinateur pour faire les trames et coloriser les pages couleur.
Quels sont vos auteurs de prédilection et vos inspirations ?
Je suis très très inspirée par Kazuhirô Fujita, l'auteur de Moonlight Act, Karakuri Circus et Ushio to Tora. C'est mon maître.

Qu'est-ce qui a été le plus difficile et vous a pris le plus de temps dans l'élaboration de Cagaster ?
Je dirais que ce sont les dessins, car au niveau de l'histoire j'avais déjà tout dans ma tête avant de commencer à dessiner. Mais tout était tellement bien pensé dans mon esprit que parfois j'avais du mal à dessiner fidèlement mes idées, notamment les insectes. J'ai donc dû un peu me limiter.
La fin était donc, elle aussi, pensée dès le départ ?
Quand j'ai commencé à dessiner la série, j'avais déjà la fin en tête. Mais comme il m'a fallu 8 ans pour tout faire, il y a quand même eu quelques petits changements en cours de route.
Est-ce que vous imaginiez qu'il y avait en France des événements comme Japan Expo, centrés sur le Japon ?
Je savais que Japan Expo existait, car c'est très connu au Japon. Mais j'imaginais ce salon un peu comme le Comiket, qui est au Japon une gigantesque convention surtout dédiée aux auteurs amateurs et aux fanzines.
En tout cas, je trouve qu'il fait très chaud ici ! Mais l'endroit où est organisé Japan Expo est bien plus beau que la salle où est organisée le Comiket.
Les dernières minutes de la conférence virent Kachou Hashimoto réaliser un dessin live, que vous pouvez découvrir ci-dessous en photo. La mangaka s'amusa à y croquer son voyage jusqu'à Paris.

Mise en ligne en mai 2015.
Interview n°2 de l'auteur
Publiée le Mardi, 02 Janvier 2018
A l'occasion du salon Japan Touch à Lyon, Kachou Hashimoto, la mangaka à qui l'on doit les séries Cagaster et Arbos Anima chez Glénat, était présente en France. Après l'avoir questionnée sur Cagaster lors de sa venue à Japan Expo en 2014, nous avons profité de son passage sur Paris début décembre pour repartir à sa rencontre, cette fois-ci pour parler d'Arbos Anima, sa dernière série en date. On a retrouvé avec plaisir une artiste toujours aussi bavarde et souriante !
Tout d'abord, merci à vous d'être de retour en France et d'avoir accepté cette interview.
Kachou Hashimoto : Merci à vous, je suis très heureuse de vous revoir.
Après Cagaster qui était proposé en auto-édition, qu'est-ce qui vous a poussée, pour Arbos Anima, à revenir chez un éditeur classique ?
Evidemment, je me suis beaucoup amusée à faire Cagaster pour moi-même, mais je ne me suis jamais dit que jamais plus je ne ferais de manga pour un éditeur professionnel. Je me disais que pour ma prochaine œuvre j'accepterais bien une collaboration avec un éditeur.
En 2014, vous nous aviez dit avoir choisi l'auto-édition pour Cagaster afin de pouvoir faire une œuvre qui vous plaise totalement, loin des considérations professionnelles. Malgré tout, retrouvez-vous la même liberté sur Arbos Anima, ou avez-vous certaines contraintes ?
Bien sûr, je me fais toujours plaisir en dessinant cette œuvre, par contre il y a les contraintes de temps liées au rendu des planches pour publication. Du coup je me mets naturellement une pression pour respecter les délais, et à chaque rendu de planches je ne peux m'empêcher de me demander si tout ce que j'ai dessiné sous cette pression est bien conforme à ce que j'avais en tête. J'ai la chance d'avoir un éditeur qui ne me bride pas et qui me laisse faire ce que je veux au niveau du contenu, mais malgré ça il y a une pression qui vient de moi-même.
Arbos Anima installe un univers très prometteur et assez original dans son concept et son utilisation des plantes. Comment avez-vous imaginé cet univers ? Par quelles étapes êtes-vous passée ?
Tout d'abord, au départ je ne m'y connaissais pas beaucoup en Histoire du 19ème siècle, ni en histoire botanique. J'ai donc commencé en cherchant de la documentation et j'ai lu tout ce qui pouvait exister au Japon sur cette époque, sur la botanique et sur les chasseurs de plantes.
Qu'est-ce qui vous a donné envie d'aborder un tel thème ?
Au départ j'envisageais surtout de dessiner quelque chose en rapport avec la Compagnie des Indes Orientales, le commerce et les voyages de l'Orient vers l'Occident. Mais plus je menais mes recherches, plus je tombais sur des pans de l'Histoire pas très réjouissants ni divertissants, avec beaucoup de colonisation, de racisme... Quand j'ai été confrontée à ça, j'ai remarqué les histoires sur les chasseurs de plantes, et c'est là que je me suis dit qu'un tel sujet pouvait faire un très bon thème pour un récit d'aventure.
Du coup, à la base, qu'est-ce qui vous attirait vers la Compagnie des Indes Orientales et le 19ème siècle ?
J'ai toujours aimé la fantasy. Même Cagaster, qui est de la science-fiction, reste aussi axé fantasy. Et quand je me demandais d'où venaient certains éléments de fantasy que j'aime beaucoup, je me suis rendu compte qu'ils puisaient beaucoup leurs sources dans le 19ème siècle.
Quels éléments en particulier ?
Si on doit parler d'une œuvre branchée fantasy que j'adore en particulier, ce serait Nadia et le secret de l'eau bleue.
En 2014, parmi les influences de Cagaster, vous citiez Ghibli, Gainax, Gurren Lagann... Y a-t-il eu aussi des inspirations, directes ou indirectes, pour Arbos Anima ? Par exemple, on peut penser à Jules Verne, un auteur qui justement a beaucoup influencé Nadia et le secret de l'eau bleue...
Effectivement, surtout via Nadia, Jules Verne a été un grosse influence. Après, il n'y a pas eu beaucoup de temps entre la fin de Cagaster et le début d'Arbos Anima, donc entre les deux séries je n'ai pas eu de changements d'influences énormes. Il faut plutôt se dire que toutes ces influences que j'ai eues en tant qu'auteure, je les ai cumulées.
La série a un très fort parfum d'aventure grâce à la présence de pirates, à l'Asie du sud-est, à l'exploration d'îles... Qu'est-ce qui vous a donné envie d'inclure ce type d'éléments ?
Tout d'abord, à l'époque de Darwin, il y avait un explorateur du nom d'Alfred Russel Wallace. Il y avait la traduction de son œuvre en japonais, et celle-ci m'a apporté énormément d'éléments.
En plus de Wallace, quels ont été vos principaux documents de référence ?
L'histoire se passant essentiellement en Asie du sud-est, je me base donc essentiellement sur les écrits de Wallace qui a fait beaucoup de recherches dans l'archipel malais entre autres. Alfred Russel Wallace.
Et concernant les plantes ?
Wallace était justement quelqu'un qui vivait en notant tout ce qu'il observait sur la région, y compris sur les animaux et les plantes, et tout ce qu'il a fait a vraiment été très utile pour Arbos Anima.
C'est donc de lui aussi que viennent des éléments assez spécifiques de l'Histoire des plantes, comme la chasse aux orchidées rares qui est évoquée dans le tome 2 ?
La chasse aux orchidées fait justement partie des choses qui ne viennent pas spécifiquement de lui pour ma série. Quand on fait des recherches sur les chasseurs de plantes au 19ème siècle, on tombe énormément sur des histoires d'orchidées. C'était ce qu'il y avait de plus populaire à ce moment-là. Avant le 19ème siècle, de mémoire au 16ème ou au 17ème, il y avait déjà eu une affaire de vente de tulipes où les prix étaient montés tellement haut que ça avait eu des conséquences économiques à l'époque. L'orchidée au 19ème siècle, c'est un peu l'équivalent de cette affaire de la tulipe.
Pour les bâtisses et les costumes d'époque, vous basez-vous sur de la documentation, sur des modèles ? Comment les reproduisez-vous ?
Le monde est très bien fait, parce que quand je tape sur des sites « 19ème siècle Singapour », « 19èm siècle Asie » et d'autres choses de ce genre, il y a des vieilles photos de l'époque qui apparaissent, et je peux m'en inspirer. Récemment, cette année, je suis moi-même allée à Singapour et j'ai pu prendre des photos là-bas. Elles me servent d'ores et déjà pour les dessins de mon manga.
En dessinant Arbos Anima, avez-vous acquis le même amour des plantes que Noah, le héros de la série ?
Oh ! (rires) A la base je les aimais déjà beaucoup, j'allais en voir des les jardins des plantes. J'étais déjà une passionnée, mais quand même pas au même point que Noah (rires).
Avez-vous des styles de plantes préférés ?
C'est difficile de faire un choix parce que j'aime toutes les plantes, mais c'est vrai que ces derniers temps, vu je les dessine dans Arbos Anima, je suis très attirée par les plantes d'Asie du sud-est.
On a un héros qui sert d'intermédiaire entre humains et végétaux, des missions où les plantes ont souvent un très beau rôle auprès des humains (par exemple avec la petite Sarah dans le tome 2)... On peut alors entrevoir dans la série comme un cri d'amour envers les plantes, les arbres, la végétation. Est-ce voulu ?
Pour être franche, je n'essaie pas de faire passer un joli message écologique dans mon manga. J'essaie justement plutôt de montrer avec réalisme qu'il s'est passé historiquement sur ces hommes qui ont voulu profiter des plantes. Et Noah, qui aime tant les plantes, va souffrir dans cette histoire.
Comment avez-vous déterminé le caractère de chacun des principaux personnages de la série ?
Premièrement, comme le héros Noah est plutôt chétif et faible, je me suis dit que les autres autour devaient savoir se battre. Sur les trois premiers personnages, j'ai vraiment cherché un équilibre. On a un héros chétif et qui adore vraiment énormément les plantes (peut-être un peu trop), donc à ses côtés il fallait Rudyard le personnage qui le protège, qui est puissant mais qui est également attentif, et Eve, la jeune fille qui elle n'aime pas les plantes au départ.
Comme Ilie dans Cagaster, Noah, vu qu'il a été enfermé dans une serre pendant des années, est un personnage qui commence tout juste à découvrir le monde. Est-ce voulu ?
Je trouve que c'est génial que vous ayez réussi à le voir, car c'est exactement pour ça que je l'ai fait ! Je voulais que Noah soit un peu un écho d'Ilie.
Et du coup, comme Ilie dans Cagaster, il peut représenter un peu le regard des lecteurs qui découvrent en même temps que lui le monde...
Noah est difficile à décrire, car il a un côté très spécialiste des plantes et est dans sa bulle. Bien sûr, quand il part à l'aventure à la découverte du monde il se retrouve dans la même position que le lecteur, il ne sait pas où il est. Mais dans d'autres scènes concernant les plantes qui le passionnent, il y a une distance qui peut se créer. Du coup je lui donne aussi des côtés un peu comiques pour pouvoir mieux le rapprocher des lecteurs.
Avez-vous déjà toute votre histoire en tête ?
Comme je travaille avec un éditeur cette fois-ci et que chaque éditeur a ses règles, j'en ai aussi. Tokuma Shoten, l'éditeur d'Arbos Anima, demande à ce que les histoires soient découpées en arcs de deux tomes. Je procède donc ainsi, j'ai mes histoires qui se font en deux tomes. Par contre, pour le reste, ça vient un peu au fur et à mesure.
Qu'est-ce qui est le plus dur à dessiner dans la série ?
A peu près tout (rires). Mais surtout les plantes. Lors des scènes où il y en a beaucoup et partout, j'ai beau les dessiner encore et encor,e j'ai l'impression de ne jamais en voir le bout. Et puis il y a pas mal de fois où je bute sur certaines interrogations sur les dessins à faire. Par exemple, pour une certaine scène, je me demandais si la voiture devait être tirée par des chevaux ou par des bœufs. Et je dois chercher à chaque fois pour savoir quelle est la bonne réponse.
Comment avez-vous choisi le titre latin « Arbos Anima » ?
J'hésite un peu à dire la vérité, je me demande si je dois vraiment la dire (rires). Quand le pitch de la série a été validé, on a décidé de lui trouver un beau titre, sauf qu'à chaque fois que je proposais un titre il ne plaisait pas à tout le monde. A ce moment-là, mon éditrice est allée chercher un dictionnaire en latin, y a déniché plusieurs propositions de titres, et parmi celles-ci il y avait « Arbos Anima ».
Donc vous ne l'avez pas choisi par rapport à une signification particulière ?
Je dessine en me disant que ce serait bien que ce soit le cas (rires).
Pour finir, qu'avez-vous eu le temps de visiter en France depuis votre arrivée ?
J'ai fait pas mal de courses, plus que la dernière fois (rires). Je suis allée au musée des Arts et Métiers, pour observer des machines du 19ème siècle.
Ce que vous avez pu voir au musée, vous pensez que ça vous sera utile pour votre manga ?
Je pense ! D'ailleurs, j'y ai vu un carrosse... mais un peu trop tard ! J'en dessinais un pour Arbos Anima la semaine dernière, et je me demandais comment étaient attachées les roues... Je viens d'avoir la réponse (rires). A une ou deux semaine près, ça m'aurait servi de source.
Interview réalisée par Koiwai. Un grand merci à Kachou Hashimoto, et à Satoko Inaba des éditions Glénat pour la traduction !