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Manga Découvrez notre interview de Rintaro !

Samedi, 26 Avril 2025 à 15h00 - Source :Rubrique interviews

Il y a quelques jours à peine, l'ouvrage Ma vie en 24 images par seconde de Rintaro remportait le prestigieux Prix Culturel Osamu Tezuka, et l'occasion nous semblait idéale pour enfin vous proposer l'interview du maître que nous avons pu faire au FIBD d'Angoulême l'année dernière, conjointement avec les médias Blast et Manga Kids/Animascope.

Initialement publié chez nous en janvier 2024 aux éditions Kana au format bande dessinée, cet ouvrage revient sur la vie du cinéaste Rintaro, pionnier de son domaine qui a eu l'occasion de travailler avec Osamu Tezuka et qui réalisa les films Galaxy Express 999, Adieu Galaxy Express 999, Metropolis ou encore X - 1999. L'ouvrage fut ensuite publié au Japon en décembre 2024 aux éditions Kawade Shobo, sous le titre 1-byō 24-koma no Boku no Jinsei.



(Manga-news) Dans votre ouvrage, on assiste à la naissance de l'animation japonaise telle que nous la connaissons aujourd'hui. Quel regard portez-vous sur les anime d'aujourd'hui ? Parce que le modèle pensé par Osamu Tezuka n'a pas tant évolué, estimez-vous qu'une "révolution" dans le milieu serait nécessaire ?

Rintaro : Ce n'est pas spécifique à l'animation : je pense que toutes les choses ont toujours besoin d'évoluer. L'animation, de toute façon, reflète son époque, donc naturellement elle a quand même évolué au fil des décennies.

Quand on veut révolutionner quelque chose en animation, cela ne concerne pas uniquement ceux qui travaillent sur l'anime, mais aussi ceux qui le regardent et qu'il faut prendre en compte. Le changement d'état d'esprit doit avoir lieu des deux côtés à peu près au même moment. Et quand il y a une envie de changement des deux côtés, c'est là qu'il y a de nouvelles choses qui apparaissent.

Après, évidemment, les séries sont avant tout commerciales, et chaque fois qu'il y a une nouvelle série il faut qu'elle s'adresse à la génération actuelle.




(Blast) Vous expliquez dans votre parcours avoir vécu de nombreuses naissances de studios, et avoir énormément travaillé. Etant donné qu'aujourd'hui je représente un média qui est politiquement très à gauche, je voulais vous demander, à notre époque où les animateurs commencent à exprimer leur souffrance au travail sur les réseaux sociaux, quel regard vous portez sur le travail des animateurs, avec le recul que vous avez aujourd'hui ?

Etant donné que je n'ai pas fait de recherches là-dessus, peut-être que ce que je vais dire n'est pas exact. Néanmoins, je dirais que les conditions de travail se sont améliorées par rapport à mon époque. Après, la question serait de savoir si ces conditions conviennent à notre époque actuelle.

A mon avis, il faudrait réfléchir à améliorer les conditions de travail, mais en même temps les œuvres elles-mêmes sont très importantes. Il faudrait trouver un bon équilibre entre les conditions de travail et l'élaboration d'oeuvres réellement qualitatives. Et ça, seul le besoin de prendre du temps le permet, ce qui est difficile à une époque où il y a un nombre trop considérable d'animes chaque saison et où il y a des rythmes très serrés à maintenir.


(Manga-news) Dans le livre, il y a une idée qui revient régulièrement et qui vous a été inculquée par votre père concernant le cinéma: il s'agirait, avant tout, d'un jeu entre l'ombre et la lumière. Cette idée revenant assez souvent, elle semble un peu vous avoir guidé pendant votre carrière. Du coup, comment la définiriez-vous exactement ? Pensez-vous avoir bien compris ce que votre père voulait dire ? Garde-t-elle autant d'importance dans vos travaux récents ? Son interprétation a-t-elle évolué dans votre tête au fil des décennies ?

Je pense pouvoir affirmer que oui, j'ai vraiment compris ce que mon père voulait dire au sujet de l'ombre et la lumière, et que j'ai bien reflété mon interprétation dans mon travail. Bien sûr, quand j'ai entendu ça pour la première fois à l'âge de 13 ans, je n'ai pas compris. Je connaissais les notions de lumière et d'ombre, mais je ne voyais pas ce que ça signifiait dans le cinéma. Puis plus tard, pendant ma carrière, je me suis occupé de la mise en scène, le storyboard et la musique de beaucoup d'oeuvres, et j'ai fini par comprendre.

Cette idée d'ombre et de lumière a évidemment évolué au fil de ma carrière, mais étant donné qu'elle fait partie de ma vie quotidienne, j'y pense tous les jours, et à chaque fois je découvre de nouvelles choses à son sujet. Elle ne cesse donc encore d'évoluer, si bien qu'il s'agit réellement pour moi d'une question personnelle et même, quitte à être trop abstrait, d'une question sur ma vie.

Quand on parle d'ombre et de lumière, pour moi il s'agit toujours avant tout de l'ombre et de la lumière projetées via un projecteur sur des pellicules de 35mm. Mais aujourd'hui tout est numérique, donc on utilise toujours les mêmes termes d'ombre et de lumière, mais pour moi ça ne signifie pas la même chose.

Quand j'en parle, évidemment je parles des décors avec les parties ombrées et éclairées, mais je parle aussi de l'intériorité de chaque personnage, car chacun d'eux à ses parts d'ombre et de lumière. Cette notion d'ombre et de lumière se trouve ainsi partout, et  c'est toujours en ayant ça en tête que je travaille.

Quand on parle de l'ombre et la lumière, on a toujours tendance à penser que la lumière est positive et l'ombre négative, et donc qu'il faut toujours aller vers la lumière. Mais en réalité, dans chaque chose il y a toujours deux côtés, l'ombre n'existe pas sans la lumière et vice versa, et je pense qu'il faut aussi faire face à cette réalité-là, avoir un regard sur les deux et trouver l'équilibre.




(Blast) Les personnages que vous avez animés sont souvent romantiques et contestataires, qu’est-ce qui vous attire dans ces traits-là ?

C'est tout à fait ça. Les autres personnages ne m'intéressent pas trop (rires).

J'ai moi-même un coté très romantique et contestataire, donc je veux refléter ma personnalité dans les personnages que je montre. Et du coup, généralement on me propose aussi de travailler sur des œuvres ayant des personnages qui sont comme ça.


(Manga Kids/Animascope) Qu’est ce qui vous a poussé à choisir la bd, et encore plus sur un format franco belge pour raconter votre biographie de réalisateur de films d’animation?

Question difficile (rires).

Concernant la genèse de cette œuvre, l'idée est née lors d'une discussion avec un studio d'animation français, qui avait alors envie de faire une réalisation sur ma propre vie. Mais finalement le projet s'avérait trop onéreux, si bien qu'il est tombé à l'eau. Et c'est à ce moment-là que Shoko Takahashi, qui est à la fois mon interprète pour cette interview et ma productrice, m'a suggéré d'en faire une bande dessinée.

C'est un format qui m'a semblé pertinent, parce que moi-même je connaissais déjà le travail d'auteurs de BD comme Moebius et Enki Bilal, mais aussi parce que j'ai toujours aimé faire des choses que je n'ai jamais essayées auparavant. D'ailleurs, généralement, quand je finis quelque chose je ne veux plus y revenir après, car je me lasse assez facilement.

Personnellement, je suis très, très fier d'être auteur de BD débutant à l'âge de 83 ans, c'est pas mal non ? (rires)


(Manga-news) L'ouvrage est l'occasion d'en apprendre plus sur vos premières expériences cinématographiques, constituées d'un cinéma éclectique, japonais mais aussi européen. Dans quelle mesure ces films occidentaux ont façonné votre manière de réaliser vos tous premiers travaux chez Mushi Production ?

Je ne pourrais pas citer d'exemples précis de films, mais je peux affirmer que j'ai été très influencé par le cinéma français noir. J'observais beaucoup le travail des acteurs, la musique, l'ambiance... Et comme j'y pensais beaucoup ensuite, forcément j'ai mis de manière inconsciente tout ça dans les storyboards que je concevais à l'époque.

Ce qui est sûr, c'est que l'utilisation de la musique dans les films noirs français m'a énormément influencé, surtout l'utilisation du jazz moderne.




(Manga Kids/Animascope) Vous avez toujours relevé les défis, même quand les conditions ne le permettaient pas. Quels défis vous restent-ils à relever maintenant?

Mon prochain défi, je pense que c'est de trouver comment bien vivre mon vieillissement, et comment exploiter le temps qui va avec.

Je ne sais plus qui exactement, mais un professeur ou un peintre florentin italien du XVe siècle disait qu'il ne voulait jamais suivre les voies toutes tracées, mais plutôt choisir la voie de ce qu'il ne connaît/comprend pas encore. Je suis dans le même état d'esprit : je ne sais pas ce que je vais faire, mais j'aimerais faire des choses que je ne sais pas encore faire.

Un peu plus concrètement, j'ai toujours travaillé avec ma main droite, mais maintenant j'ai très envie de travailler avec ma main gauche.


(Blast) Concernant l'influence de la culture française que vous évoquiez précédemment, lors d'une conférence à Nantes l'année dernière vous avez parler du début de votre projet de BD et de votre amour immodéré pour le Tour de France et pour le cinéma français. Avez-vous gardé cet amour encore aujourd'hui ?

Oui, j'adore toujours autant.

Je ne sais pas si j'arriverais à le faire sous forme de BD, de film ou d'anime, mais j'aimerais bien raconter l'époque de Boris Vian, avec le quartier de Saint-Germain et tout ce qui se déroulait à cette époque, autour du Café des Deux Magots et du club de jazz qu'il fréquentait. J'adore cette ambiance-là, elle m'a toujours énormément inspiré. Je rêve de faire quelque chose sur ce sujet-là.




(Manga-news) A la fin des années 1990, surtout avec le projet Metropolis qui vous a pris six ans, vous avez vécu et expérimenté l'arrivée de la 3D et des images de synthèse. Pouvez-vous nous parler plus précisément de cette expérience ? Quels challenges cela a-t-il représenté pour vous ?

C'est vraiment la réalisation de Metropolis qui m'a donné envie de travailler sur les images de synthèse. D'ailleurs, j'avais déjà utilisé la CGI dans Metropolis, par exemple lors de la scène de début avec la tour Ziggurat, puis quand celle-ci est détruite. On a alors travaillé ça avec un logiciel américain de CGI. Mais c'était encore balbutiant, pas perfectionné comme logiciel, mais j'ai immédiatement compris qu'il y avait du potentiel dans celui-ci, et ensuite j'ai voulu continuer d'expérimenter cette technologie, et c'est comme ça que j'ai fini par réalisé Yona – La légende de l'oiseau sans ailes.

C'est un sujet dont je parle beaucoup avec mon ami Katsuhiro Otomo : ce que j'ai essayé de faire avec Yona, c'est de rendre presque en 2D un film fait en 3D. Ce film a été réalisé entièrement en CGI, mais on a vraiment essayé d'éliminer tout ce qui faisait trop CGI. Et je suis content de voir qu'après ce long-métrage, des gens japonais ont continué à expérimenter cette voie-là.


(Manga Kids/Animascope) Vous avez vécu beaucoup de révolutions technologiques. Y a-t-il une chose que l'animation ne vous a pas permis d'exprimer ?

Je n'ai pas tout expérimenté, mais je pense vraiment que l'on peut tout faire en animation. Ce qui est important, c'est de maîtriser toutes les technologies. Maintenant, le nouveau progrès que l'on connaît aujourd'hui, c'est l'intelligence artificielle, et il faudra vraiment savoir bien l'utiliser sans dérives.

Mais en même temps, je peux peut-être dire une chose qu'on ne peut pas faire avec les images de synthèse ou avec les images numériques. L'animation 2D, c'était surtout l'époque des pellicules de 35mm, avec les images imprimées sur la pellicule. Et quand on projette ça, il y a une atmosphère très particulière. D'ailleurs, j'ai entendu dire que les équipes du studio Pixar pensaient la même chose.




(Manga-news) En 2023 on a appris que vous planchiez sur la réalisation d'un court-métrage hommage au cinéaste Sadao Yamanaka: NEZUMIKOZO JIROKICHI, où vous avez d'ailleurs retrouvé votre ami Katsuhiro Otomo pour le design des personnages. Pourquoi ce cinéaste en particulier, malheureusement décédé jeune à seulement 28 ans en 1938 ? Que représente-t-il pour vous ?

En fait, ce n'est pas vraiment le cinéaste Sadao Yamanaka en lui-même qui l'intéressait, mais plutôt le cinéma muet, dont Yamanaka est un acteur très représentatif. C'est pour ça que je l'ai pris comme sujet. Toute la source du cinéma, on la trouve dans le cinéma muet, et je voulais absolument montrer mon grand respect pour celui-ci.

Chaque fois que je découvre une devise ou une phrase qui me marque, je la mémorise et la note dans un cahier, et parmi ces phrases il y en a une d'Alfred Hitchcock qui disait que le cinéma muet est la forme de cinéma la plus pure. Je suis tout à fait d'accord avec ça, et aujourd'hui encore cette phrase m'inspire beaucoup.


Interview menée par Koiwai et Takato pour Manga-news. Un grand merci à Rintaro, à son interprète Shoko Takahashi, à nos collègues de Blast et Manga Kids/Animascope, aux éditions Kana, et au FIBD.

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