Manga Découvrez notre interview de Chang Sheng (Yan, Baby, Oldman...)
Auteur devenu en une vingtaine d'années de carrière l'un des plus éminents représentants de la création taïwanaise d'inspiration manga, Chang Sheng était invité au dernier FIBD d'Angoulême sur le pavillon Taïwan, pour lequel il conçut même l'affiche. Il s'agissait d'une occasion immanquable pour nous de nous entretenir avec lui lors d'une petite interview dont nous vous proposons aujourd'hui le compte-rendu, à l'occasion de la sortie en ce début de mois du premier tome de sa série Baby aux éditions Glénat.
Né à Taipei en 1968, Chang Sheng est diplômé de l’école d’art et de commerce Fu-Hsin, section peinture occidentale. Alors qu’il occupait le poste de directeur de création dans la compagnie publicitaire Dentsu, Young & Rubicam, il s’est vu décerner à plusieurs reprises les Times Advertising Golden Awards, 4A Advertising Creativity Awards, Creativity Awards et New York Festival Advertising Awards.
En 2004, il décide de mettre un terme à 15 années de carrière publicitaire et se lance dans le monde du manhua. Ses premiers titres, X-Girl et Stanle, ont été publiés en France au sein de la collection Violet des éditions Paquet. Sa série suivante, Baby, marque un virage dans sa jeune carrière d'auteur. Les années suivantes, il conçoit également Oldman (paru en France aux éditions Kotoji sous le label Asian Dsitrict), Nine Lives Man (sorti en fin d'année dernière aux éditions Paquet) puis Yan (disponible aux éditions Glénat).
Chang Sheng en plein séance de dédicaces au FIBD.
Chang Sheng, merci d'avoir accepté cette interview. On sait que vous avez laissé tomber une carrière publicitaire pour vous lancer dans le manhua en 2004. Qu'est-ce qui a motivé ce choix ?
Chang Sheng : Au départ, quand j'étais jeune, j'adorais lire des manhuas et des mangas, et comme beaucoup d'enfants je me disais que j'adorerais en faire aussi plus tard. Mais en grandissant j'ai un peu oublié ça, et c'est à l'âge de 35 ans, alors que j'étais publicitaire, que ce rêve d'enfance m'est revenu à l'esprit, un matin en me réveillant. J'ai alors senti que je faisais peut-être fausse route en faisant ma carrière dans la publicité, et que j'avais envie de concevoir des choses plus artistiques, de faire mes propres créations dans le domaine du manhua.
Je pense que c'est à cause de la pression sociale et du travail en société que, en arrivant à l'âge adulte, j'ai petit à petit oublié ce rêve-là. J'en étais même venu à lire de moins en moins de manhuas et de mangas, alors que j'adorais ça.
En plus, ma reconversion a eu lieu à l'age de 35 ans, et je pense que c'est un âge tardif et difficile pour devenir auteur de manhuas. Mais sous un autre angle, je me disais que si j'attendais encore, il y aurait de moins en moins de chances pour que ce rêve devienne une réalité, alors j'ai décidé de le faire tant qu'il en était encore temps. J'ai purement quitté mon travail de publicitaire et j'ai commencé à dessiner quelques jours après.
Dans votre jeunesse, quels étaient donc les auteurs de mangas et de manhuas qui vous ont le plus marqué ?
Quand j'étais jeune, j'avais accès à énormément de mangas japonais mais aussi de comics américains de Marvel et DC. J'en ai lus dès ma plus tendre enfance.
Un manga qui m'a beaucoup marqué quand j'étais petit est assurément Ashita no Joe. Aujourd'hui encore il est gravé en moi. Sur le plan de la narration, c'est un incontournable qui a marqué des générations et qui influence encore beaucoup d'auteurs, moi compris.
Pour ce qui est des auteurs, il y a Yukinobu Hoshino, un très grand mangaka de science-fiction, qui m'a fortement influencé pour sa façon grandiose de raconter des aventures amples et folles.
De quelle manière pensez-vous que votre travail dans la publicité, pour lesquels vous avez gagné plusieurs prix créatifs, a pu influencer, nourrir votre travail de créateur de mangas/manhuas ?
A chaque fois que l'on me pose cette question, j'ai du mal à donner une réponse claire et définitive, d'autant plus que pendant mes premières années en tant qu'auteur je tâtonnais beaucoup pour me réapproprier les codes du manga.
En réalité, la publicité et le manga/manhua sont deux mondes tellement différents que j'ai des difficultés à déterminer les influences que l'un peut avoir sur l'autre.
C'est finalement au bout de quelques années en tant qu'auteur que je me suis aperçu d'un point commun : la valeur qu'a la créativité dans les deux, et la manière dont on doit mettre en avant cette valeur créative.
Souvent, dans la publicité on va chercher une phrase d'accroche, une punchline où il faut réussir à résumer l'idée en une seule phrase qui doit être à la fois simple et accrocheuse. J'essaie de procéder de la même manière pour mes séries en mettant une idée au cœur du récit. Par exemple, pour Yan, l'idée centrale était « Une danseuse de l'Opéra de Pékin qui devient une super-héroïne ». A partir du moment où j'ai trouvé cette idée suffisamment forte et se tenant par elle-même, j'ai commencé à créer l'histoire autour.
Restons justement sur Yan. Dans cette série on retrouve notamment les notions de mystère et de vengeance, qu'on voit régulièrement dans vos œuvres. En quoi ces sujets vous plaisent tant ?
C'est vrai que la vengeance est un sujet récurrent dans mes œuvres, surtout dans Oldman où c'est vraiment un élément crucial. Mais à chaque fois, je tâche d'aborder la vengeance sous un aspect différent.
Concernant le mystère, j'aime jouer sur les contrastes des personnages. Par exemple dans Yan, le personnage de Mirai, au départ énigmatique, a le pouvoir de lire l'avenir des cinq prochaines minutes, mais à côté de ça elle est complètement nulle en combat/arts martiaux, donc ça remet un peu la balance au milieu. Et dans Oldman, il y a une divinité qui, de par sa nature, devrait être toute-puissante, sauf que quand elle apparaît elle n'a ni pieds ni mains. C'est en jouant sur ces contrastes extrêmes que je vais pouvoir amplifier le parfum de mystère autour de ces personnages, et attiser la curiosité du lecteur pour lui donner envie de découvrir pourquoi ils sont comme ça.
La série Yan brille souvent par ses chorégraphies dans certains duels. Comment les avez-vous élaborées ? Y a-t-il eu une documentation pour ça ?
Je ne peux peux évidemment pas dire que les films, notamment ceux d'arts martiaux, n'ont eu aucune influence sur moi. Quand je dessine ces scènes de combat, je puise dans énormément de références cinématographiques et photographiques.
Je ne peux par contre vous en citer aucune en particulier, car il s'agit vraiment d'un tout.
Parlons désormais de Baby, une série qui arrive en France chez Glénat en ce mois d'avril. On sait que même si cette série a été la troisième de votre carrière après X Girl et Stanle, en réalité vous en aviez fait des ébauches avant même de devenir mangaka. Qu'est ce qui vous a alors motivé à faire renaître de leurs cendres l'héroïne Elisa et cet univers ?
Baby est une œuvre qui professionnellement a démarré en 2008, mais qui a germé en mois des années avant. C'est une série très importante pour moi, car je pense que c'est avec elle que j'ai vraiment commencé à comprendre ce qu'est un manhua et que j'ai définitivement forgé mon style. On peut dire qu'il y a un avant Baby et un après Baby dans ma carrière. L'oeuvre marque un tournant dans mon historique créatif.
C'est également une série de haute valeur à mes yeux car elle a réellement initié le début de ma carrière d'auteur. Avant de devenir auteur j'en avait fait le storyboard que j'avais accroché sur mon mur. J'ai d'emblée essayé de me lancer avec cette série, mais les deux premières fois ont échoué en aboutissant finalement aux projets X Girl et Stanle, et c'est à la troisième fois que j'ai enfin pu mener mon idée à bien. Ca aura mis beaucoup de temps ! Quelque part, j'aime me dire que c'est une divinité qui n'a pas voulu me laisser commencer ma carrière avec cette histoire-là car je n'étais pas encore prêt à l'époque.
En prime, pendant la confection de Baby j'ai connu de grosses difficultés économiques, et j'ai mis cinq ans à dessiner cette histoire du début à la fin. J'ai donc dû me battre sur plusieurs plans pour la mener à bien, et c'est aussi pour ça que cette œuvre est si importante pour moi.
Graphiquement la série impressionne sur deux points à mes yeux : ses designs mécaniques variés et travaillés pour les Organos, et des angles de vue très photographiques et cinématographiques, notamment les vues aériennes sur les hélicoptères dès le début. Comment travaillez-vous ces aspects ?
Il y a trois choses que j'aime passionnément depuis que je suis petit : les mangas, les comics, et les films. Si je disais que je n'avais reçu aucune influence de ces trois choses, je mentirais totalement.
Il y a beaucoup de classiques du cinéma que j'adore, donc il y a tout naturellement une influence de ceux-ci dans mes mises en scène.
Et à cette influence cinématographique, je souhaite ajouter une sorte de combinaison entre le manga et le comics au niveau du découpage, de la rythmique et de l'action. Plus précisément, je veux utiliser la narration du manga et la dynamique du comics.
Enfin, une autre marque de fabrique de toutes vos séries, ce sont les héroïnes à la fois très sexy et très badass. En quoi cet archétype féminin vous plaît tant ?
Je vais être franc et très simple dans ma réponse : c'est juste que j'aime dessiner des belles femmes, et que cet archétype correspond à mon idéal !
Interview réalisée par Koiwai. Un grand merci à Chang Sheng, à son interprète, et à Oscar Deveughele des éditions Glénat pour la mise en place de cette rencontre.
De naflo [1230 Pts], le 03 Avril 2025 à 11h24
Merci pour cette courte interview !
J'apprécie beaucoup le trait de Chang Sheng au point de m'être procuré toute ses oeuvres.
Il y a un point interressant lorsqu'on parcours la bibliographie de l'auteur, c'est cette volonté de vouloir raconter cette histoire qui lui trotte dans la tête mais qu'il n'arrive jamais à matérialiser.
Je trouve beaucoup de ressemblance dans la plupart de ses oeuvre où il tweek ses thèmes favoris : la manipulation du temps, la jeunesse ou la recherche de force/pouvoir, la rédemption du héros
et ses personnages :
une équipe composé d'une héroine avec des pouvoirs,
une héroine mécanique,
un personnage jeune qui lit l'avenir,
un personnage souvent masculin qui manipule le temps et un personnage expérimenté.
Ainsi j'ai parfois eu l'impression que ce "recyclage", pourrait être la recherche de materialiser cette histoire et Yan pourrait en être. l'aboutissement quand Oldman, Baby, Stanle et X-gil étaient les labos. de recherche.
Je n'évoque pas Nine lives man qui est dans ma pile à lire et qui je n'en doute pas apportera son lot d'élémént dans la recette de Chang Sheng.
Ses graphismes sont exceptionnel et ses histoires manque de consistance bien qu'elles se lisent facilement.