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Manga Rencontre avec Yûna Hirasawa, autrice de Terrarium, Luca : Vétérinaire draconique et Devenir enfin moi-même

Samedi, 15 Février 2025 à 17h00 - Source :Rubrique interviews

Nous sommes en juin 2021 quand les librairies francophones accueillent le premier tome de Terrarium, véritable conte philosophique de science fiction narré par une certaine Yûna Hirasawa, mangaka qui nous étaient inconnue jusqu'à présent. Publié aux éditions Glénat, le récit nous marque par sa poésie et par le style appuyé de son artiste qui nous captive et nous envoutent. Fidèle à sa politique d'auteur, l'éditeur grenoblois ramène l'autrice sur le devant de la scène en avril 2024 avec deux titres en simultanée. Luca : Vétérinaire draconique nous permet de redécouvrir Yûna Hirasawa dans un autre registre, mais via une histoire toujours riche et teintée d'émotion. Et dans Devenir enfin moi-même, qui est en réalité son premier manga professionnellement édité, l'artiste, femme transgenre, aborde son histoire personnelle liée à sa réassignation de genre, dans un ouvrage instructif, intime et même parfois humoristique. Trois œuvres totalement différentes les unes des autres, donc, qui nourrissent autant de facette d'une mangaka qui s'est vite imposée aux éditions Glénat.


En fin d'année 2024, à l'approche du dernier mois de l'année, le Toulouse Game Show a accueilli Yûna Hirasawa qui, pour la toute première fois, rencontrait son lectorat français. Une étape sans doute importante de sa carrière puisque l'artiste nourrit une certaine attache à l'Hexagone, et apprend même la langue française en autodidacte. Si la rédaction n'a malheureusement pas pu se rendre sur le salon, les éditions Glénat nous ont fait l'honneur d'un entretien à distance avec la mangaka. Aujourd'hui, nous avons le plaisir et l'honneur de vous partager cette interview épistolaire.


  


Bonjour Yuna Hirasawa, et merci de nous accorder cette interview. Pour commencer, nous aimerions aborder l'amorce de votre carrière. Comment vous est venue l'envie de devenir autrice de mangas ? Certaines œuvres ou certains artistes vous ont-ils poussés vers la voie du dessin ?


Yuna Hirasawa : Bonjour. Merci à vous. J’ai toujours souhaité devenir mangaka. Lorsque j’étais à l’école maternelle, je créais déjà des kamishibai (théâtres illustrés) pour ma famille, qui m’en félicitait ! Je savais donc à quel point il était amusant de raconter des histoires grâce à des images ! Dès que j’ai découvert les mangas, j’ai commencé à dessiner dans mes carnets. Mais pendant longtemps, j’aspirais à devenir mangaka sans vraiment m’y atteler. Je pensais qu’il ne me serait jamais possible d’y parvenir, d’autant que beaucoup d’adultes autour de moi me répétaient qu’intégrer une bonne université et ensuite une bonne entreprise était la meilleure voie pour trouver le bonheur

Mais en grandissant, j’ai réalisé qu’en dépit de ce que les adultes m’avaient certifié, je n’étais pas très heureuse. J’ai donc décidé d’écouter mon cœur, et c’est comme ça que j’ai décidé de me lancer !


Je ne sais pas si on peut dire qu’il y a une œuvre qui m’a donnée envie de devenir mangaka… mais les films d’animation du Studio Ghibli ont été une porte d’entrée dans ce monde. A l’époque, ces films n’étaient pas aussi populaires qu’aujourd’hui, mais mes parents m’en ont montré beaucoup ! J’ai aussi eu accès à des films d’animation Disney, ainsi qu’à des livres d’images ou de littérature jeunesse d’autres pays. Ce sont probablement ces œuvres qui m’ont permis de découvrir l’imaginaire, et qui ont constitué les bases de ma carrière de mangaka.



KAGITSUKI TERRARIUM © 2019 Yuna Hirasawa / FlexComix Inc.


"Devenir enfin moi-même" est votre première série professionnellement publiée. C'est un manga très personnel puisque vous y mettez en scène le parcours de votre réassignation sexuelle, le tout de manière didactique en expliquant la notion de transidentité. Comment est né ce manga ? Est-ce vous qui avez soumis le projet à la rédaction du Morning ou, à l'inverse, est-ce le magazine qui vous a soumis l'idée de raconter votre histoire en manga ?


Yuna Hirasawa : Il s’agit d’abord d’un manga que j’ai dessiné pendant mon séjour à l’hôpital, pour mes archives personnelles. A l’époque, j’aspirais déjà à devenir mangaka, et j’avais donc décidé que si je devais raconter cette expérience, ce serait sous la forme d’un manga. Après mon retour au Japon, je l’ai montré à un responsable éditorial, qui m’a suggéré de détailler davantage de mon histoire pour en faire un volume. J’ai eu quelques hésitations, mais j’étais prête à suivre tous les conseils qu’on pouvait me donner.



Le manga a beau être court, il est particulièrement touchant. Quelles furent les complexités dans la manière de mettre en image votre histoire ?


Yuna Hirasawa : Je vous remercie ! Comme souvent dans les manga autobiographiques (essais), il faut attentivement sélectionner ce qu’on ne dessine pas. La fiction n’a pas d’autre point de départ que l’imagination, alors que le manga « essai » parle d’expériences réelles. Si l’on fait un manga qui reprend tel quel les faits, elle ne sera pas très intéressante et sera difficile à lire, donc même s’il y des éléments que vous souhaitez transmettre, il ne faut pas hésiter à les couper s’ils ne sont pas divertissants, encore plus dans le cas d’une non-fiction.


En outre, je me souviens que pour Devenir enfin moi-même, je devais être particulièrement attentive à ce que je n’allais pas dessiner, en raison de la thématique du manga. Je ne souhaitais pas apporter de réponse, ni émettre la moindre requête. Je voulais simplement proposer une étude de cas que les lecteurs soient capables d’apprécier, et leur offrir un nouveau point de vue sur ce qu’on appelle « la normalité », qu’ils soient ensuite capables d’appliquer à leur propre vie. La tâche fut très difficile.

Une fois que j’ai dit ça, c’était mon premier manga sérialisé, en rythme hebdomadaire, donc tout était difficile pour moi à ce moment-là !


 
© Yuna Hirasawa / Kodansha Ltd.

Dans une interview donnée à l'éditeur Glénat, vous parlez du regard sur les personnes LGBTQIA+ au Japon. Aussi, lors de la prépublication de "Devenir enfin moi-même", avez-vous reçu des retours compréhensifs et positifs autour de votre œuvre ?


Yûna Hirasawa : Au départ, je craignais de faire face à une certaine colère à la publication de ce manga, mais je me souviens que les lecteurs japonais l’ont accueilli plutôt positivement ! Que ce soient des personnes concernées, ou d’autres qui ne l’étaient pas. Certains m’ont dit qu’il était parfois compliqué d’aborder la transition de genre et la chirurgie de réassignation sexuelle avec leurs proches (je pensais la même chose), et j’ai été marquée par ceux qui m’ont dit qu’offrir un exemplaire de mon livre pouvait permettre d’expliquer tout ce qu’il y avait besoin de savoir sur la question. Bien sûr, je ne peux pas dire qu’il y a eu 0 réaction négative, mais l’accueil global ayant été positif, je pense qu’en fin de compte, c’était une œuvre qui méritait d’être publiée.

Récemment, le Japon fait face à des polémiques issues de méprises sur la communauté LGBTQIA+ et de personnes aux revendications un peu extrêmes. Trois pas en avant, deux pas en arrière… mais petit à petit, j’espère que nous pourrons nous comprendre.



Depuis 2022, vous dessinez "Luca : vétérinaire draconique". Cette fois, vous abordez le genre de la fantasy avec un récit toujours teinté d'une certaine émotion, plutôt que privilégier des aventures épiques et intenses. Est-ce, vous-même, ce type de fantasy que vous aimez le plus ?


Yûna Hirasawa : J’adore le fantastique ! Qu’il s’agisse de SF ou de fantasy, j’aime créer de nouveaux univers ! Imaginer que dans ce monde particulier, il y a des gens comme ci, des coutumes comme ça, des problèmes de ce type etc. C’est très amusant de pouvoir dessiner ces aspects ! L’objectif de Luca, vétérinaire draconique, qui m’a été suggéré par mon responsable éditorial de l’époque, était de dépeindre les thèmes philosophiques abordés dans Terrarium d’une manière plus accessible tout en allant plus en profondeur ! Ainsi la guerre, et les personnes qui en ont souffert, étaient des développements lointains dans Terrarium, alors qu’ils sont au centre de l’histoire dans Luca, vétérinaire draconique.

Sinon, j'aime aussi les aventures épiques, les combats et même les romances !



© Yuna Hirasawa / Kodansha Ltd.


Au Japon, quatre tomes ont déjà été publiés. Avez-vous une vision globale de l'œuvre ? Une idée du point d'arrivée ou des péripéties qui seront développées ?


Yûna Hirasawa : J’étais justement dans le TGV pour me rendre à Toulouse et participer au TGS lorsque j’ai discuté avec mon responsable éditorial de la suite de ma série. Eh bien… je ne peux pas exactement savoir comment ça va se passer tant que je n’ai tout dessiné ! Mais si je réussis à faire ce que je souhaite, je pense qu’il y aura environ 8 tomes. Dans tous les cas, j’espère terminer en moins de 10 !



Dans Terrarium comme dans Luca, vos planches sont toujours denses. Travaillez-vous avec des assistants pour atteindre ce rendu ? Et passez vous beaucoup de temps à vous documenter pour créer les décors, le bestiaire ou les entités mécaniques dans le cas de Terrarium ?


Yûna Hirasawa : Je vous remercie beaucoup. En ce moment, je sollicite régulièrement l’aide d’un assistant. Si cette personne n’est pas disponible ou si la charge de travail est trop importante, je peux aussi demander à quelqu’un d’autre. Mais je travaille essentiellement avec une seule personne.


La conception des décors, du bestiaire et des entités mécaniques requière toujours beaucoup de temps. J’aimerais être plus rapide, mais plus l’on s’intéresse à un sujet, et plus on découvre nos lacunes ! Si je ne m’arrête pas de me documenter en me disant « maintenant ça suffit ! », la journée peut passer sans que je n’aie rien dessiné. J’en appelle donc à votre tolérance si parfois vous vous dites « cette partie-ci est vraiment réaliste mais cette partie-là est un peu bizarre… ».



KAGITSUKI TERRARIUM © 2019 Yuna Hirasawa / FlexComix Inc.


Vous avez dessiné des mangas autobiographiques, historiques, de science-fiction et de fantasy. Y a-t-il un autre genre auquel vous aimeriez vous essayer dans une future série, à l'avenir ?


Yûna Hirasawa : Cette décision a également été prise lors d’une discussion avec mon responsable éditorial dans un café parisien !

La prochaine fois, j’aimerais créer une œuvre de fantasy avec de la vraie magie et des combats (pour pouvoir dessiner sans avoir à consulter des médecins et des vétérinaires ou à regarder des vidéos de chirurgie…).

Mais la publication de ce projet dépendra de ma capacité à dessiner un bon storyboard ! Je ne sais pas combien d’années ça prendra. Si vous remarquez que mon prochain titre n’est pas celui-ci, dites-vous que je n’aurais pas réussi à finaliser un storyboard suffisamment intéressant !


Interview menée par Julian Bocachard. Merci à Yûna Hirasawa pour ses réponses, sa disponibilité et son œuvre. Remerciements aux éditions Glénat, à l'équipe éditoriale manga pour la traduction, et tout particulièrement à Oscar Deveughele pour l'organisation de l'interview.

commentaires

Theodoryna

De Theodoryna [2525 Pts], le 16 Février 2025 à 21h02

Cool !

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