Dvd Découvrez notre interview de Takuya Wada (Violence Jack, Hokuto no Ken, Ring...)
La dernière édition de Japan Expo accueillait à nouveau Takuya Wada, un habitué des salons, bien connu pour ses multiples casquettes qui sont loin de se limiter à l’animation. Très bavard, celui-ci a gentiment accepté de répondre à quelques-unes de nos questions, lors d’une interview que nous vous proposons de découvrir aujourd’hui.
Takuya Wada commence sa carrière en tant qu'animateur après le lycée, en sa lançant directement dans le monde de l'animation professionnelle avec son travail sur Lupin III. Il contribue ensuite, en 1982, à l'adaptation en anime de Space Adventure Cobra. En tant qu'animateur clé, il donnera vie aux dessins du regretté Buichi Terasawa. Puis en 1984, il est directeur d'animation sur la série Hokuto no Ken, qui devient rapidement un incontournable du genre, et participe activement à l'essor des anime en France via sa diffusion sur le club Dorothée. Depuis, il continue dans la voie de l’animation et a travaillé sur des titres récents comme Megalo Box en 2018 ou Zom 100: Bucket List of the Dead en 2023.
Mais son travail est loin de se limiter aux anime : après être parti aux États-Unis, il se forme dans les techniques de maquillages et les effets spéciaux. Là, il a l'occasion de travailler sur le film Guyver: Dark Hero (Guyver La Sentinelle de l'ombre en français). Fort de cette nouvelle expérience et de retour au Japon, il travaillera en tant que directeur artistique maquillage sur des films d'horreur, en débutant avec Parasite Eve de Masayuki Ochiai. Même si la réception de l'œuvre est plutôt mitigée, celle-ci est importante dans l'histoire du boom du cinéma d'horreur au Japon dans les années 1990-2000.En 1998 a lieu l’un des plus grands tours de force de sa carrière puisqu’on lui doit la terrifiante et iconique apparence culte du fantôme Sadako dans Ring. Son travail sur l'aspect du spectre a contribué à faire entrer ce personnage dans le panthéon de l'horreur. Enfin, il continue dans le cinéma par la suite, notamment en tant que réalisateur sur des films tokusatsu comme Jushin Thunder Liger: Fist of Thunder et Yajuu Densetsu: Dragon Blue.
Takuya Wada, merci d’avoir accepté cette interview. Au départ, qu'est-ce qui vous a attiré vers le milieu de l'animation ? Des œuvres ou artistes du milieu ont-ils forgé cette envie ?
Takuya Wada : Au départ, quand j’étais jeune et que je regardais des animes et des séries live de type tokusatsu, je n’avais pas en tête l’idée de devenir animateur, et pour tout vous dire je ne l’ai jamais eue. Par contre, ce que j’envisageais déjà, c’était de devenir réalisateur.
Du coup, comment vous êtes-vous retrouvé dans le milieu de l’animation ?
Je viens d’une époque où il n’y a avait pas d’internet, pas d’ordinateurs, pas de SMS… On n’avait même pas de quoi enregistrer des programmes. Le seul moyen pour moi d’avoir des informations, c’était via les livres. Je lisais donc beaucoup de choses sur le milieu du cinéma, celui de l’animation… et j’ai eu un intérêt grandissant pour l’animation à travers des articles.
Je dois tout de même préciser que, vraiment, l’animation n’était pas un but. J’étais curieux de plein de choses. Par exemple, comme je vous l’ai déjà dit je regardais aussi beaucoup de tokusatsu, des séries comme Kamen Rider et Ultraman, et je me demandais constamment comment pouvaient-être fabriqués les masques et les costumes de ces séries. Je me souviens avoir alors cherché, dans l’annuaire téléphonique des professionnels, le nom de l’entreprise qui fabriquait ces costumes, nom que j’avais trouvé en regardant les crédit des génériques. Je n’étais que collégien à cette époque, et la personne que j’ai eue au téléphone m’a gentiment proposé de venir voir leur entreprise. J’ai pu observer tous les masques de Kamen Rider, et on m’a expliqué comment ils étaient conçus. Ce moment précieux a été, en quelque sorte, ma première expérience avec l’art télévisuel et cinématographique. J’étais encore loin de l’animation !
On sait que, plus tard, aux Etats-Unis, vous avez suivi une formation dans les techniques de maquillages et les effets spéciaux puis avez pu travailler dans ce domaine sur Guyver: Dark Hero, Parasite Eve... Pensez-vous que votre intérêt pour les masques et ce type de choses à nourri cette envie ?
Je ne pense pas que ce soit vraiment lié. C’est plutôt un tout : j’ai juste ressenti, à un moment, le besoin d’ajouter cette corde à mon arc. Personnellement, je ne fais pas de différences dans la manière de concevoir, réaliser ou mettre en scène un film ou un anime. Pour moi, c’est la même démarche intellectuelle et artistique en animation comme en prises de vue réelles.
D’ailleurs, à partir de cette démarche, je regardais des animes en m’intéressant surtout à la façon dont ils pouvaient être fabriqués. Alors, là aussi à l’époque où j’étais collégien, j’ai téléphoné à Tokyo Movie Shinsha (TMS), et une nouvelle fois je suis tombé sur une personne qui m’a permis d’aller voir dans l’entreprise les différentes étapes de fabrication et de développement d’un dessin animé. Je me souviens surtout avoir pu regarder un directeur de l’animation en train de corriger des dessins, et j’ai été subjugué par son niveau. Je me souviens que dans mon enfance mes copains me disaient que je dessinais très bien, mais là, quand j’ai vu ce directeur de l’animation à l’oeuvre, je me suis pris un coup de massue sur la tête.
Plus tôt, vous parliez de votre intérêt pour la réalisation, un poste que vous avez notamment pu essayer sur « Hell's Wind », la 3e OAV d’une œuvre où vous avez tenu plusieurs rôles : les OAV de Violence Jack, où vous avez également pu être scénariste, storyboarder, character designer, directeur de l'animation... Que représente cette œuvre pour vous ?
Maître Go Nagai m’avait bien expliqué, à l’époque, qu’il faisait une grosse différence entre manga et animation. Il considère toujours chaque projet à-part, et ne veut jamais faire de bêtes et simples adaptation fidèles, si bien qu’il m’a laissé carte blanche sur la manière dont j’allais reprendre à ma sauce Jack.
J’ai alors travaillé sur Violence Jack : Hell’s Wind avec une volonté de rester fidèle à l’histoire de fond de l’oeuvre d’origine, tout en y mettant ma vision de l’oeuvre. Je montrais régulièrement mes avancées à Go Nagai qui me disais souvent que ça lui allait très bien. Et quand l’anime a fini par sortir, il l’a regardée et m’a dit que, selon lui, cette vision de Jack est tout à fait valable.
Hell’s Wind est vraiment un travail qui reste très cher à mon coeur, car j’y ai tenu quasiment tous les postes principaux à moi tout seul. Et je pense que travailler avec Go Nagai a été une chance, car sa manière de nous laisser libres de réinterpréter ses personnages est très stimulante sur le plan créatif.
Quels challenges avez-vous pu rencontrer dessus, au vu de la nature très sombre et violente de Violence Jack et du style d'origine de Go Nagai ?
Tout d’abord, j’aimerais préciser que, pour les scènes d’action et de violence, je me suis inspiré des films américains de splatter de l’époque, comme Massacre à la tronçonneuse.
Pour moi, le plus gros challenge, notamment dans Hell’s Wind, concernait la mise en scène. Comme je vous l’ai dit précédemment, je ne fais pas de différence entre la mise en scène d’un anime et celle d’un film : il faut soit diriger des personnages, soit diriger des dessins de personnages. Aujourd’hui, les animes se concentrent beaucoup plus sur le visuel du héros, parfois au détriment de l’histoire. Or, moi, ce que je voulais dans mes œuvres, c’était que la personne qui les regarde apprenne quelque chose sur la vie, que ce soit par la mort, par la violence, par la faim, par la joie... Même si, pour ça, Violence Jack est un mauvais exemple car c’est un anime qui est plus destiné aux adultes.
Par exemple, regardons des héros comme Mad Max ou Ken de Hokuto no Ken/Ken le survivant : dans ces univers-là, il y a toujours une personne qui va montrer quelle est la voie à suivre, et qui a donc des choses à transmettre sur la vie. A partir de là, il est passionnant de voir comment ce personnage et son entourage vont évoluer. Et c’est exactement ce que je voulais montrer dans Violence Jack : une sorte de quête initiatique.
Ces dernières années, vous continuez toujours de travailler dans l'animation sur des titres récents, par exemple Megalo Box en 2018 ou Zom 100: Bucket List of the Dead en 2023. Vous avez ainsi traversé beaucoup d'années et d'évolutions de l'animation, la révolution numérique en tête bien sûr. Que pensez-vous du travail dans l'animation aujourd'hui, par rapport à ce que vous avez connu dans les années 80-90 ?
Autrefois, quand je travaillais sur des animes et des films, tout était en analogique. Ensuite, quand j’ai terminé la période où je travaillais beaucoup sur des films live, je suis revenu dans le milieu de l’animation qui était alors passé au numérique. C’était une grosse évolution à l’époque.
Je dirais que le plus dommage dans cette évolution, c’est que les moins vieilles personnes travaillant aujourd’hui dans l’animation n’ont jamais connu le dessin « traditionnel » sur papier, si bien que le niveau baisse, tout simplement car l’ordinateur va corriger leurs erreurs. Ils n’ont donc pas besoin de tout faire correctement car il y a cette correction automatique. Quand je vois de jeunes animateurs de cette nouvelle génération s’essayer à du dessin sur papier, généralement ce n’est pas propre, les traits sont plus hésitants et bruts, c’est moins artistique et moins personnel… Je pense que, même si l’ordinateur est un bon outil, la manière dont il est utilisé actuellement dans le milieu de l’animation est néfaste et tire les animateurs vers le bas.
Je peux le dire ouvertement : ces dernières années, le niveau des animateurs a fortement baissé. Si je devais donner un conseil à des animateurs débutants, c’est que l’on peut toujours apprendre le dessin par ordinateur plus tard. Au début,prenez des photos, apprenez à dessiner sur du papier, forgez-vous votre propre style. Et une fois que c’est fait, vous pourrez vous mettre au dessin par ordinateur. Devenez quelqu’un qui contrôle l’ordinateur, et pas quelqu’un qui est contrôlé par l’ordinateur. Ressentez ce que vous dessinez avec les yeux, les mains, le coeur… et votre style s’affirmera.
Interview menée par Koiwai. Un grand merci à Takuya Wada, à Pierre Giner en sa qualité d’interprète, et au staff de Japan Expo.
De fringale, le 30 Décembre 2024 à 00h03
Très intéressant 👌