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Manga Interview de Yûgo Kobayashi, l'auteur d'Ao Ashi

Vendredi, 25 Octobre 2024 à 18h00 - Source :Rubrique interviews

Parmi les auteurs présents pour l'édition 2024 de Japan Expo, Yûgo Kobayashi était particulièrement attendu en plus d'être la tête d'affiche des festivités des éditions Mangetsu. Il faut dire qu'Ao Ashi est devenu l'une des séries-fleuves de la maison rattachée à Bragelonne, qui a soufflé sa troisième bougie cette année. L'œuvre de Yûgo Kobayashi est d'autant plus marquante qu'elle est aussi passionnante grâce à son parti-pris de s'orienter vers les clubs de J. League plutôt que développer le football lycéen, et aborde ses personnages avec une dimension crédible et une richesse de développement inouïe. Au fil des opus, le manga est devenu addictif et a de quoi donner le goût du foot aux plus réfractaires à ce sport, ce grâce à ses focus clairs et passionnants sur la technique et la stratégie qui s'opèrent lors des matchs.



AOASHI © 2015 Yugo KOBAYASHI / SHOGAKUKAN

Pendant plusieurs jours, le mangaka a rencontré ses lecteurs au cours de séances de dédicace très sélectives et dans un cadre intimiste, ce pour garantir son anonymat en plus de permettre aux heureux détenteurs de tickets gagnants de passer un moment privilégié face à l'artiste. Il semblerait que Yûgo Kobayashi ait tant apprécié les échanges avec ses lecteurs que le nombre de tickets de dédicaces a été revu à la hausse pour les jours suivants.


Le 14 juillet clôturait cette édition du festival. En termes de football, c'était aussi le jour de la confrontation entre l'Espagne et l'Angleterre dans le cadre de l'Euro 2024. Y avait-il meilleur timing pour rencontrer l'artiste au cours d'un entretien précieux ? Nous étions quatre médias réunis pour une interview avec Yûgo Kobayashi. En compagnie de nos confrères Mathieu Pinon (Otaku Manga), Tatiana Chedebois (Journal du Japon) et Bruno De la Cruz (Animeland), nous avons eu l'opportunité de poser nos questions au mangaka. Aujourd'hui, nous vous proposons la retranscription des mots que nous avons pu échanger.



AOASHI © 2015 Yugo KOBAYASHI / SHOGAKUKAN


Otaku Manga : Le plus souvent, les mangas de sport, et notamment de sport collectif comme le football, sont destinés à un public adolescent. Pourquoi avoir choisi de parler de football dans un magazine seinen ? Que vous apporte la possibilité de vous adresser à un lectorat plus adulte ?


Yûgo Kobayashi : C'est vrai que jusqu'à maintenant, quand on parlait de manga de football, il s'agissait d'histoires se déroulant dans des clubs lycéens. Jamais les académies de J. League n'avaient été abordées. Parce que personne ne l'avait fait jusqu'à présent, l'éditeur en chef adjoint du Big Comic Spirits s'est intéressé à ce sujet et me l'a proposé. Mais je ne sais pas si c'est lié au fait qu'il s'agit d'un magazine seinen plutôt que shônen.


Otaku Manga : Votre carrière est intéressante, car à l'âge de 24 ans, vous avez quitté votre emploi pour devenir mangaka. Qu'est-ce qui a motivé cette décision ? En règle général, ce sont des artistes très jeunes qui deviennent auteurs de manga et qui, quand ils n'y arrivent pas, reprennent un travail alimentaire. Mais vous avez fait complètement l'inverse.


Yûgo Kobayashi : J'aimerais pouvoir vous raconter une belle histoire, mais ce n'est pas possible. Depuis longtemps, j'avais l'envie de devenir mangaka, mais je n'en avais pas le courage. J'ai commencé par mener une vie ordinaire en choisissant un métier sans trop réfléchir. Mais petit à petit, un sentiment d'urgence s'accumulait en moi, je prenais de plus en plus conscience que je ne pouvais pas continuer ainsi. Un jour, ce sentiment a juste explosé. Ça pouvait paraître irréaliste, mais plutôt que ma vie se termine sans que je me sois lancé ce défi, je voulais au moins tenter l'expérience. C'est pourquoi j'ai enfin osé me lancer dans cette carrière.


Par ailleurs, de nombreux mangaka débutent immédiatement après le lycée. Ce sont souvent des auteurs qui ont beaucoup de talent, mais qui manquent peut-être d'expérience. On peut parfois trouver chez ces artistes un manque de profondeur. Mais je ne dis pas ça parce que je suis mauvais perdant !



AOASHI © 2015 Yugo KOBAYASHI / SHOGAKUKAN


Journal du Japon : Aimez-vous la musique ? Qu'écoutez-vous de particulier quand vous dessinez ?


Yûgo Kobayashi : Quand je mets de la musique, c'est toujours du jazz. Ce n'est pas parce que j'aime particulièrement ce genre plus qu'un autre, c'est simplement qu'il n'y a pas de chant. Ça me permet de me concentrer. C'est l'équilibre idéal entre le trop silencieux et le trop animé.


Il m'arrive aussi de mettre la télévision en fond sonore, mais seulement quand mes assistants sont présents. Quand on est tous réunis pour travailler, l'ambiance est trop calme, et ça me gêne. Mettre la télévision nous permet de bavarder et plaisanter en travaillant.


Journal du Japon : On confie rarement un spin-off au mangaka principal d'une série. Pourquoi avoir fait ce choix pour Ao Ashi : Brother Foot ? Comment trouvez-vous le temps de tout faire ?


Yûgo Kobayashi : Assez rapidement après avoir commencé Ao Ashi, j'ai pensé à réaliser un spin-off autour du personnage de Shun. La condition était que ma série rencontre le succès. Comme j'ai réussi à le dessiner, cela signifie que Ao Ashi connaît un succès stable.


Je pense être un mangaka rapide, que ce soit au niveau de la conception de l'histoire ou du dessin. Ainsi, même si je dois dessiner une série en hebdomadaire, j'ai de l'avance sur mes rendus et mon temps libre s'accumule. Je suis libre d'utiliser ce temps comme je le veux, et je pourrais très bien en profiter pour m'amuser. Mais comme j'ai très peu de hobbys, je profite de ces disponibilités pour dessiner d'autres mangas. C'est comme ça que j'ai accumulé plusieurs œuvres en cours.



AOASHI BROTHERFOOT © 2021 Yugo KOBAYASHI / SHOGAKUKAN


Manga News : Ao Ashi regorge de détails techniques rendus de manière très claire dans l'intrigue, au point d'être une vraie initiation au football pour des lecteurs néophytes. La série présente les stratégies des équipes tout en référençant des joueurs réellement connus. Ce rendu vous demande-t-il une documentation particulière ?


Yûgo Kobayashi : Dans Ao Ashi, tout est affaire de documentation et reportages. Je vais à la rencontre de joueurs pour recueillir leurs mots de la manière la plus directe possible afin d'explorer en profondeur leurs personnalités et leurs vécus. Je leur demande quelle enfance ils ont eue, quelle carrière ils ont menée et quelle vie ils ont en dehors du football... Je veux savoir qui ils sont en tant qu'êtres humains. Sans exagérer, c'est ce qui constitue le cœur de ma série.


Comme beaucoup de mangakas, j'ai tendance à énormément imaginer et fantasmer les choses. J'ai la manie de me créer des histoires dans ma tête. Par exemple, je suis face à quatre journalistes, et je ne peux pas m'empêcher d'imaginer la vie qu'ils ont mené pour en arriver là. C'est incontrôlable.


Manga News : Chaque match d'Ao Ashi est une histoire dans l'histoire. Chacun d'eux va aborder un personnage particulier ou une thématique précise. On peut penser à la rencontre face à Funabashi Gakuin qui aborde le racisme dans le football à travers Trepone. Comment imaginez-vous ces rencontres ?


Yûgo Kobayashi : À chaque fois que j'aborde un match, je sais par avance quelle équipe va gagner. En revanche, je n'ai pas décidé du score final. Pour chaque rencontre, il y a différents personnages que je dois aborder et explorer. Il faut aussi que certains enjeux soient résolus au terme d'un match. Je procède par ordre de priorité, mais je ne me dis jamais qu'à tel moment, je dois mettre tel joueur en avant. À chaque chapitre, en fonction de l'avancée de l'histoire, je pense à un personnage, puis à un autre pour l'épisode suivant. Je me pose sans cesse des questions, mais sans me fier à un plan précis.



AOASHI © 2015 Yugo KOBAYASHI / SHOGAKUKAN


Animeland : Comme vous êtes l'auteur d'un manga de football, pouvons-nous avoir quelques mots de votre part concernant l'Euro 2024 qui se joue actuellement ? Quel regard portez-vous sur la compétition ? Certains joueurs ont-ils attiré votre œil ? (ndt : pour rappel, nous étions le jour de la finale Espagne - Angleterre lors de la rencontre)


Yûgo Kobayashi : J'ai trouvé que le match Allemagne - Espagne est arrivé trop tôt, je le regrette. J'aurais aimé le voir plus tard dans la compétition. Concernant l'Espagne, j'ai toujours été fan de l'équipe de Barcelone et de Lamine Yamal. Il est peut-être dommage qu'on l'ait déjà repéré. En ce qui concerne l'Angleterre, j'avais envie de la revoir sur le devant sur la scène. Mais après hésitation, j'ai envie de voir l'Espagne remporter le tournoi, j'espère que vous me pardonnerez. (rires)



Manga News : Les trois séries que nous connaissons de vous sont Ao Ashi, Fermat Kitchen et Short Peace. Elles ont pour point commun leurs protagonistes passionnés d'un domaine précis, respectivement le football, les mathématiques et le cinéma. Êtes-vous attachés à ces profils de héros ? Comment vous est venue la conception de ces protagonistes ?


Yûgo Kobayashi : Au final, les sujets dans mes œuvres n'ont pas tant d'importance que ça. Quels qu'ils soient, je fais en sorte de mettre en avant mes protagonistes. C'est évidemment idéal si c'est un sujet qui m'intéresse, mais le plus important pour moi est de dessiner des personnages qu'on pourrait voir dans la réalité. Si le lecteur se dit qu'un tel héros ne peut pas exister en vrai, j'ai perdu. Mais s'il a la certitude qu'il peut y avoir quelque part un tel personnage, ça suffit à donner du sens à mon travail.



AOASHI © 2015 Yugo KOBAYASHI / SHOGAKUKAN


Animeland : Ao Ashi est prépublié dans le Big Comic Spirits, un magazine historique. Quel est votre regard sur la revue ? Quelle relation entretenez-vous avec les autres auteurs du magazine ?


Yûgo Kobayashi : C'est assez rare pour un mangaka, mais je vis loin de Tokyo. J'ai donc très peu d'occasions de rencontrer les autres auteurs, ce qui est un peu triste. Parmi les auteurs de Spirits, je citerai Jun Mayuzuki, l'autrice d'Après la pluie. C'est une bonne amie, mais je me rends compte que ça fait des années qu'on n'a pas pris de nouvelles l'un de l'autre. On est donc peut-être plus amis, je n'en sais rien... (rires). Dans tous les cas, c'est une artiste qui a beaucoup de talent, et lire ses œuvres me stimule énormément. Si j'habitais à Tokyo, j'aurais peut-être plus d'amis mangakas.


Manga News : Vous nous avez parlé de l'une des particularités d'Ao Ashi, celle d'un manga de football qui aborde les clubs de la J. League. Ça en fait un manga différent des shônens qui se déroulent dans des environnements scolaires, tout en gardant un côté initiatique grâce à la progression d'Ashito. Pouvez-vous nous parler de cette approche, de cet équilibre ?


Yûgo Kobayashi : Pour tout vous dire, j'aimerais dessiner plus de scènes qui se déroulent dans l'environnement scolaire. Mais comme je dois me concentrer sur les matchs, l'intrigue n'avancerait plus si je faisais ça. À titre personnel, je préfère les histoires qui se déroulent au sein des écoles. J'aurais aimer dessiner davantage Ashito en train d'étudier. D'ailleurs, un autre mangaka qui dessinerait Ao Ashi ne traiterait peut-être pas du tout ce qui se passe au lycée. Montrer un minimum de scènes scolaires était mon acte de résistance à moi.



AOASHI © 2015 Yugo KOBAYASHI / SHOGAKUKAN


Interview menée par Julian B, Bruno De La Cruz, Tatiana Chedebois et Mathieu Pinon. Remerciements à Clotide Peneau pour l'organisation de la rencontre, à Sullivan Rouaud pour l'orchestration de l'interview. Remerciements sincères à M. Yûgo Kobayashi pour sa disponibilité ainsi qu'à ses éditeurs de Shôgakukan et à Miyako Slocombe, son interprète.

commentaires

Ysandell

De Ysandell, le 12 Novembre 2024 à 01h03

Je ne suis pas d'accord avec le commentaire de WTFchumi étant grand fan de monsieur Kobayashi j'ai apprécié toutes les questions et réponses 😁 je suis d'accord sur le fait que j'aurais aimé voir ces réponses aussi mais celle que j'ai eu me conviennent tout autant. Comme l'a dit Takato tout les sujets ne peuvent pas être abordé et j'ai pris du plaisir a lire cette interview. Si on apprend des avis de l'auteur ou d'autres choses en général et que l'on prend du plaisir à l'écouter/ lire alors une interview est réussi. Merci à vous de nous avoir partagé celle-ci. Hâte de découvrir ses prochaines œuvres. 

WTFchumi

De WTFchumi [169 Pts], le 26 Octobre 2024 à 00h55

Personne pour lui demander quel serait l'avenir de la série, a-t-il encore beaucoup de chose à raconter ou sommes nous proche de la fin... Personne non plus pour lui demander son avis sur l'adaptation anime de son manga et si une saison 2 est prévu, c'est d'une tristesse...

Takato

De Takato [1977 Pts], le 26 Octobre 2024 à 08h34

Ce qui est d'une tristesse, c'est d'avoir l'opportunité de rencontrer un artiste comme M. Kobayashi, lui poser des questions plutôt variées, travailler longuement une retranscription pour pouvoir la proposer aux fans de ses œuvres puis se retrouver face à ce type de commentaires.

Il faut savoir que nous n'avons pas le temps nécessaire pour lui poser toutes les questions qu'on voudrait, et qu'une sélection des questions est faite en amont. Quant à la question sur la potentielle saison 2 de l'anime, il est évident que ce n'est pas à M. Kobayashi qu'il faut la poser. Ce n'est pas lui le producteur de l'adaptation animée, il n'a pas beaucoup de pouvoir là dessus.

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