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Manga Interview de Sylvain Ferret et Nevan autour de L'Ombre de Moon

Vendredi, 31 Mai 2024 à 18h00 - Source :Rubrique interviews

Dans le paysage des mangas français, encore trop sous-estimé, un one-shot a trouvé place dans les librairies au crépuscule de l'hiver 2024. Ouvrage autosuffisant narrant une histoire de fantasy sur fond d'un propos universel, L'Ombre de Moon est la création de Sylvain Ferret aux côté du dessinateur Nevan, sur une édition de la maison Delcourt/Tonkam. Les deux artistes ont d'ailleurs arpenté les salons afin de rencontrer leur lectorat et honorer la sortie de leur œuvre conjointe, mais c'est à distance que nous eu le privilège de pouvoir nous entretenir avec le binôme. Le temps d'une interview, tous deux reviennent sur leur parcours dans le milieu du 9e art et sur la naissance de L'Ombre de Moon.



© Éditions Delcourt, 2024 — Ferret, Nevan


Sylvain Ferret, vous êtes un auteur de BD ayant embrassé les différents horizons du 9e art, du franco-belge au manga en passant par le comics. Quel est votre historique en tant que lecteur de BD ? Quelles furent vos grandes influences ?


Sylvain Ferret : J’ai grandi dans un petit village de campagne dans le Var. Je n’avais que peu accès à la bande dessinée et mes parents n’en lisaient pas. J’ai eu très tôt l’envie d’en faire, c’est devenu une obsession que je n’explique pas. Je lisais des Lucky Luke chez des amis de ma mère, puis j’ai découvert Dragon Ball en format presse de l’époque. Ensuite, au collège et au lycée, des amis me prêtaient des mangas. Quand j’ai commencé à gagner mes premiers salaires vers 16 ans, je me suis intéressé à la BD franco-belge en commençant par Peter Pan de Loisel. Puis, ayant déménagé à Toulouse, j’ai découvert les librairies spécialisées où j’ai été bien conseillé pour élargir mes horizons et toucher un peu à tout. De Larcenet à Otomo, de David B à Kirkman, ma bibliothèque fait des grands écarts invraisemblables ! (rires)


Vous dites que Tony Valente (Radiant) a été un mentor pour vous. Pouvez-vous nous parler de cette rencontre ? De ce qu’il vous a apporté ?

Sylvain Ferret : J’ai montré mes planches à Tony quand j’avais 16-17 ans, je crois. Mon libraire m’avait conseillé d’aller à la rencontre des auteurices de son atelier. Pendant plusieurs années il m’a fait des retours sur mes planches. Il a été très important dans mon développement en tant qu’auteur. Même si on n’échangeait pas si souvent, savoir qu’il pouvait me répondre ça me permettait de rester motivé. Aujourd’hui on n’est plus trop en contact. Mais quand on se croise, c’est un plaisir, et je suis vraiment heureux de voir le succès qu’il rencontre avec Radiant. Je suis très admiratif de son travail et je lui serai toujours très reconnaissant. Il fait partie des rencontres de ma vie qui m’ont forgées. Plus tard, il y a eu mon meilleur ami Hervé, David Chauvel, mon éditeur actuel, ou Bastien Sanchez un ami auteur et concept-artist.


Sylvain Ferret & Nevan
A gauche, Sylvain Ferret. A droite, Nevan.


Nevan, vous signez votre premier album avec « L’Ombre de Moon ». Quel est votre parcours en tant que lecteur de manga et en tant qu’auteur ?


Nevan : Tout d'abord, je ne suis pas un grand dévoreur de mangas. J'en lis de temps en temps, mais je regarde surtout des films et des séries. En tout cas, j'ai commencé la lecture de manga vers mes 3-4 ans avec Dragon Ball, et j'ai toujours continué à m'y intéresser. Cependant, l'élément déclencheur fut Berserk de Kentaro Miura. C'est à ce moment-là que je me suis rendu compte qu'on pouvait raconter d'avantages de choses au travers du manga. Peu de temps après, j'ai commencé à essayer d'écrire un scénario suivi de quelques planches afin d'envoyer un dossier aux maisons d'édition, ceci pendant 8 ans, jusqu'à la rencontre avec David Chauvel et Sylvain Ferret.



Pouvez-vous nous parler de la naissance de « L’Ombre de Moon » ? Comment vous êtes-vous rencontrés, et comment est né le projet ?


Sylvain Ferret : Je lisais les projets que Nevan envoyait à notre éditeur, David Chauvel, et je lui faisais des retours. Ses scénarios n’étaient pas aboutis, et ses projets n’étaient pas éditables à cause de ça, mais il avait de bonnes bases de dessin et un bon style. Quand il a voulu arrêter, j’ai décidé de lui écrire un scénario. C’était L’Ombre de Moon. On a fait des planches tests, et Delcourt nous a signés.



© Éditions Delcourt, 2024 — Ferret, Nevan


Comment s’est déroulée la collaboration avec les éditions Delcourt/Tonkam ? Ont-elles joué un rôle dans l’aspect créatif, comme le font les tantô au Japon ? Ou aviez-vous carte blanche pour la création du récit ?


Sylvain Ferret : En France, l’éditeur est beaucoup moins interventionniste qu’au Japon. Ce n’est pas le même type de relation, aussi le ou les auteurs sont toujours les derniers décisionnaires, à moins que les choix dépassent le cadre du projet. Nous avons collaboré avec David Chauvel, qui éditait son premier manga avec Delcourt. J’avais déjà travaillé avec lui sur ma première série BD. David est un éditeur honnête et direct qui pousse les auteurs à donner le meilleur d'eux-mêmes. Les retours sont toujours constructifs. Même un désaccord peut amener à une meilleure solution pour un problème scénaristique ou narratif. Il est là en contrôle, c’est un œil externe indispensable, car on a une perception recentrée et subjective quand on créé.


Pour le dessin il y a une règle: Quand une planche est terminée, on ne la fait pas refaire. On ne discute qu’au moment des étapes de construction, et c’est l’auteur qui choisit la limite de son exigence. La BD reste un métier chronophage et difficile, on a tous conscience de ça.



Parlons de l’œuvre en elle-même. « L’Ombre de Moon » peut d’abord dérouter puisque le récit nous propulse directement dans un univers dont nous ne savons rien, aux côtés de héros que nous découvrons. D’ailleurs, à l’instar du lecteur, Moon doit tout découvrir des vérités du monde d’Ombre. Ce point de départ dépaysant était-il une évidence par rapport aux développements de l’intrigue et des thématiques ?


Sylvain Ferret : C’est un peu mon “dada” (je suis une vieille personne) : j’ai une écriture à tiroirs. J’aime que les lecteurices aient un travail de reconstruction à faire et soient plongé.es dans une sorte d’énigme jusqu’à obtenir des révélations. Personnellement, en tant que lecteur, je trouve ça hyper satisfaisant. C'est donc plus un choix narratif personnel.



« L’Ombre de Moon » aborde des sujets liés à chacun d’entre nous. Le regard vers le passé, le deuil et les regrets nous concernent tous. Comment établir le juste équilibre entre cette part thématique de l’œuvre et sa pure dimension action ?


Sylvain Ferret : En dehors de quelques exceptions, je pense que toutes les bonnes œuvres de divertissement ont un fond intéressant. Je voulais faire une sorte de faux shônen en jouant avec les genres et mettre un peu tout ce que j’aime. Je voulais surtout m’amuser et que Nevan s’amuse à dessiner chaque scène, qu’elles soient contemplatives ou plus rythmées. Je suppose que l’action doit être en support des thématiques. Quand j’écris, je pars du sujet, de quelque chose qui me touche et me questionne. Là-dessus, les scénaristes sont toutes et tous différent.es. Mais personnellement, il faut que je retrouve mon sujet partout, que ce soit dans une blague, dans une scène tragique ou dans une grosse baston (rires) L’équilibre est peut-être là. J’avoue que je n'intellectualise pas tout ce que je fais…



© Éditions Delcourt, 2024 — Ferret, Nevan

Comme nous l’avons soulevé, le récit peut se montrer dépaysant de prime abord. Mais aux termes de la l’histoire, celle-ci fait sens, et une relecture peut apporter une vision nouvelle de l’aventure de Moon. Est-ce avec cette idée que vous avez développé l’intrigue et le schéma narratif ?


Sylvain Ferret : Le schéma à tiroirs apporte toujours ce plaisir de relecture, mais ce n’est pas ça qui conditionne mes choix. Comme je le disais précédemment, c’est plus une question de goûts et de mécaniques. Je ne peux pas m’en empêcher. ça vient beaucoup de mes influences.



Nevan, quand vous avez découvert le script, quelles furent vos impressions ? Avez-vous été surpris par ce schéma scénaristique qui sort des sentiers battus ?


Nevan : J'étais agréablement surpris lors de ma première lecture. A vrai dire, je ne connaissais pas le travail de Sylvain avant ça donc je n'avais pas d'attente particulière. Cependant, j'affectionne particulièrement ce type de narration, j'ai l'habitude de retrouver ce schéma scénaristique dans les films et séries. Alors, j'étais forcément à l'aise avec le script de Sylvain.



Comment s’est déroulée la construction du projet ? Sylvain Ferret, avez-vous aussi façonné le storyboard ? Avec-vous eu aussi un rôle à jouer sur l’aspect graphique ? Et vous, Nevan, avez-vous contribué d’une manière ou d’une autre à l’écriture, en suggérant des idées peut-être ?


Sylvain Ferret : Je me suis occupé du storyboard afin que Nevan se concentre sur le dessin principalement, car c’était son premier manga et il devait trouver son rythme. Pour qu’il puisse travailler ses bases, je lui ai fait une sorte de plan d’apprentissage avec des perspectives tracées, des formes géométriques pour les décors, et des corps avec une anatomie fiable, mais sans intention graphique. Je connaissais aussi ses envies, alors j’ai ajouté au scénario des concepts sur lesquels ils pourraient s’amuser, et un monde bac à sable dans lequel il aurait un maximum de liberté.


Nevan : Concernant le scénario, je préférais m'en écarter car je n'avais pas les compétences ni l'expérience pour apporter quelque chose de pertinent, selon moi. Au contraire, j'observais et j'essayais de comprendre les mécaniques scénaristiques qu'utilisait Sylvain.



© Éditions Delcourt, 2024 — Ferret, Nevan

Nevan, comme Sylvain l'a soulevé, il s’agit de votre premier manga, et un manga d’action qui plus est. Quelles furent les difficultés rencontrées sur les plans visuels et narratifs, et sur la composition des planches ?


Nevan : Sur la partie narrative, je n'avais pas trop de soucis à me faire étant donné que Sylvain s'est occupé du storyboard. Par contre, j'ai eu quelques difficultés à trouver mon "style" et être pleinement satisfait de mon travail. J'avais du mal à trouver le juste équilibre entre détails et simplicité. J'ai connu de gros moments de remises en question, de doutes et de vouloir faire mieux. Cela fait partie du métier, je pense. En tout cas je le perçois de cette manière comme étant un travail assez introspectif, où il faut être en capacité de se dépasser.



Maintenant que l’ouvrage est sorti en librairies, quel recul avez-vous sur l’œuvre ?


Sylvain Ferret : On a pris beaucoup de plaisir. C’était ma première collaboration et j’ai adoré n’être que scénariste. J’ai appris plein de choses et c’était gratifiant. En tant que gros lecteur de mangas je ressens une grande fierté d’avoir pu en créer un. Comme dans toutes mes histoires, j’ai parlé de sujets personnels ou qui me touchent. J'ai donc mis beaucoup de cœur en les écrivant, et j’espère que ça se ressentira. Je crois qu’on est simplement très fiers.


Nevan : Je ressens énormément de fierté et je suis ravi d'avoir pu travailler aux côtés de Sylvain. J'ai énormément appris, aussi bien sur le métier qu'humainement. C'est surtout ça que je retiens. Concernant le recul sur la partie graphique, je pense que c'est encore trop tôt pour le dire (rires).



© Éditions Delcourt, 2024 — Ferret, Nevan

Peut-on imaginer voir votre binôme se reformer à l’avenir ? Peut-être avez-vous déjà de nouveaux projets en court ?


Sylvain Ferret : Ah non, je déteste Nevan ! (rires)

Oui oui, on aimerait bien retravailler ensemble, mais nous sommes tous les deux lancés sur des séries assez longues. Pour ma part, j'ai un roman graphique qui sort en fin d’année chez Delcourt : Mémoires de Gris. C'est une tragédie sociale qui se déroule au Moyen-Âge avec un peu de fantasy. Et ensuite, je commence une grande série de space-opéra.


Nevan : C'est mort, Sylvain Ferret est un être abominable ! Plus sérieusement, ce serait avec plaisir mais, malheureusement, nos emplois du temps sur les prochaines années vont être un peu serrés ! Mais qui sait, peut-être nous reviendrons d'ici quelque temps avec une suite ou bien quelque chose de tout nouveau ?


Interview menée par Julian B. Remerciements à Sylvain Ferret et à Nevan pour avoir accepté cette rencontre à distance et pour leurs réponses. Remerciements aux éditions Delcourt/Tonkam, et tout particulièrement à Solène Ubino, pour avoir permis l'interview.

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