Interview d'Eruthoth, l'auteur d'Enfant des Abysses- Actus manga
actualité manga - news illustration

Manga Interview d'Eruthoth, l'auteur d'Enfant des Abysses

Samedi, 17 Juin 2023 à 16h00 - Source :Rubrique interviews

D'abord lancée aux éditions H2T l'année dernière, la série Enfant des Abysses vient finalement de faire son retour chez l'éditeur Nouvelle Hydre, avec la ressortie du tome 1 et la publication simultanée du volume 2. C'est l'occasion pour nous d'enfin vous inviter à découvrir notre interview de son auteur, Eruthoth, faite à Japan Expo 2022, à l'époque où l'oeuvre venait d'être lancée chez H2T.



Bonjour Eruthoth, et merci d'avoir accepté cette interview. En entamant tes études en arts à l’EDAIC à Lyon, tu développes ton univers propre de fantasy en t’inspirant de visuels de Kilian Eng et Moebius. Qu'est-ce qui te marque tant dans le travail de ces artistes ?

Eruthoth : Merci à vous de vous intéresser à mon travail. Ce sont mes professeurs qui m'ont aiguillé. En voyant mon univers et mon travail, à une époque où je me cherchais encore, ils m'ont conseillé des artistes qu'eux-même aimaient, et dans le lot il y en a forcément qui m'ont marqué. Moebius, qui travaillait toujours avec du feutre noir très fin et sans crayon, est devenu une source d'inspiration. Et Kilian Eng, qui m'inspire toujours aujourd'hui pour les décors, car pour moi ses décors sont son point fort.


On peut compter Claymore, Radiant et Seven Deadly Sins dans tes mangas préférés. Qu'est-ce qui te plaît le plus dans ces œuvres ?

Dans l'ordre, c'est d'abord Claymore que j'ai découvert à l'époque du lycée, un peu avant Radiant. Dans Claymore, c'est vraiment le bestiaire, plus que l'univers lui-même, qui m'a marqué, en montrant bien l'imagination de Norihiro Yagi et son désir de pousser loin ses concepts. Radiant a été un coup de coeur: j'adorais le dessin épuré que j'ai d'abord vainement essayé de reproduire dans le tome 1 d'Enfant des Abysses, et c'était la seule histoire où je me disais "c'est parfait, il n'y a aucun défaut", au point que ça m'énervait presque (rires). Tony Valente arrive à dégager beaucoup d'émotion chez ses personnages, en s'inspirant des codes japonais sans les imiter. Quant à Seven Deadly Sins, j'ai découvert ce manga vers la toute fin du lycée et le début de mes études supérieures, et j'ai adoré à la fois l'univers foisonnant, le style graphique, et la narration pouvant alterner entre la légèreté et le sérieux.


Jaquette de la première édition avortée chez H2T.



Comment est née la collaboration avec H2T pour Enfant des Abysses ?

J'étais à la fin de mes études supérieures en 2020, et je préparais mon diplôme qui devait avoir une partie animation et une partie illustrée. Pour la partie illustrée, je faisais justement mon manga, et j'ai alors décidé d'envoyer quelques planches à plusieurs maisons d'édition. Parmi celles-ci, il y avait les éditions Pika, qui ont envoyé mon travail à leur label de créations originales H2T (que je ne connaissais pas encore). H2T m'a répondu environ deux semaines plus tard, je me souviens que c'était pendant le confinement. Très vite, l'éditeur m'a dit être très intéressé, vouloir me soutenir à fond, et c'est comme ça qu'on s'est rencontrés dès l'été 2020 pour signer un premier projet.


Et comment se passe cette collaboration ? L'éditeur t'aiguille-t-il sur certains éléments ou es-tu totalement libre ?

Au tout début, j'avais proposé une première histoire dans le dossier que j'avais envoyé, mais c'est avec l'éditeur qu'on a réfléchi à la façon de la développer pour parvenir à des cycles et à un nombre précis de tomes. On pouvait partir sur deux fois deux tomes, deux tomes tout court... Finalement, on est partis sur trois tomes, et l'éditeur m'a donné plein de petits conseils au début sur des détails, par exemple sur l'orientation du regard d'un personnage. Par la suite, il m'a lâché la bride pour voir comment je me débrouillais.


Enfant des Abysses nous immisce dans un monde teinté de fantasy, voire de dark fantasy aux dimensions mythologiques, qui se montre déjà très riche dès le tome 1. Comment as-tu imaginé cet univers ?

C'est, en quelque sorte, un recueil de tout ce que j'ai déjà récolté et imaginé moi-même pendant mes études. Au moment de dessiner Enfant des Abysses, toutes mes idées sont ressorties en même temps, et il a fallu en sélectionner quelques-unes. J'avais un gros carnet de croquis où je dessinais tout et n'importe quoi, dont les monstres que j'adore.




Tu as fait le choix d'offrir un début de série extrêmement bavard. On sent que tu veux installer en profondeur ton univers en dépeignant en détails le contexte passé, présent et mythologique de cet univers qui, dès lors, apparaît assez dense. Pourquoi as-tu choisi de mettre en place les choses de cette manière quelque part très littéraire ?

Ca m'aurait dérangé de commencer la série en faisant comme les autres, de façon lambda. Et en même temps, vu que j'étais un auteur novice et que je ne savais pas quel résultat ça allait donner, il fallait savoir doser, et moi je ne savais pas. Je ne me suis pas rendu compte de la quantité astronomique de textes qui allaient devoir s'empiler, et moi ça ne me dérangeait pas au départ. Après, l'éditeur m'a fait comprendre qu'il fallait un peu me limiter, mais au final j'assume ce choix. Même si je devais le refaire aujourd'hui, je le ferais de la même façon. J'avoue que personnellement, j'ai déjà été déçu par des mangas où des doubles-pages se lisent en deux secondes parce qu'elles racontent quelque chose qui pourrait tenir en une petite case. C'est l'antithèse de ce que je voulais faire, à savoir des pages riches, qui se parcourent pendant longtemps, avec plein de détails à chercher.


Une chose marquante dans le début de la série est la distance qui existe entre Kineke et son foyer natal. Pourquoi ce choix ? Qu'est ce qui t'attirait dans cette idée ?

Je n'avais pas tout de précisément écrit à la lettre au départ. J'improvisais 3-4 chapitres à l'avance, même si je savais ce qui allait se passer à la fin du tome. En revanche, dès le début, je savais déjà d'où venait Kineke et où elle allait finir. C'est une jeune fille qui devait d'abord appartenir à une société mais en être rejetée. Ce choix bien défini, j'ai essayé de le faire le plus explicite possible, pour ensuite vraiment justifier l'intrigue: pourquoi on l'abandonne, pourquoi il y a ce détachement vis-à-vis d'elle, et pourquoi cette société est comme ça.


Dans la postface du tome 1 tu dis que Kineke est le premier personnage que tu as créé. Comment l'as tu imaginée ?

Elle était très différente au départ. Elle était déjà adulte quand j'ai imaginé ce concept, et c'est ce concept-là qui est le point de départ de l'histoire. Il lui fallait une origine, presque une biographie, et il fallait qu'elle arrive à un point où elle finissait par ressembler à mon concept initial. C'est l'éditeur qui m'a aiguillé pour ralentir un peu le rythme, pour laisser le temps de la découvrir quand elle est enfant afin que le lectorat s'identifie mieux à elle.




Quelles ont été tes influences pour imaginer des idées et concepts comme les Priosths, les Noxis, les Accipus, le sanctuaire Obarakataï ?

Tous ces noms sont presque des improvisations, je n'ai pas cherché à faire de références, ils proviennent juste de mon imagination. Quant à l'inspiration pour ces concepts, elle vient du désir que tout colle bien à l'histoire de Kineke. Certaines choses ont évolué au fil du temps pendant la conception, par exemple au début j'imaginais qu'il y aurait plus de dieux et d'autres factions, mais au final j'ai voulu épurer des choses et en développer d'autres pour que l'univers marche en fonction de mon héroïne.


Comment travailles-tu les designs des monstres ? Y a-t-il des inspirations particulières, en plus de Claymore ?

Il y a des sites internet. Pinterest est une source d'inspiration presque trop grande. Il suffit de jeter un coup d'oeil pour avoir une idée, une inspiration afin d'ensuite créer soi-même ses propres monstres. Par exemple, le dieu qui recueille Kineke, c'était parti d'un dessin innocent que j'avais fait au tout début de mes études artistiques,  j'avais aimé le concept de son visage, et je l'avais gardé dans ma pochette.


Comment as-tu imaginé les designs des vêtements et des décors, qui participent bien à l'ambiance sombre et un peu mystique ?

Je me suis inspiré de mangas comme Bride Stories et L'Atelier des Sorciers, qui donnent l'impression de montrer des sociétés hors du temps, et où l'on peut alors se permettre de créer des vêtements avec beaucoup de motifs comme dans Brides Stories, et originaux comme dans L'Atelier des Sorciers. J'essaie toutefois de ne pas faire des choses trop complexes, car sinon la dure réalité nous rattrape: on a vite fait d'oublier de dessiner des petits détails qui étaient présents au départ.


https://www.manga-news.com/public/2023/news_06/eruthoth-dessin.jpg



Quels outils utilises-tu pour dessiner ?

Je préfère le manuel, les crayons. J'ai déjà expérimenté le numérique mais j'aime beaucoup moins. Ca me fatigue plus, je trouve qu'on y ressent moins le travail, et avec des crayons en mains je ne vois pas le temps passer. Je dois tout de même faire les tramages en numérique.


De façon générale, qu'est ce qui te plaît le plus dans les univers fantasy ?

L'aventure, la liberté créatrice, la possibilité d'emporter le lectorat vraiment où on veut, le fait de ne pas rester trop coincé par les règles de notre monde. C'est tout l'inverse de séries historiques par exemple, où il faut beaucoup de rigueur pour coller à des événements qui se sont vraiment passés. La fantasy demande juste de l'imagination: plus on en a, et plus l'oeuvre a le potentiel de nous émerveiller.


Pour finir, as-tu déjà en tête toutes les grandes lignes de l'histoire ?

Toute l'histoire des trois tomes initiaux est déjà écrite, mais j'ai toujours la possibilité d'améliorer des concept s'il y a besoin d'y retoucher. Et j'ai des idées pour une suite, si jamais j'ai l'opportunité de poursuivre sur d'autres arcs afin d'explorer le monde que j'ai créé.



Interview réalisée par Koiwai. Remerciements à Eruthoth ainsi qu'aux équipes de H2T/Pika Edition.

commentaires



Si vous voulez créer un compte, c'est ICI et c'est gratuit!

> Conditions d'utilisation