Interview d'Akane Torikai, autrice de Saturn Return, En Proie au Silence, Amour Placebo...- Actus manga
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Manga Interview d'Akane Torikai, autrice de Saturn Return, En Proie au Silence, Amour Placebo...

Vendredi, 19 Avril 2024 à 18h00 - Source :Rubrique interviews

Akane Torikai. est aujourd'hui une autrice largement présente chez nous. Mangaka contemporaine, découverte dans nos contrées avec En proie au silence, l'autrice nous épate de ses récits sociétaux, forts et engagés, visitant les genres et développant son art graphique de multiples manières.


Invitée par les éditions Akata, qui publient les ouvrages de l'artiste en France, elle fut présente l'année dernière, au Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême pour rencontrer son lectorat, à travers de nombreuses séances de dédicace notamment. De notre côté, nous avons eu l'honneur de nous entretenir avec la mangaka, afin de revenir sur sa carrière et plusieurs de ses œuvres. A l'occasion de la sortie prochaine du9e et avant-dernier tome de Saturn Return, qui atteindra nos librairies le 7 mai, voici un retour sur notre rencontre avec cette immense artiste.



Photo by Kana Tarumi

Merci de nous recevoir pour cette entrevue, Torikai-sensei. C'est un honneur de vous rencontrer. Dans votre jeunesse, l'une de vos premières découvertes manga était Kyôko Okazaki. Pouvez-vous nous parler de cette rencontre avec l'univers de l'autrice ?


Akane Torikai : J'ai découvert le travail de Kyôko Okazaki quand j'étais au collège. À cette époque, je ne lisais plus de manga. C'était le cas quand j'étais écolière, mais en grandissant, j'ai pensé que c'était une culture pour otaku, et qui manquait d'élégance. Dans ma classe, au collège, des filles du genre furyo, des voyous, lisaient un magazine et trouvaient un certain titre cool. Ça m'étonnait car, dans mon esprit, ce n'était pas le genre de personne à lire du manga. En réalité, il ne s'agissait pas d'une revue de prépublication, mais d'un magazine de mode pour lequel Kyôko Okazaki a dessiné. Je l'ai donc lu, mais sans m'intéresser à la personne derrière le dessin. C'est plus tard que je me suis renseignée, et qu'on m'a appris que le manga en question était très certainement Reizôko Onna, La femme du frigidaire. Si je me souviens bien, c'est durant le lycée que j'ai pris conscience de qui était la mangaka, lorsque la revue Feel Young publiait des mangas aux designs stylisés, avec notamment de grands formats.


Les débuts de votre carrière sont marqués par des histoires courtes, publiées au sein de la revue Bessatsu Friend. C'est en 2010, notamment avec Ohayô Okaeri, que vous vous adressez à un lectorat plus mature, en dessinant pour la revue Morning Two. Pouvez-vous nous parler de cette transition ?


Akane Torikai : J'ai dessiné ma toute première histoire courte, prête à être soumise à un éditeur, quand j'étais étudiante en école d'art. J'ai alors demandé conseil à un ainé qui avait déjà eu l'occasion de postuler pour des prix. Il m'a recommandé le prix Shikisho, un concours qui concerne les revues seinen de l'éditeur Kôdansha comme le Morning et l'Afternoon. C'est à ce dernier que j'ai envoyé mon manga qui a reçu une mention " honorable", ce qui était encourageant.


J'ai ainsi commencé à être suivie par un éditeur, mais ce dernier trouvait que mes mangas, ainsi que ma manière de dessiner, correspondaient davantage à du shôjo manga. Il m'a amené à un autre étage du bâtiment afin de me présenter à des éditeurs de revues shôjo. À cette époque, Moyoko Anno revenait dans les magazines shôjo de Kôdansha, tout en continuant de dessiner du seinen. J'ai pensé que, comme elle, je pouvais faire mes débuts dans le shôjo, pour me rediriger vers le seinen, plus tard. Au bout d'un moment, ce nouvel éditeur m'a confirmé que le seinen m'allait finalement mieux. Il m'a ainsi présenté à des éditeurs du Morning Two, en m'amenant de nouveau à un autre étage du bâtiment de Kôdansha. (rires)


  
Wakattenai no Watashi Dake, Dramatic et Ohayô Okaeri, les premiers mangas d'Akane Torikai


Pour parler d'En proie au silence, c'est une série riche par ses personnages, parfois clivants, qui soulèvent des sujets de société variés. Si on met de côté Hayafuji, il n'y a pas de figures objectivement dans le vrai ou dans le faux. Est-ce que dessiner des protagonistes aussi particuliers et intégrer cette multitude de points de vue fut un exercice difficile ?


Akane Torikai : C'est une chose que j'avais oubliée, mais dont je me suis souvenu récemment, en feuilletant mon carnet de notes qui regroupe mon travail préparatoire sur En proie au silence. J'avais établi une liste des personnages de la série, chacun étant relié à un système de valeur en rapport avec le sexe ou le genre. J'avais vraiment cette volonté de dépeindre des personnages différents. Je remarquais aussi comment mon entourage pensait, et je reliais les gens autour de moi aux personnages qui correspondaient. C'est comme ça que j'ai établi le casting du manga et que je leur aie attribué leurs processus psychologiques, tout en tenant compte du fait qu'il existe bien d'autres modes de pensée que ceux dépeints.


Dans You've Gotta Love Song, vous vous intéressez aux rapports entre humains, que ce soit dans les représentations de l'amour ou du simple relationnel. Là aussi, vous êtes-vous basée sur vos observations de la société ?


Akane Torikai : C'est difficile de parler globalement de You've Gotta Love Song qui réunit des histoires courtes dessinées à des moments différents de ma carrière, et dans des revues diverses. En tant que livre relié, ce n'est pas une œuvre qui est globalement réfléchie.


Mais ce qui est certain, c'est que j'écris mes personnages selon ce que j'observe autour de moi. Les situations en elles-mêmes restent de l'ordre de la fiction, mais j'aime décrire les sentiments des personnages de la manière la plus authentique possible.





Sans Préambule est un ouvrage particulier dans votre carrière. Les histoires qui le composent ont été proposées dans des biais de publication différents, et on peut l'apprécier comme un véritable essai artistique dans lequel vous dessinez beaucoup au crayon à papier. Les histoires ont aussi des styles variés. Pouvez-vous nous parler de ce projet, de la naissance des histoires à leur regroupement en ouvrage relié ?

Akane Torikai : Le projet est né au contact de l'éditrice avec laquelle j'ai aussi lancé Saturn Return. Quand je travaillais encore pour Kôdansha, elle me sollicitait déjà pour qu'on travaille ensemble sur une série. Seulement, j'avais déjà deux ou trois mangas en cours à ce moment, et il m'était impossible de rajouter un projet long.


Cette éditrice a participé à la création de la revue culturelle, Maybe!. La volonté de ce magazine était de s'adresser aux jeunes filles dans la dizaine, afin de leur montrer d'autres systèmes de valeur. Comme il s'agissait d'une revue saisonnière publiée quatre fois par an, dessiner en son sein était quelque chose de gérable. J'ai fini par accepter de créer pour le Maybe!, à condition de pouvoir dessiner au crayon à papier afin de gagner du temps, étant donné ma charge de travail d'époque. Même si j'ai eu l'accord de mon éditrice, je suis tombé dans mon propre piège : Je pensais pouvoir gérer ça rapidement en évitant la phase d'encrage, mais le fait de dessiner au crayon m'a donné envie de détailler davantage mon dessin, sachant que je n'avais pas d'assistant sur ce projet pour travailler les décors. J'avais finalement quatre séries en cours, avec parfois 70 pages à dessiner par mois.


Je travaillais tellement que j'ai attrapé une pneumonie. Mon médecin pensait que je suis tombée malade à cause de la poussière que dégage le crayon à papier. Je ne sais pas si c'était vrai. (rires)





Saturn Return est votre manga le plus long, qui se termine en dix tomes. Cette histoire est entre le drame et le thriller, une quête de vérité autour de personnages tourmentés. Comment est né ce manga au fil rouge complexe ?

Akane Torikai : Comme je l'ai dit, je dois le manga à cette éditrice avec laquelle j'ai créé Sans Préambule. Même si on ne pouvait pas encore travailler ensemble sur un long projet, on se voyait régulièrement. Elle m'invitait à la contacter quand lorsque je serai pour une série. Elle a été patiente, car elle a attendu que j'aie bouclé En proie au Silence, Onna no Ie, Le Siège des Exilées et Amour Placébo. Au cours de ces rencontres, nous parlions de tout, et j'en suis venu à évoquer la perte d'un ami que je n'ai jamais su accepter, quand j'étais dans la trentaine. Avec mon éditrice, on a convenu que ça ferait un bon sujet de série.


Même si je voulais aborder ces idées de suicide et de la mort, il fallait créer une fiction, et donc avoir un contexte. En amont, j'ai lu beaucoup d'ouvrages autour du suicide, ou qui traitaient de personnes ayant perdu des proches qui se sont donné la mort. Petit à petit, j'ai pensé que le vrai thème de Saturn Return était peut-être ailleurs. Même s'il y a la question du deuil, la mort me semblait être quelque chose encore loin de moi. Alors, c'est le concept de la perte qui est devenu le sujet de la série, notamment l'idée de se perdre soi-même. Le manga a donc évolué, en parallèle de l'histoire des ces 8 femmes qui apportent au récit son suspense, ainsi que la quête de Ritsuko, l'héroïne. Le questionnement la concernant est devenu le suivant : « Alors que ma vie me fait m'éloigner du vrai moi, comment retrouver celle que je suis, et ne pas me perdre dans mon parcours ? ». Au final, je pense que c'est une œuvre complexe, peut-être même difficile à lire à cause de certains sujets. C'est ce qui fait qu'elle ne se vend pas vraiment au Japon. Je suis surprise du décalage avec la France, car beaucoup de lecteurs me disent qu'ils adorent la série !



SATURN RETURN © 2019 Akane TORIKAI / SHOGAKUKAN


Maintenant que la prépublication de Saturn Return est terminée, quel bilan tirez-vous de cette série ?

Akane Torikai : Saturn Return a été une expérience très étrange. À l'origine, je n'aimais pas du tout mon héroïne, et je voulais faire de Ritsuko une femme mauvaise, à la morale très différente de la mienne. C'était un exercice difficile, car on s'implique toujours dans son protagoniste. Dans ma vie personnelle, beaucoup ne choses ne me plaisaient pas. J'étais dans une sorte de cercle infernal, ce qui m'empêchait de faire de Ritsuko un personnage qui embrasse des valeurs différentes des miennes. Je la retenais, tout en ayant l'envie de lui donner sa liberté. C'était paradoxal. Il y avait peut-être une forme d'autocensure. J'ai développé un sentiment d'infériorité par rapport à mon personnage, mais j'ai fini par donner sa liberté à l'héroïne, ce qui m'a peut-être permis moi-même de faire certains choix dans ma vie personnelle. Ils ne sont pas encore parus en France mais dans les tomes 8, 9 et 10, je trouve Ritsuko particulièrement classe. C'est là où elle gagne enfin sa liberté !


SATURN RETURN © 2019 Akane TORIKAI / SHOGAKUKAN


Interview menée par Takato. Remerciement à Akane Torikai et à ses éditeurs, et à Bruno Pham des éditions Akata pour l'organisation de la rencontre et pour ses qualités d'interprète.




commentaires

Shigiyamatsumi

De Shigiyamatsumi [212 Pts], le 21 Avril 2024 à 09h55

euh, juste un détail:

Akane Torikai : Je à cette éditrice avec laquelle j'ai créé Saturn Return.

Il manque quelque chose dans cette phrase...

Shigiyamatsumi

De Shigiyamatsumi [212 Pts], le 23 Avril 2024 à 09h43

Merci pour la correction !👍

nolhane

De nolhane [6606 Pts], le 20 Avril 2024 à 22h05

Merci pour cette interview très intéressante

Forevermanga

De Forevermanga [600 Pts], le 19 Avril 2024 à 22h39

Merci pour cette interview. C'est un plaisir de pouvoir en apprendre plus  sur   ses oeuvres, j'aime beaucoup cette auteure

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